BURKINA-FASO – 3 juin 1993, N. Zongo, signe le 1er éditorial du journal L’Indépendant
Norbert Zongo journaliste talentueux, honneur du journalisme indépendant, signait le 3 juin 1993 le premier éditorial du journal L’Indépendant qu’il venait de créer. Evoquant le Zaïre et le Togo, il mettait en garde les peuples d’Afrique sur les risques de la « compromission politique » qui se paye très cher. Trente ans plus tard, la puissance du message reste en concordance avec le temps présent.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Panneau rendant hommage à Norbert Zongo, dressé sur le lieu de son exécution à Sapouy, dans le sud du Burkina Faso
Editorial de Norbert ZONGO dans le journal L’Indépendant N° 00 du 3 juin 1993
Extrait de l’ouvrage Norbert ZONGO, « Le sens d’un combat »[i]
« Les peuples comme les hommes finissent toujours par payer leurs compromissions politiques : avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur. Deux illustres et malheureux exemples de l’heure peuvent être cités en la matière : le Zaïre et le Togo. Ces peuples, subjugués et gémissant sous la férule de tyrans militaires ont malheureusement leur part de responsabilité dans le drame qu’ils vivent.
En Afrique, la compromission des peuples s’effectue à 3 niveaux :
Le 1er niveau est constitué d’intellectuels opportunistes qui se servent de leurs connaissances livresques pour aider les dictateurs à donner un contour idéologique et politique à leur tyrannie…
Le tyran peut voler, tuer, emprisonner, torturer… il sera défendu, intellectuellement réhabilité par des « cerveaux » au nom de leurs propres intérêts.
Résultat : la plupart de ces intellectuels finissent par s’exiler, ou sont froidement exécutés ou « se suicident » en prison. Les plus heureux sont ceux qui sont dépouillés de leurs biens et de leurs privilèges avant d’être jetés en pâture au peuple… Un tyran n’a pas d’amis éternels.
Le 2ème niveau est constitué par les opposants de circonstance.
Ils se battent et entraînent des hommes sincères avec eux avant de rejoindre l’ennemi d’hier, avec armes et bagages, surtout avec la liste des opposants sincères. Résultat : ils bénéficient des grâces du tyran pendant quelque temps avant d’être éjectés, emprisonnés ou tués… Un dictateur n’a confiance en personne, surtout pas en un ancien opposant.
Le 3ème niveau est constitué des « indifférents ».
Les « pourvu que », la pure race des égoïstes myopes (pourvu que mon salaire tombe, pourvu que je n’aie pas d’ennuis, pourvu que rien n’arrive à ma famille…). Comme nous le disait un brave ami togolais dans les années 1980 : « Pourvu que les bateaux continuent de venir au port, Eyadema peut faire ce qu’il veut. On le laisse avec DIEU » notre ami est actuellement réfugié à Cotonou et les bateaux mouillent toujours au large de Lomé.
Résultat : personne n’échappe à une dictature lorsqu’elle s’installe dans un pays. Comme le dit la sagesse populaire, chaque peuple a le régime qu’il mérite. Et chaque compromission avec une dictature est toujours payée au prix fort. La règle ne souffre pas d’exception.
Bonne méditation.
Norbert ZONGO
NOTES
[i]Le sens d'un combat : recueil d'éditoriaux ZONGO, Norbert, - OUAGADOUGOU (BURKINA FASO) : CENTRE NATIONAL DE PRESSE NORBERT ZONGO (CNP NZ), 2000/05, 197 P. Ce recueil est composé d'éditoriaux que Norbert Zongo a écrit dans son journal, L'Indépendant, de 1993 à 1998. A travers ces écrits, c'est le cheminement de son combat qui apparaît. De nombreux thèmes sont abordés par le journaliste, du rôle des intellectuels aux relations Nord-Sud, en passant par les thèmes du pouvoir, de la liberté d'expression, du pouvoir de l'argent, etc. voir : https://www.ritimo.fr/opac_css/index.php
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Norbert Zongo, journaliste burkinabé. Date et lieu inconnus
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RAPPEL DU CONTEXTE
NORBERT ZONGO : L’HONNEUR DU JOURNALISME INDEPENDANT DU BURKINA FASO
Norbert Zongo journaliste de grand talent, honneur du journalisme indépendant du Burkina Faso, signait son premier éditorial le 3 juin 1993 dans le N° 00 du journal qu’il venait de créer.Il avait fondé le journal L’Indépendant avec la seule volonté d'informer et d'éduquer le peuple burkinabé.
Le journal parut pour la première fois en 1993, Norbert Zongo, en rédigeait la plupart des articles, sous le pseudonyme « Henri Sebgo ». Directeur de la publication, Norbert Zongo, refusera l'autocensure et écrira dans le quotidien, le 2 juin 1993 : « L'Indépendant sera indépendant ou ne sera pas. »
Le journal reconnu pour la qualité de ses investigations et son intégrité éditoriale, est devenu le quotidien burkinabé le plus diffusé du Burkina Faso, son tirage atteignant à l’époque 15 000 exemplaires par jour. Il s'opposera directement au régime de Blaise Compaoré, dénonçant dans les années 1990 l'omniprésence de la corruption au sein de l'État.
Le 13 décembre 1998, Norbert Zongo fut assassiné avec trois de ses compagnons, probablement par des membres de la garde présidentielle burkinabé sous l'autorité de François Compaoré, parce qu’il avait décidé d’enquêter sur la mort suspecte de David Ouédraogo, chauffeur de François Compaoré, le frère du président burkinabé Blaise Compaoré. Il a été retrouvé mort, avec trois autres personnes, carbonisés dans leur véhicule, le 13 décembre 1998, à Sapouy (Sud).
Son décès, auquel sont mêlés le président et sa garde personnelle, donnera naissance à un mouvement de contestation à travers le pays, ainsi qu'à des protestations internationales.
Sous la pression populaire, Blaise Compaoré mit sur pied une Commission d'enquête indépendante (CEI), qui identifiera quelques mois plus tard « six principaux suspects » dans le quadruple assassinat.
En août 2000, trois militaires de la garde présidentielle, dont l'adjudant Marcel Kafando, sont reconnus coupables d'« avoir séquestré et torturé à mort » David Ouédraogo, soupçonné d'avoir volé de l'argent au frère du président. Il meurt sous la torture, quelques jours après son arrestation par la garde présidentielle. En février 2001, Marcel Kafando sera également été inculpé d'« assassinat » et « incendie volontaire » par le procureur général dans le cadre du dossier Norbert Zongo.
Malgré la gravité de l’inculpation, Marcel Kafando reste en liberté et libre de ses mouvements à son domicile de Ouagadougou. Jusqu’à ce que, huit ans après les faits, le 19 juillet 2006, le juge d'instruction Wenceslas Ilboudo prononce un non-lieu en faveur de Marcel Kafando et X, au motif de la rétractation d'un témoin à charge. La confirmation en appel de la décision éteindra la procédure visant à élucider l'assassinat de Norbert Zongo. Seuls de « nouveaux éléments » étant susceptibles de relancer l'enquête.
De fait, la justice du Burkina Faso n’élucidera jamais les circonstances et ne désignera jamais les auteurs de l’assassinat. Malgré les recours de la famille de Zongo, la justice abandonne l’affaire.
Affiche éditée par le Centre National de Presse Norbert Zongo, 13 décembre 1998 – 13 décembre 2023, 25 ans d'injustice, Norbert Zongo nous parle, dessinateur Damien Glez
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La presse indépendante burkinabé de son côté tente de poursuivre le combat pour la recherche de la vérité, mais à ses dépens. Ainsi, le 22 janvier 2007, Germain Bitiou Nama directeur de publication et Newton Ahmed Barry, rédacteur en chef, du bimensuel privé L'Evénement, sont condamnés, pour « diffamation » envers François Compaoré, à deux mois de prison avec sursis et 300 000 francs CFA d'amende chacun.
Outre la publication à la une de L'Evénement, d'une photographie de François Compaoré, assortie du titre : « Ainsi donc, c'est lui, François Compaoré. Jusqu'à présent, on pensait à lui sans le nommer. RSF vient de franchir le pas. », le journal était aussi poursuivi pour avoir publié, le 25 octobre 2006, plusieurs articles relatant une conférence de presse donnée quelques jours plus tôt dans la capitale du Burkina Faso par Reporters sans frontières[i].
Mais la famille Zongo, n’abdique pas et ne renonce pas à poursuivre son combat judiciaire. En saisissant en décembre 2011, la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la famille de Norbert Zongo, montre sa détermination pour la recherche de la vérité et la punition des coupables.
Le 28 mars 2014, la Cour reconnait le bien-fondé de la requête déposée par la famille Zongo et rend un arrêt[ii] par lequel elle indique que les procédures judiciaires ont été prolongées de façon anormale et que les poursuites ont été abandonnées avant que les coupables soient retrouvés et jugés, ainsi, le Burkina Faso a échoué à rendre justice aux proches de Zongo. La Cour ajoutait que l’Etat avait violé le droit à la liberté d’expression des journalistes qui ne se sentaient plus protégés en violation des articles 7 et 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
La Cour ordonnait à l’Etat du Burkina Faso de verser des réparations à la famille, ainsi qu’à reprendre les investigations en vue de rechercher, poursuivre et juger les auteurs des assassinats de Norbert Zongo et ses trois compagnons.
Le Burkina Faso a indemnisé les familles en deuil, et s’est ressaisi de leur quête de justice en réouvrant l’enquête qui a progressé en un temps record. En mai 2017 la justice du Burkina Faso lançait un mandat d’arrêt international contre François Compaoré, le frère de l’ancien président.
Mais celui-ci, considéré comme principal suspect dans le meurtre de Zongo, s’était enfui en France. Arrêté en 2017 à la suite de la requête du Burkina Faso, son extradition fait depuis l’objet d’une bataille judiciaire entre les avocats de Compaoré et les autorités françaises, ceux-ci soulevant tous les recours possibles pour empêcher l’extradition vers le Burkina Faso en vue de faire comparaître Compaoré devant un tribunal dans son pays d’origine.
Pour l’honneur de la justice, il convient de garder intacte la volonté et la détermination dans le combat pour qu’une cour de justice permettre de faire éclater enfin la vérité et d’entretenir l’espoir qu’un jour la condamnation des coupables permettre que justice soit enfin rendue à Norbert Zongo et à sa famille.