François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

424 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 mai 2024

François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

TOGO : liberté de la presse, le CONAPP et l’indignation à géométrie variable

En lien avec la récente arrestation, condamnation, expulsion du Togo, de Thomas Dietrich, journaliste français indépendant, Komi Zeus Aziadouvo, ancien membre de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) dans un « post » publié sur son compte Linkedin, interroge la position du Conseil National des Patrons de Presse du Togo, déplorant une l’indignation à géométrie variable.

François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Entretien avec Thomas Dietrich, Le Media, 7 mai 2018, capture d'Ecran 2024.05.02 a 13.45 © Le Media

« Interpellation et expulsion du journaliste français Dietrich. Voici ce qu'en pense le CONAPP, une organisation de presse togolaise qui n'a rien dit quand son membre actif Apollinaire MEWENEMESSE a été emprisonné. Quel ton ! Nous sommes foutus »[i], voici la substance du post sibyllin mais très explicite publié par Komi Zeus Aziadouvo qui précède la publication intégrale du Communiqué du CONAPP.

Il est en effet à l’égard du cas Thomas Dietrich permis d’être interrogatif sur la prise de position de l’organisation patronale CONAPP, lorsque celle-ci acquiesce sans la moindre réserve aux assertions de la justice togolaise sur la notion d’entrée illégale, pour ensuite qualifier de manière péremptoire la démarche du confrère d’« activisme » et de « provocation ». Rien que ça !   

Pour qui connait et observe attentivement depuis des années le comportement de l’institution judiciaire au Togo, où les cas d’instrumentalisation identifiés et actés au service exclusif du pouvoir politique Gnassingbé/UNIR-ex RPT sont légion, où la séparation des pouvoirs a depuis longtemps quitté le champ du monde réel pour être reléguée dans celui de l’imaginaire, l’éthique en matière de journalisme aurait consisté dans ce cas précis, à enquêter à charge et à décharge, au lieu de s’aligner inconditionnellement sur les attendus et conclusions d’une procédure judiciaire, qui elle-même dans son déroulement semble avoir « pris beaucoup de libertés » en regard de la loi. Autrement dit, le CONAPP semble ici se comporter davantage comme un relais de l’institution judiciaire, que comme un contre-pouvoir critique, qui est normalement le rôle dévolu à la presse en démocratie. Il est malheureusement vrai que démocratie s’accorde très, très peu avec Togo !

Au-delà de la mésaventure d’un journaliste français en terre togolaise, le reproche, plus grave et préoccupant formulé par Komi Zeus Aziadouvo à l’égard de l’organisation patronale de la presse CONAPP, c’est son incompréhensible absence totale de réaction lorsqu’un « membre actif » de l’organisation « Apollinaire Mewenemesse », directeur de publication de l’hebdomadaire La Dépêche, par ailleurs doyen de la presse togolaise, fut, à 71 ans, emprisonné. Il était accusé de « faux et usage de faux, diffusion de fausses nouvelles à effet de sédition » ou encore « apologie contre la Défense nationale et la sécurité de l’Etat, publication de contrefaçon, publication par voie de presse ayant porté atteinte à l’honneur et à la dignité du président de la République, publication d’informations ayant porté atteinte aux cours et tribunaux… »

Comment interpréter ici la qualification retenue par la justice, en sachant qu’il est difficile d’identifier dans les cercles du pouvoir togolais, y compris jusqu’a la responsabilité suprême, le moindre parangon de vertu, d’« honneur et de dignité ». Mais l’institution n’est pas avare d’assertions. Le tort d’Apollinaire Mewenemesse fut donc d’avoir publié un article intitulé « L’assassinat crapuleux du Colonel Madjoulba, et si le Général Félix Kadangha Abalo était le capitaine Dreyfus du Togo ? »[ii] Et de s’être légitimement interrogé, en regard des incohérences de la procédure, sur les attendus et le jugement rendu par un tribunal militaire, dont l’impartialité ne semblait pas assurée. L’armée du Togo, n’étant pas connue pour être une institution exemplaire en matière de transparence.

Après le traitement réservé au cas Dietrich dans son dernier communiqué, le fait que le CONAPP n’ait pas soutenu l’un de ses membres actifs dans le cas Mewenemesse, peut effectivement susciter de légitimes interrogations quant à sa « marge de manœuvre » en termes d’expression publique. A moins que le CONAPP pratique une politique du deux poids deux mesures !

L’honneur de la presse c’est sa droiture et son honnêteté dans le traitement de l’information, qui doit s’appuyer sur deux piliers incontournables de son action, la vérification et le recoupement des informations. C’est en agissant de la sorte qu’elle acquiert sa dignité.

Un comportement déontologique cher à Komi Zeus Aziadouvo, qui n’a pas hésité en février 2023, à claquer la porte de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), dont il était membre et Président du Comité Technique presse écrite. Dans une lettre adressée au président de la HAAC Pitalounani Telou, pour justifier son geste il expliquait « Les décisions que nous avons prises ce jour, nous éloignent de notre mission qui est de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse et des autres moyens de communication de masse. » Il considérait que l’autorité s’éloignait de sa mission et compromettait sa neutralité en « cédant aux désidératas des groupes de pression politiques dont l’agenda est d’imposer la loi du silence » et lui reprochait sans ambigüité « Nous sommes même allés jusqu’à remettre en cause ce que nous faisons en tant qu’institution de régularisation », pour justifier son départ : « Ne pouvant pas cautionner les décisions de la plénière de ce jour, je démissionne de la HAAC à compter de ce jour ».

Dans l’histoire de la presse au Togo ces dernières années les exemples de restrictions de la liberté d’expression s’accumulent. Ils sont dénoncés par un nombre important de journalistes qui considèrent que la HAAC s’écarte de ses prérogatives obéissant à un pouvoir politique qui ne cesse d’accentuer les pressions pour museler les voix dissidentes[iii], dont celles de la presse critique, qui diffèrent notoirement de la « pensée unique » qu’il s’évertue à imposer dans l’espace public.

La teneur du récent communiqué des patrons de presse du Togo, reproduit ci-après en intégralité, tendrait à confirmer la réalité des pressions en tout genre et de leur pouvoir d’influence, qui s’exercent à l’encontre de la presse et des médias. FF

François Fabregat

2 mai 2024

[i] Komi Zeus AZIADOUVO • Journaliste-Écrivain-Réalisateur, Directeur Général du Cabinet Pierre Précieuse (Ca2P), Ancien membre de la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC), in linkedin.com, 1 sem., consulté le 2 mai 2024, voir : https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7188246034056126466/

[ii] RCDTI & CVU-TOGO-DIASPORA, « Coup d’État parlementaire au Togo : Non à la promulgation de la Constitution de la « remise des compteurs à zéro », in cvu-togo-diaspora.org, 30 mars 2024, consulté le 2 mai 2024, voir : https://cvu-togo-diaspora.org/2024/03/30/coup-detat-parlementaire-au-togo-non-a-la-promulgation-de-la-constitution-de-la-remise-des-compteurs-a-zero/20471

[iii] AMNESTY International, « Togo : Des élections sur fond de musellement des voix dissidentes », in amnesty.org, 29 avril 2024, consulté le 2 mai 2024, voir : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/04/togo-elections-against-a-backdrop-of-muzzling-dissenting-voices/

Illustration 2
CONAPP Conseil National des Patrons de Presse du Togo

COMMUNIQUÉ DU CONSEIL NATIONAL DES PATRONS DE PRESSE DU TOGO (CONAPP)

Le Conseil National des Patrons de Presse (CONAPP) a appris via le Communiqué du Procureur de la République, les circonstances de l’interpellation le 15 avril 2024 du sieur DIETRICH Thomas Pierre, journaliste et écrivain de nationalité française.

L’entrée illégale et sans accréditation dans un pays pour réaliser des reportages ne peut être considérée comme du journalisme, mais relève plutôt d’un certain activisme et d’une provocation menés pour des raisons que seul le confrère DIETRICH Thomas Pierre maitrise.

Le Conseil National des Patrons de Presse du Togo (CONAPP) regrette ces méthodes contraires à l’éthique et à la déontologie journalistique de certains confrères, méthodes qui ne sont pas tolérées dans leurs pays de provenance et qui tendent à nuire aux progrès enregistrés ces dernières années dans le domaine de la liberté de la presse au Togo.

Et le communiqué de Reporters Sans Frontières indiquant que « Thomas Dietrich s’est rendu au Togo en toute transparence » » en est malheureusement l’illustration. L’ONG de Défense des droits des journalistes en reprenant à son compte les seules allégations du journaliste français expulsé, a pris une posture qui pourra de manière profonde discréditer son action au Togo et en Afrique.

Le Conseil National des Patrons de Presse du Togo (CONAPP) exhorte tous les journalistes locaux et internationaux intéressés par la couverture médiatique du double scrutin du 29 avril prochain à respecter les procédures légales en vigueur au Togo pour éviter de telles situations désagréables qui n’honorent pas notre profession. Le CONAPP saisit cette même occasion pour inviter les professionnels des médias a un traitement équilibré et juste de l’information en ces périodes de consultations électorales. Le professionnalisme et la responsabilité doivent guider notre travail.
Fait à Lomé le 21 Avril 2024

Le Président du CONAPP
Germain POULI

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.