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Billet de blog 5 juin 2025

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AFRIQUE- A quoi cette seconde phase doit-elle s’attaquer pour libérer l’Afrique ?

Par le biais de coups d'État parachevant des périodes de mobilisations populaires plus ou moins longues, comme au Mali, Burkina Faso et Niger, ou par les urnes comme au Sénégal ou Ghana, un tournant politique souverainiste semble s’ancrer peu à peu en Afrique de l’ouest. Il reste à créer les conditions d’une véritable transformation que la souveraineté des peuples d’Afrique devienne réalité.

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Illustration 1
Les peuples en lutte pour l’indépendance et la décolonisation de l'Afrique, manifestation de la jeunesse à Léopoldville en 1960

A quoi cette seconde phase doit-elle s’attaquer pour libérer l’Afrique ?

Mali, puis Burkina, puis Niger par coups d'État parachevant les mobilisations populaires, ensuite Sénégal, Ghana par les urnes, le tournant souverainiste semble s’ancrer peu à peu en Afrique de l’ouest. 

Dans les années 60 à 80, c’est dans le sud du continent que venait l’espérance de liberté et de souveraineté à travers les luttes armées de libération nationale de l’Algérie, du Mozambique, Zimbabwe, Angola, Namibie dont le point culminant a été la défaite de l’agression de l’apartheid sud-africain soutenu par l’occident impérialiste à Cuito Cuinavale face à la coalition Angolo-Cubaine, la libération des prisonniers politiques du PCSA/ANC et l’élection de Nelson Mandela à la présidence. L’espoir suscité par le coup d’État souverainiste de Thomas Sankara fut vite refermé par la trahison et son assassinat.

A partir de 1979, sous le prétexte de la dette, l’Afrique fut mise sous coupe réglée des plans libéraux d’ajustement structurel (PAS) imposés par l’idéologie totalitaire du « there is no alternativ » au néolibéralisme.

Traumatisées par la défaite de l’URSS, du camp socialiste d’Europe, l’intelligentsia petite bourgeoise et la bourgeoisie compradore mais aussi les bureaucraties syndicales se sont mis à proclamer en écho la « fin des idéologies » répétant en réalité la prose de l’idéologie libérale, vantant « l’individualisme » forcené, les « emplois non-salariés » ubérisés maintenant dans les métropoles impérialistes, la « concurrence » de chacun contre tous et de tous contre tous, le « secteur privé seul créateur d’emplois », la chimère de « l’aide au développement » et autres fadaises des hymnes de la « mondialisation seule voie de sortie du sous-développement ».

L’abrutissement idéologique prenait des allures ubuesques au point que les luttes populaires africaines des années 90 furent canalisées vers les « conférences nationales du vent d’est » consacrant l’inachèvement des processus révolutionnaires d’alors, notamment au Bénin et au Mali où les régimes militaires fascistes furent renversés par l’insurrection populaire.

Fin de la première décennie du XXIème siècle, les peuples de l’Afrique du nord, d’abord la Tunisie, puis l’Égypte chassèrent les dictatures multipartites verrouillées avant que les impérialistes n’en profitent pour détruire la Libye, assassiner son leader et infester du coup toute la bande sahélienne de hordes djihado-terroristes financées par les pétrodollars, recrutées par les services secrets impérialistes dans le cadre de la lutte contre le communisme jusqu’à la fin de l’URSS et maintenant utilisées pour recoloniser les États résistants anciennement colonisés.

Petite bourgeoisie intellectuelle, bourgeoisie bureaucratique d’État, féodalité terrienne foncière et parfois reconvertie en bourgeoisie de « l’import-import » pour reprendre une appellation ironique désignant les officiers affairistes par nos camarades algériens se sont ralliées à cette « re-mondialisation » du capitalisme répétant comme des perroquets que c’est « la fin de l’histoire » alors que dès 1999, nous écrivions et annoncions « sortir des années 90 » avec la victoire électorale d’Hugo Chavez au Venezuela.

Les conséquences de cet empoisonnement idéologique ont été l’émigration piroguière meurtrière et la fabrication par des lois xénophobes du racisme d'Etat dans les métropoles impérialistes de nouveaux esclaves salariés sur-exploités que sont les sans-papiers.

Pendant ce temps, les principaux leaders historiques de la gauche communiste capitulaient dans la plupart de nos pays, abandonnant en rase campagne les programmes souverainistes anti-impérialistes pour lesquels ils avaient milité en s'intégrant dans les régimes néocoloniaux et tout en marginalisant pour les confiner, sans scrupule, dans une misère sociale les Révolutionnaires Professionnels (RP) qui avaient sacrifié leur vie à la cause de la « rupture avec l’impérialisme » et de « la transformation systémique » anti-néocoloniale.

Pour toutes ces raisons, nous invitons la jeunesse principale actrice de l’actuelle seconde phase de libération nationale à s’imprégner et méditer pour les réactualiser ces thèses du programme du RTA-S de novembre 1995, reprises lors de la fondation de Ferñent/Mouvement des Travailleurs Panafricains-Sénégalais (F/MTP-S).

Ces extraits ont été rédigés par feu Assane Samb et Diagne Fodé Roland sur les recommandations de feu Birane Gaye. 

Illustration 2
Empires coloniaux en Afrique a l'issue de la Conférence de Berlin en 1884

« UN CONTINENT MEURTRI PAR DES SIÈCLES D’EXPLOITATION ET D’OPPRESSION : L’IMPÉRIALISME EST LE CANCER QUI RONGE L’AFRIQUE

1. Cinq siècles durant, les peuples africains ont subi la traite négrière puis son prolongement, l’esclavage, suite à l’extermination des peuples indiens d’Amérique. C’était le premier génocide connu de l’histoire de l’humanité. C’était aussi le baptême de feu du capitalisme naissant. Le colonialisme en Afrique naquit en effet lors de la mutation du capitalisme en impérialisme à la fin du 19ème siècle.

2. Le système capitaliste mondial qu’est l’impérialisme dans lequel ont été enfermés les peuples a forgé des rapports d’exploitation du travail par le capital. Il a aussi organisé des rapports d’oppression entre, d’une part des États, pays, nations, peuples, races, nationalités qui oppriment et, d’autre part des États, pays, nations, peuples, races, nationalités qui sont opprimés. Il a façonné une hiérarchie sociale opposant de façon irréconciliable la classe bourgeoise capitaliste aux classes laborieuses prolétaires et paysannes. Il a enfin édifié une hiérarchie raciale et nationale à l’échelle du globe qui met au bas de l’échelle sociale, raciale et nationale les prolétaires et paysans noirs, les peuples noirs, les nations noires, la race noire et les nationalités noires.

3. La nature discriminatoire et raciste du capitalisme sert à maintenir et pérenniser son système d’asservissement des populations noires. Les peuples africains vivent ainsi une atmosphère d’apartheid historique et planétaire que l’impérialisme a propagé pour maintenir le point de vue selon lequel la main d’œuvre noire est « semblable aux animaux », comparable « aux bêtes de somme ». Que c’est donc soi-disant « l’ordre naturel et divin des choses » qui fait que c’est à « l’homme blanc qu’incombe la mission civilisatrice » d’exploitation et d’oppression de l’Afrique et des africains. Il s’agit tout simplement de perpétuer l’esclavage multiforme des travailleurs noirs, mais aussi de diviser les travailleurs du monde sur une base raciale et nationale afin d’affaiblir la lutte commune du monde du travail contre le système capitaliste. En effet, comme l’enseigne Karl Marx, « les travailleurs à la peau blanche ne peuvent s’émanciper là où les travailleurs à la peau noire sont marqués au fer rouge ».

4. La conquête coloniale a débouché sur un partage territorial du continent africain entre les différentes puissances impérialistes, partage qui a mis fin au processus d’évolution endogène des modes de production pré-coloniaux. Le système colonial est au fond une intégration, en position subordonnée et complémentaire, de l’économie pré-coloniale africaine au mode de production capitaliste devenu mondial. Au contraire de ce qu’il a réalisé au centre de l’impérialisme, le capitalisme n’a détruit ni les modes de production pré-capitalistes, ni les classes exploiteuses esclavagistes, moyenâgeuses, médiévales et féodales en Afrique. Le capitalisme se les a associés en se les subordonnant par l’introduction de l’économie monétaire, les cultures de rentes et l’exploitation minière. Les populations laborieuses africaines sont ainsi tombées sous le joug des monopoles, des multinationales et des transnationales impérialistes.

5. Cette interférence colonialiste a empêché et empêche le développement normal des nations et des nationalités africaines. Le découpage territorial impérialiste a stoppé le processus de formation historique des nations avec la naissance et le développement du capitalisme au plan interne. Les nationalités africaines, que les impérialistes désignent sous le nom « d’ethnies » ou de « tribus », ont été séparées par des frontières tracées à coups de canon et ensuite emprisonnées dans des frontières d’États multinationaux. Les langues nationales sont confinées dans la position de « dialectes » et les cultures nationales sont considérées comme « primitives ».

L’État semi-colonial s’est fait l’héritier de cette oppression linguistique et culturelle par le maintien et la préservation de l’hégémonie de la langue et de la culture de la métropole coloniale. La « francophonie » est l’expression de cet impérialisme culturel et linguistique que subissent les peuples semi-colonisés d’Afrique. C’est là aussi une entrave à la formation de nations en Afrique. Le processus de formation des nations en Afrique s’opère dorénavant dans le cadre de la lutte anti-impérialiste des peuples africains pour la libération nationale. La tâche fondamentale réside dans la liquidation de l’obstacle à la formation des nations que constitue l’oppression impérialiste en Afrique.

6. A partir de la seconde guerre mondiale antifasciste, le mouvement anti-colonial a connu une vigueur nouvelle bénéficiant du nouveau rapport des forces sur le plan mondial né de la victoire de l’URSS et des peuples contre la horde nazie du IIIème Reich. La première phase de décolonisation, qui s’est focalisée sur la lutte pour « l’indépendance nationale, a abouti à l’avènement au pouvoir de la bourgeoisie nationale compradore qui, au Sénégal notamment, a capitulé devant les projets semi-coloniaux de l’impérialisme.

Les tentatives panafricaines des leaders du courant national-révolutionnaire bourgeois et petits-bourgeois ont été vaincues, soit en raison des répressions, assassinats, soit à cause des trahisons et de la corruption impérialiste, soit à cause des vacillations conciliatrices avec les tenants du courant bourgeois et petit-bourgeois national-réformiste.

On peut citer à cet égard l’adoption de la loi cadre instituant « l’autonomie interne » en 1956 qui mettait un terme au projet initial du RDA de conduire dans l’unité les empires coloniaux français à l’indépendance et le ralliement du « groupe de Monrovia » à la formule de « l’unité pas à pas » au moment de la fondation de l’OUA en 1963 à Addis-Abeba. Le sabotage de l’expérience de la Fédération du Mali par nos élites politiques est une preuve éloquente de l’opposition de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie national-réformiste appuyée par la puissance colonisatrice à tout projet d’unité des peuples africains.

Ainsi donc, la lutte pour la décolonisation, même si la classe ouvrière et la paysannerie en furent les forces sociales d’appoint, la base populaire de masse, a été essentiellement caractérisée par une direction national-réformiste. D’où son inconséquence et sa récupération par le néo-colonialisme.

7. L’impérialisme est un frein au développement des forces productives dans les colonies et les semi-colonies. C’est un frein à la formation du marché national en ce sens qu’il lie verticalement des secteurs dits « utiles » de l’économie nationale directement d’abord au marché de la métropole coloniale puis au marché mondial capitaliste. Ainsi l’agriculture de rente, l’industrie extractive minière, en un mot l’activité économique rurale et urbaine produit directement pour le commerce extérieur. La création de la zone monétaire CFA est une captation des avoirs financiers (devises) des États africains au profit du commerce extérieur de l’impérialisme français. Il n’y a pas et ne peut y avoir « d’intégration économique » nationale, sous régionale et continentale sous la domination impérialiste.

8. « L’unité africaine » ne peut être le fait des bourgeoisies semi-coloniales qu’en terme d’annexion d’un pays par un autre, d’un État semi-colonial par un autre. Le nationalisme bourgeois au profit des États semi-coloniaux n’est pas anti-impérialiste et par conséquent constitue un obstacle à l’union des peuples libres africains. Le nationalisme semi-colonial est, au même titre que l’ethnicisme, le tribalisme, le clanisme et le régionalisme, un poison distillé par les impérialistes et les bourgeoisies nationales compradores pour diviser les peuples africains. C’est ce poison qui est à la base des honteuses expulsions d’Africains résidant dans d’autres pays africains.

9. Le panafricanisme semi-colonial réunit les bourgeoisies africaines sous l’égide du maître impérialiste, dans des cadres comme l’OUA/UA, l’UMOA, la CEDEAO. Le panafricanisme semi-colonial, c’est pour les bourgeoisies africaines se porter mutuellement secours contre les révoltes populaires et, par une abondante phraséologie, duper les peuples qui aspirent légitimement à l’unité.

10. La balkanisation, c’est-à-dire le tracé impérialiste des frontières artificielles et par suite l’emprisonnement des nationalités dans des États multinationaux par la violence, conduit à l’inévitabilité historique de revendications d’indépendance de la part de populations qui, comme en Casamance, ont développé dans la lutte anti-coloniale la conscience d’appartenir à un même peuple.

11. L’unité africaine ne peut être que le résultat du mouvement des nationalités fusionnant avec le mouvement de libération anti-impérialiste des peuples africains sous la direction du prolétariat. C’est pourquoi la formule de Thiémoko Garang Kouyaté « l’union libre des peuples libres » est la voie sûre de l’unité africaine. « L’union libre des peuples libres » ne peut être que la résultante du principe du droit à l’autodétermination des peuples, jusque y compris le droit à la séparation, et du principe démocratique de l’égalité des droits pour toutes les nationalités et les minorités nationales qui composent nos États multinationaux. C’est l’arme du mouvement de libération des peuples africains contre l’ethnicisme, le tribalisme, le clanisme, et le régionalisme que manipulent l’impérialisme et ses laquais compradores de la bourgeoisie nationale. C’est l’arme de combat des peuples africains contre la politique séculaire du « diviser pour mieux régner » qui caractérise le système d’oppression nationale que subissent les peuples d’Afrique depuis la naissance du capitalisme.

Illustration 3
Empires coloniaux d'Afrique entre 1920 et 1939

CARACTERISTIQUES DE LA SOCIÉTÉ SÉNÉGALAISE

1 - DANS LE DOMAINE POLITIQUE

1. Avant l’arrivée des colons, il n’existait pas une entité territoriale et politique sénégalaise. Il existait plusieurs royaumes indépendants les uns des autres, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest ; des royaumes fondés par les différentes nationalités du pays. C’est le colonialisme français, principalement, qui forgera par le fer et le feu, l’ensemble territorial et politique du Sénégal.

2. Le Sénégal est devenu une colonie de la France au 19ème siècle. Il servit de « tête de pont » dans la conquête militaire des empires coloniaux français d’Afrique : l’AOF et l’AEF. Il fut la capitale, siège des gouverneurs coloniaux successifs et le centre de l’administration coloniale de l’AOF. L’État colonial représentait le pouvoir de la grande bourgeoisie monopoliste française dans la colonie. Cet État avait une fonction politique, économique, culturelle, administrative et militaire tendant vers un but unique : l’organisation de la conquête, du pillage du sol et du sous-sol, l’exploitation de la force de travail des masses laborieuses et l’oppression des peuples du Sénégal. L’administration servait au vol fiscal des populations paysannes par l’impôt per-capita, le travail forcé, à gérer ces fonds issus de l’oppression nationale et assurer le cadre juridique de la mainmise des monopoles capitalistes de la métropole coloniale.

3. La colonisation a engendré une bourgeoisie nationale marchande et usuraire intermédiaire entre les monopoles impérialistes et les paysans. Elle a donné naissance aussi à une couche d’intellectuels formés par l’école coloniale dont la vocation était d’être les commis subalternes de l’administration coloniale. De ces deux couches sociales sont issues les deux fractions actuelles de la bourgeoisie nationale : la bourgeoisie compradore d’État et la bourgeoisie compradore privée. Au contraire du mensonge débité sur la « mission civilisatrice du colonialisme », les classes sociales oppressives pré-coloniales, les notabilités traditionnelles, une fois leur résistance vaincue, ont été soumises puis intégrées au système colonial par l’administration coloniale qui a su aménager aux confréries religieuses une place spirituelle et une fonction économique, dans le cadre de la propriété foncière coloniale, pour l’expansion des cultures de rente (arachide).

4. La démocratie coloniale a consisté dans l’organisation d’une représentation de ceux que l’administration coloniale appelait les « évolués », habitants des 4 communes (St-Louis, Dakar, Gorée, Rufisque) excluant ainsi les larges masses considérées avec mépris comme des « sujets ». Les joutes électorales ne concernaient que cette prétendue « élite ». Les aspirations des masses populaires étaient portées par des combattants prolétariens révolutionnaires comme Lamine Ibrahima Arfan Senghor et Tiemoko Garang Kouyaté. Puis, à partir de la seconde guerre mondiale antifasciste, la montée des revendications nationalistes a été gérée par l’organisation, dans le cadre du système colonial, de joutes électorales au profit de forces nationales réformistes (SFIO et BDS). Les forces nationales révolutionnaires regroupées dans des organisations comme l’UDS/RDA et le PAI continuaient pendant ce temps de faire l’objet de toutes sortes de tracasseries administratives, d’emprisonnements et d’assassinats. La « Démocratie » coloniale demeure une dictature féroce sur les masses populaires opprimées et les forces politiques qui les représentent. Le résultat de cette lutte a été une « indépendance » qui a mis le pays entre les mains des forces national-réformistes liées et subordonnées à la puissance colonisatrice.

5. L’État semi-colonial qui a ainsi succédé à l’État colonial garde toutes les caractéristiques économiques et de classes essentielles de ce dernier. Cet État de classe représente les intérêts de l’impérialisme lié à la bourgeoisie nationale d’État et privée et les classes sociales moyenâgeuses pré-coloniales (propriétaires fonciers) contre les classes sociales exploitées et opprimées (ouvriers et paysans). L’État semi-colonial multinational est engendré par le découpage territorial impérialiste. Ainsi il a hérité de rapports hiérarchisés entre nationalités fondés sur une prétendue supériorité d’une nationalité sur d’autres et des « privilèges » dont l’essence est de diviser pour régner. Les villes et le bassin arachidier sont wolophone, ce qui fait du wolof la langue parlée par quasiment tous les Sénégalais.

6. Géré d’abord par une petite bourgeoisie intellectuelle, l’État semi-colonial va se doter d’un pouvoir parlementaire bicéphale type « 4ème République française » (Président de la république et Président du Conseil responsable devant l’assemblée) jusqu’en 1962 ; Année où la fraction la plus nationaliste fut éliminée par un coup d’État impérialiste. Elle payait là sa propre inconséquence lors de la liquidation par l’impérialisme français de la Fédération du Mali, sa répression et l’interdiction du PAI. Il fut institué un régime présidentiel de type « 5ème république » française dans lequel tous les pouvoirs sont entre les mains du président.

Les luttes populaires se développaient sur tous les fronts et connurent vers les années 1968-1970 une ampleur sans précédent avec les grèves ouvrières et estudiantines qui révélaient un caractère politique notoire. Le pouvoir en vint à bout par la répression et les manœuvres, mais il fut obligé en 1974-76 de concéder « un multipartisme limité » excluant les fractions révolutionnaires de l’opposition de gauche petite bourgeoise radicale. Mais la poussée du mouvement populaire et démocratique obligera le régime de la bourgeoisie compradore PS à rendre illimité son multipartisme en 1981, pour intégrer la petite bourgeoisie radicale de gauche dans le jeu des joutes électorales excluant toute alternance, dans le cadre du réaménagement du système semi colonial.

7. La « démocratie » semi-coloniale se caractérise ainsi par un monopole politique complet de la bourgeoisie d’État compradore (organisé dans l’UPS puis le PS) sur l’appareil d’État. La séparation formelle entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire est un vernis pour masquer la mainmise du parti sur ces pouvoirs. Le pouvoir médiatique est aussi entre les mains du PS sans oublier l’armée, la police et la gendarmerie. Enfin l’appareil d’État est utilisé pour s’enrichir en détournant les deniers d’État. Il y a une fusion complète entre le PS et l’appareil d’État du sommet à la base de l’administration territoriale (gouverneurs, préfets, sous-préfets, municipalités, communautés rurales, villages, quartiers).

8. La donnée permanente est le monopole du PS sur l’appareil d’État. Le multipartisme apparaît comme une couverture à ce monopole ; d’où les tricheries et putschs électoraux successifs. Pour la fraction de la bourgeoisie d’État représentée par le PS, c’est une question de vie ou de mort que de préserver cette appropriation privée de l’État. En effet la bourgeoisie semi-coloniale est elle-même dominée par l’impérialisme qui ne lui laisse qu’une place d’associée subalterne dans l’exploitation économique du pays et accapare ainsi l’essentiel des sur-profits tirés de l’oppression du peuple.

9. La répression des secteurs ouvriers et populaires en lutte et les ralliements successifs de l’opposition bourgeoise et petite bourgeoise sont les deux méthodes du pouvoir pour « assurer la paix et la stabilité sociale et politique » dont l’exploitation semi-coloniale a besoin pour continuer à assurer le profit maximum. Aussi, face aux luttes du peuple, la bourgeoisie d’État adopte à son tour la tactique de l’intégration des dirigeants libéraux et réformistes de l’opposition dans une position d’associés subalternes du système semi colonial. Ainsi, on est passé imperceptiblement des transfuges individuels de l’opposition au pouvoir au ralliement massif des partis politiques au « gouvernement présidentiel élargi » au fur et à mesure que la faillite totale du régime apparaissait au grand jour. C’est le reflet de ce que certains appellent la « culture du parti unique » dont la base est la corruption par laquelle ont été ralliés les anciens opposants. A intervalles réguliers les droits démocratiques formellement admis sont bafoués par le régime dès que les luttes populaires prennent une allure dangereuse pour la pérennité du système. Beaucoup, notamment dans l’opposition apprennent à leurs dépens que la « démocratie sénégalaise » réprime, triche, manipule, intoxique, torture et tue; que la démocratie bourgeoise semi-coloniale est formelle, étriquée, tronquée, caricaturale et mensongère, qu’elle est au service des milliardaires étrangers et nationaux, qu’elle est une démocratie de classe, c’est-à-dire une dictature des grands capitalistes monopolistes étrangers, de la bourgeoisie locale compradore et des forces pré-coloniales sur le peuple laborieux des ouvriers et des paysans.

10. La question du pouvoir est la question fondamentale de la révolution. Or la caractéristique essentielle de la vie politique sénégalaise avant et après l’indépendance est le monopole de la scène politique par les partis bourgeois et petits bourgeois enclins aux compromissions et à la capitulation devant le joug impérialiste. La grande absente en tant que force politique indépendante des luttes qui ont jalonné l’histoire de notre pays jusqu’ici a été le prolétariat doté de son état-major et dirigeant les masses paysannes dans la lutte pour la conquête du pouvoir politique. Le mouvement ouvrier et paysan a été confiné à un rôle de force d’appoint, de base de masse pour la bourgeoisie nationale réformiste et la petite bourgeoisie. Pour briser le joug impérialiste, conquérir la souveraineté nationale et jeter les bases d’une société socialiste, il faut que la classe ouvrière et ses alliés constituent leur propre armée, et prenne la tête de la lutte pour la liberté, la souveraineté, le pain, la terre et la démocratie.

Illustration 4
Carte du partage de l'Afrique en 1914

2 - DANS LE DOMAINE ECONOMIQUE

1. L’annexion économique par la puissance colonisatrice s’est caractérisée dès le départ par la destruction de l’économie anté-coloniale d’auto-subsistance et l’introduction de l’économie agricole de rente. L’économie coloniale de traite a détruit l’équilibre interne du territoire de chaque nationalité pour faire du bassin arachidier et de Dakar le centre économique de la colonie et le lien du pays avec le marché métropolitain. Cet héritage colonial est un des fondements oppressifs du régime semi-colonial.

2. L’économie monétaire de rente a été introduite sans transformation des instruments et modes de production pré-coloniaux. Les rapports coloniaux d’exploitation ont engendré la monétarisation des rapports sociaux sans changement fondamental des structures, des outils et des modes de travail dans nos pays. L’économie coloniale a été un façonnement de l’économie africaine en fonction des besoins en matières premières agricoles et minières de la métropole. La colonie est ainsi un appendice économique intégré à l’économie métropolitaine et à l’économie capitaliste mondiale pour leur fournir les matières premières indispensables. C’est aussi un marché pour les produits manufacturés de la métropole. L’impérialisme soumet l’économie coloniale à ses propres intérêts prédateurs. La métropole colonisatrice est par rapport à la colonie un parasite qui suce les richesses naturelles et surexploite la force de travail des populations opprimées.

3. En fonction de circonstances particulières les deux guerres mondiales un investissement en infrastructures industrielles de transformation de produits agricoles (huileries) fut institué, faisant du pays une des bases arrière d’approvisionnement de la métropole en produits agro-industriels. Les industries agro-alimentaires ou minières ainsi créées se caractérisent par une faible composition organique du capital. Le principe est d’effectuer un minimum d’investissements pour le maximum de richesses naturelles extraites et rapatriées avec des salaires les plus bas possible, à peine satisfaisant pour la reconstitution de la force de travail, sans compter l’utilisation du travail forcé non rémunéré. La dotation en infrastructures de transport (ports, chemins de fer, routes…) obéissait à la nécessité de l’évacuation des produits agricoles de rente (arachide) et des minerais. Les grandes Compagnies Commerciales installées pour l’essentiel dans les ports constituaient les liens entre la colonie et la métropole. Ce mode de « développement » est impulsé par et pour les besoins des monopoles impérialistes.

4. Ce système économique colonial a engendré trois secteurs principaux :

  • –  l’administration coloniale avec le recrutement de « nationaux indigènes » coiffés par des expatriés de la métropole (plus l’armée, la police, l’école, le secteur de la santé) ;
  • –  l’agriculture plus la commercialisation ;
  • –  le secteur secondaire (industrie minière et de transformation, le transport et le bâtiment).

La bourgeoisie impérialiste domine ces secteurs et se subordonne à la bourgeoisie nationale compradore privée confinée au début dans la position de « nègres traitants » intermédiaires entre les Compagnies Commerciales impérialistes (CFAO, SCOA…) et le producteur paysan. L’agro-business impérialiste, qui date du 19ème siècle, avec Richard Toll (le champ de Richard) notamment, atteste de la présence des impérialistes comme propriétaires fonciers à cette époque déjà. Une fois leur résistance vaincue, les classes sociales moyenâgeuses et féodales pré-coloniales ont été des alliés objectifs dans l’expansion de l’économie monétaire agricole de rente, notamment l’extension du bassin arachidier et l’appropriation de grands domaines fonciers exploités avec une main-d’œuvre gratuite (talibé).

5. L’économie semi-coloniale s’est caractérisée au début par :

  • –  la substitution de la bourgeoisie compradore d’État aux anciens « nègres traitants » individuels, embryon d’une bourgeoisie compradore privée, notamment avec la création des organismes étatiques d’encadrement et de commercialisation dans le monde rural (ONCAD, SAED…).
  • – la nationalisation par la prise de participation d’actions majoritaires de l’État dans les huileries et dans les rares industries à faible composition organique du capital, c’est-à-dire qui utilisent une main-d’œuvre importante et fabriquent des produits finis ou semi-finis le plus souvent à partir de matières premières importées.

Il s’est alors développé le processus de formation d’une bourgeoisie privée par l’accumulation privée du capital étatique issu de l’exploitation du monde paysan. C’est ainsi qu’est née la classe des milliardaires sénégalais d’aujourd’hui, qui se nourrit de la surexploitation de la paysannerie, sa vache à lait, et de la gestion gabegique et népotique de l’État et du secteur public et parapublic. L’État semi-colonial est ainsi l’intermédiaire économique entre les classes laborieuses ouvrières et paysannes sénégalaises et le marché mondial impérialiste.

6. Le détournement de deniers publics, le népotisme, la corruption et le parasitisme de la bureaucratie d’État sont les traits caractéristiques de l’« accumulation primitive du capital » par la bourgeoisie d’État. C’est la base de l’alliance clientéliste qui lie la fraction d’État de la bourgeoisie à la fraction privée de la bourgeoisie nationale et aux classes sociales pré-coloniales. Cette alliance se fonde sur le partage de la rente financière et économique que procurent l’usure, le commerce, l’immobilier et en partie le transport urbain et interurbain à la bourgeoisie privée, et de la rente foncière aux propriétaires fonciers pré-capitalistes. Les secteurs industriels, celui du grand commerce, des services, des banques et de l’agrobusiness restent fondamentalement le domaine de prédilection des impérialistes. Depuis les années 90, on assiste à l’émergence d’une bourgeoisie privée commerçante qui s’organise pour revendiquer sa place dans le système économique. Elle se bat pour remettre en cause le monopole impérialiste et étatique dans le grand commerce et dénonce le caractère parasitaire de l’État semi-colonial.

7. A partir des années 79-80 les plans d’ajustement structurel (PAS) dictés par les institutions de Bretton Woods se succèdent dans le but de récupérer les dettes sans fin de l’État. Avec la « détérioration des termes de l’échange », l’emprunt massif est en effet devenu, à partir des années 70, une autre source d’accumulation de capitaux pour la bourgeoisie nationale compradore d’État à cause de la diminution de la marge bénéficiaire qu’elle tirait de sa position de subordonnée de l’exploitation impérialiste du monde rural. La « crise de l’endettement » amena à l’inauguration en Afrique, avec encore une fois le Sénégal comme pionnier, du fléau des Plans d’Ajustement Structurel (PAS). Les concessions impérialistes des années 60 faites à la bourgeoisie nationale compradore vont être laminées et à nouveau la recolonisation est mise à l’ordre du jour par :

a) au plan social :

–  la suppression des subventions étatiques aux prix des denrées de première nécessité et la hausse illimitée des prix avec l’inflation galopante ;

–  le blocage des salaires et puis la chute brutale du pouvoir d’achat des travailleurs avec la dévaluation du franc colonial CFA ;

–  le chômage, les licenciements massifs dans le public, le parapublic et le privé, les faillites et fermetures d’entreprises. L’inexistence de l’allocation chômage financée par le patronat et l’État met des milliers de familles dans le dénuement complet et la détresse ;

–  les attaques redoublées contre le monde du travail, avec les différentes révisions du Code du Travail pour mettre à la disposition du patronat une main-d’œuvre toujours plus taillable et corvéable à merci ;

–  les menaces de liquidation de la caisse de retraite et de sécurité sociale ;

–  l’endettement endémique des producteurs paysans et l’usure qui fait de la campagne une véritable prison ;

–  l’abandon de l’école et de la santé par l’État et leur privatisation progressive ;

–  l’arrêt de toute prise en charge sociale, sanitaire et éducative par l’État et le délabrement dangereux des structures d’hygiène publique ;

b) au plan économique :

– la transformation du pays en un marché où tout se vend et rien ne se produit ;

– la liquidation des banques nationales et leur remplacement par des banques commerciales qui accaparent l’épargne nationale pour faire fructifier leurs profits ;

– le démantèlement de toute protection de notre industrie nationale face à la concurrence impérialiste ;

– le racket d’État sur les populations laborieuses, les entreprises nationales publiques et privées, par la ponction fiscale et non fiscale ;

– la privatisation et le bradage aux impérialistes des entreprises publiques et parapubliques stratégiques et rentables, la bourgeoisie nationale compradore d’État « blanchit » ainsi les deniers publics volés ;

– le maintien de l’agriculture de rente qui spolie la paysannerie au lieu de nourrir la population ;

– la déstructuration et la désintégration économique avec l’explosion du secteur informel qui dépasse le secteur formel et fait du « goorgoorlu » (l’économie de survie) la norme annihilant ainsi toute perspective de développement ;

– l’emprisonnement dans la zone monétaire coloniale CFA qui permet à l’impérialisme français de se procurer sans aucune sortie de devise les matières premières dont a besoin son industrie et détenir l’essentiel des réserves de change des États africains de l’UEMOA ;

– le cycle infernal des dévaluations décidées par l’impérialisme divise les prix à l’exportation de nos productions nationales et multiplient ceux des importations. Le commerce extérieur reste donc chroniquement et structurellement déficitaire. Par ailleurs, cette dévaluation divise par deux le coût des entreprises à privatiser et le prix de la force de travail des masses laborieuses ;

– le cercle infernal de l’endettement, paiements des intérêts ou de la dette, rééchelonnements et ré-endettement dont on ne voit jamais la fin.

8. L’essence du passage de l’État colonial à l’État semi-colonial est la création d’un secteur d’État public et parapublic regroupant plus de 180 entreprises industrielles, agricoles commerciales et bancaires. Or, les privatisations en cours sont un retour à l’ère coloniale où prédominaient dans l’industrie, l’agriculture, les services et les banques les monopoles privés impérialistes.

Illustration 5
Afrique coloniale en 1924

3 - DANS LE DOMAINE PLUS PARTICULIER DE L’AGRICULTURE

1. Le Sénégal fut le terrain d’essai pour l’économie coloniale de traite avec l’introduction de la culture arachidière. La « colonie de l’arachide » qu’est devenu le pays résultait du besoin de la métropole française de procurer à ses industries des matières premières et des débouchés et de rompre sa dépendance pour les oléagineux vis-à-vis de l’Angleterre. L’introduction de l’économie coloniale agricole de rente est allée de pair avec l’économie monétaire coloniale qui a inséré le producteur paysan dans un filet de rapport de dépendance et d’asservissement vis-à-vis des monopoles qui fixent les prix des produits agricoles.

2. Le paysan sénégalais produit pour un marché impérialiste de plus en plus mondialisé avec des instruments archaïques tels la daba, l’hiler (l’hilaire), la houe, etc. L’introduction de la consommation du riz depuis l’Indochine, dès 1906, crée une dépendance de la population vis-à-vis d’une denrée pour l’essentiel importée. La conséquence est un déficit céréalier structurel qui sévit dans le pays depuis l’ère coloniale jusqu’à nos jours.

3. Cette paysannerie laborieuse s’exténue à produire en moyenne 700 à 800 kg d’arachide à l’hectare en 500 heures de travail pour un marché mondial sur lequel il est concurrencé par le fermier américain qui obtient lui 1850 kg de soja à l’hectare en 14 heures de travail. Le bon sens l’a amené d’ailleurs à préserver la culture du mil, du maïs, du sorgho ou du riz comme compléments vivriers des cultures de rente (arachides, coton, cultures maraîchères et fruitières).

4. La paysannerie subit une double « détérioration des termes de l’échange » : celle de la chute des cours des matières premières agricoles sur le marché international et celle des prix aux producteurs fixés par l’État qui répercute la première en s’aménageant une marge de profit. De cette « accumulation primitive du capital » a émergé une bourgeoisie qui s’approprie des domaines agricoles, surtout à la périphérie des villes, notamment dans le maraîchage, où peinent des ouvriers agricoles sous-payés et des « surga » (métayers). Les entreprises impérialistes sont directement présentes dans le monde rural à l’instar de la Compagnie Sucrière du Sénégal (CSS). L’agro-business impérialiste est aussi le principal bénéficiaire de la distribution des terres irriguées de l’après barrage. Les forces sociales pré-coloniales (marabouts, notabilités locales) se sont vues concéder de grands domaines dans lesquels trime une main-d’œuvre gratuite et servile. Ces propriétaires fonciers surexploitent des talibés et des « castés » (rapports sociaux pré-coloniaux et moyenâgeux) en utilisant souvent des instruments agricoles modernes.

5. La « loi sur le domaine national » est l’outil légal de l’expropriation des paysans au profit des prédateurs du monde rural que sont l’impérialisme, la bureaucratie bourgeoise d’État semi-colonial, la bourgeoisie compradore privée et les classes sociales pré-coloniales (marabouts et notabilités locales).

6. En vérité, le slogan « l’agriculture, priorité des priorités » s’est révélé être une propagande mensongère qui cache mal le maintien de la paysannerie dans les formes extensives de productions agricoles qui sont une des causes de la destruction de l’environnement écologique et partant de la baisse de la pluviométrie, de la sécheresse et de l’avancée du désert présentée comme inexorable. En effet le Sénégal a connu jusqu’en 1967 une croissance de sa production arachidière fondée pour l’essentiel sur l’extension des surfaces cultivées et sur un déplacement des cultures vers des zones nouvelles moins usées. Mais depuis 1968, la métropole française a décidé de rompre le régime colonial de « l’exclusif » en payant l’arachide au cours mondial artificiellement déprécié. Cette décision faisait suite à l’option prise par l’impérialisme français en 1963 du « développement industriel dans le cadre européen ». C’est là une illustration éloquente de la dépendance du pays par rapport à l’ancienne puissance colonisatrice. Le seul but des politiques agricoles successives, c’est d’assurer des revenus agricoles à l’État pour ses fins de mois et pour payer la dette sans fin qu’il doit aux usuriers impérialistes. C’est à cela que servent aussi les lois 72-59 et 72-60 instituant la taxe rurale sur le cheptel, sans oublier l’impôt per-capita que payent les masses paysannes.

7. La nouvelle donne est la privatisation des filières agricoles, c’est-à-dire la dépossession des paysans au profit des agro-business impérialistes, locaux et des classes exploiteuses traditionnelles. Ainsi les subventions des intrants (engrais et machines agricoles) qui, hier, permettaient à l’État de piller la campagne à son profit, sont supprimées. Dorénavant, l’État ne va s’occuper que des grands travaux d’équipements pour attirer, principalement dans les régions irrigables des milliardaires étrangers et locaux. C’est ce projet que les bailleurs de fonds impérialistes ont planifié dans le cadre de « l’après barrage ».

8. L’examen attentif des mécanismes du processus économique dans le monde rural montre très nettement que l’impérialisme est un frein au développement des forces productives en campagne. C’est cela le trait fondamental qui caractérise le régime agraire colonial et semi-colonial. Au contraire du développement des forces productives corollaire du développement historique du capitalisme dans les campagnes des pays impérialistes, le mode et le but de l’exploitation coloniale est, non la satisfaction des besoins alimentaires des producteurs paysans et de la population du pays colonisé, plutôt d’assurer le profit maximum des multinationales monopolistes. Ce parasitisme est par essence antagonique avec un développement des forces productives. Ce processus a déterminé un régime agraire d’exploitation foncière qui se développe sur la base d’une alliance de classe entre la bourgeoisie impérialiste, la bourgeoisie compradore d’État et privée, les classes sociales pré-coloniales féodales et moyenâgeuses qui écrasent les innombrables masses paysannes du poids de leurs intérêts. Ces classes exploiteuses ont une mainmise totale sur la campagne. Dans cette alliance, les classes exploiteuses locales sont en position de subordonnées de l’impérialisme.

9. La grande majorité des masses paysannes, malgré une certaine différenciation sociale, subit les affres de la domination et de la surexploitation. Les régimes fonciers traditionnels complexes et divers qui combinent exploitation collective et individuelle sont peu à peu détruits au profit de l’accaparement des terres par les propriétaires terriens modernes et anciens. L’alternance équilibrée entre agriculture pluviale, agriculture de décrue et élevage est déstructurée sciemment au profit d’une expropriation des paysans. Ces derniers sont ainsi condamnés à l’exode rural puis à l’émigration, et constituent un important relais entre la classe ouvrière et la paysannerie. Des zones entières du pays se vident ainsi de leurs forces vives. Les paysans sans terre se multiplient. Les femmes paysannes, en période de soudure, vont chercher en ville les revenus monétaires complémentaires en s’engageant comme « bonnes de maison ».

10. L’économie coloniale se caractérise ici aussi par une rupture nette du lien horizontal entre la campagne et la ville. L’impérialisme lie la campagne directement au marché mondial et la ville n’est plus qu’une voie de transition des produits agricoles vers l’extérieur. C’est là une autre caractéristique de l’économie qui a brisé l’équilibre et les liens de l’économie traditionnelle entre agriculture et artisanat, entre ville et campagne, entre les différentes régions et les différentes nationalités de l’Afrique pré-coloniale, pour leur substituer des liens directs verticaux de chacun de ces éléments avec le marché impérialiste mondial par l’intermédiaire d’une puissance impérialiste monopoliste. L’impérialisme français s’est arrogé cette position dominatrice dans son empire semi-colonial en Afrique, notamment dans sa possession du Sénégal.

11. La faillite de la politique des organismes d’encadrement du monde rural s’est traduite par l’émergence et le développement, à partir des années 70 d’un mouvement associatif paysan autonome de l’État. Parti des régions périphériques hors du bassin arachidier (Fleuve, Sénégal-Oriental, Casamance), il s’est accéléré dans les années 85 avec la politique de désengagement de l’État dictée par le FMI et la Banque Mondiale. Ce mouvement s’est structuré à partir d’associations villageoises de développement, d’organisations paysannes inter-villageoises, puis plus récemment de Groupements d’Intérêt Économique (GIE), soutenues par des Organisations Non Gouvernementales (ONG); ces associations paysannes ont été, au départ, victimes d’un ostracisme de la part de l’État semi-colonial parce qu’elles optaient pour des choix différents de ceux des organismes étatiques d’encadrement. Leurs objectifs généraux affichés vont de l’autosuffisance alimentaire, à l’amélioration des conditions de vie, la santé, la petite hydraulique (forages), la diversification des productions (maraîchage, petit élevage, arboriculture). Ce mouvement a relativement grandi au point qu’il s’occupe maintenant de la production de semences, l’approvisionnement, la commercialisation, la transformation des produits, du crédit, etc. Il faut ici relever le rôle pionnier des associations villageoises émigrées auxquelles des villages entiers doivent leur survie et qui, un peu partout, ont construit les dispensaires, les postes, les écoles et autres structures sociales sans lesquelles la vie serait tout simplement impossible dans ces régions oubliées du pays.

12. A partir de1985, ce mouvement paysan éclaté et localisé au début est entré dans sa phase « fédérative ». Trois phénomènes le caractérisent : sa grande dépendance financière vis-à-vis des bailleurs que sont les ONG, l’écart de plus en plus prononcé entre les dirigeants et la base et le fait qu’il ne se pose pas comme une force revendicative et d’émancipation des masses paysannes face à l’État semi-colonial et de ses politiques. Il se présente plutôt comme un mouvement accompagnant les politiques de désengagement de l’État. D’où la tendance à une « intégration substitution » dans la nouvelle politique agricole (NPA). Ce mouvement qui ne touche pas encore la majorité des paysans se fixe comme seul but de devenir membre de la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal et d’investir parallèlement les collectivités locales décentralisées (pouvoir politique).

Illustration 6
Carte de l'Afrique coloniale au XIXe siècle

4 - DANS LES DOMAINES DE L’EDUCATION, LA SANTE, LA JEUNESSE, LES DROITS DES FEMMES

1. L’asservissement économique et politique à l’impérialisme a son corollaire dans le domaine socio-éducatif. La puissance colonisatrice pour les besoins de son administration, n’a développé que le minimum de structures d’éducation et de santé. De même, pour Les besoins de sa propre domination et de l’alliance avec les classes exploiteuses pré-coloniales, les forces féodales, il a maintenu le pays dans l’arriération à tous les niveaux. L’aliénation culturelle, l’assimilation à la culture de l’oppresseur : telle est la politique de l’impérialisme dans ses colonies et semi-colonies. Des pratiques bannies dans tous les pays avancés comme la polygamie, la répudiation unilatérale, l’excision, la soumission totale de la femme à l’homme, ont été maintenues par la puissance colonisatrice, puis perpétuées par l’État semi-colonial.

2. Avec le diktat des institutions financières, les structures d’éducation sont ébranlées, la fréquentation de l’école élémentaire est devenue formelle. Les systèmes de classes à double flux et multigrades, le blocage du recrutement des maîtres, la sélection élimination, les pénuries de toutes sortes sont autant de signes de la politique de régression et de sabotage de l’enseignement. Le contenu de la formation n’est pas en adéquation avec les besoins culturels, scientifiques et techniques du développement national. Avec la privatisation de l’université, l’accès à l’instruction supérieure est désormais fermé à des milliers d’enfants d’ouvriers et paysans. Y compris au niveau de l’élémentaire, les politiques de mise en œuvre visent à faire financer l’école par les populations déjà exsangues.

3. Ce même diktat des institutions financières entraîne un délabrement des services de santé publique, le blocage du recrutement de personnels jeunes qualifiés, la privatisation progressive de toutes les structures de santé et le désengagement de l’État de toutes ses obligations dans ce domaine.

4. Le chômage des jeunes, des diplômés, des ouvriers, des paysans, est un véritable cancer qui ronge progressivement notre pays et voue des populations entières à la dégénérescence physique et morale. C’est une politique systématique de destruction des forces physiques du pays aux allures de génocide, qui est ainsi mise en œuvre par les impérialistes et la bourgeoisie compradore. La majorité de la population, les femmes, souffrent de discriminations de toutes sortes par rapport à l’homme (discriminations dans l’embauche, dans la fiscalité qui pénalise la travailleuse, différence de traitement pour la même qualification, etc.) et souffre de la persistance des pratiques moyenâgeuses ».

Diagne Fodé Roland

08 avril 2025

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