MALI- Proto-Califat du JNIM/AL-QAÏDA et tentative d’asphyxie du Mali [5]
Depuis octobre 2025, le Mali fait face à une crise sécuritaire majeure orchestrée par un groupe de mercenaires-terroristes-djihadistes JNIM (Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin ) ou (Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans). Le Dr. Yves Ekoué Amaïzo, Pt d’Afrocentricity Think Tank analyse et décrypte les arcanes de la nébuleuse terroriste, l’incidence sur la vie des populations. [FIN]
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
MALI, la junte militaire dirigée par Assimi Goitta organisait en janvier 2022 à Bamako, une mobilisation populaire de grande ampleur pour dénoncer les sanctions de la CEDEAO contre le Mali
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MALI- PROTO-CALIFAT DU JNIM/AL-QAÏDA ET TENTATIVE D’ASPHYXIE DU MALI[i] : REORGANISER LES RENSEIGNEMENTS, LA DEFENSE NUMERIQUE ET LA PALABRE AFRICAINE INCLUSIVE[ii]
CINQUIÈME ET DERNIÈRE PARTIE
SOMMAIRE
32. Commandement centralisé et décentralisée : stratégie de restauration de l’autorité et de la souveraineté du Mali
33. Coalition internationale de lutter contre l’Etat islamique : quelle volonté pour lutter contre des mercenaires-terroristes-djihadistes instrumentalisés ?
34. Mali théâtre majeur de la confrontation entre le JNIM (Al Qaïda) et l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS)
35. Mali : l’alternative pour une transition vers la souveraineté avec les BRICS+
36. Souveraineté confrontée au partenariat : La palabre a permis de trouver une solution
37. Conclusion : un contrat de refondation de la transition au Mali
38. Recommandation : Mode d’emploi de la refondation au Mali : opter pour une Palabre africaine inclusive et constructive (PAIC)
***
32- COMMANDEMENT CENTRALISÉ ET DECENTRALISÉ: STRATÉGIE DE RESTAURATION DE L’AUTORITÉ ET DE LA SOUVERAINETÉ DU MALI
Le Mali est totalement dépendant des importations terrestres de carburant. De fait, le pays s’est fait surprendre par l’instrumentalisation des mercenaires-terroristes-djihadistes qui semblaient avoir accepté une sorte de statu quo. Or, l’embargo que certains voulaient faire subir au Mali par l’intermédiaire des groupes terroristes se révèle improductif. Si au départ, il était question de développer une psychose de la peur en organisant de manière concomitante l’amplification d’un chaos et blocus des circuits d’approvisionnement maliens tout en laissant les mercenaires-terroristes/djihadistes bloquer les convois, menacer les chauffeurs de camion-citerne, brûler les camions-citernes, piller l’essence et créer des files d’attente interminables tout en bénéficiant de réserves cachées de citernes d’essence enfouies ou cachées sur le territoire malien afin de faciliter l’approvisionnement des déstabilisateurs, le résultat final suite à la contre-attaque réussie, est que la peur a changé de camp.
Cette situation, loin d’être une pénurie conjoncturelle, a été utilisée comme une arme de guerre contre les civils, paralysant Bamako et les services vitaux, avec comme objectif d’amener le Peuple et certains militaires non loyaux à lâcher le pouvoir central.
Malgré des vidéos choquantes et des alertes sécuritaires, les chancelleries occidentales restèrent silencieuses face aux exactions du JNIM, préférant critiquer la transition politique malienne et annoncer le départ précipité de leurs ressortissants, certains considérés comme des agents infiltrés.
Or, de nombreux occidentaux vivant au Mali sont des binationaux et ne souhaitent pas partir pour se retrouver sans rien ou avec le minimum vital accordé aux chômeurs.
Il faut donc reconnaître que cet épisode d’agressions extérieures sur le sol malien par des mercenaires ont renforcé la résilience du Peuple malien, qui a reçu d’ailleurs le soutien des pays de l’Alliance des États du Sahel. Les Maliennes et Maliens ont choisi de soutenir leur pouvoir politique et ont résisté avec courage et dignité aux envahisseurs et aux déstabilisateurs, ce dans un contexte de violence et d’asphyxie économique. L’absence de soutiens clairs de l’Union africaine, de la CEDEAO, des nombreux pays voisins ou Africains pose le problème de la vassalité de certains dirigeants africains en Afrique. Le soutien de la Guinée doit être mentionné et mis en exergue.
C’est donc malgré tout, avec l’appui de la Russie qui a permis de brouiller le signal des kits de contrebande Starlink et améliorer le renseignement malien tout en démobilisant une partie des mercenaires-terroristes-djihadistes que les FAMa ont, entre autres, pu reprendre le dessus. La fourniture en urgence de carburant via la Guinée et la protection autant des militaires guinéens que ceux du Mali pour accompagner les camion-citerne ont permis de réapprovisionner d’abord la capitale Bamako et petit-à-petit, les autres villes et zones rurales. Aussi, c’est bien la clairvoyance anticipative ainsi que la détermination de défendre la souveraineté territoriale, énergétique, économique et politique du Mali d’Assimi Goïta, Président de la Transition, Général d’Armée et Chef de l’État de la République du Mali et son équipe qu’« un convoi de 1 233 citernes a pu enfin entrer à Bamako ce matin [5 novembre 2025], escorté par les FAMa (Forces Armées Maliennes)][iii]. Ce fut le début d’un nouveau chapitre pour contrôler la flambée des prix à la consommation et mettre rapidement fin au calvaire orchestré de l’étranger sur ce pays.
À l’instar de l’exemple du Président russe, Vladimir Poutine, certains responsables maliens[iv] considèrent que « le retour de l’État - fort, stratège, et affranchi des influences occidentales- est une condition nécessaire pour sortir les pays africains de l’instabilité chronique ». Cette approche appliquée dans un contexte où le pouvoir d’achat des populations ne s’améliore pas et dans lequel le jeu démocratique et la vérité des urnes sont neutralisés, peut conduire à des dérives et au retour d’une pensée unique, voire d’un parti unique.
Toutefois, dans le cadre d’une urgence pour déloger les mercenaires-terroristes-djihadistes, cette vision s’est révélée efficace. Mais sur le long-terme, elle pourrait générer des crises futures au plan économique et social, une fois la déstabilisation des mercenaires-terroristes-djihadistes éradiquée.
Aussi, la réalité sur le terrain démontre que l’approche du gouvernement malien a été fondée sur un commandement centralisé et unifié sans interférence et ingérence étrangère. L’objectif principal est de restaurer l’autorité étatique pour contrer efficacement les mercenaires, terroristes et djihadistes financés et manipulés de l’extérieur.
Comme le carburant est devenu une arme stratégique pour le JNIM, le blocage des axes routiers et les attaques des convois de camions citernes étaient la règle. Mais les Forces armées maliennes (FAMa) ont lancé des frappes aériennes ciblées début novembre pour sécuriser les corridors d’approvisionnement, notamment sur l’axe Kadiana–Bougouni, mais aussi à Donièna, Kouen et Bessina, zones clés pour les convois en provenance de Côte d’Ivoire et de Guinée[v].
Au 12 novembre 2025, le Mali avait commencé à débloquer la pression sécuritaire et logistique en menant des frappes aériennes pour protéger les convois de carburant, en neutralisant plusieurs groupes armés privés par ailleurs de leurs propres réserves de carburant, ce qui a permis aux FAMa de reprendre le contrôle de certains tronçons et artères logistiques principaux.
Les FAMa ont bénéficié du soutien des forces russes AfricaCorps considérées comme des « amis du Mali », notamment par le brouillage du système Starlink avec la perturbation des communications des groupes djihadistes et mercenaires opérant dans le centre et le nord du Mali. Les forces russes ont été perçues comme partie intégrante de la sécurisation des convois et la formation tactique des FAMa[vi].
Aussi, la stratégie globale repose sur des avantages clés et une justification géopolitique propre qui permettent au commandement centralisé et unifié d’offrir au moins cinq (5) avantages :
32.1 L’UNITE STRATEGIQUE alliée à une rapidité décisionnelle d’actions a permis de coordonner les opérations militaires sans ingérence extérieure, sans fragmentation ni lenteur bureaucratique et réduit les interférences politiques tout en optimisant les réponses aux menaces asymétriques des forces de déstabilisation soutenues de l’extérieur en matériel et en financement ;
32.2 LE CONTROLE DU TERRITOIRE et la sécurisation des axes logistiques tout en brouillant la coordination satellitaire avec les kits Starlink utilisés en contrebande et illégalement par les déstabilisateurs a facilité le déploiement des FAMa sur les points névralgiques (routes, frontières, zones minières), la destruction des stocks de carburants cachés des terroristes, tout en réduisant l’impact des barrages illégaux (check-points fantômes) et des embuscades sur les convois vitaux (carburant, médicaments, alimentation, etc.) ;
32.3 LA NEUTRALISATION DES INFLUENCES ETRANGERESa été possible tant au plan diplomatique, militaire, grâce à l’appui de la Russie, du Niger, du Burkina-Faso et de la Guinée. Ce qui signifie que ceux des États qui ont choisi de ne pas aider le Mali ont opté pour un silence coupable quand ils ne sont pas eux-mêmes, un acteur indirect de la déstabilisation et en filigrane de la volonté d’anéantissement de la lutte pour la souveraineté du Peuple malien. C’est d’ailleurs cette situation inédite qui a permis aux autorités maliennes[vii] de mieux choisir ses « vrais » partenaires étrangers au nombre desquels la Russie et la Turquie[viii], ce tout en respectant les choix et intérêts stratégiques du Mali ;
32.4 LA MOBILISATION NATIONALE doublée d’une résilience et une cohésion populaire a permis une prise de conscience nationale mettant hors-jeu les différences ethniques, religieuses pour une unité nationale retrouvée pour défendre l’indépendance du Mali, ce en renforçant le sentiment d’unanimité contre les mercenaires-terroristes-djihadistes face à une menace perçue comme exogène, systémique et instrumentalisée. C’est d’ailleurs cela qui a favorisé l’adhésion des populations aux efforts de défense et de résilience, avec des civils qui préféraient offrir leur carburant rationné aux soldats qui se battaient sur le front pour leur souveraineté collective ; et enfin
32.5 LA RECONSTITUTION INSTITUTIONNELLE sur des bases souveraines qui devraient permettre une refondation en profondeur de l’État autour de priorités maliennes (sécurité, justice, développement) sans dépendance à l’égard d’agendas extérieurs. Cela devrait remettre au goût du jour les conditions d’une transition vers un État fonctionnel au service des populations et poser en filigrane le rôle d’une représentation plus élargie des acteurs à la construction d’un Mali nouveau.
33- COALITION INTERNATIONALE DE LUTTE CONTRE L’ÉTAT ISLAMIQUE : QUELLE VOLONTÉ POUR LUTTER CONTRE DES MERCENAIRES-TERRORISTES-DJIHADISTES INSTRUMENTALISÉS ?
La Coalition mondiale contre Daesh/ISIS compte aujourd’hui 90 membres (États et organisations internationales).
Le Mali, à la différence du Burkina-Faso et du Niger, ne fait pas partie de la liste officielle des pays africains membres de la coalition mondiale contre Daech (Etat Islamique). Les pays suivants sont membres : Bénin, Burkina-Faso,Cameroun, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Djibouti, Égypte, Éthiopie, Guinée, Kenya, Libye, Mauritanie, Maroc, Niger, Nigeria, Somalie, Tchad, Togo et Tunisie[ix]. Est-ce que toute cette déstabilisation aurait pour objectif d’imposer au Mali de rejoindre la Coalition « occidentale » et moins mondiale contre l’Etat islamique ? Quelles pourraient être les raisons pour lesquelles le Mali refuse de faire partie d’une coalition où les obligations pour les Africains sont plus importantes que les avantages à en retirer ? Les réponses étant multiples et diverses, il est plus sage d’aller chercher des éléments de réponses dans :
l’origine et l’évolution des deux grandes organisations jihadistes Al-Qaïda et l’Etat islamique ; ainsi que
le rôle ambigu de ladite « communauté »
Ainsi, il est possible de replacer la déstabilisation du Mali dans un contexte élargi de guerre froide entre une multiplicité de grandes puissances en compétition dans un monde multipolaire.
Rappelons tout de même que la Coalition mondiale contre Daech, bien que d’une efficacité mitigée en Irak et en Syrie, montre des limites en Afrique face à des groupes comme le JNIM (lié à Al-Qaïda) et l’EIGS (État islamique au Grand Sahara), qui exploitent les failles locales et l’absence de coordination régionale.
La pénétration de l’Etat islamique en Afrique semble avoir obéi à une double volonté :
Celle de fuir les espaces où les contrôles et la sécurisation territoriale limitaient les actions de l’EI, à ce titre, il fallait se replier sur les territoires considérés comme des passoires sécuritaires aux frontières et où la corruption permettait de faire passer les armes, et la pauvreté de recruter localement ; et
Celle d’instrumentaliser la violence et détourner vers les cibles potentielles en Occident ou dans les pays asiatiques et du golfe persique, vers des régions africaines où un contrôle des ressources du sous-sol, du sol et du hors sol permettaient aussi de s’enrichir rapidement. C’est cette mutation graduelle qui a conduit des groupes armés mafieux, ou endoctrinés sur des « valeurs détournées de l’Islam », de se convertir en mercenaires-terroristes et djihadistes, permettant au passage l’amalgame avec le terrorisme dit « islamique ». Or, le point commun de ce déménagement vers l’Afrique repose sur l’instrumentalisation tant des agents de ces groupes armés que de la doctrine qu’ils prônent. Dans un monde multipolaire où chaque puissance émergente peut, sur un terrain particulier, défier la toute puissance américaine, il est de bon ton pour conserver sa suprématie, d’organiser des coalitions avec plus d’obligations que de droits. C’est donc dans cette perspective qu’il faut comprendre les limites de la coalition occidentale dite mondiale contre l’Etat islamique, ce au même titre que la guerre mondiale qui n’a été en fait qu’une guerre occidentale entre Occidentaux.
Les limites de la Coalition mondiale contre Daech (EI) en Afrique tiennent dans les sept points suivants mis en exergue :
la Coalition mondiale contre l’EI s’est concentrée sur l’Asie et le Moyen-Orient, négligeant dans sa stratégie au départ l’Afrique, et n’a pas compris, ni maitrisé l’expansion rapide des groupes djihadistes, au point de ne pas saisir que le mercenariat ne peut se faire au profit uniquement de l’Occident dans un monde multipolaire ;
la présence croissante de l’Etat islamique en Afrique se résume à des filiales actives dans la corne Est de l’Afrique, au Sahel, au Nigeria, en RDC et au Mozambique ;
la faible coordination militaire continentale et régionale des dirigeants africains, et par ricochet des armées africaines sous commandement unique qui manquent de moyens, de formation et de partage de renseignement, et doivent souvent poser leurs interventions à partir de financements étrangers ;
la Coalition a fourni peu de soutien logistique aux armées africaines, et a mené très peu de déploiements directs ou d’appuis aériens en Afrique, contrairement à l’Irak ou la Syrie, ou même en Afghanistan avec les Talibans qui ont opposé une farouche résistance ;
la Coalition a mis du temps pour comprendre que le JNIM et l’EIGS se sont appuyés et continuent de le faire, sur des réseaux communautaires, des trafics, et sur la corruption de dirigeants africains et le contrôle des populations faibles des zones rurales où l’Etat est défaillant ; Cela a permis une certaine « stabilisation » des forces, surtout au niveau des renseignements et généré une résilience locale des groupes armés qui œuvraient contre les armées nationales ;
la Coalition avec des efforts diplomatiques pourrait avoir démarré réellement avec les réunions de Marrakech en 2022 à l’invitation du Maroc et des États‑Unis[x], pour repositionner l’Afrique au cœur de la stratégie antiterroriste et jouer le jeu atlantiste ; et enfin
la prise de conscience de l’incapacité de la Coalition à faire le service après-vente avec les défis que constituent la stabilisation post-conflit et post-ingérence. En effet, le fait de « libérer » une zone d’un dictateur comme en Irak, Syrie, Libye pour ne prendre que ces exemples -l’Afghanistan étant le contre-exemple parfait-, ne suffit pas. Il faut un Etat « nouveau » qui puisse retrouver les bases d’une gouvernance saine, des services publics qui fonctionnent pour tous, et surtout un développement inclusif donc les fondements doivent reposer sur la vérité des urnes et non sur la défense des intérêts étrangers, de plus en plus limités à une obligation de fournir des matières premières stratégiques sous contraintes.
Les résultats de la Coalition mondiale contre DAECH demeurent globalement mitigés. Les véritables boucs-émissaires demeurent les populations laissées-pour-compte et qui ne peuvent pas véritablement s’organiser pour combattre le fléau de la violence et du terrorisme. Les populations africaines sont donc bien des victimes directes et collatérales. C’est cela qui a fait dire à Bakary Sambé, « le Directeur du Timbuktu Institute reste convaincu que « la coopération sécuritaire n’a pas jusqu’ici permis de lutter efficacement contre le terrorisme en gérant les urgences sécuritaires sans négliger la prévention de l’extrémise violent » en s’attaquant aux causes structurelles, souvent instrumentalisées par les groupes terroristes à la recherche d’ancrage sociopolitique et surtout de ce qu’il appelle les « couveuses locales » …« Hélas, on semble persister dans une approche traitant les symptômes en négligeant les racines du mal déjà profondes ». Tout ceci conduit à « parasiter l’esprit de sécurité collective[xi] ». Or, cette force conjointe s’est affranchie de la force africaine qui reste elle-même bien hypothétique, ce « depuis maintenant, trop longtemps » ...
34- MALI THÉATRE MAJEUR DE LA CONFRONTATION ENTRE LE JNIM (AL QAÏDA) ET L’ÉTAT ISLAMIQUE AU GRAND SAHARA (EIGS)
L’État islamique (ISIS/Daesh), dirigé dès 2010 par Abou Bakr al‑Baghdadi, a proclamé immédiatement un califat en 2014 et s’est concentré sur la conquête territoriale en Irak et en Syrie. À l’inverse, la différence majeure est que Al-Qaïda, fondée par Oussama ben Laden à la fin des années 1980, voyait le califat comme un objectif à long terme et utilisait surtout des réseaux transnationaux pour frapper l’Occident.
En parallèle, Al‑Qaïda naît en 1987‑1988 avec Oussama Ben Laden et Abdallah Azzam, dans la guerre contre l’URSS en Afghanistan. Or, Oussama Ben Laden s’est plutôt opposé à la monarchie saoudienne après la guerre du Golfe (1990‑1991), lorsque Riyad a accepté la présence de troupes américaines sur son sol. Ses critiques virulentes contre la famille royale et son activisme islamiste ont conduit à son exil au Soudan en 1991 où il a vécu entre 1991–1996 sous la protection du régime islamiste d’Omar el‑Béchir et de Hassan al‑Tourabi. Sa déchéance de sa nationalité saoudienne est intervenue en 1994, avec l’appui tacite des États‑Unis qui soutenaient la monarchie saoudienne contre ses opposants. Il a utilisé le pays comme base pour développer Al‑Qaïda. Ce n’est qu’en 1996, sous pression internationale principalement des États‑Unis et de l’Arabie saoudite que le Soudan expulse Ben Laden. Il se réfugie alors en Afghanistan, où il consolide Al‑Qaïda et prépare les attentats majeurs contre les ambassades américaines en 1998, USS Cole en 2000, puis le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Pourtant, Al-Qaïda a bénéficié du soutien indirect des États‑Unis via le Pakistan et l’Arabie Saoudite, avant la rupture en 1996. L’instrumentalisation n’est pas qu’au Sahel mais a commencé via le jeu trouble dit « diplomatique » que permet l’instrumentalisation. C’est donc depuis le Soudan que Ben Laden a rejoint les Talibans en Afghanistan, créant une base pérenne. Le schisme avec Washington culmine avec les attentats du 11 septembre 2001. L’État islamique (EI) est issu d’Al‑Qaïda en Irak, radicalisé après l’invasion américaine de 2003. Les dissensions internes, elles-mêmes instrumentalisées sont légion. C’est ainsi qu’en 2014, Abou Bakr al‑Baghdadi proclame le califat, rompant avec Al‑Qaïda jugée trop prudente. Mais il y avait déjà une stratégie différente. Al‑Qaïda privilégiait une stratégie décentralisée : AQMI au Maghreb, JNIM au Sahel, Al‑Shabaab en Somalie.
Déjà, l’État islamique avait opté pour une approche colonisatrice du territoire, avec des provinces (Wilayat) comme l’État Islamique au Grand Sahara, en Afrique de l’Ouest (Boko Haram), au Mozambique, avec une logique d’occupation violente et unilatérale du territoire. Les déstabilisations qui s’en suivaient profitaient aussi à ceux qui instrumentalisaient ces groupes armés.
Sur le terrain, les deux groupes de terroristes violents s’affrontaient déjà, notamment au Mali et au Nigeria, bien qu’ils semblassent partager la « même » idéologie salafiste jihadiste.
Il faut donc bien constater que la Coalition mondiale contre Daech a été créée en 2014 par les États‑Unis, regroupant plus de 80 pays, avec des activités principalement en Irak, Syrie et Afrique. Elle n’a donc pas été créé contre Al-Qaïda. Les États‑Unis ont instrumentalisé Al‑Qaïda surtout dans les années 1980 en soutenant les moudjahidines afghans (dont Zarqaoui et Ben Laden) qui ont bénéficié du soutien américain contre l’Union soviétique.
Après 2001, Al‑Qaïda est devenu l’ennemi principal, mais les États-Unis avaient opté pour des « opérations spéciales » et ciblées notamment en Afghanistan en utilisant déjà des drones et des forces spéciales. La nécessité d’utiliser une coalition globale ne s’est pas fait sentir.
La Coalition mondiale contre Daech (2014) n’a pas été créée contre Al‑Qaïda car :
Al‑Qaïda était un réseau clandestin, traité par la « War on Terror » et des opérations ciblées[xii] ;
L’État islamique (Daech/ISIS) était un proto‑État territorial, nécessitant une coalition militaire internationale ; L’EI représentait une menace systémique puisqu’il s’appropriait des territoires, des ressources, faisait de la propagande mondiale et défiait la grande puissance américaine qui a opté pour une coalition, une forme de réponse multilatérale dont les membres sont « choisis » ;
L’idée d’« instrumentalisation » d’Al‑Qaïda par les États‑Unis est réelle surtout dans les années 1980, où les États-Unis ont toléré et/ vraisemblablement soutenu indirectement des réseaux jihadistes contre l’Union soviétique (URSS), mais la Coalition de 2014 répondait à une menace différente et plus visible.
On peut évaluer, avec des statistiques qui valent ce qu’elles valent que :
L’État islamique (EI/Daech/ISIS) disposerait aujourd’hui d’environ 5 000 à 15 000 combattants actifs[xiii], surtout dans le noyau dur d’Irak - Syrie, plus plusieurs milliers dans ses filiales en Afrique (Nigeria, Sahel, Mozambique, etc. et en Afghanistan, voire au Pakistan, etc.).
Al‑Qaïda a un réseau plus diffus mais disposerait d’environ 20 000 à 30 000 combattants[xiv] répartis dans ses « franchises » notamment AQAP au Yémen, AQMI/JNIM au Sahel, Al‑Shabaab en Somalie, etc.).
Au Mali, le JNIM et l’Etat islamique au Grand Sahara compteraient ensemble plusieurs milliers de combattants actifs, avec une intensification des attaques et enlèvements depuis 2025. En réaction, l’Etat islamique de Boko Haram s’est réveillé au Nigéria avec des actes barbares et atroces assortis de kidnapping crapuleux. Au Mali, le JNIM (affilié à Al Qaïda) qui poursuit une forme d’expansion vers le sud[xv] via la tentative d’asphyxie des voies d’approvisionnements ainsi que l’Etat islamique au Grand Sahara affilié à l’État Islamique qui se présente comme une force concurrente et rivale tentent de contrôler sous forme de colonisation des pans entiers de vastes zones rurales et routes commerciales.
En face, l’Alliance des États du Sahel (A.E.S.) regroupant le Mali, Niger, Burkina Faso n’a pas communiqué sur le nombre exact de ses militaires. La confédération politique et sécuritaire créée en 2023 - 2024 pour coordonner la lutte contre les jihadistes regrouperait au moins 70 millions d’habitants et des armées nationales coalisées d’environ 100 000 soldats nationaux.
Un tableau ci-dessous permet de dresser un récapitulatif approximatif des forces et effectifs estimés des grandes organisations jihadistes et des forces régionales au Sahel.
Source : A partir de Wikipédia (2025). «Military of the Islamic State”. Accessed on 20 October 2025. Retrieved from https://en.wikipedia.org/wiki/Military_of_the_Islamic_State ; voir aussi Security Council (2025)
L’EI au Grand Sahara bien que réduit au Mali demeure actif avec une logique de colonisation territoriale avec l’instauration d’un califat via des filiales africaines. Il n’est pas impossible que les groupes « indépendantistes » de l’Azawad aient été dupés par cette approche lors d’alliances circonstancielles avec l’EI.
Al-Qaïda a un réseau plus large, diffus, implanté sur plusieurs continents et privilégie les opérations spectaculaires[xvii] avec un proto-califat comme objectif à long-terme. La réalité du terrain est que le Peuple malien est la principale victime.
Le Mali demeure le théâtre majeur de confrontation entre JNIM (Al Qaïda) et État Islamique au Grand Sahara pour des accès à des ressources pour leur propre compte et pour le compte d’autrui. Avec le soutien de la Russie, le Mali et ses partenaires de l’A.E.S., cette alliance politique et militaire, résistent mais demeurent vulnérables face à des groupes violents de mercenaires-terroristes-djihadistes mobiles et enracinés qui travaillent en bandes organisés pour le compte d’autrui.
35- MALI : ALTERNATIVES POUR UNE TRANSITION VERS LA SOUVERAINETÉ AVEC LES BRICS+
Paradoxalement, le Mali n’est pas isolé mais est en train de reconstituer le champ des « amis » du Mali afin de transformer la dynamique des BRICS+ en levier de souveraineté, en s’appuyant sur la dédollarisation, les paiements alternatifs et une monnaie régionale hors Franc CFA, tout en consolidant sa stabilité interne.
Il est vrai que le Mali se trouve à un moment de refondation historique stratégique pour le bien de son peuple.
Mais la seule réponse militaire face au JNIM et à l’EIGS ne suffit pas à garantir une souveraineté durable, surtout si les périodes de transition se prolongent sans une légitimation validée par la vérité des urnes et donc un choix éclairé et libre du Peuple malien.
En parallèle, les BRICS+ accélèrent leur politique de dédollarisation par l’achat massif d’or et le développement de systèmes de paiement alternatifs en parallèle du système Swift. Cette dynamique ouvre une fenêtre d’opportunité pour Bamako, à condition de stabiliser son environnement interne et de bâtir des partenariats solides avec des amis qui ne feront pas défaillance sur le long terme et assureront un soutien dans la consolidation de la transformation de son potentiel minier, agricole et industriel en des pôles de création d’emplois décents assortis d’un pouvoir d’achat. Le partenariat énergétique et minier avec la Russie et la Chine devrait rapidement permettre des investissements russes dans l’extraction et la transformation de l’uranium, du lithium, et de l’or au Niger, au Mali et au Burkina-Faso. Les partenariats dans la logistique et le transport doivent permettre de promouvoir le soutien de la Chine avec des corridors logistiques et ferroviaires pour relier le Sahel aux ports guinéens, en lien avec les grands projets d’infrastructure africains et chinois.
L’adhésion ou le partenariat avec les BRICS+ permettrait au Mali d’accéder à des financements hors FMI et Banque mondiale, et de bénéficier de projets d’infrastructure souverains. Le système BRICS Pay, qui contourne SWIFT et le dollar, faciliterait les échanges avec la Chine, la Russie, l’Inde ou l’Iran.
De plus, l’Alliance des États du Sahel (A.E.S.) – Mali, Burkina-Faso, Niger – a lancé en mai 2025 la Banque Confédérale d’Investissement et de Développement (BCID), dotée d’un capital initial de 500 milliards de FCFA, pour financer des projets structurants dans l’énergie, l’agriculture et les infrastructures.
La création d’une monnaie régionale hors Franc CFA, adossée en partie à l’or malien (3ᵉ producteur africain), renforcerait l’indépendance financière et réduirait la dépendance au Trésor français. Les cryptomonnaies et la blockchain, déjà explorées par les BRICS, pourraient servir de vecteur pour des transferts intra-africains et des règlements internationaux sécurisés.
Au-delà de l’économie, le Mali peut accroître sa capacité d’influence en se positionnant comme pivot sahélien dans les BRICS+, offrant un contre-modèle à la violence djihadiste et à la dépendance occidentale. Cette influence alternative passerait par l’accès minier, la diplomatie énergétique et la coopération Sud-Sud.
En définitive, la transition malienne vers la souveraineté doit articuler trois axes principaux :
sécurité interne avec une capacité de dissuasion sécuritaire ;
une réforme monétaire régionale ;
une intégration dans les réseaux BRICS+ notamment sur le plan des affaires, de la logistique, de l’économie et de la réciprocité commerciale et fiscale ;
Cette partie du contrat de refondation permettrait de transformer la résilience militaire en résilience politique et économique, et d’ouvrir une voie africaine inclusive et constructive vers la souveraineté. En faisant reposer les négociations sur des projets concrets qui viseraient à renforcer la souveraineté financière et à diversifier les partenariats internationaux, le Mali et ses alliés de l’A.E.S. et au-delà, pourront s’offrir des alternatives géopolitiques aux influences occidentales, tout en créant une capacité d’influence économique régionale, continentale et africaine dans un monde multipolaire.
Mark Bristow, PDG de Barrick Gold Corporation (anciennement Randgold) qui exploite au Mali la mine d’or de Loulo-Gounkoto, au cours d’une conférence débat le 28 octobre 2022 au Centre international de conférence de Bamako (CICB) sur le thème : « Contribution de Barrick Gold Corporation à l’économie malienne »
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36- SOUVERAINETÉ CONFRONTÉE AU PARTENARIAT : LA PALABRE A PERMIS DE TROUVER UNE SOLUTION
Le conflit entre le Mali et la multinationale canadienne Barrick Gold Corporation (Gold) qui exploitait la mine de Loulo-Gounkoto, a pris fin le 24 novembre 2025 par un accord négocié. La base de la résolution repose sur l’abandon des poursuites par Bamako, la libération des employés détenus, et la restitution de la gestion de la mine à Barrick Gold Corporation. C’est un compromis gagnant-gagnant : l’État malien conserve sa participation d’environ 20 %, sécurise des revenus fiscaux et royalties, tandis que Barrick Gold Corporation a été autorisé à reprendre ses opérations suite à l’abandon des poursuites auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) qui est une institution du Groupe de la Banque mondiale, créée par la Convention de Washington de 1965. Sa mission est de fournir un cadre arbitral et de conciliation pour résoudre les litiges entre investisseurs étrangers et États hôtes.
Dans ce cas précis, il ne s’agit pas de victoire militaire contre des mercenaires-terroristes-djihadistes, mais une victoire politico-économique contre un contrat léonin d’exploitation de l’or malien, ce aux dépens du peuple malien.
C’est malgré tout grâce à une détermination de l’Etat malien et une pratique de la palabre africaine intelligente et fondée sur une capacité d’influence et nuisance que les bases de l’accord ont été trouvées. La résultante en six points est :
respect du nouveau code minier malien ;
retrait de la demande d’arbitrage international déposée par Barrick Gold Corporation ;
abandon des charges contre Barrick Gold Corporation et ses employés ;
libération des responsables maliens de la société détenus depuis septembre 2024.
restitution des opérations de contrôle de la mine à Barrick Gold Corporation et fin de l’Administration provisoire par l’Etat malien ; et
reprise des paiements des arriérés et de la dette intérieure aux entreprises maliennes en relation contractuelle avec Barrick Gold Corporation.
Il serait prétentieux de parler de victoire pour l’une ou l’autre partie car il s’agit d’un réajustement de la part de la richesse qui devait revenir à l’État malien. En effet, l’État malien obtient la garantie de revenus fiscaux et royalties sur la mine, avec environ 20 % dans le capital du complexe Loulo-Gounkoto. Force est de constater que l’Etat malien a imposé au nom de la souveraineté un rapport de force, ce qui a permis à la palabre africaine d’avoir lieu. En effet, cette négociation était impossible au départ du conflit avec la société multinationale et ses actionnaires. Toutefois, la gestion opérationnelle n’a pas été transférée à une équipe de managers maliens mais a été confiée à Barrick Gold Corporation, ce qui limite la souveraineté directe. Nul ne sait comment tout ceci va évoluer. Mais, il faut espérer qu’au fil du temps, une partie importante du management et de l’actionnariat sera rééquilibré au profit des maliennes et maliens.
Il y a malgré tout eu un effet « terrorisme » dans ce bras de fer économique et juridique entre l’État et Barrick Gold Corporation. La dignité de l’Etat malien était en jeu. Mais, c’est la dignité de tout un peuple qui a été spolié dans le cadre d’accords miniers toxiques qui a été retrouvée avec cet accord entre un Etat et une entreprise multinationale au Mali.
Mais, les mercenaires-terroristes-djihadistes n’ont pas obtenu de gains dans ce dossier. Les rentrées d’argent pour le Mali vont recommencer. En effet, le complexe Loulo-Gounkoto est la plus grande mine d’or du Mali, représentant une part majeure des exportations. En plus des 20 % des parts dans le capital de Barrick Gold Corporation, l’Etat malien va percevoir des impôts, royalties et dividendes, ce qui va permettre à l’Etat malien d’engranger des revenus annuels en centaines de millions de dollars, essentiels pour renforcer son budget.
Barrick Mining (aurait accepté de verser 244 milliards de francs CFA, soit 430 millions de dollars américains dans le cadre d’un accord avec le Mali, afin de mettre fin à un différend de deux ans qui avait entraîné la fermeture du complexe aurifère de Loulo-Gounkoto[xviii]. Cet accord met officiellement fin à un conflit qui durait depuis deux ans autour de l’un des plus grands actifs miniers d’Afrique. En 2024, Loulo-Gounkoto a produit 723 000 onces d’or, ce qui le classe parmi les 10 premiers producteurs mondiaux. Barrick détient 80 % du complexe minier, tandis que le Mali en conserve 20 %. Ce rapport n’a donc pas fondamentalement changé. Néanmoins, Barrick Gold Corporation a dû passer par pertes et profits près de 1 milliard de dollars de revenus provenant de ses activités au Mali et connaître un changement important à sa tête avec le départ de l’ancien PDG Mark Bristow. L’arrogance au Mali ne paye pas !
Faut-il alors parler d’une résolution de conflit « gagnant-gagnant » ?
Pour la société Barrick Gold Corporation, on peut parler d’un soulagement et donc d’un gain avec la reprise des opérations, l’abandon des charges, le retrait de l’administration provisoire.
Pour le Mali, le maintien de sa participation et le respect du nouveau code minier va permettre d’importantes rentrées d’argent sécurisées et surtout de mieux contrôler la production effective d’or qui sort du sol malien et est exportée. Une continuation, voire un pourrissement du conflit, allaient mettre en péril une grande partie des recettes de l’Etat malien.
Aussi, la fin du bras de fer Mali-Barrick Gold Corporation a conduit à un « deal » qui peut être qualifié de « gagnant-gagnant », même si le Mali n’a pas encore obtenu un contrôle direct de la mine.
L’immense gisement aurifère de Gounkoto exploité par Barrick Gold Corporation
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37- CONCLUSION : UN CONTRAT DE REFONDATION DE LA TRANSITION AU MALI
En intégrant les héritages de la période précoloniale, le Mali est en train de devenir « un miroir des dynamiques mondiales[xix] » ce qui peut expliquer pourquoi il doit faire face à une tentative de recomposition géopolitique dans le Sahel et dans le monde. Celle-ci doit évoluer en tenant compte des alignements passés, des fractures internes et des continuités dans un manque d’agilité politique pour associer une majorité de la population et promouvoir la vérité des urnes et recourir à la palabre africaine comme source de résolution des crises multidimensionnelles actuelles, dans un Mali dirigé par des militaires considérant l’éradication des mercenaires-terroristes-djihadistes instrumentalisés comme la priorité des priorités. Hors les ingérences, les guerres par procuration ne se sont pas arrêtées. Au contraire ! Il y a comme un aveuglement à saisir et comprendre le basculement en cours dans les équilibres géopolitiques dans le monde, et au Sahel. Se « bunkeriser » et gouverner par « décret » sur la base de l’unilatéralisme constitue un mode de gouvernance qui nourrit la cécité géoéconomique et génère des rancœurs dont profitent les « ennemis du Mali » qui instrumentalisent ceux qui sont « chargés » de perpétrer les « basses besognes » criminelles d’embargo des chaines d’approvisionnement du pays au prix de crimes odieux, tout en bénéficiant de l’impunité des chancelleries occidentales et africaines.
Il y a donc une erreur de parallaxe en considérant que la guerre au terrorisme est prioritaire, prime sur tout et doit reléguer au second plan la question de la transition politique fondée sur la vérité des urnes et l’urgence de résoudre les problèmes sociaux en particulier celui de l’emploi, par la transparence, la réappropriation des ressources du pays et les réaffectations des ressources vers la création de richesses et l’entrepreneuriat. Au contraire, si le tout militaire était conçu pour aller de pair et se conjuguer avec le tout transition politique inclusive, il gagnerait assurément en efficacité par le fait qu’il créerait une dynamique nationale plus large et partagée par le plus grand nombre de citoyens, pour mener le combat de la souveraineté. Il n’est pas trop tard, sauf qu’aujourd’hui, un tel ajustement pourrait se faire sous des contraintes nouvelles.
Les mercenaires-terroristes-djihadistes ne sont « forts » que là où l’État est faible, non unifié et ne maîtrisant ni sa population, ni les renseignements. L’État fort, au moins au cours d’une période de transition en Afrique, est une partie de la solution, à savoir le vivre ensemble transfrontalier et la paix.
Le paradoxe est qu’entre l’État malien d’obédience militaire et les mercenaires-terroristes-djihadistes, il existe des points communs et des différences majeures.
La différence majeure repose sur le fait que le JNIM ou les déclinaisons de l’EIS agissent comme des acteurs armés terroristes et instrumentalisés, non étatiques, tandis que la junte agit comme un pouvoir militaire étatique mais dont la légitimité n’émane pas, en l’état, de la vérité des urnes.
Les points communs reposent sur le refus du compromis, le rejet des médiations, la légitimation par la force et non par la vérité des urnes, l’imposition unilatérale des règles sans en porter la responsabilité à court, moyen et long-terme, ce qui pourrait présager d’une forme d’impunité qui se ferait aux dépens du Peuple malien.
Le problème est qu’avec l’énergie couteuse en ressources humaines, du fait des morts, blessés et autres déplacés que la lutte contre le terrorisme occasionne, les dépenses budgétaires très importantes, la déstabilisation occasionnée par le JNIM et certains de ses commanditaires a un impact réel sur les populations maliennes avec en résumé au moins cinq (5) points : - l’insécurité institutionnalisée, - les restrictions des libertés, - les pénuries économiques, - les retards dans la réalisation des projets sociaux, - les dissensions internes couplées avec une sorte de confinement diplomatique et humanitaire par certains pays voisins et les ennemis du Mali.
Un tableau récapitulatif pourrait servir de point de départ pour relancer une palabre africaine[xx] inclusive avec des modérateurs neutres, indépendants et acceptés par la grande majorité des parties en belligérance. En effet, il faut sortir de l’unilatéralisme des deux principaux protagonistes qui finissent par avoir des conséquences toxiques sur le Peuple malien au point de voir ce peuple se transformer en victime (voir tableau ci-après).
Mali : deux unilatéralismes en miroir en fin 2025, populations prises en étau et urgence de relancer l’intelligence collective
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38- RECOMMANDATION : MODE D’EMPLOI DE LA REFONDATION AU MALI : OPTER POUR UNE PALABRE AFRICAINE INCLUSIVE ET CONSTRUCTIVE (PAIC)
Les dirigeants du pays ont surement sous-estimé la complexité et la multipolarité du problème malien en faisant une fixation sur une partie du problème qu’est la France. Mais il y a aussi des antériorités internes qui sous-tendent les velléités de scission et de séparation du pays… Cela aurait pu prendre les formes d’une discussion politique inclusive, sur la question d’un État confédéral avec une réduction de la centralité du pouvoir et surtout un accent plus important accordé à la résolution des problèmes de satisfaction des besoins essentiels, de l’économie et du social.
Or, l’accent et la priorité ont été mis sur le tout militaire, ce qui empêche l’Etat de consacrer de l’argent pour résoudre les problèmes du quotidien, entre autres, d’abord alimentaires, pour résoudre la question du pouvoir d’achat et améliorer la santé publique.
Il va de soi que la gouvernance défaillante au niveau de la conception de la sortie de crise au Mali et plus largement dans les pays du Sahel subissant de plein fouet les conséquences indirectes de l’intervention de l’OTAN en Libye, suppose, selon Boubacar Ba, le Directeur du Centre d’analyse sur la Gouvernance et la sécurité au Sahel de Bamako au Mali, un effort approfondi pour une restauration de la confiance entre populations et institutions avec la mise en place de mécanismes inclusifs de dialogue et une lutte acharnée et systématique contre la corruption, l’impunité et la marginalisation des communautés[xxi]. La « cohésion sociale » et la « confiance » du Peuple malien ne reposent pas uniquement sur la sécurité militaire. D’autres sécurités, sociale, économique et la question du vivre ensemble en toute liberté, sont tout autant indispensables pour faire nation.
Malgré une résistance farouche qui a permis de contenir l’avancée du JNIM instrumentalisé, qu’il convient de saluer, les principaux enjeux et défis, dont celui de la cohésion nationale, demeurent entiers pour l’État malien
Il devra nécessairement :
RECONCILIER SECURITE ET GOUVERNANCE : il ne suffit pas de gagner militairement, il faut également restaurer la confiance institutionnelle et promouvoir la vérité des urnes ;
REPONDRE AUX ATTENTES POPULAIRES : sans réponse aux exigences qui s’expriment dans les revendications sociales, notamment dans les zones rurales, le terrain reste fertile pour permettre aux groupes armés de prospérer, surtout s’ils sont instrumentalisés ;
STRUCTURER UNE SORTIE DE CRISE : cela passe par un dialogue inclusif, une relance économique ciblée, et une diplomatie régionale active : la palabre africaine inclusive et constructive demeure encore la voie la plus pacifique.
Aussi, « la palabre n’a pas pour finalité d’établir les torts respectifs des parties en conflits et de prononcer des sentences qui conduisent à l’exclusion et au rejet[xxii] ». Il est question de « briser le cercle infernal de la violence[xxiii] » afin de s’engager sur la voie de la souveraineté et de la paix. Les différentes formes des conflits locaux ethniques, territoriaux, transfrontaliers, africains et internationaux doivent reposer sur la volonté de construire d’abord des rapports de « bon voisinage » fondés sur la dignité de chacun et le respect mutuel.
Avec un processus de prise de décision fondé sur le vote secret à la majorité qualifiée et la décision finale revenant à une Assemblée constitutive disposant d’un réel pouvoir de décision souveraine, la réussite de la palabre africaine inclusive et constructive passe par le choix d’un groupe de modérateurs indépendants. Ces derniers doivent s’efforcer de s’éloigner d’un droit venu d’ailleurs, imposé et confié à des juges qui mettent la priorité sur la recherche de culpabilité, de sanctions et donc de reprise inconsciente des hostilités dans le futur. Les deux guerres mondiales passées en sont l’illustration parfaite. Dans les pays appauvris comme le Mali, les initiatives de développement local et de résorption du chômage par la création de richesses endogènes doivent retrouver leur priorité. Or, pour que le Peuple au centre de tout, puisse se réapproprier les travaux et réflexions des experts et élites, il faut absolument réinventer l’inclusivité avec la « contribution réflexive de chacune et de chacun » afin d’avancer vers une cohésion sociale entre les peuples du Mali d’abord, tout en apaisant les conflits intergénérationnels.
La palabre africaine demeure un système de recherche de consensus pacifique qui suppose l’acceptation par les parties en présence d’un dialogue permanent et transparent pour traiter de la manière dont les conflits doivent être résolus en impactant la gestion et la gouvernance des affaires publiques. La priorité est accordée à la fin de la violence pour un règlement du conflit par un partage du pouvoir, la recherche commune de la paix et la préservation du vivre ensemble dans la dignité. Cela doit commencer par un dialogue direct avec des médiateurs dotés d’une éthique et d’une indépendance reconnues et admises par tous les protagonistes. Il est suggéré que ce soit le Président de transition, le Général Assimi Goïta qui choisisse de convoquer cette palabre africaine inter-malienne y compris incluant la Diaspora malienne avant de l’élargir aux amis du Mali.
La palabre africaine inclusive et constructive doit reposer sur :
37.1 la fin de l’unilatéralisme et son dépassement tant par les nébuleuses terroristes qui s’attaquent aux faibles, que par le Gouvernement militaire qui doit reconsidérer sa stratégie du tout militaire ;
37.2 tous les acteurs de bonne volonté doivent déclarer leur indépendance et attester de leur non-instrumentalisation, pour pouvoir participer à une série de palabres africaines inter-maliennes dans une forme restant à définir, y compris incluant la Diaspora malienne, puis avec l’international, ce dans le cadre d’un dialogue enraciné dans les traditions de médiation dont le Mali a le secret, ce en référence à son rôle actif, joué lorsque l’Algérie, en tant que jeune nation, traversait ses pires moments, confrontée directement à un terrorisme interne très violent, qu’elle a finalement pu vaincre ;
37.3 l’Etat malien devrait accepter d’élaborer, en y associant toutes les parties prenantes, un projet de révision de la transition en remettant le Peuple malien au centre du jeu, en acceptant des modalités restant à définir pour assoir une légitimité populaire où les aspirations, les besoins, les voix y compris alternatives ou dissidentes pourront s’exprimer. Et surtout retrouver le sens du respect de la parole donnée en respectant les termes d’un nouveau Contrat social, politique, économique, territorial, juridique, culturel et environnemental, avec les populations, ce en valorisant la transparence et la justice et une parité entre le militaire et le civil, entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les moins-jeunes ;
37.4 les pourparlers de la palabre africaine inclusive et constructive doivent transformer la confrontation en co‑construction d’un avenir partagé, seul moyen pour déjouer les contraintes sécuritaires dues au règlement des ingérences et instrumentalisations étrangères qui ne manqueront pas ; et enfin
37.5 un Mali refondé pourra émerger, fondé sur la souveraineté de l’inclusion, promouvant l’intelligence collective.
Entre les mercenaires-terroristes-djihadistes du JNIM et l’État malien militarisé, on a à faire, en fait, à deux (2) unilatéralismes en miroir qui finissent, chacun à son rythme, à prendre subrepticement en étau le Peuple malien.
Seule une gouvernance inclusive et souveraine peut ouvrir la voie à une conversation multi-acteurs (voir le tableau ci-après).
Mali : Plaidoyer pour une révision du contrat de transition, opter pour la palabre africaine inclusive et constructive
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La souveraineté du Peuple malien suppose de replacer ce Peuple au centre du jeu citoyen pour permettre la renaissance d’un Mali du renouveau, mettant en exergue la palabre africaine inclusive et constructive. Il s’agit pour Afrocentricity Think Tank de considérer cette proposition comme un instrument endogène de sortie de crise et de construction de consensus, ce en toute transparence et respect de la dignité de chacune et de chacun. FIN
[i] Le lecteur(rice)/l’internaute est invité(e) à suivre le débat portant sur « la pénurie de carburant au Mali et ses conséquences » organisé par Samantha Ramsamy, Journaliste auprès de Global Africa Telesud dans son émission « Mutipolaire » : Global Africa Telesud (2025). « Pénurie de carburant : le Mali peut-il s'en sortir ? ». In Global Africa Telesud. Débat organisé par la Journaliste indépendante Samantha Ramsamy entre Seddik Abba, Président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES) et Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank. Accédé le 30 octobre 2025. Voir https://www.youtube.com/watch?v=MfehLuuhrV4 et https://youtu.be/MfehLuuhrV4?si=b8s0BGye_-UuQAJM ; ainsi que le lien sous www.afrocentricity.info
[ii] Afrocentricity Think Tank ainsi que l’auteur remercient vivement Mme Brigitte Gaudet ainsi que François Fabregat qui ont pris sur leur précieux temps pour corriger les fautes et éditer le texte. Je les remercie sincèrement. Les erreurs qui auront échappé à mon attention relèvent de mon entière responsabilité.
[viii] TRT Afrika (2024). « Erdogan : La Turquie soutiendra le Mali dans sa lutte contre le terrorisme ». In www.trtafrika.com. 1er août 2024. Accédé le 20 octobre 2025. Voir https://www.trtafrika.com/francais/article/18190276. Le Président turc Recep Tayyip Erdoğan a réaffirmé que la Turquie soutiendra le Mali dans sa lutte contre le terrorisme, en particulier dans les domaines de la sécurité, de l’énergie et de la technologie. Les autorités turques sont déterminées à faire progresser leurs coopérations avec le Mali dans tous les domaines, notamment la santé, l'énergie, l'agriculture, l'industrie, la technologie, l'éducation et le commerce.
[x] Global Coalition Against DAESH/ISIS (2022). « Joint Communiqué by Ministers of the Global Coalition to Defeat ISIS”. In theglobalcoalition.org. may 2022. Accessed 20 October 2025. Retrieved from https://theglobalcoalition.org/en/communique-global-coalition-morocco/ ; Communiqué officiel de la Coalition mondiale contre Daesh/ISIS (mai 2022, Marrakech) : les ministres ont réaffirmé leur détermination à poursuivre la lutte contre Daesh/ISIS et ont souligné l’importance de l’Afrique dans cette stratégie.
[xvi] UN Security Council (2025). “Thirty-fifth report of the Analytical Support and Sanctions Monitoring Team submitted pursuant to resolution 2734 (2024) concerning ISIL (Da’esh), Al-Qaida and associated individuals and entities [S/2025/71/Rev.1]”. In “Letter dated 6 February 2025 from the President of the Security Council acting in the absence of a Chair of the Security Council Committee pursuant to resolutions 1267 (1999), 1989 (2011) and 2253 (2015) concerning Islamic State in Iraq and the Levant (Da’esh), Al-Qaida and associated individuals, groups, undertakings and entities addressed to the President of the Security Council”. United Nations. S/2025/71/Rev.1 In https://www.ecoi.net 6 February 2025. Accessed 20 October 2025. Retrieved from https://www.ecoi.net/en/file/local/2122781/n2504159.pdf ; Bibliothèque numérique de l’ONU : “Letter dated 6 February 2025 – 35th report on ISIL and Al‑Qaida (S/2025/71/Rev.1)”. Site du Conseil de sécurité – Comité 1267/1989/2253 : Monitoring Team Reports (inclut le 35ᵉ rapport de février 2025)
[xix] Majed, Z. (2025). Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours. Éditions La Découverte : Paris.
[xx] Mpele Sara, E. (2023). « La palabre africaine un outil important pour le règlement des conflits en Afrique ». In International Journal of Arts, Commerce and Humanities (IJACH). Volume 11 Issue 06. 2023. Accédé le 20 octobre 2025. Voir https://journalijach.com/admin/upload/IJACH10122254.pdf