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Billet de blog 10 novembre 2025

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Togo - la culture abandonnée, les artistes oubliés ?

« Un peuple sans culture, c’est un fleuve sans source : il peut couler un temps, mais finit toujours par se perdre dans le sable. » Madi Djabakate, alias Papa Khadidja, Politologue et Essayiste livre une analyse de l’état de la culture et de la politique culturelle au Togo, esquisse des pistes de réflexion et quelques propositions.

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Illustration 1
A Aného, l'artiste togolais Jean Ayawo Koumy réalise une fresque murale symbolisant la coopération entre le Togo et l'Union Européenne

TOGO : LA CULTURE ABANDONNEE, LES ARTISTES OUBLIES ?

Un peuple sans culture, c’est un fleuve sans source : il peut couler un temps, mais finit toujours par se perdre dans le sable.

Au Togo, la culture respire à peine. Derrière les sourires des artistes, les festivals clairsemés et les initiatives locales, se cache une réalité bien plus préoccupante : celle d’un secteur marginalisé, miné par le désengagement de l’État et la prédation des rares ressources qui lui sont allouées. Faute de vision politique et minée par la corruption, la culture togolaise s’étiole dans le silence. Loin d’être un simple secteur de divertissement, elle incarne pourtant la mémoire et l’âme d’un peuple. Il est urgent de la sauver avant qu’elle ne s’éteigne définitivement.

UNE FLAMME ETEINTE

Au tournant des années 2000, le duo comique Togan & Fousseni faisait rire tout un pays. Leurs sketches, diffusés chaque dimanche sur RTDS, rassemblaient les familles autour d’un humour populaire et d’une satire sociale mordante. Ils incarnaient un rêve : celui d’un cinéma togolais naissant, fier, accessible, et enraciné dans la réalité nationale.

Vingt ans plus tard, ce rêve s’est dissous. Entre désintérêt étatique et détournements chroniques, la culture togolaise semble condamnée à l’oubli.

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Aného : Hommage aux Nana Benz, Fresque murale réalisée par les artistes Kossi-Reinold Paass et Léopold GOUTSHOP 1

UN SECTEUR ORPHELIN DE POLITIQUE PUBLIQUE

Le Togo ne s’est jamais doté d’une politique culturelle nationale claire. Les initiatives se limitent à des gestes symboliques, des festivals sans lendemain ou des subventions à usage politique. La culture, au lieu d’être pensée comme un moteur de développement, reste un outil de communication au service du pouvoir sexagénaire.

Ailleurs, les exemples inspirent : le Sénégal a structuré son industrie cinématographique, la Côte d’Ivoire a réinvesti dans son audiovisuel, et le Burkina Faso maintient le FESPACO, vitrine du cinéma africain. Le Togo, lui, reste en marge, sans stratégie, ni institutions solides pour former, produire et exporter ses talents.

 CORRUPTION ET PROXENETISME CULTUREL : LA DOUBLE PEINE

À cette absence de vision s’ajoute une corruption systémique. Les maigres budgets alloués à la culture disparaissent souvent le long de la chaîne administrative, détournés ou attribués selon le bon vouloir d’un réseau opaque.

Ce système clientéliste a engendré une véritable mafia culturelle, où les soutiens publics s’obtiennent par connivence plutôt que par mérite. Des artistes témoignent même d’un glissement inquiétant : des faveurs personnelles, parfois d’ordre intime, deviennent la condition d’un appui ou d’une visibilité.

La culture se retrouve alors transformée en cadre de proxénétisme symbolique, laissant nombre d’artistes, surtout les femmes, sans autre voie de survie que la compromission ou la reconversion forcée. Cette perversion morale du secteur mine la dignité de la création et détruit la confiance entre les acteurs.

Illustration 3
Aného, Hommage aux Nana Benz, Fresque réalisée par les artistes Kossi-Reinold Paass et Léopold GOUTSHOP détail 2

UN PATRIMOINE INEXPLOITE, UN TOURISME ABSENT

Le paradoxe est saisissant : le Togo regorge d’une diversité culturelle exceptionnelle, faite de musiques, de danses, de langues, d’artisanats et de rites ancestraux. Pourtant, ce patrimoine demeure invisible, faute de stratégie de valorisation.

Le pays ne dispose ni de musées modernes, ni de véritables festivals structurants, ni d’un programme cohérent de tourisme culturel. Là où le Bénin a su transformer son héritage historique en atout économique, le Togo reste englué dans l’improvisation.

Le lien entre culture, tourisme et développement local devrait pourtant être évident. La culture crée de la valeur, de l’emploi, et de la fierté nationale.

REFONDER UNE VISION : VERS UN “TOLLYWOOD” TOGOLAIS

Rêver d’un “TOLLYWOOD”, un écosystème culturel togolais dynamique, n’est pas une utopie. C’est une nécessité. Cela suppose : la création d’un fonds national pour la culture et les industries créatives ; une gouvernance éthique et transparente des ressources ; la formation et la professionnalisation des acteurs culturels ; et la promotion des productions locales à l’international.

Car la culture n’est pas une dépense, mais un investissement social et identitaire. Elle éduque, elle unit, elle inspire. Elle est un pilier invisible du développement.

Illustration 4
Aného : Hommage aux Nana Benz, Fresque murale réalisée par les artistes Kossi-Reinold Paass et Léopold GOUTSHOP détail 3

LE PANAFRICANISME, UNE EXIGENCE CULTURELLE

Le panafricanisme authentique ne peut se réduire à des discours enflammés ni à des slogans creux. Il doit puiser son essence dans la promotion et la vulgarisation de nos valeurs culturelles et cultuelles, dans la réappropriation de nos imaginaires, de nos symboles et de nos savoirs.

Il ne sert à rien, pour reprendre l’adage de Wole Soyinka, « au tigre de proclamer sa tigritude ». Il doit simplement bondir sur sa proie.

De la même manière, l’Afrique doit cesser de proclamer sa renaissance et commencer à la vivre, à la créer, à la chanter.

Après près de soixante ans de clochardisation des acteurs culturels, il est temps de refonder la politique culturelle du Togo : non comme un supplément d’âme, mais comme le cœur battant d’un projet de société souverain, juste et panafricain.

POUR UN SURSAUT MORAL ET POLITIQUE

Réhabiliter la culture, c’est réhabiliter la dignité nationale. C’est offrir aux jeunes une alternative à la débrouille et à l’exil. C’est permettre aux artistes d’exister autrement que dans la dépendance et l’humiliation.

Le Togo ne manque pas de talents. Il manque de courage politique. Tant que la culture sera gérée comme une rente, le pays restera un spectateur de son propre génie.

Il est temps de rompre avec cette logique et de redonner aux créateurs la place qu’ils méritent : celle d’artisans de la nation et de gardiens de son âme.

Une nation qui perd le fil de sa culture, c’est un arbre sans racines : il peut encore donner l’ombre, mais plus jamais les fruits.

Madi Djabakate (Papa Khadidja), Politologue & Essayiste

Citoyen Engagé pour un Comportement Éthique et un Leadership Moral au Togo

9 Novembre 2025

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