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Billet de blog 11 octobre 2025

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TOGO- Madi DJABAKATE : La contrebande constitutionnelle comme méthode de gouvernement

Après plusieurs mois d’attente, le premier gouvernement de la toute nouvelle cinquième république du Togo est enfin nommé. Sans surprise, sont reconduits de nombreux « anciens ministres ». Avec réalisme et sans concession, Mohamed Madi Djabakate, politologue et essayiste togolais, analyse la gouvernance du Togo. Il compare à un acte de contrebande le changement de constitution opéré en catimini.

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Illustration 1
Mohamed Madi Djabakate, président Honoraire du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC)

La contrebande constitutionnelle comme méthode de gouvernement

La « Cinquième République » togolaise s’annonce moins comme une refondation que comme la continuité d’un système verrouillé où la loi protège le pouvoir plus qu’elle ne l’encadre.

Hier, en parcourant le décret portant composition du nouveau gouvernement togolais, un sentiment de déjà-vu s’est imposé. Officiellement, ce gouvernement serait né sous l’empire de la Constitution de 2024, que certains appellent avec emphase « Cinquième République ».

Moi, je préfère l’appeler la Constitution de la contrebande. Car il faut le dire sans détour : aucun article de ce texte ne confère au Président du Conseil le pouvoir de nommer les ministres. Et pourtant, c’est bien ce qu’il a fait sans trembler, sans s’expliquer. Même le Secrétaire général du gouvernement, interrogé à la télévision nationale, a admis indirectement à travers ses réponses qu’il s’était contenté de lire un texte qu’on lui avait remis.

Poser la question du « comment » ou du « pourquoi » n’est pas reconnaître une légitimité à cette Constitution trafiquée : c’est constater que la contrebande est devenue un mode de gouvernance.

UNE LEGALITE SANS LEGITIMITE

Au Togo, la loi ne s’applique pas au Prince ; elle s’applique à ceux qui osent le défier. Le droit n’encadre plus le pouvoir, il le protège.

Le nouveau gouvernement n’échappe pas à la règle : il recycle, reconduit, maquille. Les mêmes visages usés depuis deux décennies se parent du masque du changement qu’ils ont eux-mêmes empêché.

La seule innovation réside dans la poésie des intitulés ministériels, plus riches en adjectifs qu’en cohérence. Derrière la façade, une évidence : Faure Gnassingbé ne sait et ne peut plus proposer mieux. Le vernis du changement a séché avant même d’avoir été appliqué.

J’écris ici pour documenter l’instant, afin que les historiens et la justice disposent de traces et de mémoire. Car il ne s’agit pas seulement d’un épisode institutionnel, mais d’un nouveau chapitre dans la chronique d’une confiscation du pouvoir.

RACONTER POUR REVEILLER LES VIVANTS

Nous avons trop longtemps cru que raconter l’histoire servait à endormir les enfants. Non : on raconte l’Histoire pour réveiller les vivants.

C’est un devoir d’élite et de citoyen : témoigner, transmettre, assumer sa part dans la chaîne de la mémoire. L’oubli n’efface pas les crimes, il les prolonge.

Depuis janvier 1963, le Togo porte une blessure profonde. Ce jour-là, la démocratie balbutiante fut brisée par un coup d’État qui coûta la vie à Sylvanus Olympio et inaugura l’instrumentalisation durable de l’armée.

En 1967, Gnassingbé Eyadéma prit le pouvoir et le garda jusqu’à sa mort, façonnant un État centralisé autour d’un clan et d’un culte du chef.

La suite, nous la connaissons : transmission dynastique, adaptation du système, continuité des réseaux et verrouillage des institutions.

La légalité s’est maintenue ; la légitimité, elle, s’est dissoute.

 UN ÉTAT PREDATEUR, UNE SOCIETE BAILLONNEE

 Ce n’est pas seulement une question de visages ou de palais. C’est l’effritement silencieux de l’espace public.

Les manifestations pacifiques sont interdites, les syndicats neutralisés, la presse indépendante bâillonnée.

Les journalistes, militants et opposants sont régulièrement arrêtés, parfois torturés.

J’écris ces lignes en sachant ce que cela coûte : au Togo, dire la vérité est devenu un acte de courage.

La paupérisation des préfectures n’est pas une fatalité naturelle mais le produit d’un système : ressources confisquées, marchés captifs, contrats opaques, élite politico-militaire prédatrice.

Les inégalités se creusent tandis que la minorité dirigeante s’enrichit.

Le régime préfère exhiber des statistiques qu’il maquille plutôt que de regarder le réel.

Et lorsqu’un professeur de philosophie transforme la tribune des Nations unies en grotte caverne du parti UNI(2R)PT, on comprend que la raison d’État a remplacé la pensée critique.

 LA CRIMINALISATION DE LA CONTESTATION

Il faut nommer les choses : au Togo, contester est devenu un crime.

Les milices suppléent la police ; la peur devient une politique publique.

Des organisations de défense des droits humains appellent à des enquêtes indépendantes sur les cas de torture et de mauvais traitements.

Le gouvernement, lui, préfère féliciter les « citoyens vigilants » qui exécutent ses basses besognes.

Le sang versé dans nos rues n’est pas un hasard climatique : c’est le symptôme d’un État qui a renoncé à protéger pour mieux dominer.

 RESISTER PAR LA MEMOIRE ET LA SOLIDARITE

 Face à cela, que faire ?

Raconter, éduquer, documenter.

Tisser des solidarités nationales et internationales, soutenir les journalistes et défenseurs des droits, exiger la transparence et la reddition des comptes.

Croire qu’on se bat pour un peuple de moutons, c’est déjà abdiquer.

Chaque mot, chaque archive, chaque acte de résistance contribue à reconstruire le pacte moral de la nation.

Le régime réclame tout : nos silences, nos identités, nos réseaux.

Mais le contrôle ne fonde pas la légitimité.

Un pouvoir qui s’isole finit toujours par s’effondrer sous le poids de sa propre peur.

La mémoire, elle, reste vivante, indocile, transmissible.

RENDRE JUSTICE A L’HISTOIRE

 Nous n’oublions pas Sylvanus Olympio le père, ni les promesses trahies de Gilchrist Olympio le fils, ni les prisonniers d’opinion embastillés par les Magistrats et OPJ, ni les familles endeuillées par les bras du système au pouvoir.

Raconter ces faits, les archiver, les transmettre, c’est préparer une réconciliation authentique : non pas fondée sur l’amnésie, mais sur la vérité et la justice.

À ceux qui voudraient réduire toute contestation à une nuisance, rappelons que les peuples ne se nourrissent pas de slogans, mais de dignité, de justice et de liberté.

Et lorsque l’État abdique ces principes, la société a le devoir de résister par la loi, la parole et la mémoire.

“Je ne suis pas candidat au martyre, mais je ne me tairai pas.”

Je suis Papa Khadidja, citoyen engagé pour un comportement éthique et un leadership moral au Togo.

J’aurais aimé vivre simplement : travailler, nourrir ma famille, prier et attendre le paradis promis.

Mais se taire aujourd’hui, c’est trahir demain et manquer aussi le paradis fridaous.

Si ma voix doit s’éteindre, qu’elle s’éteigne après avoir dit la vérité.

ÉCRIRE, C’EST RESISTER

 Que ce texte serve d’appel : écrivez l’histoire, préservez les preuves, protégez les voix.

La mémoire est une arme pacifique mais c’est la plus redoutable de toutes contre ceux qui se croient invincibles.

Mohamed Madi DJABAKATE

Politologue et essayiste togolais

9 Octobre 2025

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