François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

441 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 novembre 2025

François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

Togo- Grâce Koumayi livre ses « Cahiers de la prison » et prolonge la lutte politique

Depuis la prison civile de Lomé, où elle est injustement emprisonnée comme tant de prisonniers politiques, la sage-femme et militante politique Grâce Bikoniibiyate Koumayi brise le silence. Elle utilise sa condition carcérale pour lancer un appel à la nation et appeler le peuple à se lever contre la peur et la résignation, par une lettre adressée à Faure Gnassingbé et au procureur Talaka Mawama.

François FABREGAT (avatar)

François FABREGAT

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Grace Bikoniibiyate Bikoni Koumayi, sage-femme, citoyenne engagée et figure politique togolaise détenue à la prison civile de Lomé

GRACE KOUMAYI LIVRE SES « CAHIERS DE LA PRISON » ET PROLONGE LA LUTTE POLITIQUE  

« Ce silence ne vous protège pas, il vous prévient, c’est le silence d’un peuple fatigué d’avoir espéré, usé d’avoir prié, meurtri d’avoir trop longtemps porté la souffrance en guise de vêtement national. […] Ce silence ne vous arrange point : il annonce le tumulte à venir, car Dieu ne laisse pas éternellement bâillonner la Vérité. »

Grace Bikoniibiyate Bikoni Koumayi

DE L’ENGAGEMENT PROFESSIONNEL ET CITOYEN ET DU MILITANTISME POLITIQUE A LA PRISON CIVILE DE LOME

Militante durant sept ans du parti politique Nouvel engagement togolais (NET) présidé par Gerry Taama, au sein duquel elle a occupé le poste de vice-présidente nationale du parti, été candidate aux législatives de 2018 puis aux locales de 2019, Grace Bikoniibiyate Bikoni Koumayi, a quitté son parti en raison de divergences d’opinion : […] « j’ai décidé de quitter les choses avant qu’elles ne me quittent. J’ai servi derrière, j’ai servi au milieu, maintenant, je vais servir devant. » […]

Pour Grace Bikoniibiyate Bikoni Koumayi, le combat est permanent et ne s’arrête pas à la porte de la geôle. La prisonnière politique met à profit son incarcération à la Prison civile de Lomé où elle se trouve abusivement retenue, pour montrer que l’injustice n’affecte pas son courage et sa détermination, lorsqu’elle adresse au Président du Conseil Faure Gnassingbé et au procureur Talaka Mawama, une lettre qui exprime la révolte devant l’injustice, dénonce les multiples atteintes aux libertés endurées par le peuple togolais, le caractère abusif de ses conditions de détention. Elle transforme sa détention en acte de lutte contre le pouvoir dictatorial et appelle le peuple à se lever contre la peur et la résignation. Un texte fort, à la fois confession, avertissement et appel à la dignité.

***

VOICI LE CONTENU INTEGRAL DE LA LETTRE GRACE BIKONIIBIYATE BIKONI KOUMAYI.

« Prison Civile de Lomé, 25 Octobre 2015

Par Grace Bikoniibiyate Bikoni Koumayi,

Sage-femme d’état et femme politique.

Écoutez le silence des Togolais.

Ah oui, le silence ne nous protège plus.

Il est des silences qui grondent plus fort que les tonnerres. Jusqu’à la victoire.

Il est des peuples qui même muets de peur, hurlent dans le secret de leurs âmes

Aujourd’hui, le TOGO est ce peuple. Le TOGO est ce cri étouffé. Le TOGO est ce feu couvant sous la cendre du silence.

Monsieur le Président du Conseil Faure GNASSINGBE entendez le silence qui s’épaissit autour de vous.

Ce silence ne vous protège pas, il vous prévient, c’est le silence d’un peuple fatigué d’avoir espéré, usé d’avoir prié, meurtri d’avoir trop longtemps porté la souffrance en guise de vêtement national.

Monsieur le PC Faure GNASSINGBÉ, ce silence ne vous arrange point : il annonce le tumulte à venir, car Dieu ne laisse pas éternellement bâillonner la Vérité.

Quant à vous, Procureur de la République TALAKA MAWAMA, souvenez-vous : On ne frappe pas une femme déjà à terre. On ne piétine pas celle qui saigne. Car son sang devient semence, et toute semence finit par lever. Vous pouvez enfermer un corps, mais jamais une conviction.

Vous pouvez briser la chair, mais non l’espoir. Et lorsque la justice devient arme du pouvoir, le peuple devient juge du destin.

Chers Togolais, ne pensez pas que je suis en prison, non ! Car pour moi je ne suis pas en prison mais en mission. La mission de réveiller les consciences, d’appeler les âmes à la lumière, de dire à mes frères et sœurs togolais que leur silence ne les sauvera pas.

L’épidémie MAWAMA TALAKA plane sur toutes les maisons, même celles de ceux qui croient pouvoir se taire et se tenir à l’écart. L’injustice quand elle s’installe dans une nation, elle ne choisit pas ses victimes, tôt ou tard, elle frappe à toute les portes.

Moi Grâce Bikoniibiyate Koumayi, citoyenne du TOGO, même dans le noir incertain de la prison, j’ai choisi de ne plus avoir peur.

Ici en prison, une simple injection peut me faire disparaître à jamais mais je préfère risquer ma disparition que d’assister, impuissante, à la misère morale et spirituelle de mon peuple.

Car le TOGO que j’aime n’est pas une prison à ciel ouvert.

Le TOGO que j’espère est juste, prospère Viable et Vivant.

Peuple Togolais, lève-toi.

Ce combat-ci n’est pas celui d’une femme seule, ou d’un homme seul ni même celui d’un parti. C’est celui de la dignité humaine et la dignité, quand elle s’éveille, ne se négocie pas !

Elle s’impose comme l’aube après la nuit car l’histoire n’oublie jamais ceux qui ont osé parler quand tout le monde se taisait.

Le TOGO de demain, pas sans nous

Togolais, veut bâtir la cité.

Grâce Bikoniibiyate KOUMAYI »

***

La détenue politique a prolongé son acte épistolaire par une grève de la faim entamée le 8 novembre 2025[i]. Elle explique par l’entremise des réseaux sociaux les raisons de ce nouvel acte de résistance devant injustice en précisant que cette nouvelle initiative ne concerne pas sa seule personne. Ce faisant elle précise qu’elle étend le champ de son acte à la libération de tous les détenus politiques du Togo :

« Deuxième jour de grève de la faim – 9 novembre 2025

Le deuxième jour s’achève. La faim se fait sentir, mais la détermination demeure intacte. Ce combat n’est pas seulement le mien ; il est celui de toutes celles et ceux qui refusent l’injustice et le silence imposé au Togo. Chaque heure sans nourriture est une prière, un cri pacifique pour la vérité, la dignité et la liberté. Nous ne cherchons pas la pitié, mais la justice. Nous ne réclamons pas la vengeance, mais la liberté de vivre debout. Tant qu’un seul prisonnier politique restera derrière les barreaux, notre conscience, elle aussi, restera captive. Je poursuis la grève de la faim pour la libération de tous les détenus politiques au Togo. »

KOUMAYI Grâce

Prisonnière de conscience

En grève de la faim depuis le 8 novembre 2025 »

Illustration 2
Collectif des Prisonniers d'Opinion au Togo (CPOT), Grâce Koumayi, Grève de la faim jour 2 CPOT

LA DEUXIEME LETTRE DE GRACE BIKONIBIYATE KOUMAYI

« Prison civile de Lomé, novembre 2025

Message au Président Faure Gnassingbé, aux femmes membres du gouvernement, aux magistrats et au Peuple

Chers Togolais, jusqu’à la victoire

Je ne réclame ni faveur, ni pitié ; je ne demande ni clémence, ni grâce. Je demande simplement que la justice reste fidèle à sa mission, celle de dire le droit sans peur, d’éclairer les ténèbres sans se laisser éteindre.

A vous Monsieur le Président Faure Gnassingbé, je ne tends pas une main suppliante, mais une parole debout.

Je n’attends pas un geste de compassion, mais un acte de vérité, car la vérité ne se négocie pas, elle s’impose d’elle-même tôt ou tard comme la lumière finit toujours par percer la nuit.

A vous les femmes membres du gouvernement, du parlement, du Sénat… souvenez-vous : le confort de vos fauteuils repose sur le sang, les cris étouffés de celles et ceux qui ont osé se lever contre l’injustice. N’oubliez jamais que chaque silence complice nourrit la souffrance de tout un peuple. Vous êtes les gardiennes de la vie, les dépositaires de la compassion. 

Illustration 3
Une du n°4050 du 14 novembre 2025 du journal Liberte © Liberté Togo

Alors comment rester muettes quand la dignité de vos filles et fils, vos sœurs et frères est piétinée. Comment arrivez-vous à tourner le regard quand le sang des innocents irrigue le sol de notre patrie ?

A vous juges et magistrats, je vous conjure de demeurer fidèles à votre serment. La justice n’est pas un trône, c’est un autel et celui qui y siège doit servir la vérité, même lorsque cette vérité dérange les puissants.

Messieurs les juges, si moi une femme, mère, citoyenne humiliée, torturée, violée dit au peuple togolais que : « le silence ne les protège plus » et demande aux Togolais de sortir ou appelle à un Togo juste, vivable et vivant est un crime. Si dire et demander cela est une faute ou un crime alors je plaiderai coupable de courage, coupable de sincérité, coupable d’avoir aimé son pays au point d’en souffrir dans ma chair.

Enfin, à vous Peuple togolais, mes frères et sœurs de combat, ne laissez plus le silence devenir votre prison, car le silence ne protège pas, il étouffe, il rend complice, il ronge, il tue l’espérance.

Debout Togolais, nos chaines ne tomberont pas par la peur, mais par la parole, la foi, le courage, ah oui le courage d’accepter d’agir au-delà de nos peurs. La vérité est une flamme : on peut la recouvrir de cendre, mais jamais l’éteindre.

Moi Grace Bikonibiyaté Koumayi, femme politique, sage-femme de profession, citoyenne togolaise humiliée, torturée, violée mais debout. Je fais de mon corps un cri, de ma faim un message et de ma douleur un appel à la conscience.

Que ma voix traverse les murs de la prison et réveille les consciences endormies. Car je crois encore qu’un Togo juste, vivable et vivant est possible. Que Dieu nous protège !

Le Togo de demain, pas sans nous.

Togolais, viens, bâtissons la cité !

Grace Bikonibiyaté Koumayi »

***

Cet acte empreint d’altruisme et d’abnégation résonne également comme une marque d’action solidaire[ii] à l’égard de tous les combattants de la liberté qu’il convient de mettre en exergue, tant le champ de la lutte pour la liberté et la démocratie est aujourd’hui caractérisé au Togo, par des division multiples et d’interminables querelles de chapelles, la plupart du temps puériles, entre différents acteurs sensés, à priori, poursuivre le même combat pour la libération du peuple Togolais de la dictature soixantenaire du clan Gnassingbé.

Une attitude qui ne saurait surprendre de la part d’une femme dont l’engagement citoyen et professionnel force également le respect.

Grâce Koumayi exerce le métier de sage-femme avec passion depuis bientôt 10 ans. Alors que les femmes enceintes ont besoin de conseils et de préparation durant la grossesse, son expérience professionnelle dans les hôpitaux, dont cinq années au CHU Sylvanus Olympio puis au sein de structures privées dont la polyclinique St Joseph, lui a permis de constater que le secteur public n’offre pas de structures adaptées pour remplir cette mission : « généralement, le personnel de santé chargé de les accompagner ne disposait pas de temps et de moyens nécessaires pour aider ces dernières alors que l’étape de préparation est cruciale et essentielle » Elle a ainsi créé son propre cabinet d’accompagnement à la naissance. « J’ai donc décidé d’apporter ma contribution à la réduction de la mortalité néonatale en créant ce cabinet. » […] « Je suis une oreille très attentive aux besoins des femmes enceintes… » [iii]

L’engagement militant de Grâce Koumayi ne concerne pas que le champ de la politique, il s’exprime également dans le secteur de la santé en tant que Secrétaire générale chargée de la formation et de l’information au sein de l’Association des Sages-femmes du Togo (ASSAFETO), également en tant que présidente de son association « Faire Autrement ».

Un engagement dont elle résume ainsi l’objectif « « Et ce qui me passionne le plus dans ce métier, c’est justement de partager l’événement le plus marquant dans la vie d’un couple qui est la naissance d’un enfant. »[iv]

Considérant que la jeunesse constitue aujourd’hui 70% de la population togolaise Grâce KOUMAYI déplore que le clan politique et l’oligarchie qui gouverne sans partage le Togo, ne lui offre aucune perspective de développement individuel et collectif, la cantonne à l’immobilisme et à la stagnation : […] « La jeunesse togolaise broie le noir, elle vit le noir à la quête permanente d’une lueur de lumière » […] alors que la jeunesse constitue un immense réservoir de forces vives disponibles pour contribuer au développement collectif de la nation.

Illustration 4
Collectif des prisonniers d'opinion au Togo, (CPOT), Prisonniers politiques

Si Grâce KOUMAYI a quitté son parti le NET pour « divergences d’opinions au sein du parti », elle n’entend pas pour autant s’arrêter en chemin et entend bien continuer son engagement politique sous diverses formes une motivation qu’elle résume selon une formule lapidaire : « J’ai servi derrière, j’ai servi au milieu, maintenant, je vais servir devant. »

Aujourd’hui dans les pires conditions qui soient, celles de l’enfermement carcéral, il faut souhaiter que l’engagement en première ligne du combat politique qu’elle continue depuis la prison, permette rapidement son élargissement et que sa liberté enfin retrouvée lui permette de fédérer beaucoup d’énergies encore trop dispersées pour la libération du Togo et du peuple togolais.

François FABREGAT

11 novembre 2025

[i] Source : Togo rights and freedom Network -UK

[ii] DURKHEIM E : De la division du travail social, Ed. Félix Alcan, 1893 (p. 210-217).

[iii] GADEDJISSO TOSSOU E. E. « Interview : « Je suis une oreille très attentive aux besoins des femmes enceintes », Grâce B. Koumayi Sage-femme », in afrikelles.tg, 10 mai 2024, consulté le 11 novembre 2025, voir : https://www.afrikelles.tg/interview-je-suis-une-oreille-tres-attentive-aux-besoins-des-femmes-enceintes-grace-b-koumayi-sage-femme/

[iv] ibid GADEDJISSO TOSSOU E. E. « Interview : … ibid

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.