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Billet de blog 12 juin 2025

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Géographie du sol, du sous-sol, du hors-sol, entre états africains volontaires [1]

Première partie de l’intervention de M. Yves Ekoué Amaïzo, devant le 25e Forum de Bamako au Mali qui se tenait à l’Hôtel Azalaï de Bamako les 29, 30 et 31 mai 2025, sur le thème : « L’Afrique au cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques : Défis, enjeux opportunités et perspectives ». PARTIE 1

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Illustration 1
Mali : production d’or, causes principales de la baisse de production d’or au Mali © Afrocentricity Think Tank

NOUVELLE GÉOGRAPHIE DU SOL, DU SOUS-SOL ET DU HORS-SOL ENTRE ÉTATS AFRICAINS VOLONTAIRES : Valeurs ajoutées sectorielles ou transversales et capacité de dissuasion et d’influence

25e FORUM DE BAMAKO AU MALI : L’Afrique au cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques : Défis, enjeux opportunités et perspectives, 29, 30 et 31 mai 2025, Azalaï Hotel Bamako – Mali*

Panel 1. 14h – 15h

SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE ET ÉCONOMIQUE :

Repenser le développement africain à l’ère de la ZLECAf et du repositionnement panafricaniste du Continent

Thème : ZLECAf, modèles économiques postcoloniaux, souveraineté monétaire

Points à développer :

  • Enjeux et défis de la mise en œuvre de la ZLECAf pour les économies fragiles
  • Limites des modèles économiques postcoloniaux (dépendance, extractivisme, etc.)
  • Souveraineté monétaire : Peut-on se développer sans maîtriser sa monnaie ?
  • Politiques économiques de rupture ; vers un développement endogène ?
  • Cas pratiques : expériences nationales de transformation économique
  • ZLECAf et les enjeux de création d’un marché régional africain préférentiel pour les produits manufacturés africains.

Discussion avec la salle (15 mn)

  • La souveraineté économique, est-elle possible sans réforme monétaire ?
  • Comment faire de la ZLECAf un levier de transformation structurelle ?

Panélistes (15 mn chacun) :

  • Dr. N’Dongon SYLLA, Monétariste
  • Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste et Président Afrocentricity Think Tank
  • M. Modibo Mao MAKALOU, Economiste et Analyste, Expert Ecobank
  • M. Harouna NIANG, Ancien Ministre

Titre de l’intervention du panéliste :

NOUVELLE GÉOGRAPHIE DU SOL, DU SOUS-SOL ET DU HORS-SOL ENTRE ÉTATS AFRICAINS VOLONTAIRES :
Valeurs ajoutées sectorielles ou transversales et capacité de dissuasion et d’influence

Panéliste : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Économiste et Président de Afrocentricity Think Tank.

* Programme du 25e Forum de Bamako (Voir le fichier PDF attaché en bas de page).

 PARTIE 1

SOMMAIRE

  1. RÉSUMÉ :
  2. INTRODUCTION : DEVENIR DES ACTEURS PROACTIFS DANS LA CONSTRUCTION DE LA MONNAIE
  3. VIOLENCE DE LA MONNAIE : FLUCTUATIONS UNILATÉRALES DES RÈGLES INTERNATIONALES PAR DES ÉTATS À CAPACITÉ D’INFLUENCE FORTE
  4. MAÎTRISER LA GÉOGRAPHIE DE SES RESSOURCES POUR ASSOIR LA SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE ET ÉCONOMIQUE
  5. CONSTRUIRE LA SOUVERAINETÉ EN PRIORITE AVEC LE SUD-GLOBAL, RESPECTUEUSES DES TRAJECTOIRES DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

NOUVELLE GÉOGRAPHIE DU SOL, DU SOUS-SOL ET DU HORS-SOL ENTRE ÉTATS AFRICAINS VOLONTAIRES : Valeurs ajoutées sectorielles ou transversales et capacité de dissuasion et d’influence

1- RÉSUMÉ

L’accès privilégié, voire « unique » aux ressources du sol, du sous-sol et du hors-sol africain, son exploitation, sa transformation et sa commercialisation attisent d’énormes convoitises de nombreux acteurs tels que les Etats, les entreprises, les organisations non gouvernementales (ONG) financées de l’extérieur de l’Afrique, de nombreux intermédiaires et mercenaires, des terroristes, etc.

Comme ces ressources se trouvent pour l’essentiel en Afrique, cela fait que la question de l’appropriation des matières premières est au cœur de l’actualité géoéconomique et géopolitique. L’Afrique est donc bien au cœur des enjeux et défis du fait même des convoitises téléguidées pour l’essentiel de l’extérieur du continent.

Traiter de la souveraineté africaine, c’est poser le problème du poids, de l’influence et de la place croissante de l’Afrique dans les dynamiques géopolitiques mondiales. Autrement dit, il est question de savoir si les représentants officiels de l’Afrique souhaitent :

  • demeurer des spectateurs de leur présent et de leur futur ;
  • constater leur complicité dans leur perte de souveraineté, ou alors
  • devenir des acteurs proactifs de la construction de leur présent et de leur futur dans le cadre d’une stratégie de dissuasion et d’influence grandissante.

Les 55 Etats de l’Union africaine doivent trouver des solutions à des défis internes et externes.

Pourtant, l’urgence sécuritaire doit aller de pair avec le développement des capacités productives et le développement inclusif et durable. C’est donc une approche basée sur l’Agilité sectorielle qui devrait permettre au continent de naviguer entre les grandes alliances mondiales et profiler intelligemment la reconquête de sa souveraineté.

Il n’y a pas de souveraineté sans le volet sécuritaire, monétaire et économique. Or, le formatage de nombreux cerveaux africains et les 400 ans et plus de déviation de la trajectoire du développement des Africains ont laissé des traces indélébiles. Les initiatives de facilitation des échanges intra-africains sont louables, notamment dans le cadre de la ZLECAf.

Si l’Afrique d’aujourd’hui se retrouve au « cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques », c’est principalement parce qu’il est question de contrôler, de recontrôler, et de s’approprier et de se réapproprier, entre autres, les ressources naturelles et minières stratégiques du continent ainsi que les recettes partielles ou totales des entreprises qui les exploitent en toute non-transparence, voire opacité.

Mais, rien ne sera possible sans une volonté de réappropriation de la chaine de valeurs des matières premières à partir d’approches sectorielles. Cette nouvelle géographie du sol, du sous-sol et du hors-sol africain devra se faire entre des Etats africains volontaires. Il est question, à partir de stratégies et de projets identifiés, d’opérationnaliser les modalités de génération de valeurs ajoutées sectorielles ou transversales tout en assurant une capacité de dissuasion et d’influence.

Or, l’Afrique subit la violence monétaire, ce qui limite sa souveraineté. Il faut donc conjurer cette violence monétaire et la domination qui en découle par la dissuasion et la souveraineté retrouvée.

YEA.

***

2- INTRODUCTION : DEVENIR DES ACTEURS PROACTIFS DANS LA CONSTRUCTION DE LA MONNAIE

Traiter de la souveraineté africaine, c’est poser le problème du poids, de l’influence et de la place croissante de l’Afrique dans les dynamiques géopolitiques[1] mondiales. Autrement dit, il est question de savoir si les représentants officiels de l’Afrique souhaitent :

  • demeurer des spectateurs de leur présent et de leur futur ;
  • constater leur complicité dans leur perte de souveraineté, ou alors
  • devenir des acteurs proactifs de la construction de leur présent et de leur futur monétaire et économique dans le cadre d’une stratégie de dissuasion et d’influence grandissante.

Demeurer spectateurs signifie que les dirigeants africains perpétuent les modèles économiques postcoloniaux. Considérer leur deal de rester au pouvoir en devenant complice de la perte de souveraineté africaine collectivement ou nationalement en n’accélérant pas sur le terrain la mise en place de la zone de libre-échange africaine (ZLECAF). De fait, il y a lieu de proposer une stratégie proactive pour retrouver une capacité d’influence et de dissuasion qui permet de reconstruire la souveraineté africaine.

Repenser le développement africain à l’ère de la ZLECAf en naviguant sur la vague de la poussée panafricaniste d’une partie de la société civile africaine n’est plus le problème. En effet, il s’agit d’une position consensuelle et largement partagée entre les dirigeants et les peuples africains. L’enjeu se résume plus à l’opérationnalisation et au rythme de l’exécution et de la transparence dans l’annonce des résultats obtenus ou pas, avec l’avis officiel des populations. Or, les dirigeants africains de manière générale ont un vrai problème avec la transparence et la régularité dans la capacité à rendre des comptes de leurs actes à leurs populations respectives.

Alors, se focaliser sur la souveraineté monétaire et économique sans l’inclure dans un contexte global et incluant la dynamique des populations est un danger. La volonté de rupture et de changement vers plus d’indépendance, d’autonomie dans les décisions au service des peuples africains sonnent comme des rappels de repositionnement panafricaniste du Continent. Mais, en filigrane, ce repositionnement s’inscrit dans une logique de dé-occidentalisation du monde compte tenu des résultats obtenus par ces derniers sur le dos des peuples et Etats à faible capacité d’influence. Mais, il n’est pas non plus question de s’aligner sur de nouvelles puissances comme la Chine, la Russie ou l’Inde, dès lors que les Etats africains ne veillent pas à construire une marge économique pour s’assurer d’avoir l’information adéquate, le maillage décisionnel de compétence et la volonté de prendre des décisions souveraines au service du Peuple africain.

La real politik fait que pour avoir l’information adéquate, il faudra des partenariats techniques et financiers. Pour le maillage décision de compétence, il est urgent de retrouver des approches de sélection de compétences sur des bases de transparence et moins sur les réseaux ethniques ou d’affidés acceptant la servitude volontaire. Somme toute, la volonté de prendre des décisions au service du Peuple africain suppose un mandat du Peuple africain lui-même.

Se substituer à ce peuple pourrait fonctionner pendant une période transition, mais ne peut se substituer, à un moment ou un autre, au verdict de la vérité des urnes.

De fait, la souveraineté monétaire et économique est indispensable pour avancer vers une souveraineté pleine et entière, tant aux niveaux, national, régional ou continental.

Pour estimer qu’un pays s’est volontairement et véritablement engagé pour construire sa souveraineté et sa capacité autonome à décider pour le bien de son peuple, ce pays ou le groupe de pays agissant dans le cadre d’une confédération agile, devront outre la souveraineté territoriale, s’organiser pour construire une souveraineté monétaire et économique. Autrement dit, un Etat ou un groupe d’Etats organisé collectivement, doit être en capacité de décider et d’agir librement :

  • pour défendre les intérêts de ses citoyennes et citoyens ;
  • pour choisir et mettre en œuvre ses propres priorités sans subir des ingérences directes ou indirectes de groupes de pression extérieurs ou intérieurs ;
  • pour réaliser ses stratégies et projets avec les partenaires de son choix, ce en dehors de toutes contraintes extérieures notamment celles dictées par les pays à capacité d’influence forte au gré des modifications unilatérales des règles et du droit international ; et
  • limiter ou éliminer la violence monétaire que subit l’Afrique, ce qui explique principalement la souveraineté partielle africaine.

Les treize (13) repères suivants devraient permettre de clarifier les voies difficiles, audacieuses mais faisables qui doivent contribuer à construire la souveraineté monétaire et économique :

  1. Violence de la monnaie : fluctuations unilatérales des règles internationales par des Etats à capacité d’influence forte ;
  2. Maîtriser la géographie de ses ressources pour assoir la souveraineté monétaire et économique ;
  3. Construire la souveraineté en priorité avec le Sud-global, respectueuse des trajectoires de développement humain ;
  4. Lutte de libération facilitée par des partenariats sud-sud et gagnant-gagnant ;
  5. Se réapproprier les ressources du sol, sous-sol et hors-sol, c’est exiger que le juste prix soit payé ;
  6. Passer du G20 au G21 : l’Afrique considérée comme une variable d’ajustement au sein du G20 ;
  7. Interdépendance africaine et ZLECAf : capacité de dissuasion, guerres cinétiques et non-cinétiques et chantage sécuritaire et/ou monétaire ;
  8. S’organiser sur une base du volontariat pour créer d’abord une monnaie non convertible au sein d’un espace commun ;
  9. Repositionnement panafricaniste du Continent : entre idéologies et prise de conscience collective ;
  10. ZLECAf : risques et opportunités à double tranchant ;
  11. Reconstitution d’une capacité d’influence et de dissuasion : dix (10) préalables ;
  12. Souveraineté monétaire et économique en Afrique : sept (7) propositions
  13. Huit (8) recommandations pour servir d’effets de levier dans un cadre holistique de développement du bien-être des peuples africains.

3- VIOLENCE DE LA MONNAIE : FLUCTUATIONS UNILATÉRALES DES RÈGLES INTERNATIONALES PAR DES ÉTATS À CAPACITÉ D’INFLUENCE FORTE

Les fluctuations unilatérales des règles internationales par des puissances capables d’exercer une forte pression représentent effectivement une menace pour la souveraineté africaine. Ces ajustements unilatéraux imprévisibles accompagnés souvent de sanctions unilatérales d’accaparement de richesses produites ailleurs déstabilisent la plupart des économies vulnérables et à capacité d’influence faible. De fait, il est impossible de planifier à moyen- et long terme.

Or, le développement et l’accès au bien-être pour tous relèvent du long terme. Il suffit de modifier unilatéralement les règles du jeu international comme les tarifs douaniers, les normes de qualité (phytosanitaires par exemple), les normes techniques, les règles d’origine, les freins à l’accès aux contenus technologiques -, la valeur d’une monnaie (dévaluation unilatérale), refus de financer malgré des promesses de financement, etc. pour qu’un Etat africain entre en déstabilisation monétaire, financière ou économique.

Les fluctuations qu’il convient mieux de qualifier de gouvernance de l’incertitude reposent sur au moins les cinq (5) risques suivants :

  1. Environnement d’incertitude économique neutralisant la prévisibilité et la stratégie à moyen terme du développement en Afrique et modifie l’accès aux marchés internationaux ;
  2. Dépendance des économies africaines vis-à-vis des marchés et des technologies étrangères renforcée par une trop faible capacité de négociation et de propositions bancables ;
  3. Ingérence directe ou indirecte limitant la capacité des États d’œuvrer dans l’intérêt de leur développement national et compromettant la souveraineté monétaire et économique et l’autonomie politique et réduisant la marge de manœuvre économique des Etats ;
  4. Dépendance aux importations, notamment de produits manufacturiers, et difficulté des États africains à capitaliser sur leurs propres ressources et atouts ;
  5. Perturbation et fragmentation des chaînes de valeur locales avec comme conséquence d’avoir freiné systématiquement le développement industriel basé sur la transformation des produits locaux pour une consommation locale de ces produits à faible « inflation ».

Tous ces risques rendent difficile la mise en œuvre de politiques économiques autonomes et souveraines. Aussi, la mise en place d’institutions économiques et monétaires fortes et indépendantes sont indispensables surtout si celles-ci ne dévient pas leur objectif de souveraineté. Il va de soi qu’une intégration plus approfondie permettrait de négocier collectivement des règles du jeu plus favorables et offrirait une prévisibilité et un espace-temps d’organisation quinquennal renouvelable des économies du continent.

Les Etats et institutions qui entrent en agglomération de souveraineté constituent une réponse efficace à ces fluctuations unilatérales. Un approfondissement au niveau d’agglomérations sectorielles ou transversales dans un espace géographique accepté d’un commun accord constitue un véritable levier économique et un contrepoids face aux fluctuations imposées par des acteurs extérieurs.

C’est en cela qu’une souveraineté monétaire et économique offre une plus grande marge de manœuvre pour orienter le développement national et intégré au sein de confédérations régionales en fonction des priorités des populations locales.

La souveraineté monétaire et économique des pays africains peut et doit permettre de s’affranchir ou de limiter les fluctuations unilatérales des règles internationales par des Etats à capacité d’influence forte.

La violence monétaire qui en découle pour les États africains à faible influence se manifeste à travers plusieurs mécanismes qui limitent leur souveraineté économique et leur capacité à se développer de manière autonome. On peut citer au moins cinq points :

  1. La dépendance aux monnaies étrangères : Beaucoup de pays africains utilisent des monnaies arrimées à l’euro ou au dollar, comme le franc CFA, ce qui les expose aux décisions économiques de puissances extérieures[2]. Cela limite leur capacité à ajuster leur politique monétaire en fonction de leurs besoins internes.
  2. Inflation et dévaluation : Les monnaies africaines subissent des dépréciations face au dollar, des dévaluations unilatérales pour le Franc CFA, réintégré dans l’Euro. Tout ceci contribue à une hausse des prix des importations et une pression sur les populations. Cette instabilité monétaire fragilise les économies locales, empêche la mise en œuvre de stratégies de long terme et constitue un poids pour le pouvoir d’achat.
  3. Contrôle externe des réserves : Certains pays doivent déposer une partie de leurs réserves de change auprès de banques étrangères, ce qui réduit leur marge de manœuvre financière et les rend dépendants des décisions de ces institutions.
  4. Pression des institutions financières internationales : Le FMI et la Banque mondiale imposent souvent des politiques monétaires restrictives en échange de prêts, ce qui peut freiner les investissements publics et le développement économique. Et enfin,
  5. Blocages géopolitiques : La transition vers une monnaie indépendante, comme le projet initial de l’ECO-CEDEAO de la CEDEAO, est entravée par des résistances internes et externes, notamment des pressions politiques et économiques de pays influents comme la France et quelques pays francophone de la zone qui promeuvent l’ECO-UEMOA. Mais, c’est le fait même de ne pas adosser la monnaie africaine à une matière première comme l’or qui mérite une attention plus importante de la part des dirigeants africains.

Il n’y a plus lieu de démontrer la violence de la monnaie[3], qui devient un outil de domination économique limitant la souveraineté des États africains afin de les maintenir dans une dépendance structurelle. La question de l’émancipation monétaire est donc cruciale pour le développement futur des pays africains. Pour ce faire il faudra maîtriser les ressources du sol, du sous-sol et du hors-sol.

4- MAÎTRISER LA GÉOGRAPHIE DE SES RESSOURCES POUR ASSOIR LA SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE ET ÉCONOMIQUE

La question à laquelle il faut répondre avant de promouvoir les convergences économiques et monétaires entre Etats est de savoir si un ou des Etats peuvent avancer vers la souveraineté monétaire et économique sans maîtriser la géographie du sol, du sous-sol et du hors sol africain ?

La maîtrise de la géographie du sol, du sous-sol et du hors-sol est considérée comme un pilier fondamental pour atteindre une véritable souveraineté monétaire et économique. En effet, posséder et contrôler son territoire, c’est avant tout avoir la capacité de valoriser ses ressources naturelles – que ce soit les terres agricoles, les minerais ou encore les ressources énergétiques – et de les intégrer dans une stratégie nationale de développement durable.

Pour ce faire il importe de s’assurer d’avoir des équipes d’experts qui s’enquièrent de l’état effectif de contribution de l’Etat et des opérateurs économiques à au moins cinq approches transversales de l’économie de la souveraineté. Il s’agit entre autres, de :

  1. La prise de conscience[4]généralisée de l’asservissement historique et le défi des approches postcoloniales de l’extraversion et de la spécialisation monoculture des économies africaines. Historiquement, de nombreux États africains ont vu leurs ressources naturelles exploitées par des puissances étrangères qui se sont organisées pour empêcher ou freiner le développement économique, la non création d’emplois productifs localement du fait de l’interdiction tacite pour les Etats de soutenir l’industrialisation afin de minimiser leur autonomie monétaire. Il y a donc lieu de reprendre le contrôle et la maîtrise de ces ressources du sol, du sous-sol et du hors sol, partie intégrante des solutions proposées pour rompre avec cet héritage du formatage de l’imaginaire africain afin de libérer le talent et l’innovation africaines pour bâtir une économie résiliente et souveraine.
  2. La valorisation, le recensement et la réappropriation des ressources naturelles du sol, du sous-sol du hors sol, ce qui suppose une connaissance approfondie de la géographie du pays. Il n’est plus possible de reposer ces connaissances sur des informations erronées, tronquées, partiales et partielles transmises par les tenants de la post colonie. C’est le fait de recenser, de protéger puis d’exploiter seul ou en partenariat gagnant-gagnant les richesses du sol (toutes les productions agricoles, halieutiques, des ressources agricoles, forestières et environnementales etc.), de son sous-sol (les minéraux, le pétrole, le gaz, etc.) et du hors-sol (la circulation des services immatériels, la maitrise des donnés numérisées et digitalisées y compris bancaires, etc.). Cela aide non seulement à renforcer les réserves financières, mais aussi à financer l’innovation et les infrastructures locales. Sans une gestion rigoureuse de ces atouts, la nation reste vulnérable aux fluctuations des marchés internationaux et aux pressions externes.
  3. La création d’un écosystème économique intégré de création de valeurs sous la forme d’agglomérations de petites et moyennes entreprises. Une maîtrise totale de la géographie permet d’harmoniser la chaîne de valeur, depuis l’extraction des ressources jusqu’à leur transformation et commercialisation. Cette approche intégrée favorise l’émergence d’industries locales robustes qui s’appuient sur des matières premières nationales, ce qui renforce la résilience de l’économie contre les chocs externes.
  4. L’attractabilité d’investisseurs intéressés dans des partenariats gagnant-gagnant et n’ayant pas de conflits d’intérêt avec le développement d’une économie souveraine, la transparence et la gestion efficace des ressources du sol, du sous-sol et du hors sol afin d’assurer les bases d’un développement stratégique de long terme basées sur la valorisation des richesses africaines offrant des effets multiplicateurs sur l’amélioration du bien-être des Africains et des partages de culture du respect mutuel.
  5. L’autonomie, la souveraineté holistique et l’indépendance stratégique à partir de la souveraineté monétaire et économique ne peuvent se limiter à des questions comptables ou financières, mais impliquent la capacité de pouvoir et la compétence pour décider librement du choix de ses projets prioritaires, des potentiels investisseurs d’accompagnement, des échanges équilibrés sur au moins une période de cinq ans renouvelables, les financements y afférents avec des paiements en monnaie locale basée sur une matière première considérée comme un équivalent général, à commencer par l’or. Or, la capacité à exploiter les ressources locales du sol, du sous-sol et du hors relève de la maîtrise du territoire, maîtrise indispensable pour réduire ou s’affranchir de la dépendance des capitaux étrangers et des conditionnalités de la servitude volontaire. C’est cette maîtrise qui contribue directement à la souveraineté monétaire et économique et à l’indépendance politique de l’État.

Mais l’affichage de volonté d’affranchissement du joug des puissances à capacité de nuisance et d’influence fortes génère de la convoitise et de la jalousie économique. La déstabilisation par des mercenaires et des groupes terroristes déguisés parfois en indépendantistes relève plus de la volonté d’empêcher toute émergence de souveraineté monétaire et économique.

Ne pas en prendre conscience avant d’entamer des projets de souveraineté monétaire dans l’espace monétaire coercitif de la zone Franc et de l’Union économique monétaire de l’Afrique de l’Ouest par exemple peut conduire à générer des pièges stratégiques qui se résument et se manifestent essentiellement par une dépendance économique et monétaire. Autrement dit, c’est une situation dans laquelle un pays n’a pas la capacité de définir ou d’imposer de manière autonome ses politiques financières, monétaires et économiques, ce parce qu’un autre Etat a choisi de trouver les voies et moyens de contrôler ou de déstabiliser les ressources du sol, du sous-sol et du hors sol.

En somme, avancer vers une souveraineté monétaire et économique sans maîtriser pleinement le potentiel et la géographie de ses ressources – qu’elles se trouvent dans le sol, le sous-sol ou le hors-sol – serait comme construire une maison posée sur des fondations ancrées dans des sables mouvants. Le contrôle et la valorisation des ressources naturelles constituent en effet l’assise indispensable à une indépendance économique réelle, permettant de financer des politiques publiques ambitieuses, de soutenir des industries locales et de renforcer la place de l’État sur la scène internationale.

Les États africains en quête de souveraineté monétaire et économique n’ont pas d’autres choix que de se réapproprier et de renforcer la maîtrise territoriale du sol, sous-sol et du hors-sol, tout en intégrant les recettes tirées de ces ressources dans une stratégie et des projets opérationnels de développement économique et monétaire autonome.

5- CONSTRUIRE LA SOUVERAINETÉ EN PRIORITE AVEC LE SUD-GLOBAL, RESPECTUEUSES DES TRAJECTOIRES DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

L’évolution des alliances internationales depuis la fin de la guerre froide a permis l’émergence de puissances militaires et économiques comme la Chine, l’Inde et la Russie, le Brésil. En moins de 30 ans, la Chine a réussi le pari de sortir plus de 800 millions de personnes de l’extrême pauvreté, soit bien plus que près de 60 % de sa population[5]. En 2025, la Chine affirme avoir vaincu la pauvreté, après avoir atteint avec dix ans d’avance l’objectif de réduction de la pauvreté fixé par l’ONU pour 2030. Cette réussite repose sur des politiques économiques ambitieuses, des investissements massifs dans les infrastructures et une forte croissance industrielle.

Xi Jinping, Secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) et Président de la République populaire de Chine a déclaré en 2021 ceci : « La direction du Parti Communiste Chinois et le système socialiste chinois sont les garanties fondamentales contre les risques, les défis et les difficultés » et que c’est « le fondement matériel construit au cours de quatre décennies de réforme et d’ouverture qui ont transformé la Chine en la deuxième économie mondiale et en une société à revenu intermédiaire », ce qui pour lui a été réalisé constitue « un miracle humain qui restera dans l’histoire ».

Une partie des formules et recettes utilisées ainsi que ce qui constitue des bonnes pratiques pourraient servir d’exemples en Afrique alors que d’ici 2050, un humain sur quatre sera africain, ce qui constitue un potentiel démographique du continent qui doit être valorisé.

Or, si entre le 15e et le 20e siècle au cours de la période esclavagiste et d’exploitation humaine par les dirigeants européens[6], la main d’œuvre africaine gratuite était « au cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques[7] ». C’est grâce à l’avance technologique et militaire et à une politique de domination et de postcolonisation que perdure au 21e siècle l’exploitation de l’Afrique.

Cette exploitation repose sur une division du monde par les pays disposant d’une capacité d’influence et de nuisance qui considèrent le sol, le sous-sol et le hors-sol africain comme un droit de préemption, sinon une propriété dont la géographie et la cartographie relèvent du « secret défense ».

Cette « antienne »  en voie de désuétude géographique[8] du sol, du sous-sol et du hors-sol, édictée par les pays occidentaux en belligérance systématique avec une direction souverainiste du continent africain, est en cours de redéfinition forcée.

Il s’agit bel et bien d’une « politique de l’inimitié[9] », où les formes modernes de domination et d’exclusion et de marginalisation de l’Afrique et de l’Africain sont une partie intégrante des enjeux géopolitiques et géoéconomiques. Cette inversion des normes où la violence finit par remplacer la loi, l’exception devient la norme, l’état de guerre et de déstabilisation en remplacement de l’état de sécurité et de l’état de liberté. Or, cette inversion des normes semble plus particulièrement appliquée à l’Afrique et aux peuples africains y compris les afrodescendants. Ne pas en prendre conscience sur le territoire africain est une erreur que les mouvements panafricanistes non infiltrés tentent de corriger.

Si l’Afrique d’aujourd’hui se retrouve au « cœur des enjeux géopolitiques et géostratégiques », c’est principalement parce qu’il est question de contrôler, de recontrôler, et de s’approprier et de réapproprier, entre autres, les ressources naturelles et minières stratégiques du continent ainsi que les recettes partielles ou totales des entreprises qui les exploitent en toute non-transparence, voire opacité.

Or, ce qui pourrait constituer une opportunité pour les uns, peut rapidement devenir un défi, voir une malédiction pour d’autres. Pourtant, si au-delà des ressources naturelles et minières, ces ressources provenant du sol, du sous-sol et du hors sol étaient localisées dans les pays non Africains qui les convoitent, personne n’aurait parlé de « malédiction », encore moins de défis, mais tous chercheraient à les valoriser comme une opportunité pour sortir la grande majorité de la population africaine de la pauvreté, à l’instar de la Chine.

Or, personne ne doit être dupe du fait que malgré des injections de capitaux et des investissements massifs de la Chine (Etat comme le secteur privé chinois) en Afrique avec des régimes où sévissent, entre autres, le népotisme, la corruption, ces efforts de la Chine peuvent conduire à une prise de contrôle des ressources africaines, une réticence à promouvoir l’industrialisation en Afrique[10], le tout souvent conjugué à une exploitation injuste des travailleurs africains, avec le consentement des dirigeants locaux. Les Etats étrangers défendent leurs intérêts. Ce sont les Etats africains qui ne s’organisent pas pour défendre les leurs de manière collective et dans des secteurs présentant des avantages comparatifs et des avantages compétitifs.

Il faut donc bien circonscrire le sujet en rappelant que la souveraineté, au sein d’une collectivité de 55 Etats-nations[11] qui composent l’Union africaine, n’attire l’attention des dirigeants du monde que sous l’angle de la convoitise et de l’appropriation unilatérale du bien d’autrui, ce souvent en toute impunité fondée sur un rapport de force asymétrique[12].

Aujourd’hui en 2025, ce ne sont donc pas les populations africaines qui font l’objet de convoitise, mais bien les ressources du sol, du sous-sol et du hors-sol ainsi que certains dirigeants africains considérés comme des acteurs convoités, sollicités dès lors qu’ils acceptent ou sont contraints de mettre la priorité sur la défense des intérêts étrangers avant l’intérêt de leurs propres populations.

Pourtant les 55 Etats de l’Union africaine doivent trouver des solutions à des défis internes, notamment :

  1. l’insécurité territoriale et le terrorisme de groupes armés de l’extérieur, des mercenaires convertis ou pas pour déstabiliser ou aider à des sécessions territoriales ici et là ;
  2. les crises d’alternances politiques pacifiques huilées par des ingérences extérieures ;
  3. la marginalisation sinon exclusion de la population aux choix des dirigeants bien ou mal élus ;
  4. les tensions culturelles et ethniques liées au découpage unilatéral des frontières africaines par des puissances coloniales ; et
  5. une extraversion de l’économie africaine trop fortement dépendante de complément budgétaire extérieur, ce qui accentue l’endettement, l’assujettissement d’investisseurs étrangers engageant, sous intimidation, de nombreux dirigeants africains dans des contrats léonins.

L’endettement et le surendettement qui en découlent du fait d’une mauvaise gouvernance sont en train de devenir une préoccupation majeure pour le retour ou maintien de la souveraineté économique de plusieurs pays africains. YEA.

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

29 mai 2025

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO

Économiste et Président de Afrocentricity Think Tank.

Illustration 2
Yves Ekoué Amaïzo

BIOGRAPHIE DU PANÉLISTE : Yves Ekoué AMAÏZO, PhD., MPhil. MBA, MA.

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO a plus de 35 ans d’expérience internationale (1 an en tant que Coordinateur de l’information financière pour Eurobank au Luxembourg, 20 ans en tant qu’Économiste et Gestion de Projet à divers titres (Préinvestissement, Stratégie, Conseils, Statistiques et réseaux d’information, Développement du Secteur Privé, etc.) auprès de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel basée à Vienne, et depuis 11 ans, Fondateur et Directeur général d’une petite société de conseil «MutAgile Limited ». Il offre des conseils à certains gouvernements et à des entreprises privées sur la gestion stratégique ainsi que des questions économiques et de management.

Il exerce aussi ses activités de plaidoyer en tant que Président et Directeur Général d’Afrocentricity Think Tank (www.afrocentricity.info). Il participe à des ateliers dans le monde et plus particulièrement auprès du patronat en Afrique.

Il a publié plusieurs livres et articles en français et en anglais et axé ses activités de partage des connaissances sur la crise financière, les économies émergentes, la gestion stratégique, l’esprit d’entreprise, la fraude financière, la perturbation technologique, l’économie des migrations et la gestion/le management de la mutabilité. Il a aussi dirigé trois (3) livres collectifs sur l’Afrique.

Il a servi au sein du Panel des personnalités éminentes de l’Union africaine et il est membre des économistes de l’Union africaine.

Il a contribué en tant que réviseur externe, réviseur des pairs et a offert en anglais des révisions écrites, des commentaires et des suggestions ou des analyses pour comme le Journal of Economics, Management and Trade, le British Journal of Economics, Management & Trade, l’Asian Journal of Sociological Research, le Journal of Economics, Business and Accounting, l’Asian Journal of Agricultural Extension, Economics & Sociology et le Russian-African Club of the Moscow State University.

Il est titulaire d’un Doctorat (PhD., Université Jean Moulin, Lyon) (1986), un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA, Université Lumière, Lyon) en Banque, Finance et Monnaie (1983), une Maîtrise en Gestion des services publics et des entreprises, Université Lumière (1982) et un Master of Business Administration (MBA), Wales University / Robert Kennedy School Zürich) sur la gestion stratégique/le Management des entreprises mondiales (2009). Quelques certificats de spécialisations sont venus compléter sa formation de base (notamment en commerce, finance/banque, industrie) …

NOTES 

[1] Le Gouriellec, S. (2024). Géopolitique de l’Afrique. Editions Que sais-je ? Paris.

[2] Wilson, S. (2025). « Monnaie en Afrique de l’Ouest : AES, FCFA, et l’incertitude autour de l’ECO ». In linvestigateurafricain.tg. 24 février 2025. Accédé le 26 mai 2025. Voir https://linvestigateurafricain.tg/monnaie-afrique-ouest-aes-fcfa-eco/

[3] Aglietta, M. et Orléan, A. (2002). La violence de la monnaie. Editions Odile Jacob : Paris. 

[4] Agbobli, A. A. (2002). Le monde et le destin des africains. Collection Interdépendance africaine. Editions L’Harmattan : Paris. 

[5] « La Chine gagne la lutte contre l’extrême pauvreté : un miracle humain de plus ». In www.chine-magazine.com. 2 mars 2021. Accédé le 19 mai 2025. Voir https://www.chine-magazine.com/la-chine-gagne-la-lutte-contre-lextreme-pauvrete-un-miracle-humain-de-plus/

[6] Plumelle-Uribe, R. A. (2001). La férocité blanche. Des non-Blancs aux non-Aryens. Génocides occultés de 1492 à nos jours. Editions Albin Michel : Paris. 

[7] Tavares, L. F. (2024). « Enjeux et défis géopolitiques d’aujourd’hui : l’Afrique au cœur du monde de demain ! ». In maroc-diplomatique.net. 23 octobre 2024. Accédé le 26 mai 2025. Voir https://maroc-diplomatique.net/enjeux-et-defis-geopolitiques-daujourdhui-lafrique-au-coeur-du-monde-de-demain/ 

[8] Ciattoni, A. et Veyret, Y. (Sous la direction de) (2024). Les fondamentaux de la géographie. Editions Armand Colin : Paris.

[9] Mbembe, A. (2018). Politiques de l’inimitié. Editions La Découverte : Paris.

[10] Oqubay, A. (2019). “Why industrialization is vital for the African Continental Free Trade Agreement to succeed”. In ODI. www.odi.org. Accessed 26 May 2025. Retrieved from https://www.odi.org/blogs/why-industrialisation-vital-africa-continental-free-trade-agreement-succeed (02.02.2021). 

[11] Union africaine (2025). “États membres”. In au.int. Accédé le 19 mai 2025. Voir https://au.int/fr/etats_membres/profiles 

[12] Amaïzo, Y. E. (2025). “Sophisme trumpiste, protexpansionnisme et l’Afrique. Imprévisibilité, ingérence, alignement, sanction, transaction, et/ou annexion ». In www.afrocentricity.info. 5 mars 2025. Dossier Afrocentricity Think Tank. Afrique – Etats-Unis. Afrocentricity Think Tank : Vienne, Autriche. Accédé le 26 mai 2025. Voir https://afrocentricity.info/2025/03/05/sophisme-trumpiste-protexpansionnisme-et-l-afrique/8603/ 

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