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Billet de blog 17 novembre 2025

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Togo- La “compétitivité inclusive”, dernier masque d’un capitalisme de rente …

Madi Djabakate, essayiste et politologue, décrypte l’annonce du premier Conseil des ministres de la Vᵉ République en matière d’« innovations majeures » censées renforcer l’orientation sociale du budget national. Simple effet d’annonce où volonté réelle de déverrouiller le carcan institutionnel pour permettre aux forces vives de s’engager dans le développement économique ? Rien d’assuré en l’état !

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Togo, Terminal de conteneurs du Port Autonome de Lomé, véritable poumon économique du Togo

TOGO : LA “COMPETITIVITE INCLUSIVE”, DERNIER MASQUE D’UN CAPITALISME DE RENTE SOUS TUTELLE POLITIQUE

Il m’a été donné de parcourir certains journaux togolais dont la « spécialité » semble désormais se limiter à recycler, sans le moindre effort critique, les éléments de langage servis par le système presque soixantenaire.

A les lire, le premier Conseil des ministres tenu sous la Vᵉ République de contrebande, réuni le 14 novembre 2015 sous la présidence de Faure Gnassingbé, aurait marqué un tournant à la fois symbolique et politique.

L’exécutif y aurait adopté trois « innovations majeures » censées renforcer l’orientation sociale du budget national et incarner la promesse d’un cycle institutionnel nouveau : modernisation économique, justice sociale, progrès partagé. Au cœur de cette rhétorique qui enfonce le togolais lambda dans le bleu, l’entrepreneuriat jeune et féminin est présenté comme l’un des moteurs de croissance les plus stratégiques du pays.

C’est précisément cette prétention réchauffée au fil des ans avec un narratif hors sujet, et ce qu’elle révèle des logiques économiques et politiques à l’œuvre, qui retient ici mon attention de politologue qui a bien envie de faire un cours d’économie politique et d’histoire des idées économiques aux présumés conseillers économiques dans l’entourage du pouvoir Faure.

Vᵉ OU IVᵉ REPUBLIQUE : LA MEME FARCE TOGOLAISE

Sous couvert d’inclusion économique, le gouvernement togolais promeut une ouverture des marchés publics aux jeunes et aux femmes. Mais loin d’annoncer une transformation structurelle, cette mesure s’inscrit dans un modèle politique fondé sur la rente, la dépendance et la reproduction systémique d’un capitalisme périphérique. À rebours des discours officiels, elle entretient un système de clientélisme qui empêche l’émergence d’un véritable capital national autonome.

LA FAÇADE MODERNISTE D’UNE TRANSFORMATION ANNONCEE

Le Togo, comme beaucoup d’États, mobilise aujourd’hui le vocabulaire séduisant de la “compétitivité inclusive”, de l’“empowerment économique” et de “l’inclusion par la commande publique”. Dans ce cadre, la réduction des droits d’enregistrement pour les jeunes entrepreneurs et les femmes est présentée comme une rupture décisive, un geste politique fort.

Mais cette mesure, largement célébrée par la communication gouvernementale, ne modifie en rien la nature profonde du système économique togolais. Elle n’en bouscule ni les hiérarchies, ni les dépendances, ni les dynamiques de reproduction.

Ce qui est présenté comme une innovation n’est en réalité qu’une modernisation procédurale : un ajustement périphérique, nullement une transformation structurelle.

LE MYTHE DU MARCHE PUBLIC COMME VECTEUR DE DEVELOPPEMENT

À l’échelle du développement, la commande publique n’est pas un moteur : c’est un outil administratif, et souvent un facteur de dépendance. Penser que l’on peut construire une économie nationale en distribuant des contrats revient à confondre distribution de rente et construction de capacités productives.

Cette confusion n’est pas innocente. Elle permet au gouvernement de Faure de maintenir un contrôle vertical sur l’allocation des ressources, tout en projetant l’image d’une modernisation économique. Le marché public devient ainsi une fiction politique, un instrument de légitimation plutôt qu’un levier de transformation.

Dans cette logique, la “compétitivité inclusive” n’est qu’un slogan. Elle prétend résoudre les inégalités par l’accès aux procédures, alors que les inégalités sont produites par la structure même du système économique : un appareil orienté vers l’importation, dépendant des bailleurs, et dépourvu de stratégie industrielle.

LEÇONS VENUES DU NIGERIA : COMMENT SE CONSTRUIT UN CAPITALISME AUTONOME

L’exemple d’Aliko Dangote est souvent cité comme l’illustration du capitalisme africain triomphant. Mais on oublie trop souvent que Dangote ne doit pas sa stature à la commande publique. Il doit son ascension à une politique nationale cohérente : protection du marché intérieur, soutien à l’industrialisation, investissements massifs dans l’outil de production et orientation vers l’exportation.

Le Nigeria n’a pas construit Dangote avec des appels d’offres biaisées ou gré à gré, mais avec une stratégie d’État visant à créer un capitalisme national capable de s’émanciper de la dépendance extérieure.

C’est exactement ce qui manque au Togo : une vision industrielle différente de celle d’Adetikope, une stratégie de souveraineté productive qui ne se contente pas d’enrichir les agents de l’Etat tout en appauvrissant les entrepreneurs, et un projet politique qui dépasse la simple distribution de rentes administratives à des soutiens du parti UNI(2R)PT.

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Togo, Communiqué du Conseil des ministres du vendredi 14 novembre 2025, publié sur compte X Présidence du conseil du Togo, consulté le 17 novembre 2025, voir : https://x.com/presidencecstg, capture d’écran 2025.11.17-a-14.31.10

CLIENTELISME ET LOYAUTE POLITIQUE : LE VERITABLE MECANISME A L’ŒUVRE

Au Togo, les marchés publics ne sont pas un espace neutre. Ils constituent l’un des principaux instruments de consolidation du pouvoir. Loin de favoriser les jeunes, les femmes ou les entrepreneurs méritants, ils servent à stabiliser un système politique où l’accès aux opportunités dépend de la loyauté, de la proximité et de la docilité.

Il ne s’agit pas d’une défaillance du système : il s’agit de son principe même. Dans un État où la rente remplace l’accumulation productive, où l’importation tient lieu de politique économique, et où la dépendance extérieure organise les hiérarchies internes, le clientélisme n’est pas un accident. C’est un mode de gouvernance.

Cette réalité invalide d’emblée toute promesse d’inclusion véritable. Car dans un système clientéliste, ce ne sont jamais les plus compétents qui émergent, mais les plus alignés.

 UN PAYS ENFERME DANS LES LOGIQUES DE LA PERIPHERIE

Les économies périphériques ne peuvent pas se transformer tant qu’elles restent prisonnières d’un capitalisme extraverti, tourné vers la consommation de produits importés et incapable de produire sa propre base industrielle.

Le Togo incarne parfaitement cette dynamique. Le pays importe, revend, redistribue, mais ne produit pas. Il accueille des flux financiers sans construire des capacités endogènes. Il modernise ses procédures tout en maintenant une structure économique dépendante et vulnérable.

Dans cette configuration, la commande publique devient ce que Samir Amin appelait un “faux moteur de croissance” : un mécanisme de circulation interne de ressources sans création réelle de valeur.

LA “COMPETITIVITE INCLUSIVE” : UN RECIT QUI MASQUE UNE STAGNATION

L’inclusion n’est pas synonyme de développement. Une économie peut être inclusive dans ses procédures et profondément inégalitaire dans ses effets. Elle peut faciliter l’accès à des formulaires tout en verrouillant l’accès à la richesse.

C’est exactement ce qui se joue au Togo aujourd’hui : une inclusion formelle qui masque une exclusion réelle.

Illustration 3
Togo, Corruption endémique, Palmarès des Crimes économiques sous Faurevi, corruption dans la gouvernance des sociétés d'Etat, Dessin de Donisen Donald, Liberte © Donisen Donald

 SORTIR DE LA DEPENDANCE, ROMPRE AVEC LA RENTE, RECONQUERIR LA SOUVERAINETE

Rien ne changera tant que le pays continuera à confondre accès à des contrats administratifs et émergence d’un secteur productif. Rien ne changera tant qu’aucune politique industrielle n’aura été formulée, assumée, financée et protégée.

L’urgence est claire : reconstruire une vision industrielle ; soutenir l’investissement productif national ; rompre avec les logiques de rente ; dépolitiser l’accès aux marchés ; orienter l’économie vers l’exportation et non vers la redistribution interne.

Sans cela, la “compétitivité inclusive” restera un slogan destiné à embellir un paysage économique inchangé et en dégringolade. Le Togo continuera d’alimenter un capitalisme de dépendance, incapable de répondre aux défis de souveraineté économique et de développement réel.

Madi Djabakate

(Papa Khadidja)

Citoyen Engagé pour un Comportement Ethique et un Leadership Moral au Togo

16 novembre 2025

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