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BRICS+ : UNE ALTERNATIVE TEMPORAIRE DE PUISSANCE
POUR LES PAYS À CAPACITÉ D’INFLUENCE FAIBLE
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO[1]
SOMMAIRE
DEUXIÈME PARTIE
5- Prise de décision au sein du BRICS+ élargi : véto ou majorité qualifiée ?
6- Les manquements du BRICS+ : institutionnalisation de l’oubli ?
7- Influence grandissante du BRICS+ dans la création de richesses mondiales
8- BRICS+ : du retournement du monde et mutabilité des peuples « sans voix »
DEUXIÈME PARTIE
5- PRISE DE DÉCISION AU SEIN DU BRICS+ ELARGI : VÉTO OU MAJORITÉ QUALIFIÉE ?
Sur un autre plan, toutes avancées notables sur l’accroissement du rôle des BRICS+ dans le système monétaire et financier international et la promotion des règlements des échanges entre les Etats-membres du BRICS+ en monnaies nationales dans les échanges intra-BRICS+, et s’affranchissant du dollar américain pourront être considérées comme un pas décisif vers la souveraineté monétaire et financière des pays défendant leur souveraineté, plus particulièrement via une coopération interbancaire hors système occidental SWIFT.
Bref, et puisque les décisions au sein des BRICS+ se prennent sur la base d’un consensus ou d’une unanimité cachant difficilement le droit de véto accordé à chaque Etat membre, tout élargissement devra nécessairement introduire une dose de décision prise à la majorité « qualifiée » si les Etats membres du BRICS+ élargi ne veulent pas « scléroser » cette organisation en restant prisonniers du véto d’un seul Etat contre la position de tous les autres membres.
Aussi, le bilan de la présidence de Vladimir Putin sera en définitive jugée sur les avancées en termes de transparence sur les critères d’adhésion au BRICS+, qui dépend grandement de la perception et des intérêts défendus par chacun des 10 membres actuels des BRICS+ sur les considérations suivantes (liste non exhaustive) :
- le poids démographique, politique, et économique ;
- le positionnement de l’Etat, placé non seulement dans sa région, mais aussi au plan international notamment dans les institutions multilatérales ;
- une adhésion sans ambiguïté et un soutien aux principes de multipolarité et d’augmentation du poids du Sud global, et plus particulièrement des pays émergents et des pays à influence faible dans la gouvernance mondiale ;
- un attachement clair à l’esprit de solidarité et de souveraineté ainsi qu'aux valeurs fondamentales des BRICS+, notamment l’inclusivité, l'égalité, le respect mutuel, l’ouverture, et toutes les formes de coopération constructive.
6- LES MANQUEMENTS DU BRICS+ : INSTITUTIONNALISATION DE L’OUBLI ?
Malheureusement, le respect des droits humains et des Peuples, la liberté d’expression ou encore le droit à l’autodétermination des Peuples à choisir librement et sans coercition leurs dirigeants, ne figurent pas « encore » sur l’agenda.
Autrement dit, les Etats membres du BRICS+ et vraisemblablement élargi, risquent de prioriser les relations d’Etat à Etat, en négligeant voire rejetant l’inclusion des Organisations de la société civile indépendantes, à savoir quand elles ne sont pas instrumentalisées. Or, l’un des mandats fondamentaux du BRICS+ consiste en l’affirmation d’alliances stratégiques alternatives à celles de l’OTAN et du G7, tout en faisant une démonstration de force du poids grandissant aux plans, politique, économique, monétaire et diplomatique sur la scène internationale.
Il s’agit bien d’équilibrer les rapports de force qui sévissent au plan mondial et qui ramènent de nombreux pays dans le « giron » de l’alignement, voire la servitude, volontaire ou pas. Au-delà du non-alignement, il s’agit d’une mutabilité des rapports de force entre le Nord global et non unilatéralisme implicite, et le Sud global et sa recherche d’une souveraineté retrouvée dans un monde interdépendant. Cette complexité a conduit certains à verser dans le manichéisme en opposant sans nuances les deux blocs, l’OTAN/G7/Union européenne d’un côté et les BRICS+/OCS/pays à faible capacité d’influence de l’autre.
Or en définitive, le pouvoir appartient en principe aux Peuples. Les manquements du BRICS+ excluent souvent la voix des peuples qui peinent à s’organiser dans les pays à capacité d’influence faible sur la scène internationale, mais qui sont régis par un pouvoir autocratique, voire dictatorial, sur leur scène nationale. Alors, est-ce que les dirigeants du BRICS+ vont institutionnaliser l’oubli de l’inclusivité effective des citoyens, des peuples et des organisations de la société civile ?
Compte tenu du format basé sur les relations d’Etat à Etat, il est actuellement difficile d’envisager un Sommet « indépendant » des organisations indépendantes de la société civile émanant des BRICS+, élargi ou pas. Pourtant, non seulement la voix des « en bas - d’en bas » viendrait corriger certaines affirmations des dirigeants d’Etat dits « forts » surtout lorsque les institutions fortes de ces pays sont condamnées à survivre en tant qu’institutions alignées sur le pouvoir, à l’aune de la non-séparation des pouvoirs. Assurément, la définition de la démocratie basée sur la vérité des urnes est à géométrie variable dans les Etats du BRICS+.
Pourtant, il faudra bien trouver un moyen pour rendre effective l’inclusivité des citoyens et des Peuples afin que le droit de ces Peuples soit respecté d’abord au plan national, avant de chercher à en en devenir des « agitateurs » au plan international. Autrement dit, il faudrait que le droit à l’autodétermination d’un Etat à jouir de son indépendance et sa liberté corresponde aussi dans le pays et au niveau national et régional, au droit à l’autodétermination du citoyen et collectivement d’un Peuple, à jouir de son indépendance et sa liberté.
Manifestement sur ce chapitre, la route de la soie ne fait pas dans le velours. Mais rien n’est impossible. Il faut de la volonté politique et laisser s’exprimer –en tant que forces de proposition potentielles– les organisations de la société civile des pays émergents et ceux à capacité d’influence faible. Il faut donc du courage politique aux dirigeants des BRICS. YEA
7- INFLUENCE GRANDISSANTE DU BRICS+ DANS LA CRÉATION DE RICHESSES MONDIALES
Avec une part de la richesse mondiale mesurée en produit intérieur brut (PIB) mondial projetée à 36,7 % et une croissance économique projetée à 4,4 % en 2024-2025, les 10 pays membres du BRICS élargi, dit BRICS+, (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran et les Émirats Arabes Unis) ont une croissance 2,6 fois supérieure à celle des pays du G7 qui atteignent difficilement les 1,7 %[2]. Les cinq derniers membres ont été admis officiellement le 1er janvier 2024. L’Argentine admise au BRICS+, a choisi avec le nouveau gouvernement d’extrême droite du Président Javier Milei élu en novembre 2023[3], de quitter les BRICS+. L’ensemble de la philosophie sous-jacente aux BRICS est d’abord de constituer un groupe puissant, dynamique et alternatif au G7 et à l’OTAN, afin de constituer une nouvelle dynamique économique, sociale et de droit international au plan mondial autour des principaux pays émergents, rencontrant des difficultés avec l’unilatéralisme des dirigeants des pays occidentaux.
La réalité est que les dirigeants des pays du BRICS+ ont graduellement gagné en crédibilité et en influence sur plusieurs plans, notamment le respect du droit international accepté au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Les dirigeants du BRICS+ renforcent ainsi les approches multipolaires et multilatérales fondées sur la négociation aux dépens des approches unilatérales fondées sur le rapport de force et de pouvoir. Autrement dit, la crédibilité a contribué à renforcer l’influence des pays du BRICS dans les échanges mondiaux, mais aussi dans les domaines ou secteurs aussi stratégiques comme le respect des pays à influence faible[4] qui sont principalement des pays faiblement industrialisés[5], en termes d’infrastructures, d’énergies, de pouvoir d’achat et même de modalités de paiement en monnaie locale, sans aucune possibilité de sanctions discrétionnaires, voire de blocage unilatéral des transactions sur la base de décisions unilatérales prises en dehors ou à côté des règles de droit international.
Il est indéniable que les dirigeants des BRICS+ gagnent en influence grâce à l’organisation d’un monde parallèle hors influence de l’OTAN, qui s’amenuise au gré des multiples actes de non-respect du droit international et des multiples contournements des décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, sous l’influence des dirigeants du G7. Avec l’augmentation de la part des pays du BRICS+ dans la création de la richesse mondiale (PIB mondial), en moins de 15 ans, le monde a assisté, sans y croire, à la perte d’influence graduelle y compris aux plans économiques, technologiques, financiers et de respect des engagements pris, des pays du G7 et de ceux de l’OTAN. Une nouvelle attraction vers un monde basé sur des valeurs communes qui ne sont pas nécessairement les valeurs occidentales se fait jour. Les pays à influence faible[6] ont compris qu’un choix est indispensable, où à défaut, une prise de conscience doit conduire à asseoir ce choix sur des bases démocratiques issues de la vérité des urnes.
8- BRICS+ : DU RETOURNEMENT DU MONDE ET MUTABILITÉ DES PEUPLES « SANS VOIX »
Il n’est donc pas question d’une simple évolution mais d’une mutation fondamentale du monde coupé globalement en deux : ceux qui mettent en priorité la souveraineté de leur peuple en sachant que leur souveraineté s’arrête là où démarre celle des autres peuples. Or, tout le système occidental, de par son histoire d’agression des autres parties du monde pour la défense de ses propres intérêts, a du mal à comprendre ce retournement du monde[7].
Ce retournement du monde est de quatre ordres :
- la perte d’influence des Etats occidentaux surpris par le questionnement de leur unilatéralisme du fait du constat transversal de leur refus systématique de respecter la souveraineté de Etats à influence faible ;
- la perte d’influence d’Etats souverains face à la puissance de plus en plus prégnante des sociétés privées multi et transnationales dans les rapports de force mondiaux ;
- l’incapacité des pays occidentaux dans l’histoire à améliorer le sort des populations dans les pays pauvres à influence faible en les maintenant dans la pauvreté, obligeant la jeunesse de ces pays à l’émigration du fait du soutien quasi systématique explicite ou implicite à des dirigeants dictatoriaux dans ces pays à influence faible ; et
- l’institutionnalisation des allégeances, voire des servitudes, envers les pays du G7 et de l’OTAN avec en filigrane la déconstruction de l’Etat, la déstabilisation des institutions fortes, la dénaturation des résultats électoraux et leur légitimation en sachant qu’il n’y a pas de vérité des urnes, et surtout la réorientation des comptes publics des Etats à influence faible vers les intérêts des pays et sociétés multinationales ou transnationales à influence forte, ce au détriment de la vérité des comptes publics et donc de l’intérêt des peuples dans les pays à influence faible, notamment dans les pays classés parmi ceux du Sud Global ;
- la priorisation des urgences et des défis mondiaux en fonction des intérêts des pays du G7 et de l’OTAN, surtout lorsque ces derniers refusent de contribuer de manière significative au financement de la réparation des dégâts causés par leurs actes posés par le passé dans le domaine de l’environnement, de la préservation de la biodiversité et des changements climatiques.
La résultante du retournement du monde s’apparente à un désordre organisé avec la fragmentation et la désagrégation de toutes alternatives remettant la citoyenne et le citoyen au centre. Dans les pays du Nord global comme ceux du Sud global, cela se traduit par la difficulté à ce que le système de représentation, démocratique ou pas, fasse émerger la volonté du Peuple souverain.
Les modes de régulation y compris ceux dits démocratiques rencontrent des dysfonctionnements importants au point de cliver la société. Une polarisation vers les extrémismes de tous ordres est en gestation, ce qui se traduit par la montée des partis d’extrême-droite dans les pays dits démocratiques, et la contestation des gouvernances centralisées où la voix du peuple et sa réelle volonté, n’arrivent plus à trouver leur traduction dans les décisions et les actes pris au sommet.
L’approche du bas vers le haut est devenue une urgence pour tous. Le laxisme produit par les allégeances et l'atomisation, voire l’uniformisation des positionnements des chancelleries occidentales dans les pays à influence faible, a eu pour conséquence la fragmentation de l’unité nationale et la valorisation des militaires comme le cadre privilégié pour museler les initiatives démocratiques et pacifiques nationales dans les pays à influence faible. C’est donc ce processus régulier, systématique, financé souvent de l’extérieur et s’appuyant sur des ressources humaines locales trahissant le pouvoir souverain du Peuple qui conduit à la fragmentation systématique des initiatives alternatives. Le corollaire de cette fragmentation dans ces pays est un processus de désagrégation sans fin de l’Etat, à l’opposé des principes d’une démocratie qui a besoin d’institutions fortes, démocratiques et bénéficiant de la séparation des pouvoirs.
Le retournement du monde, grâce aux alliances stratégiques au sein des BRICS+ élargi, risque de générer une mutabilité des peuples sans voix, et peut-être une déflagration nationale au sein des Etats à capacité d’influence faible. En effet, les injustices que subissent les citoyens auront de plus en plus de difficultés à survivre à la souveraineté des peuples, Africains en particulier. La volonté de ces peuples « sans voix » au sein du BRICS+ –de s’émanciper de nombreux autocrates qui les gouvernent et se sont spécialisés dans l’accaparement des biens et l’organisation en bandes organisées avec des intérêts étrangers–, risque de surprendre lors de son « explosion ». Le fond du problème est que nul ne peut empêcher durablement toute stratégie de rééquilibre dans la gestion des fruits de la croissance et la distribution du savoir et des technologies. Les dirigeants africains, francophones en particulier, semblent l’avoir oublié. Des pays comme le Cameroun, le Togo, le Tchad, la Guinée, les Comores, la Tunisie et même le Nigéria ne sont pas à l’abri de la remontée des frustrations collectives agglomérées. YEA.
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE
20 octobre 2024.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur général, Afrocentricity Think Tank
© Afrocentricity Think Tank
NOTES
[1] L’auteur tient à remercier sincèrement François Fabregat pour ses précieuses contributions et son travail éditorial. Ma responsabilité demeure engagée pour toutes erreurs ou oublis qui auraient pu échapper à mon attention.
[2] BitcoinNews (2024). « Les nations BRICS prévues pour une croissance de 4,4 % en 2024-2025, surpassant les économies du G7 ». In news.bitcoin.com/fr. Accédé le 12 octobre 2024. Voir https://news.bitcoin.com/fr/les-nations-brics-prevues-pour-une-croissance-de-4-4-en-2024-2025-surpassant-les-economies-du-g7/
[3] CNEWS (2024). « Brics+ : voici les 10 pays membres ». In www.cnews.fr. 8 septembre 2024. Accédé le 10 0ctobre 2024. Voir https://www.cnews.fr/monde/2024-09-08/brics-voici-les-10-pays-membres-1552965
[4] Amaïzo, Y. E. (2023). « Mutation dans les relations géopolitiques africaines pour un partenariat stratégique multipolaire ». In www.afrocentricity.info. 1 février 2023. Accédé le 12 octobre 2024. Voir https://afrocentricity.info/2023/02/01/mutation-dans-les-relations-geopolitiques-africaines-pour-un-partenariat-strategique-multipolaire/7334/
[5] Amaïzo, Y. E. (1998). « PMA (Pays les moins avancés » ou PFI ? Les pays faiblement industrialisés : la globalisation par défaut ». Accédé le 12 octobre 2024. Voir https://amaizo.info/files/2001/05/pma-ou-pfi-1.pdf
[6] Amaïzo, Y. E. (1980). De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation. Une Chance pour l’Afrique ? Editions l’Harmattan : Paris.
[7] Badie, B. et Smouts, M.-C. (1999). Le retournement du monde: Sociologie de la scène internationale. 3e édition. Editions Dalloz-Sirey : Paris.