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Billet de blog 21 octobre 2024

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BRICS+ : Une alternative de puissance pour les pays à capacité d’influence faible [3]

Du 22 au 24 octobre 2024 la Russie accueille à Kazan le 16e sommet des BRICS+, actuellement composé de dix pays, cinq États ayant rejoint le groupe en 2024 au sommet de Johannesburg. Yves Ekoué AMAÏZO, DG d’Afrocentricity Think Tank, analyse les enjeux du sommet de Kazan et projette les perspectives d’alternative de puissance pour les pays à faible capacité d’influence, notamment en Afrique.

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Illustration 1
BRICS+

BRICS+ : UNE ALTERNATIVE TEMPORAIRE DE PUISSANCE

POUR LES PAYS À CAPACITÉ D’INFLUENCE FAIBLE

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO[1]

SOMMAIRE

TROISIÈME PARTIE

9- BRICS+ : gagnant-gagnant ou donnant-donnant ?

10- De l’arrogance institutionnalisée au respect mutuel : la fin des humiliations ?

11- « Adhésion » au BRICS+ de la Turquie et coût pour les pays à capacité d’influence faible

12- Des besoins de souveraineté non négociables

13- Conclusion : en finir avec la myopie stratégique : stopper l’approche en rangs dispersés des dirigeants africains 

TROISIÈME PARTIE

9- BRICS+ : GAGNANT-GAGNANT OU DONNANT-DONNANT ?

Avec la multiplication des conflits internationaux et du terrorisme intérieur et extérieur s’invitant dans l’économie de proximité, les modes de régulation coutumiers et/ou traditionnels fonctionnent mal et ne répondent plus aux défis des enjeux de puissance.

La souveraineté des pays à influence faible est systématiquement entravée. Les individus les plus conscients, militaires ou pas, ont décidé de s’organiser, démocratiquement ou pas, pour reconquérir cette souveraineté que le monde occidental a grandement contribué à faire disparaître en faisant croire que la souveraineté n’était légitime que si cela devait émaner et profiter à un pays à influence forte. Or, cette approche est en train de se retourner contre les pays occidentaux sur trois plans :

  • le fait d’avoir sous-estimé l’émergence effective des pays du BRICS+ et des pays nombreux qui participent ou vont participer à l’Alliance des BRICS+ comme nouveau pôle de croissance économique, de partenariat « donnant-donnant[2]», synonyme de « gagnant-gagnant » ;
  • le fait d’avoir sous-estimé ou négligé les conséquences du non-respect des dirigeants et des peuples des pays à influence faible, notamment par l’arrogance[3], l’impertinence, la non-prise en compte des propositions provenant des PIF, en les réduisant à des simples entités de subordination ou d’assistanat avec l’essentiel de la dite « aide » au développement retournant vers les pays à influence forte.
  • l’arrogance des pays à influence forte est en train de subir un coup d’arrêt brutal dans un monde multipolaire des BRICS+ en pleine expansion.

Or, les BRICS+ n’accordent aucun poids aux sociétés civiles. Les BRICS+ ne prennent en compte que les rapports d’Etat à Etat, ce qui restreint considérablement leur capacité à pérenniser leurs actions auprès des Peuples africains, voire à convaincre ces derniers qu’il s’agit d’un partenariat « gagnant-gagnant ». Il y a donc aussi une forme d’arrogance des dirigeants des BRICS+ envers les organisations de la société civile indépendante.  En effet, la propagande et l’utilisation des médias ou des réseaux sociaux comme source de diffusion d’une pensée alternative à celle du monde occidental va rapidement trouver ses limites sur le terrain avec l’approche « donnant-donnant » des BRICS+. Une correction stratégique s’impose !

10- DE L’ARROGANCE INSTITUTIONNALISÉE AU RESPECT MUTUEL : LA FIN DES HUMILIATIONS ?

Les exigences d'une médiatisation permanente ont favorisé une approche de l’individualisme selon les sociétés néo-libérales au point de croire que ce qui est rendu visible, ce qui est affiché, etc. a valorisé l’Avoir et son corolaire le Paraître, au détriment de l’Être. Cette approche a favorisé l’approche dite de la compétition permanente au point que la finalité de l’image projetée dans les pays à capacité d’influence faible se résume à se comparer à celui qui « a » plus que les autres. Cette approche matérielle favorise la conception d’un individu qui a besoin de « dominer », d’être brutal, ce qui finit par valoriser le principe de l’arrogance. Cette arrogance occidentale[4], héritée de la partie la plus riche du monde occidental, a entrainé un ruissellement par mimétisme, dans les sociétés des pays à influence faible qui la subissent. C’est ainsi que souvent, dissimulés derrière une rhétorique de rupture ou de faux panafricanisme, certains dirigeants africains ou du Sud global se sont érigés en de véritables commis, dont le fonds de commerce consiste à importer des modèles de développement, des Constitutions, des formes de démocratie représentative occidentales[5]. Ce mimétisme, qui est à l’origine de nombreux traumatismes politiques, humains, économiques, juridiques et sociaux, est facteur de désordre et de déstabilisation en Afrique. Il n’est donc pas question que ce mimétisme perdure sous couvert de changement de « partenaires » qui, bien que choisis au sein des BRICS+, pourrait également générer des formes alternatives d’une arrogance sapant la confiance du groupe.

Or, l’arrogance occidentale, telle que perçue par les Africains, se pratique en réseau au point de générer paradoxalement l’arrogance institutionnelle, notamment celle de certaines institutions internationales, de leurs représentants, mais aussi des institutions régionales et nationales, tant dans le Nord global que dans le Sud global. L’arrogance se caractérise par un instinct à la domination, à la brutalité pour imposer des points de vue.  Rapidement ces méthodes non pacifiques et non démocratiques conduisent à imposer le maintien à la tête des Etats, de pouvoirs autocratiques et de dictateurs dans les pays à influence faible, en Afrique en particulier. L’exemple du Togo, où règne la même famille depuis 1967, soutenue par les chancelleries occidentales, devrait servir d’exemple. Il ne faut pas s’étonner que l’arrogance cache et dissimule la réalité de « l’abus de pouvoir », de l’arbitraire et du « non-respect des décisions de justice[6] » émanant de la Cour de Justice internationale ou plus modestement celle de la Cour de Justice de la CEDEAO pour l’Afrique de l’Ouest. Le non-respect des règles internationales ne peut servir d’alibi pour ceux qui considèrent, unilatéralement, qu’il s’agit d’une nouvelle « normalité » des Etats, groupes de pression ou sociétés à influence forte.

L’arrogance est contagieuse et sans remèdes simples. En effet, le mode d'institutionnalisation de l’arrogance a eu comme résultante, le non-respect des dirigeants des pays à capacité d’influence faible par les dirigeants des pays à influence forte. Au point que les premiers, conscients et non-alignés sur les derniers, ont compris qu’il n’y a plus grand-chose à attendre de ceux qui les ont conduits à se retrouver dans une situation de pauvreté, d’humiliation, de refus d’industrialisation et de création d’emplois en Afrique qui permettrait d’assurer l’avenir pérenne de leur jeunesse et par voie de conséquence juguler les immigrations dont les pays occidentaux se plaignent. Alors, l’alternative, même temporaire avec des partenaires non-intrusifs en termes d’ingérence dans les affaires intérieures des pays à capacité d’influence faible, se résume à se rapprocher des dirigeants des pays des BRICS+. Malgré les injonctions contraires et les intimidations explicites ou implicites des dirigeants du G7 et de l’OTAN, cette option, à savoir se rapprocher du BRICS+, se présente plus comme une obligation pour certains dirigeants africains, en mal de vérité des urnes au plan national.

Or, les organisations de la société civile indépendantes, qui ne sont pas écoutées par les dirigeants du BRICS pour le moment, ne le sont pas non plus par les dirigeants du G7 et de l’OTAN, quand ces dernières ne sont pas instrumentalisées de part et d’autre.

Face aux ruptures, les pays à influence faible sont en mode mutation et recomposition. Or, ces recompositions ne sont pas linéaires et s’opèrent de manière dynamique et contradictoire dans le cadre d’un rapport de force et de puissance multifacettes, dans lequel interviennent les acteurs puissants comme l’Etat, les entreprises transnationales et locales, les groupes terroristes et mafieux, les groupes ésotériques et religieux, les organisations de la société civile internationales ou locales, de simples citoyens, en rupture ou pas, etc. Le retournement du monde s’apparente alors à une forme d’entrecroisement de plusieurs espaces, de plusieurs mondes et de plusieurs cultures. Cette mutation intervenant dans un contexte de situation potentiellement explosive pourrait s’opérer dans le cadre de conflits militaires et commerciaux asymétriques. C’est pour cela que la notion de « mutabilité » doit se comprendre comme une forme d’attraction-polarisation vers :

  • le respect des conventions juridiques non léonines passées ;
  • le réajustement de l’approche « donnant-donnant » dans les domaines sécuritaires et économiques et du commerce mondial au service des peuples et non plus uniquement au service des dirigeants des Etats ;
  • la reconsidération de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des uns et des autres sauf dans le cas des abus sur le droit de citoyens et des Peuples pouvant dégénérer en crimes contre l’humanité et génocide ;
  • le respect réciproque de la dignité humaine ; et enfin
  • l’accès au savoir, à la technologie et aux pôles de croissance, économiques, technologiques.

Ce sont ces imaginaires non satisfaits après plus d’un demi-siècle de relations décevantes avec le G7 et l’OTAN qui a augmenté l’attrait des pays à capacité d’influence faible, africains en particulier, et plus largement tous les pays non-alignés sur l’Occident, à opter pour une participation -vraisemblablement temporaire- à un espace élargi du BRICS+ où les décisions se prennent en tenant compte aussi de la voix de la minorité.

En offrant une alternative aux pays à faible capacité d’influence, voire même de permettre aux pays émergents au sein du BRICS+ élargi d’avoir une alternative à l’arrogance institutionnalisée, les dirigeants du BRICS+ pourraient sonner la fin des humiliations des dirigeants et des Peuples du Sud global grâce à la « matérialisation » du respect mutuel.

11- « ADHÉSION » AU BRICS+ DE LA TURQUIE ET COÛT POUR LES PAYS À CAPACITÉ D’INFLUENCE FAIBLE

Pour un pays à faible capacité d’influence notamment en Afrique il y a un coût politique, économique et financier pour accéder au BRICS+. Pour cela, il faudra prendre exemple sur la Turquie, un pays émergent. Depuis 2023, la Turquie, sous l’actuel Président Recep Tayyip Erdogan, s’est hissée au rang de cinquième (5e) partenaire commercial de l'Union européenne avec 4,1 % du total des échanges de marchandises de l'UE avec le monde[7]. Les sanctions unilatérales occidentales contre les exportations russes ont renforcé le rôle de la Turquie comme un point de passage indispensable de l’alimentation de l’Union européenne en énergie, notamment le gaz.

Dans un geste significatif qui pourrait remodeler ses alliances internationales, la Turquie a officiellement demandé à rejoindre le groupe BRICS, une coalition économique comprenant le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Cette candidature témoigne de l'intention d'Ankara de diversifier sa politique étrangère et ses partenariats économiques dans le contexte d'une dynamique mondiale en pleine mutation.

La situation géostratégique de la Turquie, pierre angulaire entre l'Europe, l'Asie, et le Moyen-Orient est celle d’une puissance émergente, ce qui représente un atout précieux pour le renforcement du groupe des BRICS+. Dans le cadre d’une stratégie de diversification de ses partenaires afin de mieux affirmer sa souveraineté et son indépendance dans un monde où l’alignement sur les grandes puissances devient la règle et non l’exception, la Turquie a demandé l'adhésion aux BRICS+[8]. Elle passerait d’une relation complexe empreinte de méfiance réciproque avec l’OTAN et les dirigeants du G7 à une relation non moins complexe avec les dirigeants du BRICS+.

La coopération en dehors de l’espace transatlantique de l’OTAN ne peut devenir une prison à ciel ouvert impliquant une pensée unique néolibérale. La diversification économique avec une ouverture vers des nouveaux marchés et des opportunités de progrès rapide en matière d’accès à des technologies, la réalisation d’infrastructures dans le cadre de la route de la soie, et même une coopération renforcée dans le domaine de l’énergie, source de réduction des coûts de facteurs et de compétitivité, semblent l’emporter sur les injonctions et potentielles sanctions occidentales contre les pays membres de l’OTAN ou de l’Alliance de l’OTAN qui souhaitent rejoindre d’autres alliances telles que les BRICS+. Mais en filigrane, il s’agit aussi pour les autorités turques de mieux se positionner dans leurs conquêtes diplomatiques des marchés africains.

La position de la Turquie sur :

  • les questions d’ingérence de l’Occident dans les affaires intérieures des autres pays faiblement influents sur :
  • la sécurité et le terrorisme importé en Afrique ;
  • la déstabilisation de l’Afrique pour accéder aux importantes ressources du sous-sol, du sol et de la mer ;
  • l’instrumentalisation de la défense des droits humains ; et plus largement
  • la vente d’armes des Occidentaux notamment les États-Unis et l'Union européenne directement ou indirectement qui servent à l’instrumentalisation du soutien aux autocrates africains permettant d’huiler la mécanique de l’immigration,

sont autant de points de convergence avec les dirigeants du BRICS+. Si cette alliance alternative avec les BRICS+ devenait une réalité, non seulement les intérêts nationaux de la Turquie en sortiraient renforcés, mais encore faudrait-il que le système décisionnel des dirigeants du BRICS+ basé sur l’unanimité des approbations sur le pays coopté puisse se réaliser. Or, la Turquie n’a pas que des « amis » au sein des BRICS+.  Mais, il y a des voies prépondérantes qui ont intérêt à pousser pour que la Turquie rejoigne les BRICS+, notamment la Russie et la Chine.

Le processus de candidature devrait être complexe, puisque l’adhésion de la Turquie doit obtenir l'approbation de tous les membres actuels des BRICS, pour que son adhésion au BRICS+ soit acceptée au cours du 16e sommet des BRICS entre le 22 et le 24 octobre 2024 dans la ville russe de Kazan, dans la République du Tatarstan, l’une des républiques membres de la Fédération de Russie et dirigée par son Président, Roustam Minnikhanov[9].

Ce sommet devrait ouvrir la voie à une véritable « mutabilité » dans les relations géostratégiques, géopolitiques et géoéconomiques du monde avec une inversion des pôles d’attraction des échanges mondiaux, mais surtout à une accélération de la perte de crédibilité de l’OTAN qui ne résout les problèmes du monde que par les bombardements et la déstabilisation, refusant au passage d’écouter les positions africaines.

Au plan du « scoop » informationnel, ce sera une première si la Turquie, pays membre de l’OTAN devient aussi un membre des BRICS+. Le rôle de la Turquie pourrait alors évoluer vers celui d’une force « tampon », –certainement pas neutre–, qui se substituerait graduellement ici et là dans les conflits ouverts entre les membres de l’OTAN et ceux des BRICS aux Nations Unies, actuellement neutralisées en termes de décision consensuelle, de financement et d’opérationnalité. Mais rien n’est moins sûr sur la volonté de l’OTAN de conserver la Turquie, à moins de la faire passer du statut de « membre à part entière » à « membre entièrement à part ».

L’adhésion partielle ou totale de la Turquie au groupe BRICS+ élargi devrait compromettre sa position équivoque au sein de l'OTAN, voire même la faire passer du statut de partenaire et d’allié à celui d’adversaire et de traitre, voire d’espion. Une situation inconfortable tant au sein de l’OTAN que du Groupe BRICS+.  Une clarification s’impose sauf si le degré d’adhésion est modulé en fonction des modalités de coopération. La position ambivalente de l’Occident sur le soutien à apporter au « séparatisme kurde » ou autre en général en Turquie pourrait alors ressurgir en défaveur de la Turquie. Il y a donc bien un risque calculé de la Turquie d’adhérer au BRICS+ élargi.

Pour les pays africains, considérés pour la plupart comme des pays à capacité d’influence faible y compris le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Maroc ou l’Algérie, la question est double : en cas de non adhésion au BRICS+, faut-il continuer à agir dans le cadre d’une part, de l’Alliance de l’OTAN, ou de l’Alliance des BRICS+ ou encore se positionner comme la Turquie pour faire partie concomitamment de ces deux alliances qui demeurent des « nébuleuses » qui gagneraient à œuvrer pour une plus grande transparence.  Or, c’est encore le besoin de souveraineté qui autorise à croire que la confiance entre les membres du BRICS+ sera résiliente, car l’urgence de la souveraineté face à l’unilatéralisme occidental, rend secondaires les divergences entre les membres du BRICS+ élargi.

12- DES BESOINS DE SOUVERAINETÉ NON NÉGOCIABLES

Pour des raisons de souveraineté et une volonté de participer à un espace alternatif au système privé occidental SWIFT, de nombreux pays africains ont exprimé leur volonté de rejoindre et d’intégrer le club fermé des BRICS+ et/ou de l’Alliance des BRICS+. Cette souveraineté passe, entre autres, par :

  • l’usage des monnaies nationales dans les échanges internationaux ;
  • le besoin urgent de bénéficier d’un système sécurisé de paiement indépendant offrant en prime une possibilité de compensation qui devrait alléger les balances de paiement des Etats, surtout les plus endettés ;
  • la création d’une monnaie de compte et demain de paiement au sein du BRICS+ constitue un autre élément d’espoir pour les pays africains pour sortir de l’hégémonie dollar et/ou Euro ;
  • la numérisation et l’usage de monnaies virtuelles avec en filigrane la mise en place d’une monnaie de réserve des BRICS si possible adossée à l’or ou à des matières premières, fait son chemin pour échapper à l’hégémonie du dollar américain qui depuis 1971 n’est plus adossé à l’or ;
  • mais la véritable décision dont peu de dirigeants africains parlent, consiste à trouver des espaces pour échapper aux sanctions unilatérales occidentales, justifiées systématiquement et uniquement par la préservation des intérêts occidentaux.

À ce titre, il faut noter que le Président de la Guinée Equatoriale, M. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a proposé d’accueillir « le Sommet Afrique-Russie de 2026[10] » à Malabo, capitale du pays.

En plus des trois pays membres représentant le continent africain au sein des BRICS+ (Afrique du sud, Egypte et Ethiopie), il s’agit donc des pays suivants : Algérie[11], Burkina-Faso, Mali et Niger, tous trois membres de l’Alliance des Etats du Sahel (A.E.S.), la Guinée Equatoriale, le Nigéria, le Soudan et le Zimbabwe, par exemple. L’ordre mondial multipolaire risque de s’opposer à l’ordre mondial unipolaire.

L’Afrique et l’Union africaine ainsi que les Communautés économiques régionales africaines gagneraient à mieux comprendre, voire à participer comme observateurs aux travaux de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) afin de s’en inspirer pour mieux préparer leur mutabilité dans un monde où la centralité des décisions et des pouvoirs et de la production des richesses, s’équilibre au profit des pays asiatiques.

Si les BRICS+ constituent de fait une alternative temporaire pour les pays à capacité d’influence faible et les pays africains en particulier, il n’y aura d’effets de levier significatifs pour l’Afrique que sur la base de décision collective. Il faut donc éviter une fois « membre » du groupe des BRICS+ ou dans l’alliance des BRICS+ à continuer à agir et décider en rangs dispersés. L’Afrique collectivement doit se structurer pour occuper des postes décisionnels dans les différentes organisations de l’ordre mondial multipolaire et alternatif.

Les pays africains, membres ou pas de l’Alliance de l’OTAN, devraient évaluer leur capacité d’influence effective dans un monde multipolaire avant de décider de s’engager stratégiquement pour devenir membre des BRICS+ et/ou de l’alliance des BRICS+ élargis. Il y a un coût non négligeable compte tenu de l’incapacité actuelle des dirigeants africains[12] de structurer et d’imposer une armée et une sécurité africaine pour le Peuple africain. Au-delà du coût, il y a là assurément une décision collective et stratégique à prendre pour les dirigeants africains.

Prendre cette décision en rangs dispersés relève plus de la myopie stratégique des chefs d’Etat africains qui refusent toujours de financer et de donner le poids nécessaire à la Commission de l’Union africaine pour agir collectivement pour défendre les intérêts collectifs du Peuple africain et non ceux privés des chefs d’Etat. Il y va de la crédibilité des dirigeants des pays à capacité d’influence faible de s’unir pour retrouver au sein des BRICS+ élargis, mais aussi avec l’appui bilatéral des uns et des autres, une alternative temporaire de puissance afin de réorienter les fruits de la nouvelle croissance générée vers leurs populations respectives.

En Afrique comme ailleurs, les enjeux de puissance ne peuvent s’équilibrer sans la participation du Peuple souverain. L’en évincer est une erreur tactique. Les dirigeants des BRICS+ élargis devraient reconsidérer sérieusement ce point de faiblesse stratégique.

13- CONCLUSION : EN FINIR AVEC LA MYOPIE STRATÉGIQUE : STOPPER L’APPROCHE EN RANGS DISPERSÉS DES DIRIGEANTS AFRICAINS 

À cause de l’unilatéralisme du Nord Global, il devient indispensable de s’organiser collectivement dans un monde multipolaire pour préserver sa souveraineté en réduisant la dépendance des Etats à capacité d’influence faible ou moyenne vis-à-vis des systèmes financiers contrôlés par les dirigeants du monde occidental.

Les propositions qui seront faites au cours du Sommet de Kazan sont importantes. Les dirigeants africains ne peuvent se rendre à ce Sommet en « spectateurs ». Aussi, il faudrait que la partie de l’Afrique qui œuvre collectivement comme les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Burkina-Faso–Mali–Niger), mais aussi d’autres qui ont tissé de véritables liens au sein des sous-régions africaines doivent pouvoir présenter des contributions constructives ou des contre-propositions sur au moins les sept (7) thèmes suivants.

  • L'Initiative de paiements transfrontaliers des BRICS qui devrait permettre, une fois mise en œuvre, d’assurer que suite à des échanges commerciaux, le paiement puisse se faire en monnaies nationales des pays des BRICS. Au-delà du contournement du dollar américain, il s’agira surtout pour les pays à capacité d’influence faible d’apprendre et de maîtriser la technologie blockchain et d’apprendre à promouvoir les jetons numériques sécurisés adossés à des matières premières comme l’or ou d’autres métaux commercialisables. Il y a là matière à éviter de subir les sanctions unilatérales et souvent injustifiées des dirigeants du Nord global dans l’arbitraire introduit par ces derniers dans le système de paiement comme le SWIFT ou plus largement le système financier international sous leur contrôle.
  • La compréhension et la mise en place d’une équipe africaine, nationale, voire régionale, dédiée à une forme de plateforme commune pour permettre aux pays à capacité d’influence faible de ne plus être marginalisés, voire exclus, du système financier mondial et d’être obligés de passer par les fourches caudines des institutions de Bretton Woods, dont le Fonds monétaire international et le Groupe de la Banque mondiale ainsi que de nombreuses institutions bilatérales fonctionnant comme des satellites. Cette plateforme permettra de faire des dépôts et de procéder à des règlements internationaux avec des possibilités équivalentes à une chambre de compensation… Les noms qui circulent actuellement se rapprochent de la « clearance house des BRICS », dite « BRICS CLEAR[13]».
  • Il n’est pas possible pour de nombreux Etats de s’engager dans des opérations internationales sans offrir la garantie de l’Etat. Or, cette garantie demeure fragile, voire inopérante face à la taille des investissements, et même face au poids des entreprises transnationales et multinationales. Aussi, il n’est pas impossible que sous la présidence russe, une compagnie de Réassurance des BRICS voie le jour, afin de contourner le blocage arbitraire des « entreprises de réassurance du G7/OTAN tout en facilitant la fluidité du transport et de la logistique dans l’espace intra-BRICS +. Faut-il rappeler que dans le cadre de la promotion du pétrole américain, les pays occidentaux ont imposé depuis 2022, le plafonnement des exportations du pétrole et des produits hydrocarbures russes au motif du conflit Russie-Ukraine. Personne n’est donc à l’abri de ces décisions léonines de protectionnisme déguisé.
  • Les dirigeants africains devront mettre la main à la poche pour contribuer à une nouvelle facilité financière devant être actionnée en cas de crise économique importante dans le monde, sans devoir passer par le FMI et les conditionnalités servant les intérêts des pays occidentaux. Il s’agit d’un fonds de réserve des BRICS.
  • Enfin, compte tenu du contrôle par les pays occidentaux des prix des matières premières vitales pour les pays africains, il est proposé de mettre en place une bourse d’échange et de commercialisation des matières comme les céréales, et plus tard, les matières premières comme les mines ou les denrées périssables. L’objectif recherché est d’abord de s’assurer que les prix sont déterminés par les « fournisseurs » comme pour le pétrole et pas comme c’est le cas actuellement, par les acheteurs occidentaux. Au-delà de la fixation des prix, il s’agit surtout d’anticiper en offrant des analyses et prédictions tant sur les dynamiques des marchés et des prix comptant et à terme. Certains ont avancé le nom de « bourse de commercialisation des matières premières des BRICS, avec les céréales comme un point d’entrée et prioritaires pour un grand nombre des pays membres du Sud global.
  • Il n’est pas possible de laisser les trois principales agences de notation occidentales[14] (Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s (S&P)) décider, souvent unilatéralement et parfois sous influence des dirigeants occidentaux de la notation de la perception du risque d’un pays, d’une région ou encore d’une entreprise du sud global. Aussi, attendant la création d’une véritable agence des BRICS, l’expérience de l’agence de notation Dagong Global Credit Rating[15], la plus connue de la Chine, devrait permettre de se baser sur d’autres critères adaptés aux pays à capacité d’influence faible ou moyenne pour élaborer les notations des risques et faciliter l’octroi des crédits entre les pays des BRICS+. Cela ne pourra se réaliser qu’avec la volonté et l’engagement de chacun des pays intéressés car cela suppose d’importants échanges d’informations confidentielles. L’intelligence artificielle devrait aider à structurer les critères communs issus des expériences partagées entre les agences de notation du risque dans les pays et réduire les à priori humains ou politiques institutionnalisés par les principales agences de notation occidentales. Au demeurant, la politique du deux poids, deux mesures serait largement limitée compte tenu là encore, de la possibilité de ne pas suivre les recommandations des agences de notation occidentales, surtout si les analyses passées ont affecté la crédibilité des emprunteurs des pays du sud global.
  • L’influence diplomatique tant au niveau de l’Organisation des Nations Unies, des institutions multilatérales de financement, du commerce et autres agences contrôlées par le G7/OTAN que dans les « clubs » fermés d’octroi ou pas de financement privé, comme le Club de Londres, ou public, comme le Club de Paris, pourrait voir le jour sous des formes non encore déterminées. Il s’agira d’avoir une voix commune sur tous sujets où les intérêts des BRICS+ seront remis en cause.

Plus qu’un « tournant[16] », il s’agit d’un Sommet de Kazan historique sur un véritable « retournement » du monde. C’est malgré tout la fin de l’hégémonie du monde occidental dans un monde de plus en plus fragmenté et imprévisible. Si les BRICS+ ne remettent pas l'humain au centre des débats en intégrant les cultures au sens large, notamment la mémoire, les croyances, la religion, la perception, les émotions, et donc les organisations de la société civile, les BRICS+ pourraient rater le coche. Les Etats ont perdu de leur « superbe » face aux acteurs mondialistes à la tête d’entreprises transnationales déterminées à régenter le monde. Il faut donc aider les dirigeants des BRICS+ à décrypter ce monde multipolaire dont les subjectivités mal maîtrisées pourraient déclencher des guerres à géométrie variable.

Il y aura certainement un avant et un après Kazan, forçant à une véritable mutabilité de la pensée, de la prise de conscience et des actes posés collectivement pour les dirigeants des pays à capacité d’influence faible et modérée, plus particulièrement ceux des pays africains. Ces derniers devront, pour survivre dans la compétition mondiale, œuvrer collectivement dans un monde multipolaire non encore débarrassé des oripeaux obsolètes de l’unilatéralisme, promu comme la forme moderne de la post-colonisation de l’Afrique.

En définitive, le Sommet de Kazan ne sera historique pour les Peuples africains que si les dirigeants africains prennent conscience de leur myopie stratégique et de ses conséquences désastreuses sur les peuples africains. Aussi, la seule et prioritaire résolution à prendre avant de se rendre à Kazan et à toutes les réunions où il est question de défendre les intérêts des pays à capacité d’influence faible, notamment ceux d’Afrique, c’est de stopper l’approche en rangs dispersés des dirigeants africains. En cela, avec l’appui des pays membres des BRICS et de l’OCS, un contre-pouvoir devrait émerger au Sommet de Kazan pour commencer l’opérationnalisation de la neutralisation de l‘unilatéralisme occidental. Croire que l’unilatéralisme du Nord global est une vue de l’esprit, c’est s’inscrire dans la dénégation et croire que l’esclavage et la colonisation n’ont jamais existé. L’agenda de l’Afrique au BRICS+ devra demeurer une parenthèse dans le temps. Ce n’est qu’à cette condition que la participation des pays africains au Groupe des BRICS+ ou dans l’Alliance des BRICS+ pourra constituer une alternative temporaire de puissance pour tous les pays à capacité d’influence faible ou moyenne. YEA.

FIN

21 octobre 2024.

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO

Directeur général, Afrocentricity Think Tank

© Afrocentricity Think Tank

NOTES

[1] L’auteur tient à remercier sincèrement François Fabregat pour ses précieuses contributions et son travail éditorial. Ma responsabilité demeure engagée pour toutes erreurs ou oublis qui auraient pu échapper à mon attention.

[2] Amaïzo, Y. E. (2024). « Aide instrumentalisée en Eurafrique : Le modèle « Françafrique » réaménagé ». In www.brennpunkt.lu. Numéro d’édition 323. Juin 2024. Accédé le 12 octobre 2024. Voir https://www.brennpunkt.lu/article/aide-instrumentalisee-en-eurafrique-le-modele-francafrique-reamenage/

[3] Enriquez, E. (2015). L'arrogance: Un mode de domination néo-libérale. Editions In Press : Paris.

[4] Glaser (2016). Arrogant comme un français en Afrique. Editions  Fayard : Paris.

[5] Badie, B. (1992). L'Etat importé : L'occidentalisation de l'ordre politique. Editions Fayard : Paris.

[6] Türk, V. (2024). « Le non-respect du droit international est une question de paix et de sécurité internationales, déclare le Haut-Commissaire Volker Türk au Conseil de sécurité des Nations Unies ». In www.ohchr.org. 20 septembre 2024. Accédé le 12 octobre 2024. Voir https://www.ohchr.org/fr/statements-and-speeches/2024/09/disrespect-for-international-law-a-matter-of-international-peace-and-security-hc

[7] Hassan, S. N. (2024). “Turkiye’s geopolitical gambit: The cost of getting into BRICS”. In www.middleeastmonitor.com. 11 October 2024. Accessed 12 October 2024. Retrieved from https://www.middleeastmonitor.com/20241011-turkiyes-geopolitical-gambit-the-cost-of-getting-into-brics/ 

[8] MiddleEast Monitor (2024). “Turkiye applies to join BRICS”. In www.middleeastmonitor.com. 2 September 2024. Accessed 12 October 2024. Retrieved from https://www.middleeastmonitor.com/20240902-turkiye-applies-to-join-brics/

[9] Actu Russie (2024). « Le sommet des Brics aura lieu à Kazan en 2024 (décret de Poutine) ». In acturussie.net. 25 août 2023. Accédé le 10 octobre 2024.  Voir https://acturussie.net/sommet-brics-kazan-en-2024/

[10] RFI (2024). « Le Guinée équatoriale et la Russie mettent en scène leur rapprochement ». In www.rfi.fr. 29 septembre 2024. Accédé le 3 octobre 2024. Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240928-le-guin%C3%A9e-%C3%A9quatoriale-et-la-russie-mettent-en-sc%C3%A8ne-leur-rapprochement 

[11] Il est vrai que des informations circulent que l’Algérie aurait renoncé à devenir membre des BRICS+. Mais en politique, rien n’est moins sûr, surtout si le Maroc n’a pas en principe fait la demande d’adhésion au BRICS+.

[12] Amaïzo, Y. E. (Coll.) (2002). L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun. Avec une préface de Professeur Joseph K-Zerbo. Editions L’Harmattan : Paris.

[13] Investing.com (2024). « La Russie proposera des initiatives financières aux BRICS lors du prochain sommet ». In fr.investing.com. 16 octobre 2024. Accédé le 16 octobre 2024. Voir https://fr.investing.com/news/economic-indicators/la-russie-proposera-des-initiatives-financieres-aux-brics-lors-du-prochain-sommet-93CH-2601495

[14] Ces trois agences dominent le marché mondial de la notation financière, couvrant environ 95 % des notations. Callum Cliffe,  C.  (2019). « Tout savoir sur les agences de notation ». In www.ig.com. Accédé le 10 octobre 2024. Voir https://www.ig.com/fr/strategies-de-trading/agences-de-notation---ce-quil-faut-savoir-200312#:~:text=Les%20trois%20principales%20agences%20de%20notation%2C%20Moody%E2%80%99s%2C%20Standard,et%20Bureau%20van%20Dijk%20remplissent%20un%20r%C3%B4le%20similaire.?msockid=2294887142876ef53e429d6a43f36f86

[15] L’agence Dagong est notamment connue pour attribuer une note plus proche de la réalité des risques encourus. Sa notation des pays de l’OCDE et celle des Etats-Unis semblent recevoir des avis « favorables » que les 3 autres agenes concurrentes.

[16] Karderinis, I. (2024). « 16e Sommet des BRICS : le tournant de Kazan ». In kapitalis.com. 16 octobre 2024. Accédé le 16 octobre 2024. Voir https://kapitalis.com/tunisie/2024/10/16/16e-sommet-des-brics-le-tournant-de-kazan/

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