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Billet de blog 27 janv. 2023

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CONGO RD : 62 ans après l’assassinat de P. Lumumba, quelles leçons pour l’Afrique ?

M. Olivier DOSSOU, journaliste de SIBIKAN MEDIA. FOCUS AFRICA, recevait Mrs. Diogène HENDA SENNY, Moise ESSOH et le Dr. Yves Ekoué AMAÏZO sur le thème « 62 ans après l’assassinat du Premier Ministre Patrice LUMUMBA : Quelles leçons pour l’Afrique ? ». Il interrogeait sur les leçons politiques tirées en Afrique des assassinats qui dans plusieurs pays d’Afrique ont suivi les indépendances.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

RDC : 62 ANS APRES L’ASSASSINAT DU PREMIER MINISTRE PATRICE LUMUMBA, QUELLES LEÇONS POUR L’AFRIQUE ?

Illustration 1
Patrice Lumumba, le panafricaniste de la souveraineté africaine

Emission programmée sur Zoom : FOCUS AFRICA. SIBIKAN MEDIA

SUJET : RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : 62 ans après l’assassinat du Premier Ministre Patrice LUMUMBA : Quelles leçons pour l’Afrique ?

Journaliste : M. Olivier DOSSOU. Contact : africadebats@gmail.com

Invités :

Diogène HENDA SENNY, Président du Parti Ligue Panafricaine – UMOJA – Congo

Moise ESSOH, Cadre militant de l’UPC-MANIDEM, Parti politique panafricaniste camerounais, et membre du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations, en Belgique

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste – Analyste Politique – Essayiste, Président du Think-Tank Afrocentricity, un groupe de réflexion et d’influence, www.afrocentricity.info.

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Date : Mardi 24 janvier 2023 (en direct Zoom 20h00 – 22h30, heure de Paris)

Internet : Mise en ligne le 25 janvier 2023

Ecouter le Débat en Podcast (durée : 2 Heures 49 minutes 14 secondes) :

LIVE YOUTUBE / SIBIKAN MEDIA :

Lien : https://youtube.com/watch?v=oICK9Nt5GNc&si=EnSIkaIECMiOmarE

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Contributions du Dr. Yves Ekoué AMAÏZO aux principales questions du journaliste M. Olivier DOSSOU :

Le 17 janvier 1961, le Premier Ministre congolais Patrice Emery Lumumba fut assassiné à Lubumbashi dans la riche province du Katanga. En compagnie de ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito. Que vous inspire ce crime d’Etat 61 ans après ?

YEA. Merci pour l’invitation. Il ne faut pas « individualiser » le problème en se limitant à une violence d’Etat et un crime d’Etat au Congo, ce dans un monde unilatéral. La même approche des dirigeants européens et occidentaux a fait les dégâts similaires dans d’autres pays d’Afrique, citons le Togo, la Guinée Bissau et le Burkina-Faso, par exemple.

Il s’agit d’une guerre de souveraineté, à laquelle la plus grande partie des populations africaines, congolaises en particulier, n’ont pas pu participer, faute d’en avoir eu conscience. La prise de conscience est tardive en Afrique francophone et explique les réactions de réveil radical au Mali ou au Burkina Faso. Mais l’émancipation est un processus sans retour pour le Peuple noir en général, le Peuple africain en particulier, individuellement ou collectivement.

D’emblée, je souhaiterais indiquer que la décolonisation en Afrique n’a pas été pacifique. Que ce soit avec la guerre comme entre l’Algérie et la France, ou des tentatives de blocages des mouvements de décolonisation comme au Togo ou au Congo, etc., les colonisateurs se sont coalisés pour mettre en place cinq stratégies de reconquête économique des pays devenus indépendants et cherchant à installer leur souveraineté. Il s’agit principalement de :

  1. La transformation des élites nationalistes africaines, devenues des panafricanistes, en ennemis du système occidental grâce à un système d’information performant, les taxant de « communistes », agents des ennemis de l’Occident, ou alors la mise en place de financements et de formatage culturel à des fins de création d’une opposition politique africaine devant servir les intérêts occidentaux postcoloniaux.
  2. L’assassinat des élites nationalistes et patriotes africaines et leur remplacement par des agents africains servant de paravent, souvent incompétents, pour continuer à défendre les intérêts postcoloniaux de l’ex-puissance coloniale et son réseau occidental suprémaciste.
  3. L’organisation de subversion et/ou de sécession de territoire sur des bases ethniques à des fins d’affaiblissement, de déstabilisation et de reconquête pour imposer une politique libérale et d’inégalité aux Peuples africains.
  4. L’organisation de coups d’Etat militaires avec l’utilisation des légions étrangères du pays colonisateur, de mercenaires et de soldats nationaux ayant servi le pays colonisateur par le passé et complètement formatés à la cause de l’ex-puissance coloniale afin de mettre en place un système de peur, de corruption, de vassalité et de servitude volontaire, pour mettre aux pas les velléités de résistance, d’autonomie et de souveraineté économique et territoriale.
  5. Une propagande communicationnelle pour structurer la désolidarisation des Africains entre eux, ce qui permet de ne jamais prouver la responsabilité directe des commanditaires, et au pire d’en faire porter la responsabilité ultime sur les agents qui ont été utilisés par l’Etat colon mais qui ne peuvent plus se défendre car morts entretemps. Rappelons le cas du Togo avec Etienne Eyadéma Gnassingbé qui aurait tué le 1erPrésident du Togo[1] ou les quatre officiers belges intégrés aux forces de sécurité du Katanga sécessionniste qui contrôlaient les ministres du gouvernement sécessionniste katangais, tous travaillant sur les instructions de l’Etat belge[2], qui ont tué Patrice Lumumba. Mais l’Etat congolais de l’époque ne peut être considéré comme sans responsabilité, au contraire, il a été complice.

Patrice Emery Lumumba, né Élias Okit’Asombo (NDLR. Traduit en langue lingala, Elias est dans le vrai ou Elias a raison), est un bouc-émissaire et victime des Etats postcoloniaux, au même titre que le Président Sylvanus Olympio du Togo le 13 janvier 1963. Ce jeune Premier ministre de 35 ans a remporté les premières élections démocratiques à la veille de l’indépendance du Congo colonial belge. Rappelons que dans les années 1960, les colonisateurs belges et les impérialistes occidentaux de l’époque, – dans le meilleur de leur prévision –, n’avaient pas prévu une indépendance du Congo avant 30 ou 40 années… L’accélération de l’indépendance a conduit à un départ précipité des colons de l’Afrique, et donc la perte de l’accès gratuit aux matières premières indispensables pour faire tourner leur industrie et assurer leur bien-être aux dépens des Peuples africains.

Lors de la cérémonie de l’indépendance du Congo qui a eu lieu le 30 juin 1960 d’où Patrice Lumumba est sorti vainqueur lors des élections générales en mai 1960, le roi belge Baudouin 1er n’a pas digéré la perte de ce qui était sa propriété privée, son ancienne colonie [le Congo]. De fait lors de ce que l’on pourrait considérer comme une passation de pouvoir au moment de la création de l’Etat congolais indépendant, il a choisi de promouvoir le paternalisme, ce comportement d’autorité, de subordination sous couvert de protection.

Ce choix de la Belgique, comme au demeurant de la France au Togo, comme dans les pays francophones de la zone franc, permet de faire converger vers l’ex-colonisateur, tous ceux qui ne comprennent pas les enjeux, ont peur et surtout trouvent là, une occasion d’accéder au pouvoir et remplacer le « blanc ». Pour les ex-colonisateurs, il fallait continuer à occuper ou contrôler les postes décisionnels en Afrique, ce que j’appelle le « maillage décisionnel[3] postcolonial » que reflète la phrase suivante du roi Baudouin 1er qui croit toujours que la colonisation est une « grande œuvre ». Dans sa prise de parole, le discours du roi Baudouin 1er s’apparente plus à une menace et moins à un conseil comme le rappelle cette phrase restée dans l’histoire : « Ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n’êtes pas certains de pouvoir faire mieux[4] ». Autrement dit, ne mettez pas de responsables congolais patriotes et souverainistes à la place des cadres coloniaux blancs, devenus par la suite, des assistants techniques ou des coopérants en période postcoloniale.

La réponse de Patrice Lumumba a été une réponse cinglante au discours du 30 juin 1960 contre les injustices et le racisme des colonisateurs, ce en présence du roi Baudoin de Belgique, lequel en pleine cérémonie officielle marquant l’indépendance du Congo, avait choisi de faire l’éloge de « l’œuvre colonisatrice » de son ancêtre, Léopold II[5], véritable tortionnaire sanguinaire pour les Congolais nationalistes.

Patrice Lumumba a remis au goût du jour, l’urgence de l’identité noire, la souveraineté des Africains, et surtout le mal que représente le colon blanc et son système et sa gouvernance. Rappelons une phrase : « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres ».

Il a été le Premier ministre du Congo entre juin et septembre 1960, à la suite des élections de mai 1960. Il a été le chef du Mouvement national congolais de 1958 à son assassinat instrumentalisé par la Belgique et ses agents congolais en janvier 1961. Idéologiquement nationaliste africain et panafricaniste, il est l’artisan de la transformation du Congo colonial belge en une République indépendante.

Patrice Lumumba est un nationaliste africain et un panafricain avec une prise de conscience renouvelée de l’urgence du patriotisme et du nationalisme africains. Lors de sa participation, en décembre 1958, à la conférence des États africains indépendants d’Accra, au Ghana, sous le leadership du Président Kwame Nkrumah du Ghana, il a pu échanger, entre autres, avec Sékou Touré de la Guinée, Frantz Fanon, rallié au Front de Libération nationale (FLN) algérien. Son ancrage dans le panafricanisme continental africain a contribué à radicaliser sa position pour imposer la souveraineté du Congo.

Les Etats-Unis l’ont taxé de « communiste » suite à l’aide reçue de l’URSS pour empêcher le monde occidental d’avancer vers la sécession du Congo, une fois l’indépendance consacrée.

Sur un autre plan, Dag Hammaskjöld[6], le Secrétaire général de l’ONU à l’époque, du haut de sa neutralité, a réussi à imposer au Togo, la démocratie et la vérité des urnes, avec un Président choisi par le Peuple (Sylvanus Olympio) et non par les colonisateurs français. De peur que cela ne se reproduise au Congo de Patrice Lumumba aux dépens des colonisateurs belges, Dag Hammaskjöld, Secrétaire général de l’ONU, a été assassiné, suite à un sabotage de son avion le 18 septembre 1961. Il tentait de négocier la fin de la guerre civile et des mouvements sécessionnistes tendant à déstabiliser le Congo, l’Angola, le Mozambique, etc.

La Belgique, l’ancienne puissance coloniale a instrumentalisé certains Congolais inconscients pour organiser des agents hostiles à la souveraineté et en conservant l’approche libérale, autrement dit, la défense des intérêts belges, américains et occidentaux en devenant des traîtres à la souveraineté. Patrice Lumumba a stoppé net les ambitions économiques de la Belgique de s’approprier la riche province minière du Katanga (uranium notamment) qui a fait sécession le 11 juillet 1960 avant de revenir dans l’espace national congolais en 1963. Personne ne peut oublier que c’est la même démarche que la France a mis en œuvre pour le Biafra au Nigéria, non sans rappeler que les réseaux de Jacques Foccart étaient au Katanga. Ce n’est pas pour rien que Valéry Giscard d’Estaing, feu Président français, a pu intervenir en 1978 au Katanga pour libérer des otages français, alors qu’il fut plus question pour les Africains de mettre en cause l’usurpation des richesses congolaises dans le Shaba[7].

J’en retiens que tous les Africains doivent prendre conscience que l’indépendance n’est pas la souveraineté et ne la garantit pas.

Pour quelles raisons l’impérialisme international assassina Patrice Lumumba ? Qui en sont les commanditaires ? 

YEA : Je réponds directement à votre question : la préservation des intérêts économiques des puissances occidentales représentées par la Belgique au Congo. Pour les commanditaires, il s’agit d’une organisation en bande organisée associant des Etats (Belgique, Etats-Unis) notamment les services de renseignements et d’intelligence d’une part, et des agents locaux traitres, que l’on retrouve d’abord dans la proximité de Patrice Lumumba au Congo et surtout au Katanga, la partie sécessionniste du Congo entre 1961 et 1963, et télécommandée par la Belgique.

Toutefois, je ne peux pas accepter votre question dans l’état car vous mettez en avant une entité floue que constitue l’impérialisme international, ce qui ne veut rien dire. Il s’agit nommément d’abord de la Belgique, puis des Etats-Unis et des autres puissances occidentales, tous disposant de dirigeants au pouvoir à l’époque. Donc, il s’agit en l’espèce du roi Baudoin 1er qui représente cet impérialisme international auquel vous faites allusion. Quant à Patrice Lumumba, il a fait preuve de cécité car il a été maintes fois prévenu que l’on allait attenter à sa vie, notamment en passant par des Congolais formatés et membres des services secrets occidentaux.

L’objectif des autorités belges s’est conjugué avec celui des Etats-Unis. En effet, dès lors que Patrice Lumumba a compris que l’Organisation des Nations Unies (ONU), affaiblie par le Conseil de Sécurité, ne fera rien pour l’aider dans la guerre de sécession initiée par les Belges au Katanga, il s’est tourné vers la Russie, qui lui a fourni les armes nécessaires à la reconquête de sa souveraineté territoriale.

C’est ainsi que l’administration américaine, spécialiste du marketing politique, a volontairement et allègrement confondu les mots « nationaliste » et « communiste », pour les substituer. Être communiste pour les Etats-Unis à l’époque permettait de « criminaliser » un individu ou un Etat. C’est ainsi que ce que vous appelez l’impérialisme international que j’ai renommé plus haut, a poussé le Congo de Patrice Lumumba dans les bras de l’Union des républiques socialistes et soviétiques (URSS).

Ainsi, toute forme de lutte pour l’indépendance et la souveraineté africaine a été assimilée à un alignement sur l’URSS et donc qu’il fallait combattre dans le cadre d’une guerre où le droit international a perdu ses lettres de noblesse. Pour empêcher le Congo de verser définitivement dans l’espace soviétique, il fallait éliminer les têtes pensantes, et les remplacer par d’autres, cupides, incompétents et souvent ignorants des enjeux de puissance dans le monde. C’est ainsi que les Etats-Unis en collaboration avec les services secrets belges et des mercenaires ont mis en branle ses services d’intelligence, à savoir la CIA[8], qui choisit Joseph-Désiré Mobutu, un ancien journaliste peu brillant pour devenir le chef d’état-major de Patrice Lumumba. Il faut rappeler que les services de renseignements occidentaux avaient déjà tenté par deux fois d’éliminer sans succès Patrice Lumumba dans le cadre d’un complot international[9].

Pour neutraliser le fondateur du Mouvement national congolais (MNC), d’inspiration socialiste et panafricaniste de Patrice Lumumba, les autorités belges et américaines notamment la CIA s’appuient sur des leaders congolais qu’ils promeuvent comme le jeune chef d’état-major Joseph-Désiré Mobutu, qui a dirigé le Congo (devenu Zaïre) entre 1965 et 1997.

C’est ainsi que le 1er décembre 1960, Patrice Lumumba fut finalement arrêté. Il fut livré le 16 janvier 1961 aux sécessionnistes pro-belges et pro-américain du Katanga suite à une instruction que l’on retrouve dans « un télex du ministre belge des affaires étrangères » ordonnant aux rebelles pro-occidentaux du Katanga de prendre en charge Patrice Lumumba.

Selon les différentes sources existantes, au moins « une vingtaine de personnes participeront à l’assassinat de Patrice Lumumba : parmi elles, des ministres du gouvernement katangais et quatre officiers belges intégrés aux forces de sécurité du Katanga[10] ».

Pourquoi les autorités belges n’ont pas exigé de transférer Patrice Lumumba en Belgique, ou dans un pays où la vie de Patrice Lumumba aurait été préservée ? Les autorités belges et en filigrane les Etats-Unis savaient pertinemment qu’en transférant le Premier ministre Lumumba dans un espace sécessionniste et dissident du Congo et sous le contrôle belge, leur responsabilité serait engagée dans la mort de Patrice Lumumba.

De là à faire croire qu’il s’agissait d’une « erreur fâcheuse » et que ni la Belgique, ni les Etats-Unis ne souhaitaient la mort de patrice Lumumba relève de la plus haute des hypocrisies. Mais, en politique et avec la disparition des traces de preuves, il ne restait qu’aux bourreaux postcoloniaux, 61 ans après la forfaiture, de venir fêter avec les dirigeants congolais d’aujourd’hui, le retour de la relique que constitue la « dent » de Patrice Lumumba.

Les autorités belges en transférant Patrice Lumumba au Katanga sécessionniste et sous leur contrôle, ne pouvaient ignorer les risques encourus par Lumumba et sont donc responsables de l’assassinat de patrice Lumumba.

61 ans après cet assassinat crapuleux, le Congo Démocratique qui connut entre-temps Mobutu Sese Seko, puis Kabila Père et Fils et enfin Tshisekedi Fils. La mort de Lumumba a-t-elle un lien avec l’instabilité chronique de ce pays-continent notamment dans sa partie Est ?

YEA : Pour répondre à votre question, il faut se replonger dans l’histoire d’une Association internationale africaine (AIA) – de son nom complet Association internationale pour l’exploration et la civilisation de l’Afrique centrale[11] – qui fut une organisation créée par le roi Léopold II de Belgique avec des ambitions affichées d’humaniser l’Afrique centrale, principalement l’État indépendant du Congo devenu la République démocratique du Congo.

Créée en 1876 avant la conférence de démembrement de l’Afrique à Berlin 1885, l’AIA avait pour objectif de dresser la cartographie d’une Afrique que les puissances occidentales suprémacistes allaient se partager. Les fameux explorateurs envoyés en Afrique étaient de véritables mercenaires à la solde des puissances occidentales coloniales qui les envoyaient en mission et avaient pour objectif de s’approprier des territoires, par la ruse, la force ou le consentement des Africains.

Officiellement, il s’agissait d’inventorier des parties inconnues du territoire congolais et accessoirement de « civiliser » les habitants et même d’abolir l’esclavage. La réalité a vite fait place à un élargissement à l’ensemble de l’Afrique, puis à la férocité des Etats européens, qui non seulement étaient en compétition pour les espaces africains au point de se les partager suite à des guerres en Europe. En définitive, l’AIA fut l’antichambre de l’annexion et l’appropriation des territoires africains pour le compte de l’Etat européen, premier sur le terrain ou qui a gagné une bataille localement, souvent avec la complicité d’Africains ayant opté pour la défense des intérêts étrangers. D’ailleurs, les intérêts divergents des pays européens en Afrique a conduit à l’anéantissement de l’Association en tant qu’institution multinationale. La conférence de Berlin de 1884-1885 qui a consacré le démembrement et le partage de l’Afrique a rendu caduque l’AIA.

En réalité, les dirigeants africains qui ont pensé une Afrique souveraine, doivent obligatoirement mettre en place une VRAIE cartographie de l’Afrique, sol et sous-sol, en mettant en concurrence l’ensemble des fournisseurs de données satellitaires, si possible en provenance de pays qui ne sont pas alignés sur les pays ex-colonisateurs de l’Afrique.

Oui, la mort du Premier ministre Patrice Lumumba a un lien direct avec l’instabilité chronique de ce pays car il s’agit en fait d’une des solutions postcoloniales des puissances occidentales pour préserver leurs intérêts dans le pays.

Le 22 juin 2022, les PM belge Alexander Decroo et congolais Sama Lukonde procédèrent à la remise officielle de la dépouille de Lumumba notamment de sa dent, à sa famille. Quelles sont les enjeux de cette restitution pour la mémoire africaine et congolaise en particulier ?

YEA. Vous ne pouvez pas parler d’enjeux de la restitution de l’unique dent conservée de Patrice Lumumba en faisant l’économie de l’histoire de cette dent, qui demeure le seul reste existant de la dépouille du 1er Ministre congolais. Cette dent, est une des deux dents, prélevée par un ou plusieurs mercenaires colons belges présents au Katanga, avant que le corps de Patrice Lumumba ne fût incinéré et dissous dans l’acide après son exécution le 17 janvier 1961 avec la complicité de mercenaires belges et rebelles sécessionnistes au Katanga.

En 2000, Gerard Soete, commissaire de police belge, a affirmé « avoir découpé et dissous dans l’acide les corps de trois personnes assassinées en même temps[12] : Patrice Lumumba et ses fidèles Joseph Okito et Maurice Mpolo[13] ». Ce dernier affirme, sans nommer les commanditaires, avoir reçu l’ordre de faire disparaître le corps. Mais il décida de sa propre initiative d’en extraire deux (et non une) dents du corps et de les conserver. Pour plus de détails, le corps de Patrice Lumumba fut « brûlé, broyé et trempé dans un fut d’acide pour leur éviter une tombe pouvant devenir un lieu de pèlerinage[14] ». Pour certains, il est question de plusieurs dents[15]. Donc, la question est de savoir où sont les autres dents, et pourquoi elles ne sont pas restituées ?

Une des dents de Patrice Lumumba fut l’objet de tractations entre États belge et congolais avant la restitution à la République démocratique du Congo, en fait à partir d’une demande de la famille, qui a porté plainte[16] contre l’Etat belge et des personnalités belges, responsables de l’assassinat et l’exécution de Patrice Lumumba[17].

En 2011, la famille Lumumba porte plainte contre l’Etat belge, ainsi que plusieurs personnalités belges considérées comme responsables de l’exécution de Patrice Lumumba.

Quid de la question épineuse des réparations financières notamment ? Comment procéder ?

YEA. Il faut savoir qu’il est impossible de procéder à la « Réparation » d’un crime, et a fortiori à un crime imprescriptible contre l’humanité concocté par le monde européen et occidental.

Néanmoins, la réparation d’un crime n’est pas impossible.

Ce n’est pas une raison pour ne pas exiger des réparations financières, car l’utilisation gratuite pendant plusieurs siècles de la force de travail des Noirs, l’exploitation du sol et sous-sol des Africains, l’usurpation des richesses africaines avec la complicité de certains responsables africains, et surtout l’utilisation des Africains et de l’Afrique comme terrain d’expérimentation de nombreux vaccins et autres médicaments, ne sont que des « manque-à-gagner » pour les citoyens africains, ce depuis des générations. Là où il y a eu exploitation et spoliation, il s’agit d’économie, ce qui signifie qu’une partie des réparations doit être pensée en termes d’économie. Par exemple, contraindre les pays colonisateurs à payer des formations (exemple de l’Allemagne avec la Namibie, les Héréros) sur une période, imposer une participation obligatoire au capital de sociétés connues historiquement comme ayant vécu des gains de l’esclavage et de l’exploitation des Noirs et de l’Afrique… Mais rien n’est possible avec la corruption de nombreux dirigeants africains, qui ne respectent en rien les principes maâtiques, vérité, justice, rectitude et exemplarité.

Alors, il faut des solutions collectives et non superficielles, sinon les actions seront parcellaires. Rien ne sera possible. Les juifs ont vu leurs biens restitués partout où c’était possible, parce qu’ils étaient organisés. Mais, cela suppose une capacité de nuisance. Cette capacité de nuisance repose sur la capacité à générer une marge économique, et donc, une marge décisionnelle individuelle et collective, avec en définitive, une capacité en termes de souveraineté territoriale et sécuritaire.

Or, toute sécurité, toute souveraineté se mesure à l’aune de ces critères. Alors, pour toutes réparations, commençons en Afrique et dans la Diaspora à nous organiser collectivement, à accepter des leaderships intelligents basés sur les valeurs et principes africains tirées de la Maât, et surtout à penser les problèmes du monde en prenant appui sur l’Afrocentricité.

Quels enseignements pour le panafricanisme au 21e siècle et l’émergence de l’Afrique ?

YEA. Vous parlez d’Afrique. Je préfère mettre l’accent sur les Africaines et les Africains. Aussi, j’aurais quatre enseignements pour soutenir le panafricanisme et l’émergence des Africains au 21e siècle.

  • Le premier des enseignements est que les Africains doivent se replonger dans l’histoire du Peuple noir et en faire une relecture afrocentrique, avant de l’enseigner. A ce titre, il ne faudra jamais oublier l’histoire de Haïti, avec le Général Toussaint l’Ouverture qui se livra de lui-même aux colonisateurs de l’époque alors qu’il les avait battus au plan militaire et était en passe de décoloniser Saint-Domingue en donnant naissance, après sa mort, à Haïti, « la première de toutes les nations noires ». Celaa fait dire à Aimé Césaire que « Le mystère, c’est qu’il ira lui-même se mettre dans ce piège, en toute connaissance de cause ». Autrement dit, de nombreuses élites noires dirigeantes, grisées par le fait d’être dans la vérité, la justice, finissent par ignorer qu’ils sont facilement éliminables, et ne se préoccupent pas de leur sécurité, encore moins de la continuité de leur combat après leur mort. Il faut donc penser du point de vue des intérêts passés, présents et futurs des Africaines et Africains, et par conséquence de l’Afrique. Ils sont nombreux en Occident qui continuent de rêver de reconquérir cette Afrique pour y faire travailler des Africains comme des esclaves des temps modernes, ce avec la complicité d’élites africaines traitres, sans valeurs ni principes éthiques.
  • Le deuxième des enseignements est qu’il ne sert à rien de chercher à être un martyr car partout où les premiers dirigeants africains nationalistes ont été éliminés, souvent du fait de traitres africains, le bien-être de la très grande majorité des Peuples africains ne s’est pas amélioré, au contraire, c’est l’inégalité criarde qui prévaut.
  • Le troisième des enseignements est qu’il ne sert à rien de parler d’indépendance sans parler de souveraineté dans tous les domaines, à commencer par la souveraineté territoriale et par ricochet tous les autres secteurs, notamment la souveraineté monétaire, économique, financière et bancaire[18], alimentaire, sanitaire, environnementale, culturelle et cultuelle. Il faut donc que les Africains et panafricanistes qui recherchent la souveraineté individuelle et collective de l’Afrique ou des pays africains s’organisent en réseaux : se connaître, se soutenir dans la lutte et organiser une capacité de nuisance au sens d’une capacité décisionnelle résultant d’une capacité économique pour une souveraineté multisectorielle et multipolaire. Il s’agit d’une guerre contre l’agresseur pour récupérer le droit des Africains à leur bien-être, et empêcher d’autres de récupérer ce qui ne leur appartient pas.
  • Enfin, pour le quatrième des enseignements, il faut prendre conscience que les hostilités contre Patrice Lumumba ou contre tous les nationalistes africains tués par le monde occidental, étaient le fait de suprémacistes blancs solidaires. Aussi, il faut pratiquer la réciprocité, au moins dans la réflexion sinon il s’agira d’un jeu de dupes. A quoi sert le pardon du roi des Belges quand toute sa richesse repose encore sur l’héritage des meurtres de ses ancêtres ? Les panafricanistes, les vrais, doivent s’organiser, s’échanger les contacts, emails et téléphone et autres et se parler, s’organiser et diffuser un message commun pour le Peuple. Mettez en route, un réseau de panafricanistes. Je vous remercie. YEA.

24 janvier 2023. Mise en ligne le 25 janvier 2023 sur Afrocentricity Think Tank.

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrocentricity Think Tank

Contact : yeamaizo@afrocentricity.info

© Afrocentricity Think Tank et Sibikan Media. Focus Africa.

Notes 

  1. RCDTI et CVU-TOGO-DIASPORA (2023). « Sylvanus Olympio : Premier Coup d’Etat en Afrique ». In cvu-togo-diaspora.org. 19 janvier 2023. Accédé le 24 janvier 2023. Voir https://afrocentricity.info/2023/01/19/sylvanus-olympio-premier-coup-detat-en-afrique/7291/
  2. De Witte, L. (2000). L’Assassinat de Lumumba.Editions Karthala : Paris. Selon De Witte, « La nuit est froide, ce dix-sept janvier 1961, au Katanga. La riche province du cuivre, peu après l’indépendance du Congo, a fait sécession avec l’aide de la Belgique. Dans la savane boisée, un endroit ouvert est illuminé par les phares des voitures de police. Un commissaire de police belge prend Lumumba par le bras et le mène jusque devant le grand arbre. L’ex-Premier ministre congolais marche avec difficulté : pendant des heures il a été gravement maltraité. Un peloton d’exécution, fort de quatre hommes armés de stenguns-Vigneron et de fusils-FAL, se tient en attente, alors qu’une vingtaine de soldats, de policiers, d’officiers belges et de ministres katangais regardent en silence. Un capitaine belge donne l’ordre de tirer et une salve énorme fauche Lumumba. Ce livre révèle qui a assassiné Patrice Lumumba, les raisons de ce meurtre et comment il a été perpétré. L’histoire de cet assassinat annoncé est écrite par le gouvernement belge de Gaston Eyskens et exécutée par des officiers et diplomates belges, avec l’aide de leurs complices congolais. Bruxelles, tout comme Washington et les dirigeants des Nations unies, étaient d’avis que la liquidation de Lumumba était indispensable pour sauvegarder les intérêts des trusts qui exploitaient la colonie comme leur pays conquis ». 
  3. Amaïzo, Y. E. (1998). De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation : une chance pour l’Afrique.Editions L’Harmattan : Paris. 
  4. Meunier, M. (2021). « Pourquoi on a assassiné Patrice Lumumba ». In La Croix L’Hebdo. 7 janvier 2021. Accédé le 24 janvier 2023. Voir https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-assassine-Patrice-Lumumba-2021-01-07-1201133644
  5. Fondation pour la Mémoire de l’esclavage (2022). Patrice Lumumba [1925-1961] alias Elias Okit’Asombo. 17 janvier 1961. L’homme à abattre.Accédé le 23 janvier 2023. In Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Voir https://memoire-esclavage.org/biographies/patrice-lumumba
  6. Dag Hammaskjöld (1905-1961) diplomate suédois est mort dans un crash aérien le 18 septembre 1961, en Rhodésie du Nord (l’actuelle Zambie). Il fut le Secrétaire général des Nations Unies de 1953 à 1961. 
  7. Georges, M. (Dr.). Ancien médecin du 2eBataillon Commando. « Kolwezi 78, comment en est-on arrivé là ? ». In Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi. No 27,‎ septembre 2013, pp. 8-14. Accédé le 24 janvier 2023. Voir http://www.memoiresducongo.be/wp-content/uploads/2014/03/mdc_revue_27.pdf ; la ville de Kolwezi est située au cœur de la région minière du Shaba, au Katanga, dans le sud-est du Zaïre. En mai 1978 dans le Congo devenu Zaïre sous Joseph Mobutu, il y avait environ 100 000 habitants dans la ville. Les prétendus « otages » européens sont des individus qui se sont retrouvés en face d’une partie de la population qui exigeait des comptes sur le rôle de ces Européens dans l’usurpation des richesses congolaises. Une fois, certains européens blancs séquestrés, cela a servi de justificatif pour l’Etat français pour intervenir. Il s’agissait d’une opération aéroportée à Kolwezi baptisée « Opération Bonite », menée par une unité de la Légion étrangère française, le 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP), ainsi que par des troupes belges et zaïroises. Officiellement, il s’agissait de « délivrer » des otages européens retenus dans la ville minière de Kolwezi par des rebelles katangais. En fait, les « rebelles » katangais utilisés en 1961 pour tuer Patrice Lumumba, sont quelques décennies plus tard, devenus encombrants dès lors qu’ils demandent un juste partage de l’exploitation des matières premières. L’opération de la Légion étrangère française « officiellement » s’est soldée par un massacre de plus de 700 Africains et de 170 Européens.
  8. De Witte, L. (2017). L’ascension de Mobutu : Comment la Belgique et les USA ont fabriqué un dictateur. Editions Investig’Action. 
  9. Commission Church [archive] (2014). Interim Report: Alleged Assassination Plots Involving Foreign Leaders, III, A, Congo. Accédé le 24 janvier 2023. Voir http://www.aarclibrary.org/publib/church/reports/ir/html/ChurchIR_0014a.htm, p. 13. 
  10. Meunier, M. (2021). Op. Cit. 
  11. Tshang, J. A. Y. (2016). Le Katanga, prisonnier de la mosaïque belge. Editions 2RA Edition : Sandton, République sudafricaine, p. 39. 
  12. Mauduit, X. (2022). L’assassinat de Patrice Lumumba. Documentaire ARD. De 28 Minutes. 09 juin 2022. Accédé le 23 janvier 2023. Voir https://www.arte.tv/fr/videos/109677-005-A/l-assassinat-de-patrice-lumumba/; ainsi que Julien, L. (2022). Une relique de Patrice Lumumba revient en RDC. Film Documentaire. De 3 mn. In arte.tv/fr. 20 juin 2022. A Accédé le 23 janvier 2023. Voir https://www.arte.tv/fr/videos/109917-000-A/une-relique-de-patrice-lumumba-revient-en-rdc/ ; Xavier Mauduit nous raconte l’histoire de l’assassinat du combattant congolais Patrice Lumumba. Par ailleurs, dans un documentaire diffusé sur la chaîne allemande ARD en 2000, le commissaire de police belge Gérard Soete a affirmé avoir conservé des dents de Patrice Lumumba, et les avaient montrées. 
  13. Rédaction (2022). RDC : la restitution de la dent de Patrice Lumumba encore reportée. In 6 janvier 2022. Accédé le 23 janvier 2023. Voir https://fr.africanews.com/2022/01/06/rdc-la-restitution-de-la-dent-de-patrice-lumumba-encore-reportee/
  14. Mbu-Mputu, N. (2021). Lumumba par lui-même : Edité par Norbert Mbu-Mputu. Editions Lulu.com. Bristol, Royaume Uni.
  15. Mbu-Mputu, N. (2021). Op. Cit., p. 38, 47, 48, et 63. 
  16. Vlassenbroek, J. (2011). « La famille de Patrice Lumumba porte plainte à Bruxelles ». In Belga News. be. 22 juin 2011. Accédé le 24 janvier 2023. Voir https://www.rtbf.be/article/la-famille-de-patrice-lumumba-porte-plainte-a-bruxelles-6337193
  17. De Witte, L. (2000). L’Assassinat de Lumumba. Editions Karthala : Paris. 
  18. Amaïzo, Y. E. (2001). Naissance d’une banque de la Zone franc : 1848 – 1901. Priorité aux propriétaires d’esclaves. Editions L’Harmattan : Paris. 

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