TOGO : LA DECENTRALISATION SOUS TUTELLE ET LA FAILLITE MORALE DES PARTIS POLITIQUES
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UN SCRUTIN ATTENDU, UN RESULTAT PREVISIBLE
Plus de deux semaines après la proclamation des résultats des élections locales, le Togo a enfin connu ce week-end son « marathon » d’élection des maires. Mais plus qu’un vote, ce fut un rituel de nomination. Derrière les urnes de circonstance, la main de Faure Gnassingbé a tracé la ligne d’arrivée avant même le départ.
Les conseils municipaux, censés incarner la vitalité démocratique locale, sont nés sous tutelle et seront condamnés à vivre sous curatelle du Ministre Colonel Awate et du Ministre Maire Gomado.
La longue attente avant la désignation des exécutifs n’a fait que confirmer l’évidence : tout était décidé en amont.
Le parti au pouvoir, UNIR, et ses alliés dominent presque partout. La décentralisation, censée rapprocher le citoyen de la décision publique, s’est transformée en instrument de contrôle vertical. Le pouvoir central garde la main, les marges d’autonomie sont réduites à néant.
UNE DECENTRALISATION COUSUE MAIN
Cette « cinquième République » de contrebande, censée symboliser un nouveau départ, ressemble à une vieille chemise de bossu : chaque fois qu’on croit l’avoir ajustée, un pan déborde.
Le tailleur, comprendre Faure Gnassingbé, s’acharne à recoudre, défait et recoud encore, sans jamais trouver la bonne coupe. Chaque réforme qu’on dit démocratique n’est qu’un point de couture sur un tissu déjà usé.
Ainsi, la décentralisation togolaise n’est pas un transfert de pouvoir, mais une délocalisation du même pouvoir. Les maires, souvent choisis pour leur loyauté plutôt que leur compétence, deviennent des relais du centre. Des maires sans moyens, des communes sans souffle, un pays grippé où rien ne change, sinon les intitulés des postes. Le summum du conflit d’intérêt c’est d’avoir désormais comme Ministre délégué auprès du ministre de l’aménagement du territoire, chargé du développement local, le Maire Koamy Gomado.
GOLFE 4 : LE “MIRACLE” FABRE OU LA MISE EN SCENE DU PLURALISME A LA FAURE
C’est à la Commune Golfe 4 que la pièce a connu son plus grand rebondissement.
Voir Jean-Pierre Fabre, chef de l’ANC, devenir Maire dans un conseil largement acquis à UNIR relève du miracle politique.
Officiellement, tous les conseillers,sauf un, auraient voté pour lui. Difficile à croire. Toutes les alliances sont possibles, sauf celle entre UNIR et l’ANC.
Cette unanimité artificielle sent l’arrangement ou veut le faire sentir. Déjà le fait de ne pas avoir de candidat face à Fabre est une fable. En suite en votant probablement tous pour lui c’est montrer qu’il y a d’une manière ou d’une autre une consigne claire qui dépasse le libre arbitre des conseillers municipaux votants. Peut-être que le bulletin nul c’était le vote de Fabre. Mon cousin Elom a pensé la même chose en se disant qu'il s'attendait à des abstentions d'UNIR et que donc son vote ne changerait rien. Mais bon tout ça reste supputations Selon les indiscrétions, le bulletin nul serait celui du conseiller de la DMP qui depuis longtemps disait qu'il ne voterait pas pour Fabre.
En offrant cette mairie symbolique à l’opposition, le pouvoir se donne une façade pluraliste. Mais derrière la vitrine, le scénario est écrit : Fabre devient un maire d’opposition sous contrôle, dans une mer uniformément acquise au parti au pouvoir. Nous sommes dans le scénario d’un coup franc indirect, où l’opposition, croyant marquer, envoie le ballon dans ses propres filets. La compromission se déguise en compromis.
MINISTRES-MAIRES : LE CUMUL DE TROP
Autre signe du dérèglement : plusieurs ministres en activité sont désormais maires dans des communes éloignées de la capitale.
Une aberration politique et administrative qui illustre la concentration du pouvoir entre les mains d’une même élite vieillissante qui confond leadership et titre politique.
Comment un ministre, déjà absorbé par la gestion nationale d’un portefeuille souvent en crise peut-il diriger efficacement une commune, gérer les marchés, les voiries, les ordures, les conflits fonciers ou les besoins quotidiens d’une population locale ? Le cumul des fonctions devient un cumul d’impuissance.
Le ministre, pris dans les réunions interministérielles, les sommets à l’étranger et les obligations politiques, ne peut matériellement pas suivre les affaires de sa mairie.
Le maire, quant à lui, ne peut pas se libérer des contraintes du ministre qu’il est déjà. Résultat : les communes se transforment en chantiers sans maîtres, dirigées à distance, souvent par procuration, sans présence ni responsabilité réelle. Le cumul empêche la disponibilité, détruit la redevabilité et entretient une culture d’arrogance où tout devient compatible, même l’incompétence.
Ce phénomène témoigne d’une pénurie organisée de talents. Le régime recycle les mêmes figures, comme si le pays n’avait plus de citoyens capables de gérer une mairie sans appartenir au cercle restreint du pouvoir central.
C’est le signe d’un épuisement profond, d’un système fermé sur lui-même, incapable de se renouveler. Comme Faure, certains ministres cumulent des postes plus pour les privilèges qui en découlent que pour les responsabilités qu’elles font porter sur les épaules.
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DES PARTIS POLITIQUES EN FAILLITE MORALE
Ce théâtre électoral met à nu une crise plus grave encore : la faillite morale des partis politiques. Piliers supposés de la démocratie, ils en sont devenus les principaux fossoyeurs.
Ils ne structurent plus le débat d’idées, ils distribuent des postes. Ils ne portent plus de vision collective, ils entretiennent des loyautés personnelles. Leur raison d’être s’est réduite à la conquête ou à la conservation à tout prix de positions d’influence.
La question se pose alors avec gravité : faut-il continuer à tolérer des partis politiques qui ne servent plus l’intérêt général ? La suppression pure et simple des partis pourrait sembler extrême, mais elle mérite d’être discutée. Car le pluralisme n’a de sens que s’il permet le choix entre des visions de société. Or, quand tous les partis se ressemblent dans leur cynisme et leur soumission, le pluralisme devient une mascarade démocratique. Simone Weil l’avait prédit : « Les partis sont une corruption de la pensée ». Au Togo, ils sont devenus la corrosion de l’action. Le peuple se retrouve orphelin malgré que les parents soient vivants.
LE PEUPLE, GRAND PERDANT
Pendant que les élites politiques marchandent les investitures et négocient les alliances locales, la majorité des citoyens reste spectatrice. Le peuple togolais ne croit plus aux promesses électorales. Il vote par résignation, non par conviction. La démocratie devient un rituel sans âme : des urnes bourrées, des discours magistraux pour cautionner la fraude, puis le retour au silence et à la pauvreté du quotidien. Cette distance croissante entre gouvernants et gouvernés explique la fatigue civique qui s’installe dans le pays. Elle est le symptôme d’un mal plus profond : la perte de sens éthique dans la gestion publique.
UN SYSTEME EN MENOPAUSE POLITIQUE
Ce week-end électoral clôt une séquence politique révélatrice : le système est à bout de souffle. Depuis vingt ans, le pouvoir multiplie les réformes de façade : dialogue politique, révisions constitutionnelles, cadre permanent de dialogue et de concertation, relances économiques et Plan National de Développement de féticheurs. Mais toutes ces initiatives, privées de volonté politique réelle, se sont figées dans la routine de la mauvaise gouvernance.
Les mêmes promesses de transparence et de développement se répètent comme un disque rayé, sans jamais produire d’effet concret. Les institutions sont devenues stériles : incapables de concevoir, encore moins d’enfanter un changement. D’où cette image d’un régime en ménopause politique : il ne produit plus ni idée, ni énergie, ni espoir.
Le système a perdu sa capacité de régénération. Il survit par réflexe, entretient l’illusion du mouvement pour masquer l’immobilisme. L’État tourne sur lui-même, pendant que la société se fatigue, les jeunes s’exilent et les élites se résignent. Jusqu’à quand le mensonge peut tenir dans ce jeu de poker à la baïonnette ?
POUR UN SURSAUT MORAL ET CITOYEN
Le Togo n’a pas seulement besoin d’une réforme institutionnelle : il a besoin d’un sursaut moral. Les citoyens, les élus, les intellectuels et les jeunes générations doivent se réapproprier la chose publique. Sortir de la logique partisane, reconstruire la confiance, et redonner au mot politique son sens premier : celui du service du bien commun.
Le renouveau ne viendra pas d’en haut. Il viendra d’une société qui refuse la résignation et exige l’éthique, la transparence et la responsabilité.
Madi Djabakate,
Politologue et Essayiste.
Citoyen engagé pour un comportement éthique et un leadership moral au Togo.
19 Octobre 2025