FRANCOIS G

Humanitaire et sur la pente de l'anarchisme

Abonné·e de Mediapart

54 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 janvier 2015

FRANCOIS G

Humanitaire et sur la pente de l'anarchisme

Abonné·e de Mediapart

A Calais : civilisation et barbarie

FRANCOIS G

Humanitaire et sur la pente de l'anarchisme

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chaque Français, au cours de son éducation, a appris que son pays était civilisé. Le L…, dictionnaire en ligne bien connu, nous indique que la civilisation est « l’état de développement économique, social, politique, culturel auquel sont parvenues certaines sociétés et qui est considéré comme un idéal à atteindre par les autres. » Pour le même L…, « la barbarie est l’état d'une société qui manque de civilisation ». Il précise que ce qui est barbare est cruel et féroce.

Une encyclopédie en ligne, W…,  indique que le mot désignait « des peuples migrateurs qui, sporadiquement ... ont cherché, venant de l'Europe du Nord ou d'Asie, les ressources et les terres dont ils ne disposaient plus dans leurs régions d’origine, soit pour des raisons climatiques et environnementales, soit en raison de leur croissance démographique, soit pour en avoir été évincés par d’autres peuples. » W… ajoute qu’on qualifiera « de barbare une époque, région, population, tradition, pratique, idée ou idéologie dont les coutumes, concepts ou préceptes légitiment ou semblent justifier, aux yeux de la personne qui en parle, des violences, la coercition, le pillage, l’aliénation, des injustices ou des crimes de masse. » Elle ajoute enfin  qu’on qualifie de barbare « une personne réputée brutale, inculte, intolérante, violente, destructrice, et le comportement, le langage, les mœurs de cette personne. »

Le mot barbare vient du grec barbaros, qui désigne l’étranger. Les Romains déjà nommaient Barbares les peuples qui n’étaient pas sous leur autorité.

Munis de ces outils intellectuels, nous nous rendons à Calais pour comprendre la situation. Où sont les civilisés ? Où sont les Barbares ?

Sur un terrain situé dans la zone portuaire de Calais, appartenant à la multinationale Tioxide, survivent environ 600 personnes. Là cohabitent des réfugiés afghans, érythréens, soudanais et divers, depuis les trois évacuations successives, en mai et juillet, de trois campements situés près du centre-ville de Calais. En quelques mois, ces réfugiés ont jeté un défi à la précarité dans laquelle ils vivent. Ils y ont construit une mosquée, une église, ouverte aux trois cultes chrétiens, une école, pour apprendre le français et l’anglais, et y projettent une infirmerie. Ils déploient des trésors d’ingéniosité pour bâtir avec des branches, des palettes, des bâches plastique, des draps et de la corde, des constructions capables de résister au vent d’hiver. Ils mettent en commun, malgré leur pauvreté, les ressources nécessaires pour aménager, décorer, embellir, ces lieux communs. Les femmes résidant dans cette jungle sont prioritaires pour occuper le seul bâtiment couvert, une ancienne salle de basket. On trouve aussi sur cette jungle deux restaurants, un barbier, une épicerie. Là, dans la boue, le vent et le froid, des étrangers en situation illégale ont fait un pied-de-nez à la précarité. Ils dialoguent entre eux, tâchent de résoudre les conflits autrement que par la violence – il y a des enjeux de territoires pour accéder aux camions allant vers le Royaume Uni -, jouent des sports collectifs, se répartissent tant bien que mal les vivres et les vêtements qu’on leur apporte. Ils tâchent de rester propres, ce qui n’est pas facile avec un point d’eau pour 800 personnes – il est commun avec une autre jungle- , pas de douches ni de lieu pour laver le linge. Ils accueillent chaleureusement les visiteurs, leurs offrent le thé ou une galette cuite sur un feu de bois, et leurs posent les questions utiles pour comprendre l’avenir qui leur est destiné, ici, à Calais, puis ailleurs en France ou en Europe. La plupart sont cultivés. Ils étaient étudiants, commerçants, médecins, chauffeurs de taxi, professeurs ou employés de maison. Presque tous parlent deux langues, mais beaucoup en parlent plus. Voilà pour les Barbares.

Du côté des « civilisés », adressons-nous d’abord à la municipalité. La Ville de Calais a demandé et obtenu l’évacuation et la destruction du camp installé rue de Moscou, qui était utilisé pour la distribution des repas, de vêtements et de premiers soins. Les biens des réfugiés – tentes, couvertures, affaires personnelles – ont été lacérés, évacués, broyés. La municipalité n’a pas voulu réparer les quelques douches proposées par le Secours Catholique, incendiées par deux jeunes à l’esprit fragile, manipulé par des extrémistes.  Elle refuse de mettre à disposition des réfugiés des sacs poubelle et des bennes et se plaint que les ordures jonchent le sol des campements provisoires qui se sont établis ici ou là. Elle s’interdit absolument de disposer des toilettes et laisse la population calaisienne se plaindre des excréments et des odeurs d’urine. Elle interdit aux réfugiés de jouer au football sur les terrains de sport de la ville.

Les garants de l’ordre dans le pays civilisé qu’est la France sont les forces de police. Elles tapent, elles gazent, elles enlèvent les chaussures des migrants qu’elles arrêtent, avant de leur indiquer avec humour « Go Salam » - Salam est le nom du lieu de distribution, ou même celui de Calais, pour les réfugiés -, parfois leurs volent de l’argent, les regroupent dans des bus ou des avions pour les envoyer ailleurs, pour les libérer ensuite puisque le droit ne leur permettait pas de les arrêter, ou pour les expulser. Elles détruisent des tentes et des duvets quand les réfugiés tentent de se trouver une place pour dormir dans un parc public ou sous un porche. Leurs chefs – préfet ou ministre – nient cette violence, et dépensent l’argent public à bâtir des obstacles aux déplacements des réfugiés.

Civilisés aussi les citoyens, calaisiens ou non, qui sur le site « Sauvons Calais » insultent, dénigrent, lancent des fausses rumeurs, demandent qu’on renvoie tous ces barbares dans leur pays « même en guerre », a précisé la plus civilisée d’entre eux.

Autorités, garants de l’ordre public et citoyens « bien » intentionnés maintiennent des hommes, des femmes et des enfants, dans la boue, la saleté, le froid, le mépris. Ils les rejettent aux confins de la ville, les accusent de tous les maux, ils veulent les rendre invisibles, les décourager, les chasser.

La cruauté, la violence, la coercition, l’injustice, l’intolérance, du côté des « civilisés », la coopération, le partage, l’éducation, la protection des plus fragiles, la dignité, du côté des « barbares » ! Pour les Grecs comme pour les Romains, tout « barbare » pouvait, en adoptant leur langue, leurs dieux et leurs mœurs, devenir Grec ou Romain. A certains de ces « barbares » la France, pays « civilisé » propose l’asile, sa langue, ses mœurs. En fera-t-elle des vrais « civilisés » ? Pas trop vite espérons-le.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.