FRANCOIS G

Humanitaire et sur la pente de l'anarchisme

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Billet de blog 13 mars 2016

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Calais. Lettre à M. Cazeneuve

Avant la démolition de la zone Nord du bidonville de Calais, quelques conseils à M. Cazeneuve.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur le Ministre

La destruction de la partie sud du bidonville de Calais, et l’expulsion de ses occupants – je n’utilise pas les mots démantèlement, mise à l’abri et la Lande, car nous sommes entre nous - , sont presque terminés. L’opération s’est effectuée dans les meilleures conditions, grâce au professionnalisme de ses acteurs, et grâce à l’absence de réaction des occupants et des bénévoles. Les médias sont partis. Les grévistes de la faim dépérissent sans que personne ne s’en soucie. Vos promesses – pas de violence, du temps, de la persuasion, un dialogue avec les ONG et associations concernant les C.A.O., dans le cadre d’une commission bimensuelle – n’ont évidemment pas été tenues, mais personne ne semble vous en tenir rigueur.

Il s’agit maintenant de ne pas perdre de temps, dans le sillage de cette brillante opération, pour la disparition de la zone Nord. Quelques menus obstacles pourraient retarder l’élan de vos forces de l’ordre, des tractopelles et des ouvriers chargés de cette opération, c’est pourquoi il nous apparait utile de vous suggérer ceci.

D’abord ne tardez pas, pour afficher l’arrêté d’expulsion. Il faut battre le fer quand il est chaud. Mardi soir sera bien, juste à la fin de la destruction des derniers abris de la zone Sud.

Demandez à vos C.R.S. de mettre le feu à la rue commerçante : cette initiative, vendredi dernier, a fait gagner un temps considérable, et a beaucoup réduit le volume à enlever et à mettre en décharge. Elle a permis en plus de vous débarrasser de la plus grande mosquée, qui était un des lieux collectifs à respecter.

Demandez aux forces de police de freiner, au moins, de bloquer, au mieux, les bénévoles. Leurs distributions de nourriture et de vêtements seront impossibles, ce qui contribuera à encourager les réfugiés à quitter le camp. La récente multiplication des procès-verbaux, donnés pour de multiples raisons, est une excellente idée, et de plus elle alimente les caisses de l’état.

Empêchez aussi les réfugiés, pour des raisons de sécurité, et du fait des travaux du chemin des Dunes, d’accéder aux lieux de vie que vous avez dû laisser intacts. Etant vides, ces lieux de vie pourront être détruits avec une argumentation solide, comme cela a déjà été fait avant la destruction de l’église évangéliste il y a quelques semaines.

Reste le problème de la population de la zone Nord. Comme vous le savez, un grand nombre de réfugiés de la zone Sud s’y sont installés, du fait de la saturation du CAP (les conteneurs), et du manque d’attractivité des CAO. Quelques centaines de réfugiés ont quitté Calais, mais il doit bien en rester 4 000 sur la zone Nord. Tout d’abord minimisez ce chiffre, comme d’habitude, et démentez les comptages que vont effectuer les associations. Annoncez 1 500 environ, et dites que cela correspond précisément au nombre de places ouvertes ces jours-ci dans les CAO. Comme cela est inexact, d’autant que certains CAO doivent être vidés de leurs occupants pour accueillir d’autres publics, faites chuchoter par vos équipes de maraude qu’ils peuvent aller à Grande-Synthe. Cela permettra ensuite de prouver que l’initiative du maire de la localité était irresponsable, d’autant que l’arrivée de ces nouveaux occupants et le mélange des communautés ainsi produit ne manqueront pas de provoquer des tensions dans ce camp.

Vos services vous ont aussi indiqué qu’un nombre non négligeable de réfugiés s’était dispersé dans la nature, autour de Calais et près du littoral, et que d’autres s’apprêtaient à le faire. Surtout n’en parlez pas, car ce fait risquerait d’être repris par des mauvais esprits pour prouver que la démolition du bidonville ne résolvait rien. Si on vous en parle, niez avec force ! Il sera toujours temps d’en parler ultérieurement, en expliquant notamment que les No Border sont responsables de ces installations sauvages, puisqu’ils continuent ou envisagent de continuer à fournir aux réfugiés de la nourriture, des vêtements, des couvertures, etc.. et surtout des tentes !

Pour augmenter les départs en CAO, les chiffres de ces deux dernières semaines étant assez décevants, mettez la pression sur les équipes de maraude. Vous ne devez pas être le seul à dire des contre-vérités ou des arguments spécieux. Les mineurs isolés seront hébergés brièvement et acheminés en Grande-Bretagne ! Il fait plus beau dans le Sud que dans le Calaisis ! Les demandeurs d’asile seront tous accompagnés dans leur démarches ! Et surtout ne dites pas à ces demandeurs d’asile qu’ils n’ont qu’une chance sur quatre, selon les chiffres de l’OFPRA, d’obtenir la protection de la France, et cela après 9 à 12 mois minimum de démarches.

Pour les tentes bleues : vous avez dû les proposer comme solution de mise à l’abri, malgré leur état déplorable, puisque les médias ne semblaient pas croire à vos données sur le nombre des occupants de la zone Sud, 800 à 1 000. Or ces tentes sont dans la zone Nord. Détruisez les en tout dernier lieu. Evacuez ensuite les occupants, mais pour de bons motifs : elles sont dans une zone inondable, elles ne sont pas chauffées ni isolées du sol, et les maffias les ont déjà prises à leur compte.

Pour les mineurs isolés, vous avez su contrer les éventuelles interventions de la C.E.D.H. et le Conseil d’Etat en produisant une ordonnance de prise en charge. Cette simple feuille de papier vous dispense effectivement d’agir sur le terrain, ce qui simplifie le travail de vos collaborateurs. Ce point-là peut être considéré pour le moment comme réglé pour vous.

Pour les nouveaux réfugiés qui ne tarderont pas à arriver, quand les traversées de la Méditerranée reprendront, et quand les passeurs auront trouvé les moyens de contourner les obstacles mis sur la route des Balkans, accentuez les contrôles dans les gares. Même s’ils sont titulaires d’un ticket de transport en bonne et due forme, empêchez-les de continuer. Reprenez les arrestations massives et la mise en centres de détention. Votre nouveau Ministre de la Justice pourra faire pression sur les juges pour qu’ils arrêtent leur fâcheuse habitude de les libérer après 24 ou 48 heures, en appliquant stupidement les lois de la République.

Concernant le blocage absolu des Britanniques concernant l’ouverture de voies légales, notamment pour rapprochement familial, continuez à dire que vous faites le maximum pour changer cette attitude. Mais comme vous savez que c’est perdu d’avance, continuez à défendre les accords du Touquet. Se féliciter d’un mauvais accord est encore la meilleure façon de moins en ressentir de dépit.

Continuez à dire qu’on ne passe plus en Grande-Bretagne, au Tunnel ou dans les ports. Vous savez que ce n’est pas vrai, mais il faut tenter de décourager les réfugiés, bien que ces derniers soient parfaitement au courant que ça passe, où ça passe et combien ça coûte. Il est important de taire les tarifs des passeurs, qui ont tellement augmenté grâce au renforcement des défenses du Tunnel et du port, ce point étant un peu délicat à aborder.

Pensez à décorer Mme la Préfète. Ce genre d’encouragement ne coûte pas cher et fait toujours plaisir. De plus, elle n’est pas très diplômée, donc cela améliorera d’autant son estime d’elle-même, comme pour ce prince d’Arabie Saoudite.

Les extrémistes d’ultra-droite ont pu manifester ce dernier samedi. Il est assez habile de la part de vos services, qui les contrôlent de près, de les avoir laissé manifester durant quelques dizaines de minutes, malgré les renseignements qu’ils avaient recueilli sur cette initiative. Vous avez pu ainsi donner aux forces de l’ordre un travail un peu plus intéressant que la surveillance nuit et jour d’installations privées, comme celles du Tunnel. Et ces arrestations pourront être présentées comme un exemple de fermeté de votre part.

Quelques mots-clés ou expressions, dont vous pourrez parsemer vos interventions : vérité, humanité, accueil, sécurité, ordre public, attention portée aux Calaisiens…

Monsieur le Ministre, ces conseils vous paraîtront peut-être simplistes. Ils vous obligeront à mentir : mais vous êtes coutumier de cela, et un mensonge d’état n’est qu’un moyen banal, et pas le plus condamnable, de mettre en place des mesures pour le bien commun. Cela vous amènera aussi à faire le contraire de ce que vous dites, et réciproquement. Cela vous amènera à diaboliser les bénévoles, même ceux d’organisations dociles, même ceux dont vous savez que le travail dévoué a permis d’améliorer les conditions de vie des réfugiés à Calais, pour un coût infiniment moindre que les solutions mises en place par vos services. Mais vous avez déjà utilisé ces procédés, avec un certain succès.

La disparition du bidonville ne résoudra certes pas le problème des réfugiés…mais, comme on dit, chaque chose en son temps. Vous faites partie d’un gouvernement qui, sur bien d’autres points, comme la crise agricole ou la loi sur le travail, a montré ses compétences sur le pilotage à très court terme sous pression, et sa volonté de faire les choses sans consultation préalable des intéressés. Continuez. Il sera toujours temps, après mai 2017, de passer à une activité bien plus aisée : la critique d’un gouvernement de droite, quand il voudra continuer sur le chemin que vous aurez tracé si habilement. 

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