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Billet de blog 14 juillet 2014

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La mairie de Calais soigne son image et accroit la misère des migrants

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La mairie de Calais soigne son image et accroit la misère des migrants

Dès le début de son second mandat, Nathacha Bouchart et son équipe ont brisé l’ordre fragile qui s’était établi à Calais. Aujourd’hui c’est la chasse aux migrants.

Sous un ciel menaçant, la file d’attente, un demi-millier de personnes, s’allonge le long du quai de la Moselle. Dans la file d’attente un bénévole et quelques-uns de ses compagnons réconfortent un Erythréen, effondré, le visage décomposé : deux policiers lui ont volé une heure auparavant, lors d’un contrôle, les deux cent euros qu’il avait dans son portefeuille, sa seule fortune pour survivre et tenter de payer un passeur qui fermera une nuit la porte d’un camion sur lui. Au bout du quai, un fourgon blanc, autour duquel une douzaine de bénévoles s’affairent. Chaque migrant reçoit un sachet avec du pain, deux bananes et une cuiller. Puis on lui tend une barquette où l’on déverse ce soir-là des pâtes avec du saumon et des légumes. Un peu plus loin, quelques migrants aident les musulmans à emballer leur barquette : en cette période de ramadan, ils attendront le coucher du soleil pour entamer ce seul repas de la journée. Soudain le ciel ouvre ses écluses et une énorme averse se  déclenche. Plusieurs dizaines de migrants se précipitent vers un amoncellement de grands sacs en plastique, les emballages du pain et du poisson, pour tenter de se protéger. Et en un instant la file d’attente calme et organisée se transforme en une foule énervée, agglutinée autour de la camionnette. Il faut un bon quart d’heure et des ordres bruyants, pour que les bénévoles réussissent à refaire la file d’attente et à terminer la distribution. L’averse a pris fin. Et maintenant il faut gérer la pénurie : un fourgon conduit par une bénévole de la Somme est arrivé, avec quelques tentes, quelques couvertures, quelques paires de chaussures provenant de dons. Mais la demande est trop forte : la police et les employés municipaux ont détruit il y a une semaine les tentes et les couvertures du campement improvisé rue de Moscou, à quelques centaines de mètres. Des migrants implorent les bénévoles, montrant leurs souliers défoncés, leurs vêtements trempés, et le maudit ciel toujours chargé de nuages, pour expliquer leur détresse. La majorité des migrants tente chaque nuit de trouver un abri précaire, l’encoignure d’une porte, un bosquet, abri illusoire contre la pluie, avec un bout de bâche noire ou un sac poubelle de cent litres. La plupart sont épuisés, de manque de sommeil, et des courses nocturnes pour essayer de trouver un camion pour l’Angleterre. On répartit les quelques objets disponibles, en privilégiant les mineurs, nombreux ce soir-là. Avant de partir, les bénévoles confient leurs sentiments mélangés : le plaisir des poignées de main avec les migrants et de leurs sourires, la tristesse de ne pas avoir pu répondre aux besoins, la colère contre les autorités.

Les rassemblements interdits

A une centaine de mètres, le beffroi majestueux de la ville domine le paysage. Cet après-midi Emmanuel Agius, l’adjoint de la Maire de Calais, Nathacha Bouchart, y a réuni la presse pour annoncer un arrêté municipal. Le bivouac et tout rassemblement public sont interdits dans un périmètre situé entre la mairie et le port, là où les migrants circulent. L’élu se défend d’avoir produit un arrêté anti-migrants, tout en expliquant avoir reçu des milliers de messages de Calaisiens se sentant en insécurité. La police pourra interpeler et verbaliser les rassemblements de nature à troubler l’ordre public : place à l’arbitraire et à la subjectivité ! Est sans doute aussi visée la manifestation que les associations de soutien aux migrants comptent organiser samedi prochain place d’Armes. La municipalité parcourt ainsi une étape supplémentaire dans un processus de violence entamé dès le début du second mandat de Nathacha Bouchart.

Lors de son premier mandat, un équilibre fragile s’était établi. Contrairement à la municipalité précédente, celle du communiste Jacky Hénin, la mairie avait établi une concertation avec les associations humanitaires. A la demande de Salam et de l’Auberge des Migrants, un lieu de distribution avait été aménagé rue de Moscou, avec deux bungalows pour le stockage du matériel, des barrières et deux auvents pour abriter la file d’attente de la pluie. La ville ramassait chaque jour les poubelles, et quatre robinets permettaient aux migrants de s’alimenter en eau, de faire une toilette sommaire et de laver leur linge. Le Secours Catholique avait pu organiser un vestiaire chaque quinzaine. Dans une maison, rue Victor Hugo, initialement squattée par l’association radicale No Border, un foyer d’accueil pour femmes et enfants avait été improvisé, puis pris en charge par une association locale avec l’accord des autorités. En parallèle, le préfet Denis Robin dialoguait avec les associatifs, promettant une maison des migrants, et allant jusqu’à admettre que les initiatives des No Border, le squat de la rue Victor Hugo, avaient fait avancer les choses !

Evacuations et promesses non tenues

En mai, juste après les élections municipales, qui ont vu la reconduction du mandat de l’équipe de Nathacha Bouchart, le ton change. A l’approche des fêtes maritimes de Calais, consacrées au patrimoine et à l’histoire du port, la ville demande l’évacuation de deux camps, installés depuis des années près des quais, sur deux terrains propriétés de la Région : deux amoncellements de tentes, de bâches et de cabanes en palettes, connus sous les noms respectifs de camp des Erythréens et des Afghans. Le prétexte est le début d’une épidémie de gale, un parasite favorisé par l’entassement et les mauvaises conditions d’hygiène. La préfecture s’exécute le 28 mai et organise l’évacuation des camps et leur destruction. L’opération est un fiasco. Quelques migrants acceptent de prendre un premier cachet, mais refusent, au milieu d’importantes forces de police, de monter à bord des bus qui doivent les emmener pour la deuxième phase du traitement, la douche, des traitements de la peau et le changement de leurs vêtements.  Ils craignent d’être transférés en centres de détention puis expulsés. Des centaines de migrants ont maintenant perdu leur abri sommaire et ils se regroupent provisoirement sur le lieu de distribution, en attendant le terrain promis par le sous-préfet Alain Gérard. Cette promesse n’étant pas tenue, le lieu de distribution se transforme en camp, avec une centaine puis, quelques semaines plus tard, environ 500 migrants. Médecins du Monde et les associations locales ont procuré, avec difficulté, les bâches, tentes, couvertures, matelas, nécessaires pour abriter ce monde. La coexistence avec les autres fonctions sur le site se constitue : la distribution de repas, la toilette, le lavage du linge, le rechargement des téléphones portables … et les loisirs, autour d’un ballon ou d’un poste de radio. Fait notable, les communautés s’organisent, nomment des délégués, qui se concertent et cherchent à dialoguer avec les autorités, et les bagarres, qui survenaient parfois entre migrants de différentes origines, disparaissent malgré les bousculades lors de la distribution des repas. Le nettoyage du site et l’évacuation des déchets, malgré l’insuffisance des poubelles, se font avec les bénévoles et des migrants. Une vingtaine de migrants commencent une grève de la faim, qui recueille peu d’échos dans les médias, et s’arrête dans les derniers jours du mois de juin après une douzaine de jours de jeûne.

Fin juin la municipalité de Calais franchit une nouvelle étape. Elle obtient du tribunal administratif l’évacuation du lieu de distribution. Le 2 juillet, d’importantes forces de gendarmerie, sous la direction du préfet, investissent les lieux. Les migrants endormis ou qui refusent de sortir de leur abri sont gazés. Le tri au faciès permet d’évacuer manu militari des bénévoles européens présents sur le site. Les associatifs et les journalistes sont repoussés brutalement à plusieurs centaines de mètres. Trois militants associatifs qui refusent de bouger sont emmenés et mis en garde à vue pour rébellion. Des cars de gendarmerie sont disposés de façon à empêcher toute prise de vue. Il faut une journée entière pour évacuer dans une douzaine de bus les 700 migrants environ arrêtés sur place. Les mineurs ou ceux qui déclarent l’être sont emmenés vers un centre de vacances près de Béthune, à une centaine de kilomètres. Ils s’en échapperont le jour même. Les femmes et les enfants sont dirigés vers des locaux du Secours Catholique, réquisitionnés sans dialogue préalable. Les majeurs sont convoyés vers des centres de rétention, Rennes, Paris ou Rouen. L’opération semble réussie sur le plan militaire et logistique, quoique le préfet ait dû faire appel vers midi aux associations pour obtenir des repas, le nombre de migrants s’avérant supérieur à ses estimations. Les médias, qui s’étaient déplacés en nombre lors des évacuations de mai, ont été peu présents, sans doute de peur de lasser leurs auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs.

 Quel essaim de mouches a-t’il piqué la municipalité, pour qu’elle brise l’ordre fragile qui s’était établi ? Le risque d’épidémie de gale a été un prétexte. L’image de la ville serait écornée par les déambulations des migrants et leurs campements précaires. Mais Calais est peu touristique, et une solidarité fraternelle pourrait tout aussi bien servir cette image, plutôt que la répétition des violences. Les Calaisiens, paraît-il, se sentent en insécurité. Des milliers de courriers parviendraient à la mairie : c’est peu probable, bien que l’extrême-droite locale s’acharne à inciter les riverains à se plaindre à la municipalité. Au contraire, de nombreux Calaisiens font, seuls ou à travers les associations de soutien aux migrants, des gestes de solidarité, modestes, mais précieux : du pain, une paire de chaussures, un sourire, une pièce, une couverture … La ville est calme, ce qui n’est peut-être pas le cas de l’équipe de Nathacha Bouchart. Cette dernière s’agite et déplore de devoir supporter seule la charge des migrants. Mais celle-ci est inexistante : quelques modestes subventions aux associations, le soin de débarrasser les poubelles. C’est la Police Nationale qui assure le « maintien de l’ordre ». Le PASS assure une permanence médicale et met à disposition quelques douches. L’hôpital de Calais traite avec compétence les accidentés. La Région prête le terrain pour la distribution des repas. Nathacha Bouchart souhaiterait que Dunkerque et Boulogne prennent leur part : mais Dunkerque et les communes voisines le font, et Boulogne n’a plus de lignes transmanche, donc n’attire pas les migrants. Alors une hypothèse : la municipalité redoute d’être débordée par l’extrême-droite locale, et elle adopte la politique naguère suivie par Sarkozy : droitiser le discours et les pratiques. Intimidation, violence, évacuations, durcissement des règlements, chasse aux migrants, sont supposés contenir les extrêmes, et la ville en arrive à faire la politique de ces extrêmes à leur place. Pourtant le risque est faible : l’extrême-droite locale est divisée, avec trois listes présentes aux élections municipales et des scores plutôt faiblards. Le groupe local Sauvons Calais s’est déconsidéré à travers les tatouages nazis de son leader.

Les migrants, conformément aux prévisions des associatifs, sont déjà revenus, poursuivant leur rêve d’Angleterre. Les bus du 2 juillet, arrivés à Lille, Valenciennes, Arras, se sont ouverts et la police locale, où l’on s’exprime peu en anglais, leur a dit « Go », et les migrants  sont revenus à pied, de nuit, le long des autoroutes, ou dans les trains régionaux. Ceux détenus ici ou là ont été libérés, soit parce qu’ils avaient fait au préalable une demande d’asile, soit que les conditions de leur arrestation aient été jugées illégales par les tribunaux compétents. Certains sont ressortis avec un ordre de quitter le territoire français, qui ne sera pas exécuté. Quelques-uns ont été refoulés en Italie, le pays où ils ont abordé quelques mois plus tôt, et leur retour sera plus tardif. A leur arrivée à Calais, les migrants sont dans une misère extrême. Les tentes et les couvertures ont été lacérées par les policiers puis compressées en bennes par les employés municipaux. La municipalité a changé les serrures des bungalows du lieu de distribution,  paye une société de gardiennage pour bloquer les lieux, et parle de rouvrir fin août. Il n’y a plus aucune concertation avec les associations de soutien aux migrants. Sous la pluie de ce début juillet, les migrants –ceux qu’on nommait « réfugiés » du temps de Sangatte, il y a douze ans, -implorent les bénévoles pour obtenir une couverture ou un morceau de bâche. En ville la police a arraché à des migrants leur sac de couchage. La distribution des repas, 250 le soir de l’évacuation, 500 aujourd’hui, s’effectue à ciel ouvert. Une partie du millier de migrants présents sur Calais et les environs ne veut plus quitter les « jungles », ces campements où ils se sentent un peu moins en insécurité. Les associatifs sont partagés entre honte et colère. Et ce samedi, la police leur interdira peut-être de manifester place d’Armes. L’état, garant de l’ordre public, a créé du désordre. L’état, garant de la propriété individuelle, a détruit les biens des migrants et des associations. L’état, signataire des accords européens, ne les respecte pas, notamment en matière de protection des mineurs et d’accueil des personnes fragiles. Il renvoie des migrants vers une Italie déjà débordée par les arrivants. La municipalité, soucieuse de son image, la détériore à travers la violence. Elle ne respecte pas la convention signée avec les associations lors de la mise en place du lieu de distribution. Garante de la solidarité entre habitants, elle suit puis précède les préconisations des extrémistes et divise les Calaisiens. La police, qui estime n’avoir pas les moyens de contrôler les migrants et d’assurer ses missions, observe le tableau et laisse certains de ses membres se livrer à la violence contre les personnes. Et ce fichu début d’été pourri continue à déverser des seaux d’eau froide sur les migrants à la recherche d’un abri. Ce soir, demain, une trentaine de nouveaux arrivants se présenteront. Il y aura Mohamed, de Syrie, David, d’Erythrée, Hadji, du Pakistan, Abdulrahim, du Soudan, peut-être Wladislav, de Lettonie, chacun avec le souvenir des semaines, des mois ou des années nécessaires pour arriver à Calais, celui des compagnons de voyage morts en route ou disparus dans le désert. La nuit prochaine, ou pendant la finale de la Coupe du Monde, une quinzaine d’anciens arrivants parviendra à passer à travers les mailles des contrôles frontaliers, effectués par les forces françaises pour le compte des policiers et douaniers anglais. Et fin août les associatifs distribueront 800 repas sur les quais de Calais. Nathacha Bouchart viendra-t-elle, comme jadis un roi de France, déguisée, se rendre compte de la misère des uns et du dévouement des autres ?  

 François Guennoc

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