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Billet de blog 15 juillet 2014

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Calais: un problème de migrants, ou un problème de vocabulaire?

« Quelles solutions face au problème des migrants » ? Cette question semble simple et bien posée. Elle appelle chacun à élaborer des propositions. On débattra de celles-ci en en pesant l’efficacité, le coût et l’éthique. Peut-être – sans doute- conclura-t-on qu’il n’y a pas de solutions, ou que la réponse appartient à d’autres : l’Europe, les pays d’origine ou les Nations-Unies.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Quelles solutions face au problème des migrants » ? Cette question semble simple et bien posée. Elle appelle chacun à élaborer des propositions. On débattra de celles-ci en en pesant l’efficacité, le coût et l’éthique. Peut-être – sans doute- conclura-t-on qu’il n’y a pas de solutions, ou que la réponse appartient à d’autres : l’Europe, les pays d’origine ou les Nations-Unies.

Mais si la question était mal posée ? Et si le choix des mots nous mettait sur une fausse route ? On estime que 800 à un millier de migrants sont présents dans le Calaisis. Leur présence amène des associations à se mobiliser, pour ou contre, les autorités à mener des actions aussi contradictoires que l’expulsion, la prise en charge, la proposition d’intégration ou la simple tolérance. Les enjeux sont politiques, sociaux, économiques, éthiques, émotionnels, logistiques, relationnels ou religieux. Une clarification dans la description du phénomène et dans la construction de l’avenir nécessite une réflexion sur la sémantique de la chose, sur le sens des mots utilisés.

Migrants. La définition du Larousse est « qui effectue une migration ». Si les migrants de Calais répondaient à cette définition, leur présence serait aussi anecdotique que celle du touriste anglais en transit entre son île et le continent. Ils ne feraient que passer, de Kaboul à Birmingham ou de Alep à Londres, via Lampedusa ou non. Mais les migrants sont justement empêchés de migrer, conjointement par la Police Nationale, la P.A.F., les services de la C.C.I. de Calais, les douaniers français, puis les services anglais de mêmes fonctions. Du temps de Sangatte on les appelait les réfugiés. La connotation est toute autre. Un réfugié est parti pour fuir un danger. Il mérite donc notre attention, voire notre compassion, peut-être notre aide, voire un accueil digne de ce nom. Les gens du Nord ont encore en mémoire les réfugiés belges qui fuyaient la guerre en 1940, les réfugiés polonais qui fuyaient le communisme, et l’hospitalité dont ils les ont fait bénéficier. Les Calaisiens les ont aussi appelé Kosovars, du fait de leur forte proportion. Mais ce qualificatif est tombé en désuétude face à l’afflux des Afghans ou des Soudanais. Le mot « migrants » pose donc problème. Il ne décrit pas la condition misérable de ces personnes qui tentent de survivre des semaines, des mois, voire des années dans les « jungles » ou dans les rues de Calais, justement parce qu’ils ne peuvent pas migrer, parce qu’ils ne sont pas des migrants. D’autre part ce mot est masculin,  il ne décrit pas la situation des femmes et des enfants de cette population. Enfin, le mot migrant enferme le réel dans une catégorie, laisse donc place à l’interprétation et à l’émotion de chacun : on accepte ou non « les migrants », on en a peur ou on en a pitié. Mais s’il était donné à chacun de connaître Ahmed, dont le père et un frère ont été tués par les talibans, Hassan, qui était juge à Bagdad, Idriss, dont l’épouse et les deux enfants se sont noyés au large de la Sicile, David, fils de commerçant riche d’Alep, chassé par son père pour de mauvaises fréquentations, Djemila, étudiante en sociologie à Alger, Karl, SDF allemand venu tenter sa chance ici … la représentation globale du concept de « migrants » laisserait place à une infinité d’émotions, de façons d’entrer en communication, de dialoguer, d’agir, de choisir enfin d’aider ou de rejeter, d’ignorer ou d’intégrer. Il manque en définitive un mot, ou plusieurs, qui permettraient de définir ce groupe d’humains en transit entre – en général- une réalité douloureuse à fuir et un rêve anglais difficile à concrétiser.

Problème des migrants. Dans la question étudiée, il semble que les migrants posent problème à d’autres. Or, il semble que ce sont d’abord les migrants qui ont un problème, non ? Admettons que l’on se penche sur les problèmes que sont supposés poser les migrants. D’abord ces « problèmes » n’existeraient pas si la frontière britannique était ouverte (cf. supra, le problème c’est la frontière, pas les migrants). Les migrants sont-ils bruyants ? Voleurs ? Assassins ? Se livrent-ils à des exactions, des délits, voire des crimes ? Apparemment non, en tout cas jusqu’à présent ils n’en ont pas posé, tant qu’ils ont eu le minimum : un peu à manger, des toilettes, des douches, la possibilité de laver leur linge, l’accès aux soins en cas de maladie. Le problème est semble-t-il « le sentiment d’insécurité des Calaisiens ». Cette expression elle-même, de Natacha Bouchart, sénateur-maire de Calais, mériterait à elle seule une analyse fouillée. Mais si ce sentiment d’insécurité existe chez les Calaisiens, que dire alors du « sentiment d’insécurité » qu’éprouvent les migrants, face à la police, aux passeurs, aux extrémistes de « Sauvons Calais » ( !), face à la faim, au sentiment d’abandon, à l’éloignement de leur famille, à la peur, à la fatigue, sous la pluie, dans le froid, la saleté et le risque de maladie ? Au lieu de regarder « les problèmes des migrants », on crée ou amplifie « un problème » des nationaux, même si ceux-ci ont un toit, de quoi manger, se distraire, un passeport et une famille. Voilà pour le soi-disant « problème des migrants ».

Face au problème des migrants. L’expression indique bien que la personne ou l’institution qui pose la question se positionne en-dehors, en en face donc. Les militants associatifs, bénévoles du Secours Catholique, d’Emmaüs, de l’Auberge des Migrants, de Salam, de Médecins du Monde, ne sont pas « en face » ils sont « dans » « le problème des migrants ». Ils travaillent avec eux, serrent des mains, soignent des blessures, font essayer une paire de chaussures, donnent une couverture. Avec les migrants, ils se trouvent « en face », pour le coup, de la police, de la maire de Calais, du gouvernement, du préfet, du directeur des Affaires Sanitaires et Sociales, des CRS … tous gens chargés de « trouver des solutions face au problème des migrants ».

Solutions face au problème des migrants. Bien entendu, si les migrants sont « un problème, « en face » duquel « on » se trouve, il faut trouver « des solutions ». La racine de ce mot est la même que celle du mot « dissoudre », qui signifie « faire disparaître ».D’après les dictionnaires, les synonymes de dissoudre sont anéantir, annuler, décomposer, désagréger, diluer, fondre. Les synonymes de solution sont aboutissement, achèvement, fin, terminaison, dispersion … Il s’agit donc de trouver des façons que le « problème » disparaisse. D’ailleurs, les blocages aux frontières, les expulsions, les interdictions de « bivouac » (cf. le dernier arrêté du maire de Calais), les arrestations, emprisonnements, sont sans doute un moyen, naïf, illusoire, et qui de fait reste symbolique, d’agir de façon à ce que le « problème » disparaisse. Quand on sait que l’Europe des peuples s’est constituée de migrations successives, que la France s’est enrichie des immigrations russe, belge, italienne, portugaise, algérienne, marocaine, et que demain elle pourrait sortir « du problème des migrants » enrichie des apports de Syriens ou des Lithuaniens, on ne peut que s’effarer de ces tentatives de « solutions ». A tout prendre, la seule solution « face au problème des migrants » serait d’affréter un bateau par semaine, de Calais à Douvres, un petit, même sans confort, avec peu de vitesse, pour une centaine de migrants, le nombre qui arrive à Calais sur cette période.

Quelles solutions face au problème des migrants ? Finissons avec cette note d’humour marquée par « quelles » ? Il y aurait donc plusieurs méthodes pour dissoudre « le problème des migrants », ne resterait plus qu’à trouver la plus efficace, la plus économique et la plus politiquement correcte.

Tout changerait si on se posait ainsi la question : que pouvons-nous faire avec les réfugiés de Calais, dont les Anglais ne veulent pas ? En posant ainsi la chose, une toute autre perspective s’ouvre, ne trouvez-vous pas ? La sémantique peut s’accorder avec l’éthique…

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