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Billet de blog 17 juillet 2014

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Réfugiés de Calais : le mouvement associatif à la hauteur, les autorités, non

Dans la situation de crise que connait Calais, le mouvement associatif fait face aux besoins d’urgence malgré l’incompétence et l’incohérence des autorités, de la mairie au sommet de l’état.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la situation de crise que connait Calais, le mouvement associatif fait face aux besoins d’urgence malgré l’incompétence et l’incohérence des autorités, de la mairie au sommet de l’état.

Quai de la Moselle, mercredi soir, vers 17 heures : une dizaine d’associatifs arrivent pour organiser la file d’attente des migrants. Poignées de mains, sourires, et un peu de temps pour connaître les besoins de l’un ou de l’autre. Trois nouveaux arrivants afghans ont besoin d’une tente et de couvertures. Un Erythréen a fait une mauvaise chute et a besoin de soins. Un Soudanais a oublié son téléphone portable à l’hôpital de Calais. A 18 heures les deux fourgons de l’Auberge des Migrants se garent en tête de la file d’attente, forte d’environ 300 réfugiés. D’autres arrivent du vestiaire mensuel du Secours Catholique avec un petit sac : des vêtements, une couverture, une paire de chaussures, et la file s’allonge. La distribution commence, avec l’appui de quelques adhérents d’autres associations, le renfort de plusieurs jeunes appelés par réseaux sociaux, une initiative de Calais Ouverture et Humanité, et l’aide de quelques migrants. Sur deux postes de distribution, chacun reçoit un sachet, avec du pain, des fruits, puis une barquette avec un plat chaud, ce soir poulet, riz et légumes. Comme d’habitude, quelques SDF français se sont présentés dans la file d’attente et ont été servis. Une heure et demie après, 700 repas ont été distribués. Ceux des musulmans qui respectent le ramadan ont été emballés dans de la cellophane et seront consommés après le coucher du soleil. Parmi les réfugiés, une vingtaine de femmes, qui n’ont pas pu trouver de place dans le local qui leur est réservé route de Saint-Omer, et une cinquantaine de mineurs. Après la distribution, les associatifs s’attardent pour ramasser, avec les réfugiés, les déchets des repas dans des sacs de 100litres, et finir quelques conversations. Des hommes lavent leur linge autour du seul robinet de l’endroit.

Des associations efficaces et coordonnées

Depuis deux semaines, les associations locales qui préparent des repas ne peuvent plus travailler sur le lieu de distribution, rue de Moscou. Celui-ci, après l’évacuation brutale par la gendarmerie, est fermé, et les deux bungalows de Salam et de l’Auberge des Migrants sont inaccessibles. Les serrures ont été changées par la ville et un gardiennage privé est chargé d’éloigner les anciens usagers.  Pourtant, malgré ces décisions arbitraires, les associations continuent d’assurer leurs tâches. Salam et l’Auberge des Migrants préparent et distribuent un repas par jour. Le Réveil Voyageur circule de jungle en jungle pour servir des petits déjeuners. Emmaüs fournit des couvertures, en remplacement de celles détruites par les forces de police, ainsi que du pain provenant des invendus des supermarchés du Calaisis et du Boulonnais. Médecins du Monde amène des tentes, là aussi après la destruction de celles qui avaient été fournies les semaines précédentes, lacérées et compressées en déchèterie. Le Secours Catholique fournit des vêtements et des chaussures. Calais Ouverture et Humanité informe et cherche à susciter des initiatives de solidarité des Calaisiens. L’association No Border a ouvert un nouveau squat dans un bâtiment industriel inoccupé, et organise avec une cinquantaine de migrants le fonctionnement du site. Autour de ces structures, de nombreux Calaisiens viennent donner un coup de main ponctuel, ou collectent autour d’eux des vêtements et de la nourriture. Plusieurs blogs relaient l’information et suscitent le débat. Les associations et les bénévoles assurent donc les tâches qui incomberaient normalement aux autorités, dans le cadre des lois françaises et des accords européens : la protection des mineurs et des familles, l’aide d’urgence aux réfugiés, l’information sur leurs droits, l’hébergement des demandeurs d’asile. De fait, elles assurent l’ordre public, en amenant le minimum nécessaire aux réfugiés, évitant ainsi le vagabondage, les vols, la violence. Quelques réfugiés sont aidés dans leurs démarches de demande d’asile, hébergés temporairement dans des familles ou sur un terrain de camping. La coordination locale des associations, assurée naguère sous l’égide de la municipalité à travers le « conseil des migrants », qui n’est plus réuni, s’effectue désormais en parallèle, lors de rencontres régulières. Sur le plan régional, la Plate-Forme de Services aux Migrants fait circuler l’information et coordonne le travail des associations, sur le Nord-Pas de Calais, en lien avec celles de Paris et Cherbourg. Le mouvement associatif, qui mobilise une centaine de personnes sur Calais, montre sa cohérence, son efficacité, et s’adapte aux conditions difficiles que lui a créées la mairie de Calais ces dernières semaines. Ses alliés indispensables sont les services d’urgence et de santé publique, qui font leur travail.

Les autorités créent du désordre et de la violence

On ne peut pas en dire autant du côté des autorités. Depuis fin mai, face à l’augmentation du nombre de réfugiés, et probablement sous la pression combinée du ministère de l’intérieur, des autorités britanniques et de l’extrême-droite locale, Nathalie Bouchart, sénateur-maire, et son équipe, tentent de faire disparaître les migrants du paysage urbain et portuaire. C’est à la demande de la mairie que le préfet a mis en place début juin l’opération d’évacuation de deux camps installés près du port, puis celle du lieu de distribution, début juillet, investi par les migrants sans abri. La mairie ne respecte plus la convention qu’elle avait signée avec les associations Salam et l’Auberge des Migrants, pour la mise à disposition du lieu de distribution. Après avoir lancé aux Calaisiens en fin d’année dernière un appel à la délation concernant l’ouverture de squats, elle a promulgué deux arrêtés municipaux contre le bivouac et les rassemblements de personnes, dans le secteur de la ville le plus fréquenté par les migrants. Du côté de l’Etat, le préfet Denis Robin a exécuté, sans enthousiasme, les opérations demandées par la mairie. Il a cessé de dialoguer avec les associations. La permanence téléphonique Etrangers et Naturalisation a été fermée en février dernier. Le sous-préfet de Calais, Alain Gérard, qui devait proposer, après les premières évacuations, un autre terrain pour le campement des réfugiés, n’a pas tenu ses promesses. La police nationale traine les pieds, estimant qu’elle manque de moyens pour effectuer ses tâches. Le ministère de l’intérieur semble aux abonnés absents, à moins qu’il ne tire les ficelles dans l’ombre. Le ministre Bernard Cazeneuve n’exécutera probablement pas les promesses de son prédécesseur Manuel Valls. La Région, propriétaire des terrains du port, se contente d’expliquer qu’elle n’a pas demandé l’évacuation de ces terrains, mais elle ne s’y est pas opposée. Depuis des mois, les autorités cumulent promesses non tenues, comme l’hypothétique Maison des Migrants ou l’éventuel terrain d’accueil, décisions sans concertation, comme la réquisition des locaux du Secours Catholique pour héberger les femmes et les enfants, et laissez-faire face aux violences et à l’arbitraire policier. L’hygiène publique n’est pas assurée, car on n’installe pas les toilettes et les douches nécessaires. En définitive, les autorités ajoutent du désordre au désordre, de la violence à la violence, et elles ont rompu les ponts avec le mouvement associatif. Nathalie Bouchart innove même, tentant de diviser les associations en attaquant No Border, qui serait un repaire d’extrémistes venus d’ailleurs, et qui n’est de fait qu’une aile radicale et utopiste de jeunes, dont les initiatives sont soutenues par des associations aussi dangereuses que Médecins du Monde et Emmaüs … et dont le préfet lui-même a reconnu qu’elles avaient leur utilité.

La patience des bénévoles

Dans une situation de crise, le mouvement associatif répond présent. Porté par des valeurs aussi simples et évidentes que la compassion, la solidarité, le besoin de justice, il assure, pour un coût dérisoire, le minimum vital. Il suscite des dons, d’objets ou de vivres, mais également dons de temps et de compétences. Il accueille sans diviser, réfugiés d’Afrique ou du Moyen-Orient, ou SDF européens. Il enrôle même des Français en risque de marginalisation, qui en participant au travail bénévole, retrouvent dignité et sentiment d’utilité. Il travaille avec patience, sans agressivité, pour reconstituer le minimum nécessaire quand la police a procédé aux destructions. Pour toutes ces tâches, il ne reçoit ni encouragements ni aides de l’état. Au contraire, il se heurte à des autorités qui tentent avec brutalité de faire disparaître « le problème des migrants », de décréter leur invisibilité. L’état disperse les migrants aux quatre coins de la France dans des opérations coûteuses, avant de déplorer qu’ils reviennent dans les jours suivants. Il ne respecte pas les règles européennes. Il agit dans l’illégalité en fermant des squats sans procédure conforme. Il expulse parfois  vers des pays en guerre. Il tente de reporter le problème sur les pays voisins, en refoulant des réfugiés vers l’Italie. Il tolère la violence de ses forces de police. Il ne respecte pas les décisions des tribunaux, quand ils sont saisis après des arrestations, des emprisonnements ou des expulsions non conformes aux lois.

Bientôt un millier de réfugiés

Les élus et les autorités déplorent souvent de ne plus pouvoir s’appuyer sur les « corps intermédiaires ». Les syndicats ont peu d’adhérents. Les partis politiques « traditionnels » sont désertés à mesure qu’éclatent les affaires. Ne serait-il pas temps de considérer toute la place occupée par le mouvement associatif, de le respecter, de l’encourager, au lieu de le négliger, le critiquer, voire l’attaquer de front ? Face aux situations de crise, telle celle que connait Calais, comme point d’affluence des migrants, mais aussi face au chômage, à la misère, à la solitude, ici et ailleurs, les bénévoles assurent gratuitement, en donnant de leur temps, quand ce n’est pas leur argent, les missions qui devraient être assurées par l’état. Ce dernier, pourtant à la recherche de l’équilibre budgétaire, organise de coûteuses opérations de police et de destruction des biens des individus, des associations et des O.N.G. Il ne respecte pas les lois qu’il a lui-même édictées, piétine ses propres promesses et crée du désordre. Il organise publiquement le spectacle de son incompétence. Et dans quelques semaines, quai de la Moselle, là où le conseil municipal vient de décider la création d’une salle de sports, le nombre de repas servis chaque jour pourrait atteindre le millier. 

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