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Billet de blog 20 juillet 2014

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Pêches maritimes : diminuer la pression de pêche pour pérenniser la ressource … et les pêcheurs !

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La surpêche

Pêches maritimes : diminuer la pression de pêche pour pérenniser la ressource … et les pêcheurs !

 De plus en plus de poisson d’élevage chez votre poissonnier, de moins en moins de poisson « sauvage », et les cris d’alarme des scientifiques, de la FAO : les ressources en poisson de la planète sont menacées. Un certain nombre de mers sont devenues de vrais déserts, de nombreuses espèces sont menacées de disparition pure et simple. Et la course à la puissance des bateaux, à la longueur des engins de pêche, aux performances des engins de détection se poursuit… inexorablement ? Seule une décroissance organisée de la pêche peut sauver … la pêche.

Les problèmes de surpêche ne sont pas nouveaux. Déjà au XVIIIème siècle, une ordonnance royale interdit la dreige, un engin de pêche constitué de filets alourdis et trainés sur le fond. La dreige était accusée, à juste titre sans doute, de détruire le frai (les œufs de poisson et les juvéniles). Vers 1850, les pêcheurs de Basse-Normandie veulent faire interdire le chalut à bâton, ou chalut à perche, pour les mêmes raisons. Un peu plus tard, l’administration cherche à supprimer certains types de filets fixes posés à la côte, qui retiennent aussi trop de petits poissons. A la fin du XIXème siècle, d’énormes flottilles de chalutiers à vapeur, anglais surtout, se constituent, et en quelques années on constate la diminution considérable des captures de soles, carrelets, turbots, raies et morues en mer du Nord. Les principaux pays riverains de la mer du Nord se réunissent en Conférence Internationale à Londres pour décider de mesures de conservation. Ces conférences se dérouleront désormais régulièrement. Elles réussissent à faire augmenter progressivement le maillage des chaluts et des filets dérivants, de 40 à 60 mm initialement jusqu’à 85 mm à 120 mm dans les années 1980. Enfin, après la mise en place de l’Europe Bleue, les quotas de pêche sont mis en place, et d’autres mesures structurelles, comme les permis d’exploiter, la limitation des puissances de traction, et la diminution des flottes de pêche par la destruction ou le retrait de bateaux de pêche. L’Europe décide même l’arrêt total de la pêche du hareng en 1977 face à l’effondrement des captures. En parallèle, les nations maritimes instaurent des limites à l’intérieur desquelles elles se réservent les droits de pêche. La protection des ressources halieutiques (de poisson) est souvent la raison, ou le prétexte, de ces décisions. Progressivement ces limites sont portées à 3 milles marins (milieu du XIXème siècle), puis 12 milles, 50 milles et enfin 200 milles dans les années 1980, sous l’influence notamment des Islandais, très dépendants de leurs ressources en poisson. Enfin, quelques nations mettent en place des mesures de protection très strictes, comme l’interdiction de pêcher, permanente ou pour quelques années : les USA protègent ainsi des pêcheries de homard, les Canadiens de flétans, et les îles Féroé leurs flétans et leurs morues.

Surpêche et engins destructeurs

Avec tous ces moyens, et en plus la connaissance de plus en plus avancée de la biologie des poissons, la prise en compte de la nécessité de protéger les ressources naturelles, la coopération accrue entre états, à travers les instances internationales (O.N.U., F.A.O., Banque Mondiale, marchés communs régionaux…), on pourrait penser que la gestion raisonnée de la ressource serait déjà en place, au nom du « développement durable » et autres slogans mystificateurs … Eh bien non, au contraire ! Il est donc intéressant d’analyser les causes de la surpêche et de se demander si les concepts de la décroissance ne pourraient pas apporter de réponse à ce problème.

Mettons-nous d’accord sur les termes : surpêche signifie que les captures sont excessives par rapport aux capacités naturelles de renouvellement des poissons. Il faut englober dans la réflexion les conséquences de l’utilisation de certains engins de pêche. Les chaluts trop lourds, ou les chaînes qui les lestent, les crochets que l’on ajoute pour fouiller le fond et faire lever le poisson, provoquent des dommages aux fonds marins (végétation, lits de sable et de gravier propices à la reproduction). Certains engins non sélectifs comme la senne, capturent des espèces non recherchées, ou non commerciales, ou non rentables, qui périssent ou sont rejetées en mer, ce qui constitue un gaspillage considérable : c’est le cas des crabes par les filets fixes, des dauphins par les filets dérivants, par exemple. Les petits maillages, tolérés pour la pêche de la crevette ou de la langoustine, par exemple, remontent des poissons trop petits, qui n’ont pas eu le temps de se reproduire et dont la vente est –à juste titre- interdite, et qui sont rejetés morts. Ne parlons pas de la pêche à l’explosif, illégale mais souvent pratiquée dans les pays pauvres, pêche économique mais évidemment très destructrice. N’oublions pas les estivants qui raclent les rochers au râteau pour ramasser les moules, petites ou grosses mélangées !

Les prédateurs et le marché

Premier facteur de surpêche : les comportements individuels des patrons de pêche, avec leurs équipages. Quand il y a du poisson, on pêche, on ne s’arrête pas de pêcher : esprit de compétition, goût du prestige, encouragé au besoin par des trophées, Rubans Bleus ou autres, appât du gain – les patrons sont soit propriétaires, soit payés proportionnellement au tonnage pêché-, raisonnement à courte vue, sans souci du futur. « Quand i’n’a, i’n’a » ! dit-on dans les ports du Nord de la France. Et puis si on ne le pêche pas aujourd’hui, il ne sera peut-être plus là demain. Ou c’est un concurrent qui le prendra … Mentalité de chasseur, comme on le dit souvent, ou de prédateur. Il ne s’agit pas ici de culpabiliser les pêcheurs. Les humains sont ce qu’ils sont. L’argent permet de posséder tellement de choses, une belle maison, de la sécurité, du confort. Mais il est important de prendre conscience que la surpêche se constitue déjà là, au quotidien, sur chaque bateau de pêche, que ce soit un canot de 6 m ou un chalutier de pêche industrielle de 80 mètres.

Bien souvent, cependant, le patron n’a pas le choix : il a son bateau à payer, et sa maison sans doute. Son équipage, lui aussi en général intéressé au rendement, ne comprendrait pas qu’il limite les quantités pêchées. L’armateur de la pêche industrielle a ses frais généraux à payer et ses actionnaires à satisfaire. Quand les charges de carburant augmentent, pour s’en sortir il faut encore pêcher plus. Tout le monde met la pression, et le résultat est sans surprise.

Les mécanismes du marché sont aussi en partie responsables : quand une espèce appréciée par le consommateur se fait rare, les prix augmentent, ce qui constitue un encouragement supplémentaire à continuer et accentuer la pêche. Certains consommateurs japonais ou chinois sont prêts à payer une fortune du thon rouge ou des ailerons de requin, ce qui encourage la surpêche. A l’inverse, si les prix baissent, il faut pêcher plus pour compenser le manque à gagner. La grande distribution, qui a développé ses rayons poissonnerie, prend des marges confortables, et écrase ses prix d’achat. Il faut d’ailleurs savoir que la grande distribution jette beaucoup : dès que le poisson n’est plus présentable, il passe à la poubelle, alors que certains petits poissonniers en font de la soupe ou des plats préparés. L’essor de l’élevage hors-sol (porc, poulet, dinde…) en Europe, notamment au Danemark, à partir des années 1950, a créé des débouchés pour la farine de poisson, et d’énormes quantités de poisson immature ont été pêchées à partir de cette époque pour alimenter les usines. L’Union Soviétique, et d’autres pays de l’Est ont constitué des flottilles énormes de chalutiers-usines, dans les années 1960, pour nourrir leur population, victime des échecs agricoles … ou exporter et capter des dollars.

Des règlementations insuffisantes

Les « progrès » techniques font aussi des ravages. Le « chalut à bâton » employé par les petits bateaux au XIXème siècle, et qui apparemment laissait une bonne chance au poisson de s’échapper, a été remplacé à la fin du XIXème siècle par le chalut de fond à panneaux, qui a permis la capture de quantités incroyables de carrelets, soles, turbots, raies, dont les stocks se sont effondrés en Mer du Nord dès 1900. Après la première guerre mondiale, le chalut à grande ouverture verticale est né, permettant la capture du merlan, qui s’est vite raréfié, et du hareng. Il s’est encore amélioré après la 2ème G.M. Les sondeurs sont apparus dans les années 1920 et leur perfectionnement a permis de détecter les bancs de poisson à partir des années 1930. Les chaluts pélagiques, capables de pêcher le poisson évoluant en pleine eau, ont été mis au point dans les années 1950. La vitesse et la puissance des chalutiers ont augmenté, réduisant les chances du poisson d’échapper au chalut ou à la senne tournante. Les systèmes Decca et Loran, qui se généralisent dans les années 1950, puis la géolocalisation par satellite, dans les années 1990, permettent de retrouver, à quelques dizaines de cm près désormais, les endroits où se sont réfugiés les poissons. Comme le disait plaisamment un pêcheur en retraite, aujourd’hui, s’il y a un seul poisson sur le fond, on connait sa taille, son nom et son prénom et ses projets dans les minutes qui suivent, il ne reste plus qu’à l’attraper. A partir du milieu, et surtout de la fin du XIXème siècle, le capitalisme a pris le relais de l’artisanat, amenant des masses de capitaux et soumettant la pêche à des contraintes fortes de rentabilité, de façon à constituer des fortunes, qui se sont ensuite bien souvent investies ou gaspillées ailleurs.

Mais pourquoi les réglementations nationales ou internationales ne fonctionnent-elles pas ? D’abord parce qu’elles sont insuffisantes. Les négociateurs sont encadrés par leurs gouvernements, qui leur demandent de ne pas céder pour ne pas mécontenter leurs pêcheurs. Le lobbying des grandes compagnies de pêche à Bruxelles est constant. Les négociations entre états aboutissent à des compromis au niveau de protection le plus bas proposé. Les prévisions des scientifiques sont considérées comme trop pessimistes. Les décisions sont souvent trop tardives. Par exemple le Canada a décidé dans les années 1980 d’exclure de ses eaux tous les chalutiers étrangers et d’arrêter la pêche de la morue, menacée de disparition pure et simple : mais d’autres espèces avaient pris la place de la morue et la population de cette dernière ne s’est pas du tout reconstituée.

Le déni de la surpêche

Du côté des pêcheurs, le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont réticents à accepter les restrictions de pêche. D’abord un étrange déni règne chez eux : il y a toujours du poisson, il y en a même en abondance, mais les stupides réglementations, demandées par des scientifiques ignares, nous empêchent de le payer. Ou bien il y du poisson, mais le marché n’en veut plus, etc. Ces affirmations ont un seul but : permettre aux pêcheurs de rêver à une liberté de pêche retrouvée, ce qu’on ne pourrait justifier que si le poisson était abondant. Certaines organisations de pêcheurs manipulent les journalistes : on a vu sur les quais de Boulogne des pêcheurs présenter quelques grosses morues, et faire croire que les caisses en plastique sur le quai en étaient remplies. Les patrons de pêche, tous, savent bien pourtant que la ressource est partout fragile, que très souvent, en raclant le fond de la Manche pendant des heures, on ne remonte plus 500 kg ou une tonne de poisson, mais 100 ou 200 kg d’un mélange détestable de déchets plastique, de petit poisson immature, d’algues, avec quelques rares dizaines de kg de moruette, de merlan ou de rougets. Mais il faut bien soutenir, contre l’évidence, qu’il y a du poisson, pour rêver de ne plus être emm… par les fonctionnaires zélés, les technocrates bruxellois, les scientifiques pointilleux, pour rêver de retrouver la liberté perdue, liberté d’ailleurs un peu mythique car les règlements sur le maillage minimum ne datent pas d’hier ! Autre forme de déni : le poisson s’est adapté, il fuit le chalut, en somme il serait plus intelligent que le pêcheur … Si certains pêcheurs sont plus lucides ou plus honnêtes, c’est aussitôt pour accuser l’autre : c’est le Danois qui pêche trop pour la farine, l’Anglais, ce vieil ennemi, qui pêche(rait) la coquille Saint-Jacques de nuit en baie de Saint-Brieuc, les pêcheurs d’Europe du Nord avec la senne danoise, Brigitte Bardot, qui en protégeant les phoques, a permis que leur population augmente, et savez-vous, Monsieur, un phoque mange 1 tonne de poisson par an ! Ou c’est la pollution, ce qui n’est pas complètement faux, au regard des millions de tonnes de déchets toxiques déversés en mer du Nord jusqu’il y a peu. Ou le changement climatique, ce qui n’est sans doute pas faux non plus pour certaines espèces. Ou les scientifiques qui n’y connaissent rien, d’ailleurs, monsieur, quand on embarque un de ces savants, il dort la nuit, et c’est la nuit qu’on pêche ! Ou les plaisanciers …

Face aux réglementations qui se mettent malgré tout, tant bien que mal, en place, la triche est généralisée : la mer est vaste, les contrôles pas permanents, et les fonctionnaires sont souvent peu courageux, et parfois achetables ! Contre une caisse de poisson, on ferme les yeux lors du contrôle au débarquement… Sur les quais, on vend du poisson hors-taille. La pratique de la « chaussette » par exemple, a été très répandue pendant des dizaines d’années : elle consiste à mettre à l’intérieur d’un chalut aux mailles réglementaires une poche de filet de petit maillage, qui ne laisse rien passer ! C’est un secret de polichinelle. Il faut dire que la politique des quotas paraît aux pêcheurs souvent absurde, à juste titre. Si la France, a droit à un quota de 10 000 t de morue, quota réparti entre ports et entre bateaux, par exemple, une fois que ce quota est atteint, admettons en septembre, on doit arrêter la pêche, alors que la morue se présente sur nos côtes pendant l’hiver. Ou bien on doit rejeter cette morue –morte bien sûr- en mer. La politique européenne des pêches a aussi amené à verser des primes pour casser des bateaux encore en état de travailler, avec interdiction de les exporter vers des pays sous-développés, où ils auraient été utiles. Au même moment, l’Europe subventionne la construction de chalutiers géants !

L’élevage n’est pas la solution

Finissons ce sombre tableau en rappelant que des gouvernements corrompus, en Afrique notamment, ou au Costa-Rica, ce soi-disant exemple de « développement durable », vendent leurs ressources côtières, et donc les ressources de leurs propres pêcheurs artisanaux, aux pays riches. Ils cèdent des droits de pêche dans leurs eaux territoriales, contre monnaie sonnante et trébuchante. On a même vu un gouvernement africain concéder des droits à des compagnies chinoises contre la construction de stades de football, aujourd’hui en ruine et désertés ! Déjà, dans les années 1970, des coopérants français tâchaient d’aider les pêcheurs en pirogue du Sénégal à moderniser leurs techniques de pêche … et chacun pouvait voir, à peu de distance des côtes, au même moment, des chalutiers français taper dans la ressource, dans le cadre d’un accord « de coopération » signé entre la France et le Sénégal !

La solution n’est pas dans le poisson d’élevage, du moins comme substitut au poisson « sauvage ». Le poisson d’élevage a besoin de farine de poisson, donc d’une pêche massive de poisson souvent juvénile, ou de farine de céréales (il y a des poissons végétariens). Elevé dans des espaces restreints et donc surpeuplés, le poisson est traité aux antibiotiques, en plus des colorants artificiels, pour lui donner une chair plus rouge et imiter le poisson sauvage. L’élevage intensif pollue le milieu. Et on nous met au point des saumons génétiquement modifiés (OGM), qui pourraient bien diffuser leurs gènes ensuite aux poissons sauvages. Bien sûr, si vous avez les moyens de vous payer du saumon ou du turbot bio, ça existe, mais c’est très cher. Et on retrouve au passage la crise financière : la Grèce a développé, grâce aux crédits européens, des élevages de dorades, poisson aujourd’hui en surproduction, et bradé à vil prix – ce qui concurrence le poisson sauvage - pour trouver les ressources en capitaux nécessaires pour rembourser la dette ! L’Islande, face aux mêmes problèmes, a décidé de piétiner les accords qu’elle avait signés avec Bruxelles et a multiplié ses pêches de maquereau hors-quotas pour, là aussi, tenter de retrouver « de la croissance ».

Comment stopper la surpêche, reconstituer la ressource, et la mettre de façon pérenne (le mot durable a été galvaudé au point qu’il donne la nausée, alors disons pérenne) ? Les concepts de la décroissance seraient bien utiles pour trouver les bonnes solutions. Il faut d’abord diminuer les quantités pêchées, pour permettre aux espèces fragilisées de se reconstituer. Pour tout un chacun, avec un peu de logique, le moyen le plus évident serait d’interdire la pêche pendant quelques années, totalement sur certaines zones, partiellement sur d’autres. Les pêcheurs eux-mêmes, après les guerres – guerres de la Révolution, jusqu’en 1814, guerre de 1914-1918, guerre 1939-1945, ont constaté que les stocks de poissons s’étaient reconstitués : on revoyait des bancs de poisson s’échouer sur le rivage, des pêches « miraculeuses », des coups de chalut de 20 ou 30 tonnes de poisson … Evidemment ça ne durait pas longtemps : deux ou trois années de surexploitation, du poisson mis à la farine ou utilisé comme engrais, et il fallait à nouveau aller pêcher plus loin, des bateaux plus puissants, des chaluts plus grands, des appareils de détection plus perfectionnés …

Une décroissance organisée

Pourquoi l’Europe Bleue n’a-t-elle pas mis en place de « cantonnements », ou « box », comme disent les anglo-saxons ? La France y a toujours été opposée, avec quelques autres pays comme l’Espagne. Il s’agissait de « protéger » la pêche côtière, avec ses petits bateaux pêchant à proximité de la côte. Et nos fonctionnaires, bien avant l’influence de Reagan ou de Thatcher, depuis le Second Empire en fait (1852-1870), sont élevés dans les grandes écoles d’administration dans un esprit de libéralisme économique : vive la liberté d’entreprendre, non aux règlements, sauf si on ne peut pas faire autrement. On voit d’ailleurs les dégâts de ce libéralisme dans la Santé, avec le soutien aux cliniques privées et la gestion « rationnelle » des hôpitaux publics. Il est aussi plus simple de se présenter aux négociations à Bruxelles ou ailleurs dans cet esprit de refus, au nom de la défense (immédiate) des intérêts (à court terme) de la pêche nationale. Les administrations ne sont pas non plus enthousiastes à affronter ces rudes pêcheurs quand ils manifestent. L’Europe des Pêches a pris la voie des quotas et des réformes de structure, la diminution de l’effort de pêche par la casse des bateaux, et cela dans un esprit de compromis, néfaste à des mesures radicales. Pourtant les réussites, trop rares, sont là : l’interdiction de la pêche sur l’espace marin du Parc National de Corse, notamment pour protéger le mérou, a porté ses fruits. D’ailleurs les pêcheurs locaux sont nombreux à venir travailler … aux limites du Parc. On a parlé plus haut du contrôle de la pêche du homard et du flétan par les USA et le Canada. En France, la maîtrise de la pêche de la coquille Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc, a à peu près réussi. Les bateaux n’ont le droit de pêcher que quelques jours, sur un créneau horaire précis, avec des dragues à coquille réglementées et nombre et en dimension. Le contrôle de la pêche sur des zones d’interdiction est très simple : on peut obliger chaque bateau à embarquer une balise qui signale sa présence. Donc on peut organiser la décroissance de l’effort de pêche pour permettre à la nature de reprendre son souffle.

Du côté du consommateur, cela nécessite l’information, l’appel à l’intelligence : est-il justifié de payer 20 ou 30 € du kg un poisson sauvage, très cher parce que devenu très rare ? Il y a du poisson de saison, dont les stocks ne sont pas ou plus menacés, ou pas trop, comme le hareng et le maquereau. Est-il raisonnable de manger du grenadier, du beryx, poisson de grand fond, dont les capacités de reproduction sont très faibles, espèces menacées de disparition après quelques années de pêche industrielle non contrôlée. Faut-il manger du saumon d’élevage, bourré d’antibiotiques et de colorants ? L’éducation, comme dans d’autres domaines, a aussi sa place dès l’école : la mer offre des ressources pédagogiques considérables.

Partager les savoir-faire et la ressource

Il est nécessaire d’aider les pêcheurs, soit à se reconvertir, soit à mettre leurs bateaux à sec sur un coin de quai en attendant la reprise de la pêche. C’est ça ou attendre sans rien faire que la pêche s’effondre, et l’emploi avec. Evidemment, il serait préférable que tout cela soit géré par les pêcheurs eux-mêmes : il existe des organisations professionnelles, comme les comités locaux ou les coopératives, à qui l’on peut confier la gestion d’espaces marins donnés. Cependant, en attendant que les humains deviennent tous raisonnables et coopératifs, le contrôle et la sanction restent indispensables en cas de non-respect. Mais rien de plus facile, avec les instruments actuels, de surveiller un espace maritime donné. L’utilisation d’engins de pêche non ou peu destructeurs serait à promouvoir et aider : les casiers ; les lignes de fond, avec des gros hameçons, qui ne pêchent pas de petit poisson. Les filets fixes, ou dormants, à maille règlementaire, ne sont pas nuisibles à condition que leur longueur ne soit pas excessive. Même la pêche industrielle, les grands chalutiers ou senneurs, ont leur place, pour exploiter raisonnablement le poisson présent au large, thon notamment. Mais comment supprimer le lobbying de ces grandes sociétés auprès des autorités internationales ? Surtout il faut leur interdire l’accès aux ressources côtières, les plus importantes pour les peuples de pêcheurs des pays pauvres.

A terme de trois ou quatre années seulement, on pourrait retrouver de la ressource, avec du poisson vendu à un prix assez raisonnable pour que la production du poisson d’élevage arrête son développement. Il y a cependant la place pour de l’élevage non polluant, en particulier dans les pays du tiers monde, pour satisfaire la consommation locale, poissons mangeurs d’algues, ou de déchets, ou de végétaux non alimentaires. Une politique raisonnée des pêches devrait aussi aider la petite pêche côtière des pays pauvres, en commençant par ne pas renouveler, en tout cas pas à n’importe quelles conditions, les droits de pêche accordés aux flottes étrangères. Pour ce domaine aussi, le partage des richesses et des savoir-faire est possible et nécessaire.

Paradoxalement, une stratégie de décroissance, organisée, consensuelle, mais volontaire, pourrait déboucher sur une croissance des ressources alimentaires, aujourd’hui gaspillées et menacées de destruction. De quoi couper l’herbe sous le pied de ceux qui traitent les décroissants de rétrogrades et d’archaïques.

Quelques sources d’information

Site internet : overfishing.org (onglet « overfishing in one minute » ; wwf.be (une pétition pour une pêche durable, et onglet « espèces menacées ») ; greenpeace.org ; saveourseas.com ; wikipedia : article « Surpêche » ; ird.fr (le point de vue de Daniel Pauly, une vidéo intéressante) ; documentaire « The end of the line, Rupert Murray, 2009) ; talkingfish.org (Why ending overfishing is good for both fish and fishermen alike)

Quelques points de repère :

En 1900, nos océans contenaient au moins 6 fois plus de poisson qu’aujourd’hui. Nous pêchons à peine plus que nos arrière-grand parents en 1889. Il ya trois fois trop de tonnage de bateaux de pêche par rapport aux capacités de production des espèces pêchées (site overfishing.org). 80% des pêcheries du monde sont exploitées à leur limite ou surexploitées. La surpêche menace aussi des populations d’oiseaux de mer et de mammifères marins. La surpêche favorise la piraterie en ruinant les pêcheurs côtiers (http://magzvid.com/video/?p=529)

Les campagnes de Greenpeace

Greenpeace plaide pour la pêche artisanale, contre la pêche industrielle. L’organisation essaie de s’allier aux représentants professionnels de la pêche côtière et artisanale, pour peser, avec le grand public, sur les décisions européennes. La petite pêche est moins destructrice, et les artisans plus conscients des risques d’épuisement de la ressource, épuisement auquel ils sont confrontés au quotidien. Une analyse plus fine serait sans doute nécessaire : la pêche artisanale emploie aussi des engins de pêche qui détruisent les milieux et la ressource, comme le chalut de fond. La promotion de la pêche aux lignes de fond, aux filets fixes ou à la canne devrait compléter le dispositif.

Les techniques de pêche, des moins destructrices aux plus destructrices :

-          Casiers : la dimension des ouvertures donne une bonne sélectivité

-          lignes de fond, lignes trainantes : la taille des hameçons est sélective (les gros hameçons pêchent du gros poisson)

-          Filets fixes (maillants, trémail…) de mailles réglementaires : les grandes mailles laissent passer le petit poisson

-          Filets dérivants, sennes (filets tournants) de mailles réglementaires : les grande smailles ne prennent que du gros poisson

-          Chaluts pélagiques et semi-pélagiques : ils pêchent entre deux eaux, mais les mailles même suffisamment grandes, ne laissent passer qu’une partie du petit poisson

-          Drague à coquille : l’engin ratisse superficiellement le fond

-          Senne danoise : elle rabat le poisson vers le chalut sur une très grande largeur

-          Chaluts de fond : ils raclent le fond et détruisent les écosystèmes

-          Chaluts crevettiers de fond : de très petites mailles, souvent lestés ou dotés de dents pour lever le poisson

-          Chaluts à perche, avec chaînes : engins très lourds et destructeurs

-          Chaluts de grand fond : travaillent sur des écosystèmes très fragiles

-          Explosifs, poisons végétaux et chimiques

Les espèces de poisson, des plus aux moins menacées (voir les sites Internet les plus spécialisés pour plus d’informations)

-          Espèces de grand fond (beryx ou empereur, flétan, sabre noir) (espèces à croissance lente et reproduction tardive)

-          Raies, soles, saumon sauvage, thon rouge, turbot (espèces de fond ou pélagiques surpêchées)

-          Cabillaud, carrelet, bar, lieu jaune, merlan, merlu (espèces fragiles, surpêchées ou menacées de l’être, plus ou moins sous contrôle de la PCP (Politique Commune des Pêches)

-          Lieu noir, hareng, maquereau, thon blanc (germon) (espèces à potentiel de reproduction élevées, et/ou non surpêchées, contrôlées par la PCP)

Pour mémoire, les engagements du Grenelle de la mer (France, 2009), non tenus

Engagements 14a, 21a et 21b : objectif de 10% d’AMP (aires marines protégées) dans la mer territoriale d’ici à 2012, puis 20% d’AMP sur l’ensemble des eaux françaises en 2020, dont la moitié en moyenne globale en réserve de pêche (réserve halieutique). Identifier les sites sensibles (coraux profonds, monts sous-marins, sources hydrothermales) pour lesquels il est nécessaire d’instituer des zones d’interdiction de pêche ou de pratique de pêche…

Pour mémoire, le programme d’IFREMER : où en est-on ?

Inventaire des zones fonctionnelles (susceptibles de devenir des aires marines protégées) 2011-2012. Travail législatif et réglementaire 2011-2013. Bilan de la situation actuelle de l’encadrement des activités de pêche mi-2012. Travail cartographique de représentation de l’encadrement spatiotemporel des activités de pêches existant. Etat des lieux partagé, définition des besoins de protection par sous-région marine et de cibles géographiques dans les plans stratégiques de façade (les PAMM pour la métropole) dans le cadre des conseils maritimes de façade 2012-2015. Définition locale de projets de « réserves halieutiques » 2015-2020. Vérification nationale que les objectifs sont atteints. Question : en 2015 sera-t-il encore temps d’agir ?

La production de Boulogne sur mer depuis 1945 … bientôt la fin ?

1938 87 000 tonnes

1955 125 000 t

1966 150 000 t

1975 115 000 t

1984 95 000 t

1993 70 000 t

2008 47 000 t

2011 36 000 t

2013 36 000 t

Si vous êtes intéressé(e) par ce débat ou ce point de vue, retrouvez le journal La Décroissance (mensuel, en kiosque), l’association Greenpeace-France. 

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