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Billet de blog 22 décembre 2015

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Les réfugiés en Slovénie : transit organisé et faux-semblants en fil barbelé

La Slovénie, d’abord débordée par les réfugiés, a depuis quelques semaines organisé leur transit vers l’Autriche. Malgré tout, elle construit un mur de barbelés sur sa frontière avec la Croatie, inutile mais peut-être politiquement gagnant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A quelques centaines de mètres de la gare de Podova, près de la frontière croate, des grandes tentes blanches ont été installées par la sécurité civile slovène. Elle reçoivent des réfugiés en transit entre la Croatie et l’Autriche. Dans le brouillard de l’hiver slovène, dès 7 h du matin, la première équipe de jour des bénévoles de la Croix Rouge et de Slovenia Filantropia commence son travail, au milieu des policiers et des militaires. Il s’agit de ranger les couvertures, les matelas, et de nettoyer les tentes chauffées, qui ont accueilli durant la nuit quelques centaines de réfugiés, maintenant partis. Un train est attendu vers 10 h, en provenance de Croatie. Vers 10h30, un premier vieil autobus urbain, venu de la gare toute proche, débarque une centaine de personnes. Encombrés de sacs, ce sont des hommes, souvent jeunes, des familles, beaucoup d’enfants, tous un peu hébétés de fatigue. Un sachet de vivres leur est distribué. A ceux qui parlent anglais, on leur explique : ils sont en Slovénie, et partiront dans quelques heures vers l’Autriche. Presque tous les bénévoles et tous les officiels portent des masques, comme si ces Syriens, Afghans, Irakiens, étaient des pestiférés. Durant une heure et demie, les autobus continuent leur noria, avec d’autres arrivants du même train.

En route pour l’Autriche

Une file d’attente commence, pour l’enregistrement, serpentant entre des barrières, dans le froid du matin. Certains réfugiés sont inquiets : va-t-on prendre leurs empreintes ? Non, il s’agit de confronter la liste des arrivants avec celle fournie par les autorités croates. La Slovénie n’a pas du tout l’intention de les garder comme demandeurs d’asile, pas plus d’ailleurs que la Macédoine, la Serbie ou la Croatie, qui semblent s’être tous entendus, avec l’Autriche, pour faire transiter les réfugiés vers l’accueillante Allemagne. Après l’enregistrement commence une longue attente, à l’abri d’une tente cette fois. A Podova, l’accueil est désormais rodé. Il n’est pas souriant, comment le serait-il avec les masques, mais efficace. Rien ne manque : le médecin, les couches et le lait pour les nourrissons, les officiels de l’O.N.U., qui a fourni les couvertures grises, le ramassage des poubelles, les toilettes et les interprètes. Les militaires sont distants, les policiers plutôt aboyeurs et souvent ironiques. Selon une bénévole polonaise, qui travaille ici depuis deux mois, les policiers hongrois sont les plus brutaux, les tchèques un peu moins, et les slovènes plutôt civilisés. En effet, la Slovénie a demandé l’aide de ses voisins pour encadrer le flot des réfugiés. Enfin, vers 14 heures, alors qu’une deuxième vague de nouveaux arrivants arrive en bus, ceux du matin sont embarqués dans ces mêmes bus, vidés de leurs occupants, en direction de la gare de Podova. C’est à l’écart des autres voyageurs, à l’arrière de la station, dans une cour, qu’ils sont transférés vers des autocars plus confortables. Et bientôt 9 autocars, encadrés par deux voitures de police, gyrophares allumés, partent pour rejoindre l’autoroute en direction de la frontière autrichienne. Ce soir les réfugiés seront en Autriche, demain en Allemagne. Malgré les blocages des frontières et l’hiver qui s’étend sur l’Europe, plus de 1 400 personnes seront passées par le camp de Dobova ce jour-là, en trois vagues.

127 demandes d’asile

Nous sommes loin du désordre de la mi-septembre et d’octobre. , après la fermeture de la frontière hongroise, définitive le 17 octobre. Le flot de dizaines de milliers de réfugiés s’était détourné, pour rejoindre l’Autriche,  vers la Croatie et la Slovénie. Les autorités slovènes, en lien avec la sécurité civile, avaient anticipé cet afflux dès mi-septembre, en prévoyant la création de plusieurs camps destinés à l’accueillir. Cependant, fin octobre, les autorités étaient débordées. Les militaires et les policiers envoyés à la frontière et chargés tout à la fois de maintenir l’ordre et de distribuer des secours, n’avaient même pas les moyens de s’abriter eux-mêmes. Les activistes accourus sur place étaient dans la même confusion, ne sachant quoi et comment distribuer, certains finissant par se protéger du froid avec des couvertures destinées aux réfugiés. Les premiers jours, l’organisation et les conditions de survie étaient donc déplorables, notamment dans le camp de Brezice, à une dizaine de kilomètres de la gare de Dobova. Les réfugiés devaient attendre à la frontière croate, puis marcher sur plusieurs kilomètres pour rejoindre le camp, puis les bus et les trains chargés de leur faire traverser le pays.  Le gouvernement slovène déclare avoir recensé plus de 375 000 réfugiés, entrés sur son territoire depuis début octobre. Sur ce nombre, seuls 127 auraient demandé l’asile. Les autres sont passés en Autriche. Il n’aura fallu que quelques semaines de discussions entre les pays situés sur la route des Balkans, entre la Grèce et l’Autriche, pour se mettre d’accord sur des modalités de transit. Concernant la Slovénie, depuis le 30 octobre, ce transit s’effectue directement entre train, en provenance de Serbie et de Croatie, et bus. Pourtant, douze jours seulement après cet accord, la Slovénie commençait à édifier une barrière de barbelés sur sa frontière avec la Croatie.

Le serpent de barbelés

Ce dimanche 20 décembre, une manifestation se déroule entre les villages de Kostel et de Fara, le long de la rivière Kupa, ou Kolpa, qui forme la limite avec la Croatie. Elle constitue un obstacle facile à franchir sur des gués, notamment durant l’été et l’automne. Sur la rive slovène, un long serpent de fils barbelés brillants s’allonge. Il a été décoré de guirlandes, de rubans dorés, de figurines en papier mâché, d’étoiles et de toutes sortes d’objets multicolores par les opposants au mur. Les panneaux fleurissent, tel celui qui affirme « SI tu penses que ces barbelés sont une bonne protection, coupes-en et emmènes-en un morceau pour protéger ta maison ». Ici ou là, une brèche a été laissée par les militaires qui ont construit ce barrage, pour des raisons obscures, ou a été ouverte par des protestataires. En effet, les opposants ne manquent pas. Du temps de la Yougoslavie, aucun obstacle n’était ici opposé à la circulation. Peu après l’adhésion de la Slovénie et de la Croatie à l’Union Européenne, et bien que la deuxième ne fasse pas partie de l’espace Schengen, la situation n’avait pas évolué. Il aura fallu attendre l’arrivée massive des réfugiés pour que soit créé cet obstacle. Cette région a une faune sauvage très protégée. Les ours, les lynx et les loups se déplacent sur un vaste territoire, ignorant les frontières. Des défenseurs de la faune sauvage ont diffusé des photographies d’animaux blessés ou tués dans les barbelés. La Kupa est aussi une rivière très poissonneuse, qui attire de très nombreux pêcheurs, ainsi que des kayakistes. Cette partie sud-est de la Slovénie, notamment la Bella Krajina, est à la fois la plus pauvre et celle qui cherche le plus à développer le tourisme.

Faux-semblants

Cette barrière de barbelés, qui insupporte écologistes, chasseurs,  pêcheurs, hôteliers et touristes, est plus symbolique qu’efficace : elle laissera des brèches ; elle est franchissable car les fils métalliques ne résistent pas aux pinces coupantes. Les 8 000 hommes de l’armée slovène ne peuvent pas surveiller les 670 km de frontière avec la Croatie. La commande de ces barbelés, achetés en Pologne et en Hongrie,  a de plus un parfum de scandale : sur les 1,9 millions d’euros qui seraient son coût, 500 000 consisteraient à financer une société privée, supposée donner des conseils techniques aux soldats chargés de la pose. Les médias enquêtent sur cette entreprise, qui aurait tout d’une société fantôme.  Alors les Slovènes eux-mêmes s’interrogent. A quoi sert cette barrière, puisque les transits entre Croatie et Slovénie, vers l’Autriche et l’Allemagne, semblent bien rodés, d’autant qu’avec l’hiver le flot des réfugiés s’est atténué. S’agit-il d’anticiper sur le nouvel afflux, qui ne manquera pas de se produire au printemps prochain ? S’agit-il de donner des gages à la partie apeurée de l’opinion publique, slovène ou européenne ? Nombre de Slovènes pensent que leur gouvernement a voulu ainsi donner des garanties à l’Allemagne et à l’Union Européenne, en montrant qu’elle était prête à prendre sa part dans le contrôle de cette migration massive et supposée dangereuse. Comme la Turquie peut-être, les pays des Balkans jouent un jeu subtil : s’organiser entre eux, de la Macédoine à l’Autriche, pour laisser passer les réfugiés sans trop de désordre, éviter de les bloquer pour ne pas recevoir trop de demandes d’asile, bâtir des défenses symboliques et se plaindre du coût de ces barbelés et de la surveillance des frontières pour obtenir des subsides européens. La Slovénie a d’ailleurs multiplié depuis fin octobre les appels à l’aide communautaire, s’estimant débordée par l’afflux des migrants. Ce n’est plus le cas, et cette barrière de barbelés inutile, incomplète et poreuse, n’est sans doute qu’un faux-semblant. Elle est aussi certainement un symbole pathétique d’une Union Européenne timorée et divisée, tentée de se replier derrière des murs illusoires bâtis sur des frontières dépassées.

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