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Billet de blog 22 janvier 2025

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Ukraine : quand un improbable cessez-le-feu prépare l'effondrement de l'Europe.

Si, malgré les souhaits de Donald Trump, un cessez-le feu entre Russes et Ukrainiens est loin d'être acquis, il est temps d'en appréhender les conséquences réelles qui, au lieu d'être un premier pas vers la paix, nous feront basculer vers une troisième guerre mondiale asymétrique dans laquelle l'Europe a tout à perdre.

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Illustration 1
Soldat nord-coréen observant un drone ukrainien sur le front de Koursk

Après trois ans de conflit avec la Russie, l'Ukraine se trouve au point charnière où l'hypothèse d'un cessez le feu, en impliquant, de fait, des renoncements territoriaux de sa part sur une longue durée, aura des conséquences extrêmement graves pour la sécurité de l'Europe et du Monde...

Cette insécurité géopolitique s'explique avant tout par la nature même du régime de Poutine… Autoritaire et conservateur, sa fuite en avant toujours plus radicale dans une construction idéologique faisant de l'Occident l'ennemi éternel, ne peut qu'avoir pour conséquence une surenchère agressive de tous ordres qui seule peut garantir à Poutine et ses éventuels successeurs désignés le maintien même de leur pouvoir..

Or, cette surenchère, pour être efficace, ne pourra que s'accompagner d'un soutien des régimes chinois et nord-coréen dans cette escalade, soutien qui est d'autant plus assuré que ces deux pays ont eux-mêmes un intérêt dans la fragilisation future des puissances européennes et leur défaite politique.

En effet, si la Chine et la Corée du Nord partagent des relations stratégiques complémentaires au service de buts similaires, c'est-à-dire l'annexion d'une puissance rivale située à leur frontière - Corée du Sud pour l'une, Taiwan pour l'autre, il est incontestable qu'aider la Russie dans son entreprise d'hégémonie européenne leur permettrait de mieux s'assurer d'une dispersion des forces occidentales sur deux fronts éclatés pendant toute la période de leur propres offensives en Asie.

C'est pourquoi on a d'autant plus tord de douter de leur intérêt à alimenter la déstabilisation de l'Europe que l'on surestime le risque économique qui pourrait retenir la puissance chinoise, et par contrecoup, son voisin coréen : une récession importante due à la perte de ses principaux débouchés économiques, conséquence de son conflit ouvert avec l'Occident.

Pourtant, si on fait rentrer, dans le programme des probabilités géopolitiques futures, deux nouveaux paramètres mondiaux, d'un côté l'accélération du changement climatique et, de l'autre, l'intégration exponentielle de l'IA dans le système industriel mondial, on comprend que rien ne retiendra bientôt la Chine dans son envie d'en découdre (ses efforts d'armements parlent d'eux-mêmes), ni la Corée du Nord d'attaquer sa rivale du Sud à l'abri de son grand frère « communiste ».

Car si l'on considère les effets socio-économiques mondiaux de ces nouveaux paramètres (entre autres, baisse de la production agricole et hausse du chômage) ainsi que leur fort potentiel déstabilisateur pour tous systèmes politiques, on comprend que des régimes totalitaires ou autoritaires comme la Russie, la Chine et la Corée du Nord, ne pourront qu'en devenir plus agressifs dans un but de survie politique ; d'autant plus que ces derniers n'auront plus grand chose à attendre d'une coopération économique quelconque avec des entités politiques libérales dont ils ont toujours été soucieux de s'affranchir.

Il est donc évident que le projet géopolitique à venir de ces trois régimes ne peut que passer par une politique croissante de prédation territoriale, de racket et de chantage, le tout à l'aide de divers moyens, de l'invasion pure et simple à l'instrumentalisation politique de partis et mouvements extrémistes divers favorables à leur influence, le tout afin de provoquer un maximum de dégâts au sein de puissances non alliées...

En Europe, les partis populistes et d'extrême droite, tous défenseurs d'un modèle autoritaire - autant par opportunisme idéologique que par clientélisme sonnant et trébuchant, continueront d'être les chevaux de Troie d'une attaque en règle contre l'ensemble des institutions démocratiques européennes - à la fois au profit directe de la Russie et indirectement, au profit de ses alliés asiatiques, mais avec une vigueur bien supérieure à ce que l'on a connu, vigueur qui sortira du cadre seule de la désinformation et du complotisme.

Et si cette déstabilisation peut aider à favoriser l'installation de régimes autoritaires alliés ou à la survenue de crises politiques telles que des affrontements armés s'en suivent dans les pays visés, c'est d'autant mieux pour ces trois régimes qu'ils pourront ainsi pousser plus loin leur avantage : installation de troupes dans des pays limitrophes déclarés « neutres », vente d'armes à des factions sécessionnistes ou putschistes, voire intervention à leurs côtés en cas de guerre civile..

Ce scénario « catastrophe » apparaîtra forcément excessif aux esprits pacifistes, autant que l'apparaissait à un grand nombre d'observateurs la probabilité d'une invasion de l'Ukraine en 2022, ou l'arrivée de troupes nord coréennes à la frontière de l'Ukraine en 2024 !

Néanmoins, si l'on veut être lucide et prévoyant, il faut savoir tirer les conséquences de cette crise géopolitique majeure qu'impliquera un cessez-le-feu au sein même de l'Europe, aussi précaire sera-t-il, puisqu'il ne sera ni plus ni moins qu'un renoncement de fait au respect des règles internationales par les puissances pourtant les seules capables de les faire respecter sur leur propre continent ou aire d'influence : l'Europe et les USA.

Cet aveu de faiblesse des puissances occidentales, en les décrédibilisant, sera d'autant plus grave qu'ils signifiera le reniement par elles-mêmes de leur propre politique de soutien à l'Ukraine !

Ce qui provoquera aussitôt d'inévitables rancoeurs entre pays européens, facteurs de divisions irrémédiables, que ce soit de la part des pays d'Europe centrale et orientale, favorables depuis longtemps à une intervention réelle de l'OTAN en Ukraine (Pologne, Finlande et Pays Baltes), et ce à l'égard des pays historiques de la construction européenne -jugés beaucoup trop mous (France, Allemagne, Italie), ou au sein même de ces derniers, qui, travaillés par la honte, voudront faire porter la responsabilité de leur défaite stratégique sur leurs voisins... Sans oublier, bien sûr, les inévitables récriminations, à base d'arguments budgétaires, que ne manqueront pas de présenter les multiples larbins outrés de la Russie !... De cette situation, on s'en doute, la formation d'une armée européenne, pourtant désirée, n'en sera que plus entravée au lieu d'être accélérée...

De leur côté, les Etats-Unis, avec le retour de Donald Trump au pouvoir, entrent dans une ère imprévisible où seule la sottise complotiste est certaine.... Inutile de dire, là aussi, que la Russie et la Chine vont chercher à pousser leur va-tout afin que leur ennemi libérale soit enfin paralysé par une crise institutionnelle et politique, ferments d'une future guerre civile...

Les partis démocrates européens, mais aussi l'ensemble de l'intelligentsia libérale ou sociale-démocrate (universitaires, journalistes, hommes politiques des différentes formations démocrates ou républicaines), doivent donc donc s'attendre à une montée des intimidations à leur égard... Car, à la différence des Etats européens, le régime de Poutine ne se contentera pas de regarder le lait bouillir dans la casserole jusqu'à ce qu'il verse sur le réchaud... Ainsi que l'ont déjà prévenu bien des états-majors, la Russie agira et ne fera pas de cadeaux...

Ce cessez-le-feu est donc le miracle qu'attend Poutine.. Celui qui lui permettra de reprendre des forces à la fois pour renforcer son appareil militaire et durcir son régime intérieur, en prévision, cette fois-ci, d'une véritable mobilisation militaire de sa population... Car, d'ici 2030, ainsi que l'a annoncé le service d'espionnage et contre-espionnage allemand, «  les forces armées russes, en termes humains et matériels seront probablement, en mesure de mener une attaque contre l'Otan »

C'est donc de façon totalement suicidaire que les démocraties européennes, paralysées par la peur d'une fumeuse guerre nucléaire, s'apprêtent à renoncer à leurs principes mêmes ainsi qu'à leur propres capacités d'action et de réaction, pourtant nécessaires si l'on veut mettre à bas un régime politique antithétique, avec lequel, par définition, l'hypothèse d'une cohabitation est impossible puisque basée sur une aporie géopolitique.

Tout ceci est d'autant plus incompréhensible que ces pays avaient, pour la première et unique fois de leur histoire, la possibilité de faire, sur leur propre sol, la guerre au totalitarisme par armée interposée... A condition, bien sûr, de livrer en temps et en heure armes et avions à un peuple courageux, déterminé et vaillant qui ne demandait qu'à être notre meilleur rempart !

Certes, dès 2014 et à la suite de l'annexion de la Crimée par la Russie, le manque d'anticipation budgétaire en faveur d'un réarmement - auquel on a préféré l'insistance désastreuse à chercher un arbitrage diplomatique entre le renard russe et les poules ukrainiennes, explique en grande partie les atermoiements qui ont suivi, symptôme d'une « psychologie » inhibée et craintive des puissances européennes...

Mais il est incontestable que tout ceci est allé de paire avec leur incapacité à faire prendre conscience à leurs opinions nationales des enjeux réels dont ce conflit était porteur... Ce que les gouvernements occidentaux n'ont visiblement pas su ou voulu faire, et ce malgré l'énormité des moyens dont ils disposent, preuve autant d'un manque de clairvoyance que d'un véritable sens de la communication de crise...

A tous ces constats et perspectives peu encourageants, s'ajoutent les inquiétantes évolutions possibles du conflit ukrainien dans le cadre d'un « cessez -le-feu » ; cessez-le feu «  boute-feu » dans la mesure où, on l'a vu, il transformera cette guerre régionale en rapide marche vers un conflit mondial...

Soit une présence de troupes européennes qui, pour mieux faire acte de neutralité, s'efforceront de réagir avec retard et en deçà aux inévitables provocations des troupes russes,  risquant ainsi d'être victimes d'un coup de force de ces dernières, tentées d'assiéger quelques postes proches de la zone de délimitation éventuelle, et ce dans le but d'orchestrer un chantage médiatique.

Soit la présence de troupes de maintien de la paix onusienne issues d'ex-pays «  non alignés », pays qui pourraient envisager d'entrer dans la danse en favorisant la partie russe... Ce qui n'exclut pas, non plus, un même chantage mélodramatique (ainsi qu'on l'a déjà vu lors du conflit bosniaque) avec la complicité des uns et des autres.

Soit la mise en place d'une gestion du Dombass occupé avec l'aide de troupes nord-coréennes, Poutine pérennisant ainsi sa logique de chantage.

Soit, tout à la fois, Poutine conditionnant la présence de forces européennes à celles de forces de pays qui lui sont favorables.

Bien sûr, des décisions habiles et courageuses pourraient être prises afin de déjouer le piège d'un cessez-le-feu illusoire qui signera la fin de l'Europe...

Mais pour imposer un vrai rapport de force favorable à l'Ukraine, il faut, en plus d'armer mieux et plus vite les Ukrainiens, libérer l'armée ukrainienne d'une frontière biélorusse qu'une coalition occidentale pourrait garder à sa place depuis fort longtemps, et ce grâce à un dispositif entremêlant drones de surveillance, aviation et troupes au sol ; mais aussi cesser de se livrer à des calculs diplomatiques intégrant l'accord de Poutine pour l'aide militaire à un pays souverain sur lequel il n'a strictement aucun droit, ou ses revendications risibles et fallacieuses visant à détourner l'attention de son exclusif projet de prédation ; et être enfin prêt à mener des opérations de contre-information efficaces et pertinentes en Russie même...

Pour tout cela, bien sûr, il faut des hommes et des femmes politiques capables de prendre de grandes décisions... Existent-ils ?

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