L'avenir de l'Assemblée nationale
Commençons par la question reine : l'Assemblée nationale va-t-elle être dissoute ? Personne, à part Emmanuel Macron lui-même, ne le sait, car lui seul décide de cela.
On peut cependant faire l'hypothèse que c'est peu probable : quel intérêt pour lui, à part prendre le risque de rendre les quatre années restantes ingouvernables, quand il a aujourd'hui un équilibre - qui peut certes faiblir par moments, comme aujourd'hui, mais qui dans l'ensemble, tient ? Il est possible d'en débattre dans tous les sens, et pour chacun de donner son avis sur l'opportunité, mais en fin de compte, la survenance d'une dissolution ne dépend que de ce qu'Emmanuel Macron a dans la tête. Il n'est donc pas très intéressant de faire des plans sur la comète.
Quoi qu'il en soit, juridiquement, il n'y a aucune obligation à la dissolution.
L'avenir du gouvernement
Question suivante : le gouvernement va-t-il être remanié ? Et si oui, Gérald Darmanin sera-t-il le seul à en faire les frais, ou y aura-t-il un remaniement plus large ? Là encore, impossible de savoir, sauf à être en mesure de lire les pensées d'Emmanuel Macron et d'Elisabeth Borne (et de Gérald Darmanin s'il décide de partir de lui-même).
Politiquement, on aurait envie de ne pas donner trop cher de la tête de Darmanin... Mais l'exfiltrer de force, c'est prendre le risque de mécontenter des députés (le chef de file des députés macronistes sur les questions budgétaires, Mathieu Lefèvre, est par exemple un ancien collaborateur ministériel de Gérald Darmanin), et comme on vient de le constater, se mettre en difficultés avec certains députés, cela peut rendre la suite encore plus difficile. C'est donc dur à dire.
Quoi qu'il en soit, juridiquement, là encore, rien n'oblige à son départ non plus, et rien n'oblige à un remaniement.
Ce qui est probable cependant, c'est que l'épisode va lancer précocement le mercato sur les changements gouvernementaux. C'était de toute façon assez sûr que cela arriverait avant septembre prochain : si Elisabeth Borne n'est pas remplacée à l'automne prochain, alors il est certain qu'elle dépassera le record de 49.3 de Michel Rocard, et il est peu probable qu'Emmanuel Macron y soit disposé.
L'avenir du texte : le droit...
Troisième question : quid de l'avenir du projet de loi ? Comme souvent, la réponse en droit et la réponse en politique ne sont pas les mêmes.
Commençons par la réponse en droit.
Si le gouvernement ne fait rien, alors le texte, dans sa rédaction issue du Sénat, sera transmis au Sénat, en deuxième lecture. Dans ce cas, il ne sera probablement jamais inscrit à l'ordre du jour - autrement dit, de fait, le texte sera enterré.
L'autre option est celle où le gouvernement décide de continuer réellement la procédure législative. Dans ce cas, la Première ministre convoquerait la Commission Mixte Paritaire, la CMP, une instance où sept députés et sept sénateurs tentent de trouver une rédaction qui est susceptible d'être adoptée par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Si le gouvernement convoque la CMP, celle-ci travaillera à partir de la version du texte qui a été adoptée par le Sénat. Contrairement à ce qu'on a pu entendre, ou en tout cas déduire des propos de certains, cela ne signifie pas que la CMP est tenue par la version du texte adoptée par le Sénat.
On peut par exemple le lire ici : « Les parlementaires peuvent décider de retenir la rédaction précédemment adoptée par l’une ou l’autre assemblée ou bien d’élaborer, pour certains articles, une rédaction nouvelle. Il n’existe pas de règles encadrant impérativement les débats en CMP. »
La CMP est donc largement libre de réécrire le texte. Par exemple, dans le sens que l'auraient voulu le gouvernement ou les députés macronistes.
Bien entendu, les députés macronistes auront à négocier avec les LR, et n'avoir qu'une version sénatoriale donne une base de départ favorable aux LR. Mais pas beaucoup plus que si le texte avait été examiné et "adouci" par l'Assemblée (chose qui était loin d'être certaine, au demeurant, vu les équilibres politiques de l'Assemblée nationale). Pour le dire plus clairement : l'explication "rejeter le texte à l'Assemblée nationale était une mauvaise idée parce que ça met la CMP en mauvaise posture" semble malavisée, car juridiquement, ça ne change pas grand chose à la CMP, et c'est ignorer les aspects politiques de la question (dont on va parler plus loin).
On notera au passage qu'une CMP, cela semble bien plus simple sur le papier que dans les faits : le projet de loi issu du Sénat fait 145 articles. Cela signifie 145 bras de fer à mener entre les députés macronistes et les sénateurs LR, dans une salle où seuls des parlementaires ont le droit d'être... et donc notamment pas Gérald Darmanin, ni les services du gouvernement et leurs fiches, essentielles pour éviter d'aboutir à un texte qui soit un grand n'importe quoi sans éclairage technique.
Sur ces 145 articles, s'il apparaît un désaccord indépassable sur ne serait-ce qu'un seul article, alors la CMP ne sera pas conclusive. Un échec politique de plus (dont on peut se permettre de penser que les LR seraient ravis de l'infliger à leur ancien camarade Darmanin). Et il faudrait ensuite repasser devant l'Assemblée nationale (avec le risque d'un nouveau camouflet), puis le Sénat (qui réécrirait une fois de plus le texte en son sens), puis une dernière fois devant l'Assemblée nationale (avec là encore, le risque d'un camouflet final). A la place de Gérald Darmanin, iriez-vous ?
Quoi qu'il en soit, en imaginant que la Première ministre convoque la CMP, alors enfin et surtout : quel que soit le texte qui sort de la CMP, il faudra que le gouvernement le valide, et si le texte ne convient pas au gouvernement, il peut soit le refuser (auquel cas, on reviendra au texte adopté par le Sénat), soit proposer de l'amender comme il le veut... lors de la lecture du texte de la CMP à l'Assemblée nationale !
En bref, il faudra le dire sans équivoque : si jamais le texte continue son parcours, ce sera uniquement parce qu'Emmanuel Macron et Elisabeth Borne l'auront voulus, et ce contre la volonté de l'Assemblée nationale.
Une autre possibilité existe : le gouvernement pourrait aussi abandonner ce texte, et redémarrer la procédure législative, soit à l'Assemblée, soit au Sénat en déposant un nouveau texte, dans une rédaction qui serait soit identique au projet de loi initialement déposé, soit identique à celui adopté par le Sénat, soit une toute autre version...
A l'évocation de cette idée, on voit bien où on arrive : que ce projet de loi continue à exister, sous une forme ou une autre, serait politiquement inconcevable.
L'avenir du texte : le droit... et la politique
En vérité, ici, peu importe le droit : politiquement, il est impensable que le texte aille plus loin. Un désaveu comme celui de ce soir, dans toute démocratie autre que la nôtre, ne connaîtrait qu'une sanction, indiscutable: le retrait du texte et le départ du ministre qui le porte... voire la démission du gouvernement et éventuellement une dissolution si celui-ci estime qu'il a l'opinion publique de son côté.
On l'a déjà dit, c'est peu probable, vu la pratique politique française. Cependant, que ce soit peu probable chez nous, cela n'empêche pas le fait que ça reste la norme des régimes parlementaires. Que le nôtre soit défaillant n'y change rien. Accepter autre chose que le retrait de ce texte, c'est accepter un fonctionnement anormal de la République française, celui où la parole de l'Assemblée n'est absolument jamais respectée... même dans les rares occasions où on la laisse parler.
Car il faut noter un dernier point : s'il l'avait voulu, le gouvernement aurait pu déclencher un 49.3 avant le vote sur la motion de rejet. Il ne l'a pas fait. Alors qu'il préfère en général éviter d'avoir à l'écouter, Emmanuel Macron a fait le choix de laisser l'Assemblée nationale s'exprimer cette fois-ci. Qui pourrait comprendre qu'il décide ensuite de jeter cette expression parce qu'elle ne lui convient pas ?
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