Pendant 60 ans, on nous a tous appris à l'école que de Gaulle et Debré, dans leur génie absolu, avaient écrit une constitution parfaite qui permettait d'éviter l'instabilité congénitale des 3eme et 4eme Républiques.
Nos profs, pour la plupart en bonne foi, ont enseigné à des générations de décideurs politiques, de journalistes et de Français que les mécanismes du parlementarisme rationalisé, l'absence d'investiture, la primauté de l'Elysée, le 49.3, tout ça, nous mettaient à l'abri du chaos. 65 ans que tout le monde le répète doctement sur les plateaux.
Et là, soudainement, il s'avère que tout ça, c'était des conneries. Woops. Complètement faux, de A à Z. Il aura suffi d'une seule législature avec une Assemblée fracturée en 3, pas en 10, en 3, pour que tous ces mythes volent en éclat. Quatre Premiers ministres en un an, même la 4ème République n'avait pas connu ça : la dernière fois, c'était en 1934.
Le seul truc, le seul, qui faisait tenir la 5ème, c'était l'existence d'une majorité de 289 députés qui refusent de censurer. Dès que cette condition n'est plus remplie, aucun des autres mécanismes ne permet d'assurer la stabilité.
Autrement dit, tout le système reposait sur le fait qu'un parti pouvait remporter une majorité de députés avec une minorité des voix. Tout reposait sur le mode de scrutin, conçu par essence comme anti-démocratique. Condition nécessaire et suffisante pour que ça se plante pas.
Vous faites 40 % des voix (et encore, je parle même pas du vote utile), vous avez la majorité des sièges, et surtout, le droit d’en avoir rien à faire de l’opinion des 60% de Français qui ont voté contre vous. On a construit un système où on a dit que ceux qui arrivaient à avoir la majorité relative avaient le droit d'avoir une majorité absolue factice, et surtout, le droit de gouverner en se carrant totalement de l’opinion de la majorité de français qui ont voté contre eux.
La 5ème n'a absolument rien résolu des 4ème et 3ème Républiques, elle s'est juste contentée de les rendre moins démocratiques, et ça a fait l'affaire un temps. Disons le autrement : ça fait 65 ans qu'on a mis la démocratie sous cloche sous prétexte de stabilité (c’est stable là ? lol). Si vous cherchez pourquoi les Français détestent leurs institutions, pourquoi on est dans la rue tous les jeudis, faut pas aller beaucoup plus loin.
65 ans que des partis, les uns après les autres, ont des majorités, qui sont certes plus légitimes que le parti d'en face, mais qui sont quand même, la plupart du temps, fondamentalement illégitimes.
Ça pète maintenant. Enfin. Bien. Reconnaissons au moins, pour tous ses maux, que Macron, mais en fait surtout à Fillon, sa femme et ses costards, ont permis de mettre le roi à nu. Mais ça pète… pas vraiment, en fait. Alors qu'il serait temps que cette constitution, cette pratique éclatée d'une démocratie d'apparence, meure, il n'y a personne pour en tirer la conclusion qui s'imposerait, qui est qu'il faut un régime parlementaire comme celui de l'Allemagne.
Le fait que les macronistes veulent juste sauver Macron, et que les autres veulent juste sa démission pour élire leur poulain à eux, le fait que le seul horizon de la majeure partie de la classe politique soit le bout de ses pompes, est profondément navrant.
C’est navrant parce que ça montre leur incapacité à penser autre chose que le fait qu’ils seraient l’homme ou la femme providentielle.Que Macron parte ou reste, que Le Pen, Mélenchon ou Edouard Philippe ou le pape ou ma soeur ou un autre soient élus, et après ? S’ils ont à nouveau une assemblée divisée en trois, ils n’iront pas plus loin que Macron, et la crise continuera. Toute leur capacité à agir une fois à l’Elysée ne repose que sur leur espoir qu’ils n’auront pas une assemblée fracturée comme celle-là, et donc qu’eux aussi obtiendront une majorité absolue construite facticement par le mode de scrutin, comme avant 2022.
Autrement dit, tous leurs plans, à tous, ne reposent que sur le fait de continuer une mascarade de démocratie. Mais les mêmes recettes donnant les mêmes résultats, celui qui y arrivera finira comme les autres : isolé à l’Elysée, avec une majorité de l’opinion contre lui, incapable de comprendre pourquoi le bon peuple ne comprend pas son génie supérieur. Et ce sera bien fait.
(Et venez pas me parler de la constituante de JLM, contrairement à plein de gens, j’ai lu l’AEC, et deux ou trois référendums et 2 ans et demi, minimum, pour une constitution, c’est prétendre d’essayer en ayant l’assurance que ça foire. Le fait qu'il ne l'évoque religieusement pas en ce moment alors qu'il n'y en aurait pas de meilleur, ça en dit tellement long.)
La solution, c’est un régime parfaitement proportionnel (pas de “départementale” ou “régionale”, sales malhonnêtes) avec tous les mécanismes incitatifs et dissuasifs pour que se construisent des accords de coalition majoritaires. Comme en Allemagne, quoi.
Que personne ne le propose - le fait même que personne n'évoque de réforme institutionnelle en ce moment, est tellement révélateur. Personne n’a jamais bossé le sujet (et ça se voit au fait que tous veulent supprimer l’engagement de responsabilité) parce qu’aucun n‘en veut.
C’est navrant parce que ça montre qu’au fond, si tous sont démocrates sur le papier, tous s’arrangent de l’autocratie camouflée… tant que c’est eux qui l’exercent ! Même si aucun ne se l’avoue. Montesquieu était visionnaire.
Et je reste admiratif des révolutionnaires qui se sont dit “ces rois là étaient nazes, on pourrait s’en choisir un autre, ça pourrait être moi… mais let’s not do that, ayons l’humilité de voir ce que d’autres ailleurs montrent, qu’il y a moyen de faire mieux” et ont essayé.
Bref. J’ai déjà dit que, sans sursaut pour en sortir, la 5ème ne pouvait à terme structurellement mener qu’au fascisme (avec ou sans les héritiers des SS). La période m’en convainc encore plus.
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