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Billet de blog 22 août 2016

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Mairie écologiste de Grenoble: une ville «managérée»

Une vision de l'intérieur de «l'expérience grenobloise», une ville qui subit comme les autres l’austérité. Derrière une discours qui mêle vocabulaire «citoyenniste» et managérial, une gouvernance marquée par l'idéologie gestionnaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors des face-à-face entre chercheurs et politiques organisés cet été par Mediapart et La Revue du Crieur, nous avons pu assister à un débat intitulé « Piolle/Sintomer. Conquérir, subvertir ou subir les institutions ». Il s'agissait d'une « rencontre [qui] oppose le maire de Grenoble, Éric Piolle, et Yves Sintomer, professeur de science politique ». L'intention affichée était de « ...confronter celles et ceux qui décident de la vie de la cité à celles et ceux qui la pensent ».

Un débat non contradictoire

Le débat, ainsi présenté, est surprenant puisqu'on met en opposition l'action de décider et l'action de penser la vie de la cité. Cela signifie que ces deux actions ne peuvent pas être menées par une même personne. Les décisions politiques de nos dirigeants ne seraient donc pas pensées ? Ou elles seraient pensées par d'autres que les électeurs n'auraient pas mandaté ? Les invités n'ont exprimé aucun désaccord avec ce postulat. Chacun, le penseur comme le décideur, a accepté le rôle qui lui était attribué. La joute sur la conquête ou la subversion des institutions pouvait se tenir sans encombre.

Afin d'éviter toute confusion, les deux invités ont tout de suite commencé par exprimer leur profond attachement aux institutions. Ils nous ont expliqué que rien n'est possible sans elles. Et si d'aventure ces institutions s’avéraient défaillantes, l'histoire aurait prouvé qu'il est aisé de les faire évoluer afin qu'elles retrouvent leur efficacité et leur immanquable légitimité. Il n'est jamais venu à l'idée des débatteurs de renverser ou de subvertir les institutions. Selon eux, ce serait socialement dangereux puisqu'elles ont été créés dans le but de protéger la société (et pas nécessairement les citoyens). L'accord autour de la table était total sur ce point.

L'entente des orateurs ne s'est pas arrêtée là. Mr Piolle – homme d'action placé en responsabilité – a eu affaire à un interlocuteur, Mr Sintomer – homme de réflexion – très bien disposé à son égard. L'intellectuel critique a d'abord déclaré ne pas suffisamment connaître la situation locale pour pouvoir donner son avis d'expert, puis n'a cessé d'user de flatteries envers la politique municipale grenobloise. Il n'y avait aucune opposition entre ces deux hommes. Le débat n'était pas contradictoire.

Le responsable et les irresponsables

Le maire écologiste de Grenoble s'est présenté comme un Responsable. Ainsi, il se considère en lien absolu avec la Réalité, à la différence de ses détracteurs. Il s'attribue alors la légitimité pour décider de tout et tout seul. Il prend pour exemple la baisse des subventions nationales aux collectivités qui a eu pour effet d'accentuer les difficultés financières des communes. Pour faire face à cette perte de recettes, le nouveau maire de Grenoble a choisi de renier des promesses électorales. Parmi celles-ci il y a l'engagement n°110 : « Maintenir et soutenir le réseau des quatorze bibliothèques municipales. Nous conforterons leur rôle d’espace de proximité, en lien direct avec les habitants des quartiers, afin d’en faire la pierre angulaire de notre politique du livre ». Résultat : il ferme trois des quatorze bibliothèques qu'il s'était engagé à renforcer, des bibliothèques situées dans les quartiers populaires.

Ce maire nouveau applique en fin de compte de vieilles méthodes. Lui, le responsable, se considère au-dessus des non-responsables, c'est-à-dire les habitants de sa cité. Il juge ses actions comme naturellement justes, même si elles ne sont pas comprises par les Grenoblois. Et évidemment, il se place aussi (c'est tendance) au-dessus des partis. Ses arbitrages étant les plus judicieux, il déclare que le fait de ne pas questionner les Grenoblois est positif pour eux. Cela permet de leur (les citoyens) épargner deux écueils : la concurrence entre les quartiers et la concurrence entre les dépenses publiques municipales. En agissant de la sorte, Mr Piolle fait preuve de beaucoup de condescendance envers ses administrés, les considérant incapables de faire des choix politiques sans s’entre déchirer. Ses décisions arbitraires sont très mal perçues par de nombreux habitants. Les promesses du candidat adepte de la démocratie participative n'ont pas été tenues.

Au-delà des fermetures de bibliothèques, de Maisons des habitants (centres administratifs et sociaux de proximité) dans des quartiers populaires de la ville et des services de santé scolaire, d'autres sujets ont créé des tensions avec la population. Ces tensions s'accumulent avec les unions de quartiers, les travailleurs sociaux, les travailleurs du spectacle, les syndicats et une partie conséquente des forces de gauche. Des voix s'élèvent pour dénoncer les réunions organisées par la mairie, présentées comme des modèles de démocratie locale ou plus pompeusement appelées « budget participatif ». Ces réunions provoquent la déception des participants. Ils éprouvent le sentiment que tout est déjà décidé en amont et que les militants proches de la majorité bloquent les débats. Avec de telles méthodes la majorité municipale se coupe d'une partie de son électorat, une perte qu'elle espère compenser en récupérant l’électorat d'un Parti Socialiste en déshérence.

Le contrat

Éric Piolle est une personnalité politique difficile à cerner. Il n'est pas issu du sérail écologiste, contrairement à de nombreux élus de sa majorité. C'est un homme de compromis, il ne s'emporte pas en public, il utilise toujours un ton agréable, il présente et représente bien. La gauche grenobloise, elle, a une identité plus affirmée. La ville fut pendant les années soixante un laboratoire pour la gauche alternative, y compris sur la scène internationale. Alors que les écologistes ne manquaient pas de fortes personnalités locales, alors qu'en 2014 Cécile Duflot bataillait pour être tête de liste sur Grenoble, c'est une personne dotée de peu d'expérience politique qui est choisie pour être maire de la plus grande ville écologiste du pays. Il y a une raison à cela.

Les écologistes français ne parviennent pas à se doter d'une crédibilité suffisante pour que leur soit confiée la gestion du pays, et pourtant ils peuvent avoir de très bons résultats lors d'élections locales. L’écologie institutionnelle défendue par EELV ne convainc pas. Pour sortir de l'impasse, il est fréquent que le parti ouvre ses portes à des personnalités. Éric Piolle n'a pas été choisi par hasard, c'est un homme formé à la gestion d'entreprise. Pourquoi ne pas lui proposer alors la gestion d'une grande ville labellisée EELV ?

Le deal est accepté, le contrat est signé entre les deux parties, EELV et Éric Piolle. Pour gagner la mairie, le nouveau gérant et ses actionnaires constituent un "codir" (comité de direction) et mettent en œuvre une stratégie. La liste électorale est une affaire de casting. On y inclut le Parti de Gauche en s'attachant à ce que son activité politique soit inexistante. On ajoute quelques individus non encartés dans un parti politique, nommés artificiellement « Réseau citoyen ». L'illusion est totale. C'est une réussite électorale. L'étape suivante sera de garder le contrôle des élus et d'éviter le désenchantement des électeurs. Bref, que des questions techniques en somme.

Quand le politique s'inspire de l'entreprise

Le nouveau maire de Grenoble ne fait que respecter les termes de son contrat passé avec le parti écologiste. Il administre la ville comme il dirigerait une société du CAC 40. Il utilise les mêmes méthodes RH : légitimation de l'adaptabilité, exaltation de l'efficience, exploitation des narcissismes, on brainstorming, on benchmark,... On retrouve le même cynisme et le même langage qu'en entreprise. Quand patrons et actionnaires vont parler de « plans de sauvegarde de l'emploi » en lieu et place des plans de licenciement, la mairie de Grenoble parle de « plan de sauvegarde des services publics » pour euphémiser son plan d'austérité et masquer la fermeture – ou la restructuration – de services publics municipaux. Le néo management vole au secours du politique.

Lors du débat avec Mr Sintomer, Éric Piolle est revenu à plusieurs reprises sur son projet politique auquel il attribut deux axes essentiels : la conduite d'un projet et le fonctionnement par réseau. Nous sommes là dans deux thématiques importantes liées au concept de capital humain.

La notion de projet permet d'introduire le jugement et la hiérarchie des individus en mesurant leur attachement au projet et leur activité. Le projet est présenté comme la charte éthique en entreprise, il réclame un médiateur qui sera garant du respect des textes sacrés. Éric Piolle incarne ce projet et il s'autorise à le changer s'il le juge nécessaire. Gare alors à ceux – en interne comme en externe – qui s'opposent ou critiquent le projet ou son représentant. Pendant le débat, les propos tenus par Éric Piolle à l'égard des opposants étaient "light" comparés à ceux qui sont tenus localement par les élus grenoblois et leurs proches. La majorité réagit très mal face aux contradicteurs et les classifie sans distinction dans le camp de l'adversité stérile et malveillante. L'équipe municipale s'isole, elle passe de l'entre-soi au sectarisme.

Dans le monde entrepreneurial, le fonctionnement par réseau est capital. C'est un domaine où la majorité municipale excelle. Le réseau et le lobbying sont nécessaires pour se faire un nom, pour construire une notoriété. Les divers réseaux de la majorité municipale sont sans cesse activés. On informe, on échange, on communique, il n'y a pas de répit. Si l'actualité s'appauvrit, on crée l’événement, on suscite l'intérêt, le système réticulaire réclame une activité ininterrompue. La communication est au cœur de l'activité municipale, et ça fonctionne très bien hors du territoire régional. Il y a une différence croissante entre l'opinion de plus en plus troublée des Grenoblois à l'égard de la politique municipale et les avis souvent élogieux donnés dans des médias nationaux. Une veille municipale particulièrement active est là pour réagir dès la parution d'un article négatif ou d'une opinion défavorable, une riposte est immédiatement élaborée puis mise en œuvre via les réseaux.

La ville de Grenoble est gérée comme une entreprise, on attend des employés qu'ils collaborent et des administrés qu'ils consomment... bio. Le débat politique est la première victime de cette organisation managériale. Le directeur de cabinet a été récemment démis de ses mandats par le maire. Celui-ci a mis à sa place une cadre-dirigeante qu'il a connue dans le privé et qu'il a débauchée d'un grand groupe américain. Diplômée en gestion et management d'entreprise, c'est une experte dans le conseil et l’accompagnement stratégique d’entreprises, spécialiste de l'ingénierie financière. Éric Piolle s'en explique ainsi : « Après la phase d’installation et de mise en route de nos grands projets, le mandat est entré dans une nouvelle phase : transformer l’action publique pour continuer à transformer Grenoble...». La messe est dite. Grenoble est désormais la plus grande entreprise dirigée par le parti écologiste EELV.

Jean Paul PORTELLO

Syndicaliste

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