"Mais Spear dit :
-Le plaisir éprouvé au spectacle du chaos n'est rien à côté du plaisir de soumettre le chaos à l'ordre. La vie ne sera jamais vraiment rognée et tirée au cordeau, quoi que nous fassions. Elle débordera toujours, elle nous échappera. L'État communiste est le seul moyen qu'on ait trouvé pour mettre la force même du côté des faibles. Tout l'édifice de la vie humaine est fondée sur deux choses : le travail et la souffrance. Le communisme s'empare de notre puissance de travail et de notre capacité à supporter la souffrance, et, tels les immortels chevaux d'Achille, bien harnachés, il les met au service de l'État. La politique est intolérable à tous ceux qui ont une certaine sensibilité. Mais pourquoi en est-il ainsi ? Parce que ceux-là ne touchent pas le vrai nerf de la situation, le point brûlant. La situation n'est pas une affaire politique. C'est une affaire économique. Ce n'est pas comme si nous avions besoin d'un Napoléon. Nous avons besoin d'un mécanisme mondial, entre les mains d'une force impersonnelle, au service des faibles. Quand je dis "les faibles", je pense aux pauvres et aux enfants des pauvres. L'argent procure force, pouvoir, bien-être, loisir, pensée, philosophie, art, santé, liberté, foi, espérance, repos. L'argent, c'est le sommeil. L'argent, c'est l'amour. L'argent c'est la souffrance soulagée. Ceux qui prétendent le contraire sont au-dessous de l'humanité ou au-dessus. Ce sont des menteurs ou des fous. Ou bien ils se font des idées ou bien ils sont fous. L'argent est le sang de la vie. La vie est faite de travail et de souffrance. La vie est défendue par la force. Bel et bien, l'État communiste est la force organisée de l'humanité. L'évolution s'est tracée un chemin comme elle a pu, par le sang, par les larmes, par la torture, vers cette faculté de mettre en valeur, par l'organisation, la force humaine à des fins humaines. L'évolution a créé l'argent, puis elle a créé le monopole communiste de l'argent. L'argent - le moteur de la vie - est entre les mains des individus le moteur de la mort. Mettez-le entre les mains de l'État communiste, et malgré toutes les erreurs qui pourraient être commises, la situation entiére est transformée. L'individu n'a pas plus le droit de posséder l'argent qu'il n'a la droit de posséder la terre, l'air, l'eau, le feu. Nous sommes tous une bande de singes en train de baragouiner des superstitions héréditaires dans un asile de fous. Et la plus folle et la plus dangereuse de ces superstitions, c'est l'idée que l'individu a le droit d'être riche ! Absolument personne n'a le droit d'être riche. Être riche est un crime. C'est une perversion, une obscénité, une monstruosité. C'est une offense à la nature, à l'intelligence, au bon goût. Être riche c'est, au moral, comme d'être lépreux. Être riche c'est d'être du côté du cancer ! "
Les enchantements de Glastonbury, John Cowper Powys, traduit de l'Anglais par Jean Queval, édit. Gallimard, Biblos 1991