"... - la force maternelle des voix était-elle donc insuffisante pour les enchaîner à jamais ? Y avait-il tant de défauts, tant de lacunes dans leur savoir, qu'elles fussent contraintes de relâcher celui qu'elles avaient capturé ? oh ! faiblesse de la mère, qui n'est que naissance et ignore donc tout de la re-naissance, qui veut tout en ignorer, car elle est incapable de concevoir que pour être valable, la naissance exige la re-naissance, mais que toutes deux, naissance et re-naissance ne pourraient se manifester, si à côté d'elles ne se manifestait pas le Néant, si derrière elles, éternellement et immuablement, il n'y avait pas le Néant, - procréateur ultime - oui, la mère est incapable de concevoir que le grand commencement de l'Essence est inné à l'indissoluble enchaînement d'Être et de Non-Être, que c'est seulement de leur harmonie silencieuse et mystérieusement murmurante que l'Intemporel commence à rayonner, que la liberté de l'âme qui n'est ni présomption ni mirage, mais est exempte de toute inquiétude et de toute moquerie, chante l'éternité, le destin humain, la terrible splendeur du sort de l'homme, -
- oh ! ce chant d'éternité, c'est le destin d'un dieu dans l'homme, et c'est l'humain visible dans le destin des dieux, l'immuable condition des dieux et des hommes, qui les dirige toujours sur la voie de la re-naissance, c'est l'indestructible espérance de leurs destins divins et humains, l'espérance de parcourir à nouveau le cycle tout entier pour que ce qui suit devienne ce qui précéde et que chaque point de leur route devienne un instant d'Unicité, unissant tout le passé et tout l'avenir dans un présent unique et éternel, afin que dans ce moment de liberté parfaite qui arrête même le Temps, l'Homme puisse devenir Dieu, il est vrai seulement pour cette durée nulle d'un instant, pourtant pour une durée nulle d'un instant, pourtant une durée qui enclôt le Tout comme un souvenir unique et intemporel, -"
(La mort de Virgile, Hermann Broch ; traduit de l'allemand (Autriche) par Albert Kohn ; 600 pages de chant ; edit. Gallimard, collect. L'Imaginaire)