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Billet de blog 31 décembre 2014

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          "La notion de valeur est au centre de la philosophie. Toute réflexion portant sur la notion de valeur, sur une hiérarchie de valeurs, est philosophique ; tout effort de pensée portant sur un objet autre que la valeur est, si on l'examine de prés, étranger à la philosophie. Par là, la valeur de la philosophie elle-même est hors de discussion. Car en fait la notion de valeur est toujours présente à l'esprit de tous les hommes ; tout homme oriente toujours ses pensées et ses actions vers quelque bien, et il ne peut pas faire autrement. D'autre part la valeur est exclusivement un objet de réflexion ; elle ne peut être un objet d'expérience. En un sens, la loi de la vie humaine est : d'abord philosopher, puis vivre ; car le choix entre la vie et la mort, dans une situation déterminée, implique lui-même une comparaison de valeurs. Presque jamais, il est vrai, les hommes ne font porter leur réflexion sur les valeurs qui orientent leur efforts ; mais c'est qu'ils croient avoir des motifs suffisants pour les adopter.

   Un critérium des valeurs est pour l'homme la suprême nécessité ; mais c'est aussi ce que nul homme ne peut jamais atteindre. Car toute connaissance humaine est hypothétique ; les démonstrations procédent de théorémes antérieurement démontrés ou d'axiomes, les faits constatés grâce aux organes des sens ne sont admis comme des faits que pour autant qu'ils s'enchaînent avec d'autres faits ; mais la valeur ne peut pas être matiére à hypothése. Une valeur, c'est quelque chose que l'on admet inconditionnellement. Car à chaque instant notre vie s'oriente en fait selon quelque systéme de valeurs; un systéme de valeurs, au moment où il oriente une vie, n'est pas accepté sous condition, mais purement et simplement accepté. La connaissance étant conditionnelle, les valeurs ne sont pas susceptibles d'être connues.

   Mais on ne peut pas renoncer à les connaître, car ce serait renoncer à y croire, ce qui est impossible, parce que la vie humaine ne peut pas ne pas être orientée. Ainsi au centre de la vie humaine il y a une contradiction.

   Ces considérations semblent abstraites à cause de la difficulté de les exprimer par le langage. Néanmoins cette contradiction constitue continuellement, sous diverses formes, le drame (intime) essentiel de tout être humain, et il est facile d'en donner autant d'exemples concrets qu'on veut. Ainsi tout artiste sait qu'il ne peut y avoir de critérium permettant d'affirmer avec certitude que telle oeuvre est plus belle que telle autre. Pourtant, tout artiste sait qu'il y a une hiérarchie des valeurs esthétiques, qu'il y a des choses qui sont belles et d'autres qui ne le sont pas. S'il ne le savait pas, il ne ferait pas l'effort nécessaire pour accomplir une oeuvre, il ne corrigerait pas, il ne continuerait pas. Cette condition de l'artiste, obligé de tendre sans cesse vers une beauté qu'il ignore, met une nuance d'angoisse dans tout effort de création artistique. Toute situation humaine peut faire l'objet d'une analyse analogue."

Simone Weil, Quelques réflexions sur la notion de valeur, in Les écrits de Marseille, Tome IV, Nrf Gallimard , pp. 54, 55

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