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Billet de blog 5 juillet 2015

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La Grèce, l'Espagne... et quelle alternative à la « Grande Coalition » française ?

Il est un vent, m’a-t-on dit, qui souffle dans les Pyrénées et qui vient d’Espagne, la Balaguère. Un vent chaud qui doit réconforter ceux qui, dans les piémonts du Roussillon, se couvrent d’une laine quand le soir arrive.Ces jours-ci, en Espagne, se sont multipliées les initiatives solidaires en faveur du « Non » en Grèce. Elles sont l’occasion de voir se croiser toutes les forces qui souhaitent un changement dans ce pays. On sent bien dans cette mobilisation espagnole que l’Eurogroupe a visé juste et que l’asphyxie des Grecs a des visées qui vont bien plus loin qu’Athènes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est un vent, m’a-t-on dit, qui souffle dans les Pyrénées et qui vient d’Espagne, la Balaguère. Un vent chaud qui doit réconforter ceux qui, dans les piémonts du Roussillon, se couvrent d’une laine quand le soir arrive.

Ces jours-ci, en Espagne, se sont multipliées les initiatives solidaires en faveur du « Non » en Grèce. Elles sont l’occasion de voir se croiser toutes les forces qui souhaitent un changement dans ce pays. On sent bien dans cette mobilisation espagnole que l’Eurogroupe a visé juste et que l’asphyxie des Grecs a des visées qui vont bien plus loin qu’Athènes. L’avancement des élections par Samaras au mois de janvier, en accord vraisemblablement avec les instances internationales qui déterminent nos vies dans l’ombre, avait pour but d’en arriver là. Il fallait coincer Tsipras en plein été, avec une des négociations les plus compliquées qui l’attendaient, juste avant que ses disciples espagnols ne se lancent à la conquête des urnes.

Est-ce vraiment la petite Grèce et sa dette qui préoccupent ? Un pays à qui l’on a tant pardonné déjà, même à des coalitions qui comprenaient le Laos d’extrême droite, comme dans le gouvernement Papademos ? Non, c’est la possibilité même que les choses changent qui se joue et que l’Espagne, la 4e économie du continent, ne tombe entre les mains de ceux qui pensent qu’un « autre monde est possible ».

Ici, en absence de concurrent souverainiste d’extrême droite, les forces du changement portent l’espoir de ceux qui vivent asphyxiés par des politiques d’austérité lancées sous le PSOE de Zapatero (celui qui a inclus la « règle d’or » financière dans la Constitution) et renforcées par le PP de Mariano Rajoy. Malgré la version officielle d’une supposée « reprise », les indicateurs macro-écconomiques ne changent pas la situation concrète d’une population qui continue de vivre au quotidien le chômage de masse et les expulsions locatives, plus de 600 000 depuis 2008.
Sur les places et dans les actes unitaires pour le « non » grec, convergent enfin Podemos (réticent à se mêler aux « communistes » de IU) et les autres forces. Toutes les gauches se rejoignent, y compris celles qui ne veulent plus utiliser ce terme parce que perverti par la social-démocratie ou attaché au camp « qui perd ».  On se croise, on se parle, on échange, dans un couloir, autour d’un café, avec l’immense responsabilité de trouver la formule gagnante pour l’automne, quand viendront les législatives. De plus en plus, on sent se former en périphérie d’appareils encore arc-boutés sur leurs intérêts et identités, des forums informels de discussion entre militants, cadres et parfois élus prêts à rompre la discipline des uns ou des autres et qui font de la nécessité de passer devant le PSOE une priorité. Sans cela, comme dans les régions autonomiques après les élections du 24 mai, alors que dans le meilleur des cas Podemos est arrivé à moins d’un point des socialistes, le mouvement devra jouer un rôle subsidiaire et se contenter du rôle traditionnel de la gauche alternative, celui de force d’appoint.

Tous cherchent la solution qui pourrait être gagnante entre Podemos, IU, Equo, les partis de la gauche autonomiste et le souffle citoyen des victoires récentes de Barcelone et Madrid. Tous reconnaissent que malgré la terrible résistance à l’ouverture de Podemos dont la direction vient même d’accélérer les primaires pour les législatives afin de contourner la demande croissante d’ouverture depuis la base, la plupart partagent l’idée que c’est pourtant une formule d’unité populaire (unidad popular) qui pourrait l’emporter, comme aux municipales, à Madrid ou Barcelone.

Tous défendent l’idée que cette unité ne devrait en aucun cas se présenter, dans l’Espagne de l’après 15 mai 2011 et des indignés réticents envers la politique institutionnalisée, sous la forme d’un Front de Gauche avec ses réunions périodiques et feutrées ou d’une quelconque coalition traditionnelle. Il faut un vaste mouvement citoyen comme aux municipales, avec des primaires ouvertes, des programmes participatifs et interactifs, des figures neuves.

Sur la photo : Ernest Urtasun (ICV), Juantxo Uralde (Equo), Rommy Arce (Ahora Madrid), Jaime Pastor (Podemos), Alberto Garzon (IU), Joan Baldovi (Compromis) en appui au NON au referendum grec du 5 juillet.

Il est impressionnant de comparer comment le panorama politique s’accélère ici et comment il est au ralenti chez nous. Tous les journalistes français que je croise ici, à l’instar d’une équipe d’Arte hier même, me font part de cette même impression. Ils constatent l’enthousiasme que provoque le bouillonnement au Sud des Pyrénées et le désarroi qui s’exprime au Nord.

Il y a quelques jours j’étais en France, pour enterrer celui qui a été tant (pour ne pas dire tout) pour moi, au parti de Gauche où j’ai milité jusqu’à présent, François Delapierre. Bien que résidant hors de France, j’ai eu par les hasards de la vie et parce que cet homme avait la vision de la construction d’un grand parti où il fallait recruter bien au-delà du périphérique parisien, la chance de l’accompagner de près. J’ai pu apprendre avec lui et sillonner l’Espagne à plusieurs reprises. Etrange hasard de l’histoire, une des jeunes camarades qui voyageait avec nous pour visiter les champs occupés par les journaliers agricoles andalous est désormais une des proches conseillères de Pablo Iglesias.

Je pense aujourd’hui à tout ce qu’il avait ressenti et ce qu’il expliquait il y a tout juste un an, après l’irruption du phénomène Podemos et des succès de la gauche espagnole qu’il suivait avec grand intérêt. François avait une capacité inouïe à anticiper les mouvements, les indignations et les formes de leur possible traduction dans le champ politique. Il savait qu’il fallait chercher des figures populaires, « populistes » de la société civile qui sont celles qui sont capables de faire émerger les mouvements telluriques sourdement contenus dans les sociétés soumises aux terribles traitements des institutions financières internationales. D’où Pablo Iglesias, Ada Colau, Manuela Carmena, qui lui donnèrent raison.

Pour nous, en France, dans un contexte plus difficile, il aurait pu être celui-là. Le parti de Gauche qu’il a lui même créé, aurait dû connaître selon lui un second souffle, il réfléchissait beaucoup par exemple à l’idée de devoir porter comme un fardeau le concept de Gauche, ancré dans son nom et qui nous confond avec ceux qui ont trahi définitivement y compris l’idée social-démocrate bien fade que le capitalisme peut-être régulé, ceux qui tiennent de sinistres propos sur les Roms, n’amnistient pas les syndicalistes criminalisés sous Sarkozy, plongent le pays dans la sinistrose, le dogmatisme financier et le poussent à petit feu dans les bras des charlatans de la haine. Ils forment finalement avec leurs comparses libéraux/conservarteurs dont ils partagent les votes, main dans la main au parlement européen, la Grande Coalition française qui a conduit notre pays dans l’impasse de la régression sociale et qui appellent en cœur les Grecs à voter « oui ». Jusque dans le panorama politique français, on a aussi l’impression que ce n’est pas non plus d’un parti organisé que viendra la mise en place d’un processus citoyen capable de réveiller les abstentionnistes et les déçus du social-libéralisme actuel ; mais plutôt de la mise en place d’un mouvement constituant transversal comme en Espagne et de listes citoyennes transversales aux élections.
L’exemple espagnol qui est loin d’être simple et transposable, ne serait-ce que parce que le degré de désarroi social et de mobilisation est bien plus élevé qu’en France, nous donne des pistes importantes. Ici, la gauche réelle a les idées claires. L’écologie politique en premier lieu est manifestement engagée dans la confluence d’une gauche alternative, sociale et solidaire sans jouer d’ambiguïtés avec le PSOE. Certes, elle ne pèse pas autant que chez nous, mais l’engagement de Juantxo Uralde (le porte-parole d’Equo) pour une alternative sociale au bipartisme est on ne peut plus clair et l’apport programmatique écologiste demeure essentiel dans un pays dont le modèle économique low cost de l’immobilier et du tourisme n’est pas pérenne. C’est aussi le cas du parti écologiste régionaliste valencien Compromis et des écosocialistes d’ICV en Catalogne. La jeune génération des cadres de la coalition de Izquierda Unida, communistes ou non, derrière le député Alberto Garzon est elle aussi consciente de l’importance du moment historique qui exige de tourner la page des dérives bureaucratiques et des politiques de coalition avec les socialistes de leurs aînés.

Podemos, certes encore hétérogène et bien jeune, mené par une direction qui laisse peut-être encore trop de place à la tactique, à la tentation de l’hégémonie qui veut exclure et aux fluctuations de ligne, est manifestement la force clé de ce changement, celle qui a su réinventer la façon de porter le discours du renouveau. Pablo Iglesias apparait quant à lui comme la figure capable de catalyser ce vaste mouvement populaire auquel il appelle, au-delà des limites de son organisation. Il y a bien plus encore à fédérer au-delà des partis organisés comme les vastes mouvements sociaux, les marches de la dignité, les plateformes diverses qui ont animé la vie politique espagnole ces dernières années. Voilà ce que doit comprendre Podemos, s’il veut dépasser la barre des 20% et le PSOE dans une formule d’unité généreuse mais innovante.

Ce sens de la responsabilité historique s’imposera-t-il en Espagne ? Beaucoup y travaillent, au delà des écuries et des étiquettes partisanes : intellectuels, médias indépendants...

Un processus semblable peut-il émerger en France ?

On a vu se dessiner des formules intéressantes d’alternatives citoyennes depuis les départementales où se construisent des processus patients et participatifs entre simples citoyens et partis organisés et expérimentés : les uns appuyant les autres dans une synergie essentielle et qui a su mobiliser à Toulouse, dans le Jura, à Grenoble. Il semble qu’en France aussi, quand on privilégie l’écoute et la participation, on réveille les envies et on fédère les forces. Pour que cette dynamique s’installe, il faut que tout le monde s’entende vite et que les écuries enivrées par la primauté des élections présidentielles, comprennent comme en Espagne et en Grèce qu’un seul résultat compte pour le peuple, la victoire. Que cette victoire suppose une réinvention de ce que nous sommes, pour réveiller la mobilisation citoyenne et que toutes les forces en présence assimilent l’importance du moment historique, là où se joue la bifurcation définitive vers une Europe allemande et américanisée, au détriment du consensus social relatif de l’après-guerre.

Oui, il se peut que ce 5 juillet, en Grèce, suite à un terrible coup d’étranglement financier, comme avait déjà pu en connaître la gauche dans l’histoire (le gouvernement Allende lui même avant l’attaque militaire), le camp de l’alternative soit sévèrement touché en cas de victoire du « oui ». Pour les décroissants, écologistes, écosocialistes, les régulationnistes keynésiens, les socialistes qui le sont encore, se terniront les perspectives d’infléchir la terrible machine supranationale et pervertie que la Grande Coalition nous a imposée, malgré le referendum de 2005. Mais, au Sud et au Nord des Pyrénées, il faudra continuer à avancer.

Et peut-être, comme la Balaguère, qu’un vent chaud nous parviendra d’Athènes.

François Ralle Andreoli,
consulaire des Français-es d’Espagne, sur une liste citoyenne, Front de Gauche, Écologistes, indépendants.

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