François Rochon (avatar)

François Rochon

habitat et logement social, culture et citoyenneté

Abonné·e de Mediapart

32 Billets

1 Éditions

Billet de blog 13 décembre 2022

François Rochon (avatar)

François Rochon

habitat et logement social, culture et citoyenneté

Abonné·e de Mediapart

Politique du logement : dépenser moins, et après ?

UN EXTRAIT DE LA LETTRE HCL : La baisse des financements publics en direction du logement est inexorable. Du mois, elle peut s'expliquer par trois raisons et un joker pour ne pas dépenser plus. Mais cela n'empêche pas qu'il existe une raison sociale d’investir autrement. Une échappée pour le logement social.

François Rochon (avatar)

François Rochon

habitat et logement social, culture et citoyenneté

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce texte vient de paraître dans la Lettre Habitat et Collectivités Locales, Guy Lemée le présente ainsi : "François Rochon, qui a pu observer de l’intérieur l’institution HLM, est aussi un passionné d’art et de culture. L’illustration de sa tribune en est un exemple, tout comme son style rédactionnel. Sous une formulation souvent érudite et parfois faussement naïve, mais avec une hauteur bienvenue, le texte révèle un vrai travail d’analyse de la situation, pour asseoir une hypothèse rarement ainsi formulée. Dans Logement social, il y a d’abord social (et donc «faire société») semble plaider l’auteur, non ?"

Illustration 1
Kandinsky (source : wikipedia)

Durant la mandature précédente, 15 milliards ont été économisés dans les dépenses publiques sur le logement. Cette somme est considérable, elle représente, par exemple, l’équivalent des trois quarts des loyers annuels pour l’ensemble du parc social. Or, cette rigueur budgétaire n’a rien d’une parenthèse, elle poursuit au contraire une période de profonde reconfiguration du financement de la politique du logement, inexorable pour plusieurs raisons. Cette analyse appelle une conclusion paradoxale en matière de logement social.

Trois raisons et un joker pour ne pas dépenser plus

Premièrement, il faut noter que malgré le désengagement financier de l’État, le choc social symbolisé notamment par le mouvement de contestation des « Gilets jaunes » a par la suite été largement amorti sous les effets d’une autre politique, celle dite du « Quoi qu’il en coûte ». En effet, les expulsions restent relativement contenues et les situations les plus alarmantes des enfants scolarisés à la rue s’entendent surtout comme le reflet de la crise humanitaire des réfugiés fuyant la guerre, s’inscrivant dans un phénomène international. Le nombre de personnes déplacées est aujourd’hui équivalent à celui d’une guerre mondiale. Autrement dit, l’urgence sociale déplace la question de la crise du logement vers la fonction d’accueil, au détriment de la réflexion sur la globalité du système, qui de ce fait limite l’ambition politique.  Les batailles sur le maintien des crédits en faveur du secours public prennent le pas sur ceux concernant l’ensemble du parc.

Deuxièmement à l’opposé, le développement des meublés touristiques dans les villes attractives pour la clientèle à fort pouvoir d’achat suscite des contestations, parfois même des manifestations. Mais cette recherche de rentabilité maximum des logements renvoie à une réalité trop souvent oubliée : les bailleurs privés par définition sont des investisseurs et non des philanthropes. Pour preuve, ce sont précisément les philanthropes qui ont inventé le logement social en leur temps. L’essor des appartements et villas de tourisme pour quelques jours de résidence seulement grignote le marché du logement pour toute l’année.  Certes, la dérégulation qui a pu apparaître comme une voie de modernité trouve ses limites, mais en aucun cas celle-ci ne se résout par de la dépense publique.

Enfin troisièmement, il y a les fondamentaux de la politique du logement, entre avantages concédés au secteur privé et soutien plus ou moins appuyé au logement social. Sachant que les recettes fiscales sur le logement sont très supérieures aux dépenses, l’attention des pouvoirs publics reste de mise pour maintenir un bon équilibre. Mais les objectifs politiques sont loin d’aller dans le sens des dépenses. Veut-on continuer d’augmenter la part de propriétaires déjà élevée, ce qui impliquerait de financer plus encore les ménages aux revenus modestes ? C’est plus que douteux. Veut-on soutenir plus encore l’investissement locatif, avec des prix immobiliers si élevés et des effets de rente probables ? C’est plus que douteux. Veut-on favoriser le logement social qui a su encaisser une énorme ponction sur ses recettes ? La tentation est grande de le laisser claudiquer encore, attendant qu’il ne retombe de lui-même sur ses pattes comme il l’a toujours fait. 

En plus de ces trois raisons, la politique de rénovation énergétique de tous les bâtiments, très chère, vient en quelques sortes subsumer la politique du logement, ce qui tend à en masquer les besoins spécifiques. 

Autrement dit, il n’y aucune raison pour que l’État dépense plus à l’avenir pour le logement, privé ou social, sachant qu’il a en outre des priorités plus graves et plus durables à prendre en compte. Face aux impératifs de sécurité nationale ou de sauvetage du système de santé, l’effort public en matière de logement, aussi crucial soit-il, passera toujours au second plan pendant encore bien des années. Admettant cette idée, quelle conclusion peut-on en tirer ? 

Mais une raison sociale d’investir autrement

Il y a toutes les chances que le logement des plus démunis continue d’être aidé au prix d’une gestion sociale musclée, que les meublés touristiques fassent l’objet d’un retour de régulation et que le secteur de la promotion et du locatif privés entrent dans une zone de turbulence, comme il s’en produit par cycle inexorablement. Il y a aussi toutes les chances que le logement social continue son activité sous pression, contraint dans ses investissements et forcé à chercher des expédients ou réduire ses ambitions. Le logement social qui gère un actif de plus de 5 millions de logements et se développe pour moitié grâce à l’achat de programme des promoteurs privés, va alors se retrouver de plus en plus banalisé comme un acteur du « real estate », mais dont la raison sociale est précisément sociale. Que cela signifie-t-il encore dans ce paysage ainsi décrit, dans lequel l’État social historique s’est métamorphosé complètement ?

Cela signifie que le logement social demeurera social moins dans ses moyens que dans sa conception. Ses dirigeants sur le terrain déploieront une énergie considérable pour maintenir le plus d’ambition possible dans leurs plans stratégiques de patrimoine, cherchant à répondre au maximum de demandes sous une pression d’endettement croissante, gagnant plus ou moins des marges de manœuvres par des regroupements d’organismes, des produits bancaires innovants, ou encore des arbitrages (cessions de logements/vente HLM). Tout comme le ferait n’importe quel groupe privé. À ceci près qu’il lui restera de singulier son éthique ou sa ligne de conduite, son intention philanthropique, dont il est essentiel qu’elle ne se limite pas à un vœu pieu ou à la nostalgie d’une histoire. Parce que celle-ci reste en grande partie à écrire.

La dimension sociale doit inspirer et s’incarner dans un récit qui prend corps dans des faits ou plutôt dans une relation, entre les habitants et la conception de l’habitat. Alors que les promoteurs immobiliers revendiquent aujourd’hui de produire la ville, d’aménager des quartiers et plus seulement de construire, comment se manifeste la contribution singulière du logement social, au-delà des sigles et des mots clés du moment ? Quelle est cette matière plus profonde qui relie des parcours de vie et des logements ? Il serait présomptueux de vouloir y répondre trop hâtivement et si salutaire de s’y pencher collectivement, comme un ouvrage à composer patiemment, suivant cette piste inspirante et trop peu rappelée d’Henri Lefebvre : comme s’il s’agissait de : « faire de la vie quotidienne une œuvre ». 

L’œuvre du logement social n’est plus dans sa production fondue dans les quartiers. Elle n’est plus dans une conception de la ville puisqu’on ne construit plus de grands ensembles : la ville est le terrain de multiples acteurs. Elle se trouve dans une attention subtile, un trait culturel. Il faut le dire et le faire connaitre : par des livres écrits avec les habitants, par des images qui ouvrent le documentaire à sa part de fiction, par des bruits sensibles, des sensations. Par un mouvement, une contribution française qui rejoindrait l’ambition d’un nouveau Bauhaus européen. Organiser ces traces et ces messages, dans une conception manifestée de la société, un modèle Hlm du XXIe siècle. Mais attention, il ne s’agit pas de chercher une ligne budgétaire supplémentaire à celle de l’action socioculturelle qui a été supprimée. 

Il s’agit de prendre acte d’un changement de modèle qui impose une pragmatique de l’action, sans renoncer à la noblesse de l’intention. Celle-ci ne doit pas rester implicite, elle donne l’opportunité d’un travail spécifique qui ne se jouera plus dans l’architecture, ni dans le cahier des charges du logement. En ce sens, le logement social a fini par gagner la bataille de la qualité, avec une banalisation par le haut. Elle se jouera dans l’invention d’une relation explicitée avec la société, entre des trajectoires et des rencontres. Une mission de transmission et de lecture du monde, dans une société où l’individualisation a trop isolé et segmenté, où l’inattention au vivant a généré de nouvelles vulnérabilités. L’avenir du logement social n’est pas envisageable sans une échappée. Elle appelle une capacité transgressive plus que d’innovation, le choix de l’initiative malgré le respect du passé, et surtout l'intransigeance d'une pensée conséquente contre le bruit saturé de la communication.

Voir l'article original :

Extrait de HCL n°649 (pdf, 380.0 kB)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.