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François Rochon, que nos lecteurs connaissent, propose dans cette tribune - c’est désormais sa manière - de « prendre de la hauteur » et, détournant le slogan d’un ancien Président de la République, affirme que c’est surtout de la technique financière que viendront les solutions à cette crise du logement inédite. Au passage, il égratigne le monde HLM et évoque quelques pistes souvent évoquées. L’invitation à ce type de réflexion est rare et donc bienvenue, même si certains resteront sur leur faim. On espère une suite, peut-être avec des pistes de propositions plus précises… Les liens insérés sont de la rédaction HCL.
Guy Lemée, Lettre HCL 762 du 12 mai 2025
Le renforcement impérieux de la politique de défense implique des investissements supplémentaires à la montée en charge, progressive et déjà prévue, de cette ligne budgétaire. Parallèlement, l’essoufflement de la politique économique de l’offre, menée depuis une décennie, est patent. Les baisses d’impôts, dont la taxe d’habitation et les aides aux entreprises, n’ont pas permis de relever significativement la croissance, de sorte que les déficits publics et la dette pèsent toujours plus lourd.
Néanmoins, l’épargne des ménages reste très élevée. Elle s’avère le reflet d’une exacerbation des inégalités de patrimoine, qui atteint des niveaux équivalents à ceux de la société de la belle époque, avant la première guerre mondiale. La France est redevenue une société de l’héritage, qui s’oppose à la méritocratie républicaine, par l’engagement et le travail. La question du logement se place ainsi dans une position paradoxale. Elle demeure une politique discrète, tout en pesant de tout son poids sur les maux actuels.
Dans un paysage politique durablement fragmenté, où des projets de société cohérents et travaillés peinent à émerger, au profit d’une hystérisation du débat public numérique, une voie efficiente de travail consiste donc à faire avancer le débat technique sur le système de financement de la politique du logement à la française. Marqué par la vertu de la prudence qui enjoint à la stabilité, il est de ce fait peu enclin à l’innovation pour corriger ses biais, systémiques, qui se révèlent aujourd’hui sous l’effet du long terme, dans ce qu’il est convenu d’appeler la « crise du logement » à la française.
Les ressources de la demande, c’est-à-dire la structure des revenus des ménages, est une donnée préalable de la politique du logement, sur laquelle elle n’agit qu’à la marge. Rappelons à cet égard que les aides personnelles au logement, aussi volumineuses soient-elles encore, ne compensent – partiellement - que les revenus des ménages en dessous du smic. La politique du logement agit en fait essentiellement sur l’offre.
Le triptyque de l’offre et son financement
L’accession à la propriété fonctionne davantage pour les multipropriétaires que pour la résidence principale. En cause, la précarisation du monde du travail : beaucoup de ménages commençant leur vie professionnelle comme locataire, souvent avec des garants, payent rubis sur l’ongle leur loyer tout en n’ayant pas accès au crédit immobilier. Les modèles progressifs inspirés du leasing, comme celui de Xavier Lépine, ne gagneraient-ils pas à prendre de l’ampleur, de même que le fameux bail réel et solidaire (BRS) ?
L’entretien du parc de logement social est en question, car les fonds propres des organismes sont fortement mobilisés aussi pour la construction. Mais cet entretien répond à une politique européenne de transition énergétique. N’y aurait-il pas là une ressource à mobiliser, pour soulager les opérations ? Par exemple, le FEDER pourrait avantageusement alimenter le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) pour la rénovation du parc social dans un plan d’ampleur, plus en adéquation avec notre modèle que la déclinaison régionale où il se perd en détails et critères ?
Enfin, le parc locatif privé demeure, malheureusement, un impensé, malgré les avancées promises du statut du bailleur privé, centré sur la fiscalité. La réalité économique est telle qu’un logement décent à un loyer abordable ne repose jamais sur une équation rentable, tout du moins à un taux de rentabilité concurrentiel avec les autres secteurs économiques, sauf s’il s’agit de tout miser sur la spéculation foncière.
L’immobilier locatif, pour jouer son rôle de fluidité dans nos modes de vie et dans l’économie, a besoin de tempérance dans son mode de gestion. Du fait de sa faible attractivité relativement au rendement, il prend tout son sens comme une épargne tranquille, suivant la logique de la foncière, où la gestion de long terme ne s’oppose pas frontalement au miroitement de la vente à terme. Ne gagnerions-nous pas à penser plus conjointement les métiers de la promotion et les métiers de la gestion immobilière, dans des systèmes plus imbriqués, limitant aussi les effets de surchauffe et de crise ?
La balle dans le camp du monde de la finance
Différents cercles travaillent ces questions, dans une discrétion à l’image de la profession. Souhaitons que cette forme d’investissement dans la matière grise prenne de l’ampleur et infuse dans la préparation des échéances politiques à venir. Car de toute évidence, c’est bien dans une approche économe et donc forcément innovante que la sortie de la « crise du logement » à la française peut s’envisager. La subvention ou l’avantage fiscal sont des recettes du passé.
Si attaquer l’héritage apparaît comme une option politiquement inflammable, c’est bien la mobilisation efficace de l’épargne qu’il faut réussir, de même que l’ouverture de l’accès au crédit, en rapport avec le monde du travail d’aujourd’hui, contre le découragement des salariés et le décrochage des chômeurs. Alors que le modèle de retraite par répartition a été pensé dans une équation démographique qui ne nous correspond plus, alors que le modèle des APL a été pensé à une époque où les taux d’efforts étaient faibles et où la moyennisation des revenus devaient se poursuivre, l’heure est venue de projeter notre modèle dans une visée différente.
La tâche du monde de la finance consiste à offrir aux décideurs publics un débouché technique capable de traiter de grands volumes de projets. Par exemple, l’intermédiation locative pourrait se généraliser pour résoudre la question des assurances contre les impayés. De même, le portage foncier pourrait se généraliser pour ouvrir l’accession, massifier la rénovation des copropriétés, en s’appuyant sur la garantie des collectivités locales. Enfin, le logement social pourrait passer un cran d’intégration dans les logiques de groupes. N’oublions pas que la grande réforme du financement de la politique du logement qui a un demisiècle cette année a été imaginée au départ par des financiers. Travailler sur la technique est exigeant, mais elle est un bon vaccin contre le populisme.
Autrement dit, désormais pour la politique du logement : mon amie, c’est la finance ! Reste à imaginer laquelle…