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Billet de blog 22 janvier 2024

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La politique du logement sans ministre de plein exercice c’est possible (et urgent)

Durant sa grande conférence de presse, le Président de la République évoque rapidement la question du logement, en reconnaissant une forme de crise, prônant une vague de simplification comme l'avait fait à la fin de son mandat Nicolas Sarkozy. Mais pour l’heure, le sujet ne figure pas officiellement à la table du conseil des ministres.

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Illustration 1
La Charente sous la brume à Rochefort (Charente-Maritime) © François Rochon

Anatomie d'une crise

Alors que le gouvernement resserré de M. Attal vient d’être annoncé sans Ministre du logement, les acteurs du secteur semblent se retrouver dans une critique virulente de cette absence, comme si celle-ci pouvait surprendre. Or, dès l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement d'Emmanuel Macron en 2017, le ministère du logement fait l'objet d'une passation improvisée par Richard Ferrand, chargé uniquement de la cohésion des territoires, sans jamais que le poste, par la suite, ne remonte significativement dans l'ordre protocolaire.

Aujourd’hui, les analyses concordent pour qualifier, par défaut, la politique du logement comme une accélération néolibérale. Car sa définition actuelle procède surtout par retraits : sujet privilégié de réduction budgétaire, « choc de l’offre » jamais advenu dont le slogan même est abandonné, suppression de la taxe d’habitation sans lien sur le fond avec le sujet, création de l’IFI comme résidu de l’ISF… ou comment traiter la question du logement par l’inverse. Récemment, Patrice Vergriete, probable futur successeur de lui-même en qualité de ministre délégué ou secrétaire d’État, allait jusqu’à mettre en doute la pertinence d’une politique nationale du logement, au profit d’un puissant mouvement de décentralisation. Autrement dit, une époque revendiquée de discrétion.

Mais la crise de la construction, de la production, est bien là, elle s'installe, sa gravité atteint des sommets, ou plutôt plonge dans le gouffre. La chaine du logement se crispe sous le double effet de la hausse des coûts pour les professionnels et de l’évaporation du pouvoir d’achat pour les ménages, entre inflation et remontée de taux. Les acteurs tonnent depuis des semaines, redoublent d’efforts pour convaincre, dans leur minutieux travail quotidien avec les cabinets ministériels, les parlementaires, les fédérations, la haute administration. 

Cependant rien n’y fait, la raideur silencieuse s’installe, le scénario du pire parachève ces années de perte de sens politique. Alors pourquoi déplorer une fois encore "l’absence d’un grand ministère du logement de plein exercice" ? Et quelle serait l’efficace attendue derrière cette nuance de titre ? Jacques Barrot en son temps avait pu initier la question des quartiers avec le programme Habitat et vie sociale, par sa "simple" qualité de Secrétaire d’État, comme me le rappelait Pascale Bonnefille (Directeur de publication d'Immoweek). De même, Louis Besson avait pu concevoir la loi SRU à ce même grade. Lui succéda Marie-Noëlle Lienemann qui affirma justement la nécessité de relancer la construction et engager des démolitions ! 

Cette attachement au formalisme protocolaire, de la part d’un secteur qui paradoxalement revendique moins de normes, doit donc nous interroger.  Peut-être est-il le révélateur d'un tournant souhaitable à venir dans son approche, qui évolue.

Twitt d'Olivier Salleron, Président de la FFB © Olivier Salleron

De la chute au redressement 

Un détournement de l’affiche du célèbre film « Anatomie d’une chute » (en partie tourné à Rochefort) circule actuellement, comme pour chercher à expliquer les dessous de la crise sur fond de critique appuyée. Olivier Salleron, Président de le FFB, reprend l’image dans un twitt. Plus généralement, le procédé peut étonner de la part des professionnels, qui préfèrent habituellement les discours francs à l’humour satirique prisé plutôt des associations de locataires, comme la CNL. Il étonne aussi car la trajectoire invariable de la politique du logement est connue. Elle peut susciter la polémique, mais il faut bien lui reconnaître le mérite de sa constance. 

Alors comment le secteur peut-il l’infléchir, puisqu’il le souhaite ardemment ? Partant du constat que tous sont unanimes pour avancer, comme en témoigne cette initiative de l’« Alliance pour le logement », que manque-t-il pour que s’impose cette autre voie, pour qu’un rapport de force plus favorable ne s’installe ? Tout simplement de la politique. Il nous faut « faire » de la politique, comme on « fait du pain », pour reprendre la formule de Jean Viard. C'est le difficile changement de position auquel est confronté le secteur, en quelque sorte malgré lui.

La tradition du partenariat étroit avec l’Etat, dans cette forme d’économie mixte à la française, doit dorénavant laisser place à une autre forme de relation à inventer, à alimenter. Et force est de constater que l’initiative doit venir du secteur lui-même, en avançant sur le terrain qu’il avait jusque-là pu esquiver : l’affirmation du sens politique par-delà les propositions pragmatiques. Pour se faire entendre, il doit prendre à témoin les Français avec de nouveaux arguments. 

Jusqu’à présent les justifications élémentaires suffisaient : le premier poste de dépense des ménages, quand le bâtiment va tout va, le logement social est une chance pour la France, il y a beaucoup d’emplois à préserver, des milliards d’investissements dans les territoires, le logement condition pour recruter… Indéniablement, toutes ces bonnes raisons qui font de la politique du logement une bonne gestion ne suffisent plus. C’est d’ailleurs une des motivations sous-jacente de la mission en cours à la Commission des affaires économiques du Sénat, sous la présidence de Dominique Estrosi-Sassone, qui entend articuler problème conjoncturel et structurel (Mission d'information sur la crise du logement). C’est aussi une des motivations de la relance de travaux thématiques au Conseil national de l’habitat sous l’impulsion de son président Lionel Causse.

Car il est en effet nécessaire de toucher à l’essentiel, pour montrer que la politique du logement doit entrer dans la balance aux côtés des sujets de la plus grande gravité : inquiétude profonde sur notre système de santé, sur l’avenir de l’école, sur la sécurité nationale dans un monde où la guerre se répand. Au fond, pour quoi les professionnels se battent-ils avec passion, en quoi servent-ils à leur manière l’intérêt général qui donne la force à notre pays d’avancer ?

Derrière le secteur économique, il y a deux grandes politiques publiques essentielles, qui touchent à l’identité de notre Nation : une politique de cohésion sociale, qui doit faire du parcours résidentiel la preuve du pacte républicain ; une politique urbaine qui doit nous permettre de relever haut la main le défi des transitions énergétiques et climatique. Traiter pleinement ces sujets n’est pas habituel dans le secteur, qui a pris l’habitude de territorialiser sa pensée en trois fragments complémentaires, mais insuffisamment coordonnés : rappel de l’urgence du mal-logement ; travail quotidien pour optimiser l’action publique ; objectif abstrait de fluidifier la chaine du logement. Espérons que les initiatives en cours sauront « réarmer » l’approche, pour mener méthodiquement à des propositions concrètes et mises en œuvres à la mesure des enjeux.

Oser un saut conceptuel est possible, cela demande d’engager un travail intellectuel original et stimulant, dont le coût est marginal par rapport à celui des investissements colossaux dans l’immobilier. Il renforcera le secteur dans le débat publique et par surcroît redonnera toute sa noblesse d’État à la politique du logement.

Ce "point-de-vue" est initialement paru dans Immoweek, au 13h du 17 janvier 2024

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