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Billet de blog 25 septembre 2023

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Une rentrée à Bunus avec Patrice Vergriete

Un retour sur les entretiens d'Inxauseta 2023 à Bunus, qui se tenaient juste avant la rentrée, en présence du nouveau Ministre du logement. L'occasion d'approfondir l'analyse du contexte général de la politique du logement, et de prôner une regain démocratique. Un billet paru initialement dans la Lettre HCL 682, du 4 septembre.

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Illustration 1
Le paysage ensoleillé des entretiens d'Inxauseta en 2021 © François Rochon

Vendredi 25 août se tenaient les Entretiens d’Inxauseta à Bunus, petit village près de Saint-Jean-Pied-de-Port en Pays Basque. Cette journée de débat sur la politique du logement organisée à la fin de l’été depuis un quart de siècle rassemble toujours plusieurs ténors du secteur, le plus souvent en présence du ministre du logement. Pour Emmanuelle Cosse (Ancienne ministre et actuelle présidente de l’Union Hlm) qui y participait, ce rendez-vous est « un parmi les 5 rares moments où on peut dire les choses ». C’est peut-être une des raisons pour lesquelles le nouveau Ministre Patrice Vergriete a choisi d’y intervenir après plusieurs prises de paroles dans la presse, sous la forme d’un échange direct avec l’organisateur, Jean-Luc Berho, Directeur analyses, débats et tribunes de News Tank Cities (bien connu des acteurs du logement notamment à travers ses fonctions passées de secrétaire confédéral de la CFDT et de vice-président de l’UESL, l’actuel Action Logement).

Il faut dire que le concept ne manque pas d’originalité dans ce secteur du logement fait de congrès, d’assemblées générales et de conventions au format policé. Le concept détone et le classe parmi les grands rendez-vous, où quelque 400 acteurs engagés de la profession se retrouvent autour de tables-rondes et d’un pique-nique. La parole y est libre et l’ambition grande : poser un débat d’actualité en des termes qui s’approcherait d’une parole citoyenne. L’objectif reste difficile à obtenir et passe par un longue préparation durant toute l’année, tant le sujet du logement s’est dépolitisé ces dernières années. Quasi absent de la dernière présidentielle, il avait été traité, durant le mandat précédent, sous la forme d’économies budgétaires. Quant aux oppositions, elles semblent peu mobilisées pour avancer des propositions nouvelles. C’est pourquoi les acteurs tentent de se saisir, tant bien que mal, des problématiques laissées en friche par les responsables politiques.

Des grands événements qui tournent (en rond ?)

Bunus prend place dans le calendrier avec quelques autres rendez-vous récurrents à succès, dont les deux principaux sont certainement le Congrès Hlm (itinérant, cette année à Nantes) et la présentation du rapport de la Fondation Abbé Pierre (Paris). Ces dernières années, le Congrès Hlm met davantage en scène les négociations entre les fédérations du logement social et l’État, plutôt que son autonomie stratégique, il s’inscrit donc dans une continuité de son action, émanation de l’action publique. De même, le rapport de la Fondation Abbé Pierre rappelle son interpellation militante sur le mal-logement, explorant ses différentes facettes année après année. Mais son institutionnalisation est telle que son délégué général est choisi par le Président de la République pour coanimer le CNR logement. Un paradoxe apparaît : ces très grands événements ne semblent plus infléchir le cours du débat sur le logement, ils ne font plus vraiment événement et deviennent des marronniers.

Un autre colloque créé plus récemment, s’est ajouté à ces scènes bien installées, les Assises nationales du logement et de la mixité urbaine (Paris). Portées par le groupe de presse Bati-Actu, en partenariat avec le gouvernement, elles parviennent à décliner de nombreuses problématiques, en présence d’un large spectre d’acteurs, mais dans un cadre consensuel à visée seulement pragmatique. Parallèlement, il faut citer le MIPIM (Cannes), salon de l’immobilier au sens le plus large, en lien direct avec les acteurs financiers. Ces quatre poids lourds de l’agenda de la vie publique sur le logement sont devenus, en ce sens, des reflets de l’inertie de la politique du logement : un foisonnement d’initiatives, d’innovations, de discussions techniques, dont la ligne directrice se perd en généralités, sans vision d’ensemble, sans programme claire de long terme.

Inxauseta : un succès, des questions

À Bunus aussi, la tendance générale semble se retrouver, comme lors des autres grands rendez-vous. D’un côté, la fréquentation est en hausse et les hautes personnalités répondent présentes, telles que Thierry Repentin (Président de l’ANAH), Christine Leconte (Présidente de l’Ordre des architectes), Lionel Causse (Président du CNH), Dominique Estrosi-Sassonne (Sénatrice), Jean-Claude Driant (Chercheur), ou Laurent Goyard (Directeur général de la Fédération des OPH) venu quant à lui pour la première fois… D’un autre côté, sur le fond, les propos et la tonalité dégagent une même ambivalence : l’expertise et la lucidité se veulent au rendez-vous, mais rien ne dessine une vision d’ensemble, capable de subsumer les propositions techniques en projet de société. L’alchimie du lieu et l’accueil des organisateurs, qui garantissent le succès, ne suffisent pas à accélérer les débats, comme du temps de la rénovation urbaine où Bunus avait été un point de rencontre fécond.

En tribune, Dominique Estrosi-Sassonne soumet par exemple l’idée convaincante de faire passer le DPE de l’échelle du logement à l’ensemble d’une copropriété, afin de rendre solidaires les copropriétaires pour engager les travaux. Dans le studio-vidéo, deux start-up échangent avec Laurent Goyard sur les données, l’ingénierie de la cartographie et le système d’acteurs à mettre en place pour massifier, en misant notamment sur la surélévation. Mais alors que le thème général des échanges de la journée est « Transition écologique et logement pour tous : l’impossible équation ? », qu’en est-il du sujet politique et crucial du financement ? Pour changer de braquet et ainsi se donner les moyens de répondre aux objectifs, ce sujet nodal n’est-il pas délaissé par les acteurs ? À cet égard, il est utile de rappeler qu’un des succès de la rénovation urbaine été de sécuriser le financement, dans une loi de programmation et avec la participation assurée d’Action logement, entrainant les autres acteurs ?

Certes, les tables-rondes des entretiens montrent des acteurs « agiles », une volonté de faire, mais tous ces efforts bloquent sur la capacité des ménages à investir ou réinvestir. Or dans ces conditions, personne ne pose clairement les enjeux de la politique du logement. Si les prix sont trop chers : faut-il souhaiter, voire organiser, une baisse ? Si toute une génération à partir des années 2000, jusqu’à récemment, a pu empocher de confortables plus-values, faut-il les mettre à contribution dans la rénovation, réduire les inégalités de patrimoine générées ? Si Airbnb déstabilise les marchés locaux, pourquoi ne pas le réguler fortement et tout de suite ?

En définitive, la politique du logement s’est intellectuellement installée dans un confortable inconfort : détailler le sujet pour ne jamais le cerner, considérer la position de chaque acteur pour mieux relativiser ses marges de manœuvres.

Christophe Robert rappelle ainsi la qualité des trois rapports du CNR, Emmanuel Cosse exhorte l’État à se saisir de la question du logement. Mais que faire maintenant ?

Un anti-ministre pour une anti-politique ?

En résumé, tout le monde du logement semble continuer sérieusement dans son couloir, malgré la crise qui monte. Tout bouge mais lentement, sauf les courbes des graphiques qui se cabrent. L’impuissance d’agir et la valeur des petits pas seraient devenues la nouvelle philosophie dans cette France surendettée, inquiète pour sa défense nationale et anémiée par la défaillance de son système de santé. La politique du logement sans boussole est acceptée, comme la crise sociale devenue une fatalité. L’État esquivant ses responsabilités, tous les acteurs en cascade en seraient eux aussi exonérés. Cette hypothèse se confirme par la prise de position du ministre qui clôt la journée, répondant à la question : « Dans quel état d’esprit êtes-vous ? ». Son approche humble, peu reprise dans les commentaires, mérite pourtant d’être analysée : « Dans sa tête, en un mois, on n’est pas encore ministre », revendique Patrice Vergriete.

Les détracteurs jugeraient sévèrement un aveu naïf d’impréparation, il est plus pertinent d’y lire en creux une conception politique revendiquée, développée dans la suite du propos qui souligne « l’absence de solution magique » et la volonté de « donner les moyens aux acteurs locaux » en faisant « la décentralisation de la politique du logement, comme le Président de la République l’a dit ». Une attention particulière est ensuite évoquée à l’endroit des jeunes, les grands perdants de la situation actuelle, sans poser toutefois une injustice à résoudre (jusqu’à peu grâce aux APL). Dans cette approche territoriale de la politique du logement, seul un garde-fou est rappelé : la liberté pour les acteurs locaux, « mais la reconnaissance que chacun prenne sa part pour les plus fragiles ». Pour mieux affirmer sa conviction, Patrice Vergriete rappelle son rôle de conseiller de Claude Bartolone, alors Ministre de la Ville, dans la rédaction de la loi SRU (2000).

Pour ce qui est du logement social, il s’agit d’augmenter sa mobilité interne. Mais le diagnostic de la thrombose actuelle n’est pas posé. Pour les centres-villes, le préalable est de lever le tabou de la démolition, comme cela avait été fait pour les banlieues avant la rénovation urbaine, dans la même référence au début des années 2000. En définitive pour Patrice Vergiete, il y a un « désenchantement devant la question du logement », qu’il entend comme une transposition de celui qu’il a connu en devenant maire de Dunkerque. La question reste locale et les causes structurelles se traiteraient progressivement à cette échelle, sans inflexion à mettre en scène. Au fond, la disparition de « La » politique du logement dans « Les » politiques du logement, la reformulation d’un « sujet de société » en de multiples « projets de territoires ».

La limite de cette approche est qu’à se concentrer toujours plus sur les attentes des acteurs de la profession, on en oublie les Français. Renoncer à écrire le récit de la politique du logement pour le pays tout entier, différer la pratique de cette page démocratique, ne court-il pas le risque de réduire le poids de ce ministère, représentant pourtant le premier budget des ménages et une projection dans leurs parcours de vie. De façon plus politique encore, puisque les arbitrages budgétaires ne seront pas favorables, n’y aurait-il pas justement tout à gagner à réinvestir l’explicitation du sens global de la politique du logement ?

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