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Billet de blog 29 janvier 2024

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Audition au Sénat du 24 janvier

Actuellement en cours au Sénat, une mission d’information sur la crise du logement, présidée par Dominique Estrosi-Sassone, à la demande du Gérard Larcher. De nombreux acteurs sont auditionnés depuis décembre. J'ai été invité à y participer, lors d'une séance à la suite de Monsieur Jacques Friggit du CGEDD, le 24 janvier 2024

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Audition de M. Friggit et M. Rochon © Sénat

Contexte

L’intervention se fonde sur une quinzaine d’années d’observations et d’analyses de la question du logement, consignées essentiellement dans trois livres :

  • Le logement l’habitat et le citoyen, présenté en 2017 sous la forme d’un rapport de concertation au Sénat sous l’égide de Marie-Noëlle Lienemann, cette démarche s’intéressait à la pratique démocratique de la question du logement à travers la diversité de ses acteurs ;
  • Logement : critique d’une politique impossible, une réflexion qui prolonge une idée force de Jean-Claude Driant : c’est « la vision d’ensemble qui pose problème », avec pour but de montrer une limite du fonctionnement du débat public actuel en manque de coordination ;
  • La République des Hlm, partant de l’idée largement admise que le logement social est une chance pour la France, mais en proposant de penser son IIe siècle d’existence, qui peut nous aider à faire la « révolution », « rénovation », « réarmement » (au sens de Bernard Stiegler), de la politique du logement que le pays attend, préfacé par Lionel Causse.

Globalement, l’approche développée dans ces travaux consiste à interroger nos cadres de pensée et la façon dont les travaille les acteurs du logement. Elle pose préalablement que la question du logement implique une pratique démocratique, une élaboration politique et pas seulement technique, à la recherche d’une vision d’ensemble, et où le secteur du logement social peut jouer un rôle important en termes de propositions.

L’exposé suit les éléments indiqués dans la note de cadrage préparée par la Commission des affaires économique, en s’efforçant de tenir un propos aussi direct que possible pour favoriser le débat.

Caractérisation de la crise

L’élément d’actualité est que nous avons une crise classique de l’immobilier. Le marché est grippé par un retournement brutal de conjoncture. Il y a un problème économique indéniable.

La spécificité de cette crise est que l’État ne dispose plus de contremesures puissantes, de la même manière qu’il a été dépassé par la crise sanitaire. Il y a un déficit de marges de manœuvres et de savoir-faire.

Après la crise de 2008 contrée efficacement, l’hybridation entre secteur privé et secteur social, avec aujourd’hui la moitié de production de logements sociaux en VEFA, et les pressions financières notamment avec la RLS, réduisent le potentiel contracyclique du logement social.

Par ailleurs, le niveau d’endettement du pays – Philippe Dallier, alors Vice-président du Sénat m’avait accordé un entretien sur ce double sujet de la trajectoire des finances publiques et du budget logement – rend extrêmement prudent l’usage de la relance par la dépense publique, et en particulier des dispositifs fiscaux.

De même, l’allongement de la durée et du volume des crédits immobiliers pour les ménages, liés à l’augmentation des prix et à la baisse parallèle des taux sur la dernière décennie, rend impossible un accroissement des taux d’efforts.

  • C’est cela la réalité de la politique du logement aujourd’hui. Et il faut souligner que tous ces éléments, déterminants, n’ont pas été explicitement débattus. Ils sont la résultante d’une politique silencieuse.

Comme toute crise, nous sommes donc face un moment de retour à la réalité des choses : derrière l’apparence d’un marché du logement jusque-là dynamique, en trompe l’œil, ressort un problème structurel, ancien, interne et qui a n’a pas été traité, qui a été esquivé.

Un problème fondamentalement politique. C’est cela qu’il nous faut déconstruire prioritairement, pour obtenir des propositions efficaces. Au fond, que voulons nous en matière de logement pour notre pays ?

Cette question n’est pas un sujet mondain de dissertation, un artifice de communication, c’est un travail politique à mener méthodiquement, à l’instar de ce que fait votre commission.

Pour développer cette question, centrale, il est utile de s’attarder sur le deuxième point de la note de cadrage, qui consiste à porter un regard sur la politique du Gouvernement, afin de bien s’inscrire dans le moment présent.

La politique du logement actuelle

  1. Rappel historique

Jacques Chaban-Delmas premier ministre faisait déjà ce raisonnement d’une « sur-dépense publique pour une inefficacité collective », dans des termes relativement proches. Le problème de cette considération générale est qu’elle esquive les connaissances spécifiques, qui existent, sur le logement en France.

Et Monsieur Friggit, auditionné également ce jour, a montré combien l’usage des instruments statistiques est une affaire délicate, qui sert bien souvent à conforter des points de vue déjà établis, plutôt qu’à les remettre en question.

C’est pourquoi, il ne nous faut pas seulement nous baser sur des chiffres, mais pouvoir dire aussi ce que nous attendons, ce que nous prévoyons, ce que nous préparons avec la politique du logement, dans des termes que chacun peut comprendre, ceux du citoyen, de l’électeur trop souvent oublié. C’est le cœur du problème, qui entraine le reste de la machine. Et au fond, on ne sait plus où on va. Or, cela n’a pas toujours été le cas.

Jacques Chirac posait le diagnostic de la fracture sociale, et proposait de « mettre de l’oxygène dans le système », avec le PTZ, soit l’accession à la propriété des couches moyennes, tout en procédant aussi à des réquisitions. On dirait aujourd’hui fluidifier la chaine du logement. Avec une attention à la cohésion sociale, par le soutien au logement social, qui se traduit dans la loi SRU, sous le gouvernement de Lionel Jospin.

Nicolas Sarkozy va plus loin en proposant la France de propriétaire. Cette aspiration semble largement partagée aujourd’hui par les Français. Mais comme le notait Robin Rivaton, cela ne s’est pas traduit dans les faits, malgré des taux d’intérêt historiquement faible. C’est un problème.

Enfin, François Hollande proposait d’équilibrer cette politique par la régulation du secteur locatif privé. Cela a fait débat mais, les outils sont aujourd’hui soutenus par les élus locaux.

La politique du logement avait donc une direction intelligible pour tout un chacun. Cette logique globale, claire, a la vertu de donner un cap, pour se projeter, inspirer confiance et organiser par suite le secteur productif.

  1. Une politique par l’inverse

Or, depuis 2017, le récit de la politique du logement est en panne.

Celle-ci procède en effet par retraits, par sa périphérie :

  • Un sujet privilégié de réduction budgétaire, par rabot
  • Un « choc de l’offre » jamais advenu,
  • Une suppression de la taxe d’habitation sans lien avec le sujet,
  • Une création de l’IFI comme résidu de l’ISF…

Récemment, Patrice Vergriete, allait jusqu’à mettre en doute la pertinence d’une politique nationale du logement, au profit d’un puissant mouvement de décentralisation.

Autrement dit, nous sommes dans une époque revendiquée de discrétion démocratique, dans laquelle la question du logement se réduit à un sujet technique, qui explique, du reste, l’absence récurrente de Ministre du logement.

Ce choix politique a le bénéficie de la constance, il faut le reconnaitre. Mais on peut regretter qu’il efface du débat publique un grand sujet de société.

Une conséquence est de mettre de côté les Français, au profit d’un dialogue tendu entre les acteurs du secteur et l’État, et au détriment du partenariat historique qui prévalait, dans une forme classique d’économie mixte à la française qui fonctionnait bien.

La conférence presse de l’Alliance pour le logement, ce matin même, en témoigne. Ainsi le grippage de la chaine du logement se double d’un grippage de la chaine des acteurs en amont. C’est sur ce point que porteront mes propositions.

  1. Des acteurs engagées, mais sans boussole

Au fond, les acteurs peinent, malgré eux, à compenser ce vide politique. Car ce n’était pas leur rôle jusqu’à présent. Ils sont amenés à se faire force de propositions sur un registre qui n’était pas le leur : le projet politique. Et force est de constater que les débats sont souvent mal posés.

  • Sur les aides fiscales.

Évidemment, les acteurs sont plutôt pour des aides, et l’État plutôt scrupuleux, c’est leurs rôles respectifs, la controverse est inévitable et donc peu productive. La question est plutôt : est-ce que cela a fonctionné depuis les premiers dispositifs au début des années 1980 ?

La réponse est non : le volume du parc locatif privé a quasiment stagné depuis 1970, tandis que le volume de l’accession a plus que doublé, et celui du logement social a triplé.

Oui, nous avons un problème structurel sur le locatif privé. Et par conséquent, oui, la professionnalisation de cette activité est certainement une bonne piste.

  • Sur les besoins en construction.

Les acteurs veulent construire beaucoup, l’État est plus réservé pour tenter de résoudre la question énergétique et le poids des dépenses publiques. Même querelle de positions.

La réalité est que le niveau de production ne se décrète pas. Et ce qui est important n’est pas l’objectif annuel, mais la structure du parc que nous souhaitons atteindre à terme.

Veut-on briser le plafond de verre des 57% d’accession ? Et si oui, peut-on le faire avec la politique des bas revenus que nous avons ? Quelle innovation financière concevoir ?

Veut-on continuer la concentration du parc locatif privé dans les mains de ménages multipropriétaires ? N’y a-t-il pas là un risque pour la cohésion sociale ?

Veut-on poursuivre l’effort national pour développer le logement social, qui est le premier bénéficiaire de la politique du logement sur le demi-siècle passé en croissance ?

Et dans quelle direction faire évoluer son modèle, pour son deuxième siècle d’existence ?

  • Sur les politiques contracycliques

Indépendamment du fait évoqué précédemment que l’État a peu de marges de manœuvres aujourd’hui.

Clairement, une grande partie des acteurs interprètent les positions du gouvernement comme le choix résolu d’une régulation automatique par le marché, acceptant les tensions que cela risque de provoquer pour les ménages et dans les entreprises. À tout le moins, ce choix devrait être explicité par le gouvernement.

Mais pour l’avenir : veut-on préserver une marge de sécurité dans le secteur pour préparer les amortisseurs réguliers dont il aura besoin tous les quinze ans environ, ou fait-on le choix d’ajustements violents par le marché ?

  • Enfin sur l’opposition entre LLI et PLAI

Le PLAI est vraisemblablement un bon investissement pour le patrimoine de la Nation via le logement social. Quant-au LLI, s’il ne coute pas trop cher en fiances public, c’est aux investisseurs d’arbitrer, dans une époque financière cependant troublée.

De façon plus général, le débat sur le logement tourne en rond du fait de sa fragmentation, qui peut se résumer en trois grandes approches spécialisées, certes complémentaires mais pas coordonnées (une longue démonstration est présentée dans le livre Logement : critique d’une politique impossible).

  • Le problème du mal-logement, une urgence sociale paradoxalement installée sur le long terme
  • L’optimisation de l’action publique, qui se concentre dans les détails sur l’épaisseur du trait et au fond, noie le poisson
  • Et le Système du logement, qui décrit des processus complexes de chaine difficiles à traduire en action.

Ce triptyque a eu ses vertus analytiques, il me semble important aujourd’hui de le dépasser.

Ces éléments étant posés, comment les traduire en proposition ?

Propositions conjoncturelles

  1. Le secteur est fortement capitalistique. Pour obtenir des résultats rapides, il faut déplacer très vite beaucoup d’argent. Cela passe donc par de l’innovation financière dans le crédit immobilier. Pour reprendre l’idée de Christian Topalov dans le classique Logement : histoire d’une marchandise impossible
  2. Pour le logement social sur le registre un peu disruptif, l’idée d’un impôt sur les sociétés, évoqué dans le Rapport De Courson, mais à condition préalable de le considérer en substitution à la RLS, est peut-être à examiner, en termes de souplesse de gestion.
  3. Il semble que les acteurs soient ouverts à une régulation du foncier, qui est la boite noire des prix. Donc avancer sur ce point est certainement une bonne chose.

Propositions structurelles

Rappel : La grande réforme de 1977 a bientôt un demi-siècle. Le Livre blanc du logement social en 1975 avait contribué fortement au débat. Il serait bon de s’inscrire collectivement dans une disposition d’esprit, et une logique de travail, qui consistent à préparer patiemment et méthodiquement le prochain grand tournant de la politique du logement.

Pour cela, il est incontournable de reposer la question politiquement au sens large. Cela implique de dépasser les écueils identifiés dans le débat public, la note de cadrage m’inviter à en lister un certain nombre.

Je propose de décomposer le sujet en deux approches complémentaires, qui touchent à l’identité de notre Nation :

  • Une politique de cohésion sociale, qui doit faire du parcours résidentiel la preuve du pacte républicain ;
  • Une politique urbaine qui doit nous permettre de relever haut la main le défi des transitions énergétiques et climatique, en améliorant la qualité de vie au quotidien.

(cette double proposition est le résultat d’une longue enquête développe dans La République des Hlm)

L’enjeu est de garantir une capacité de capitalisation des contributions qui émanent des différentes positions du champ du logement. Ce travail semble engagé dans votre commission, mais doit se poursuivre également dans d’autres lieux.

Pour y parvenir, il faut muscler les grandes organisations en expertises transversales de haut niveau, au sein même des organisations et non pas en sous-traitance par des cabinets de conseils. Il y a un enjeu d’organisation du travail en interne et aussi de coordination du champ du logement.

Et celui-ci doit être clairement posé comme une condition pratique de réarmement de la politique du logement. Notre chance est que cette politique peut s’appuyer sur un secteur constitué, et faire l’objet de consensus républicains, par-delà les clivages politiques habituels.

Je vous remercie de votre attention.

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