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Billet de blog 27 juillet 2020

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Le brave soignant Schweyk dans la 3ème guerre mondiale

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

SCHWEYK (près d’un brancard)   Confidence pour confidence, ma petite dame, c’est il y a vingt-cinq ans que vous auriez dû tomber malade !

JEANNE (sur le brancard)   Il y a vingt-cinq ans, je venais de naître.

SCHWEYK   Il y a vingt-cinq ans, je vous en aurais trouvé des lits ! Rien qu’à cet étage, couloir de droite, couloir de gauche. Les lits n’attendaient que ça : des malades ! Leurs draps grands ouverts ! Seulement, les lits, c’est eux qui ont attrapé la maladie ! Une vraie saloperie !

JEANNE    Quelle maladie ?

SCHWEYK (il regarde autour de lui, baisse la voix) La visite ministérielle, ça s’appelle !

JEANNE   Il faudrait savoir ! Vous vous plaignez si les pouvoirs publics vous négligent… Et vous vous plaignez s’ils s’intéressent à vous…

SCHWEYK   Ça, depuis vingt-cinq ans, ils se sont intéressés à nous ! Un ministre est passé nous voir. Quand il vit ces lits vides, il le devint. (Schweyk attend une réaction de Jeanne ; en l’absence, il répète ) Quand il vit ces lits vides, il le devint.

JEANNE   Oh Oh Oh !!!

SCHWEYK   La blague n’est pas de moi, mais d’un auteur qu’on a beaucoup lu et qu’on ne lit plus, sic transit comme on dit au Vatican : Ponson du Terrail. Mort par parenthèse à 41 ans…

JEANNE   Du Covid-19 ?

SCHWEYK   De la variole, autre épidémie.

JEANNE   Revenons à celle des visites ministérielles.

SCHWEYK   Vous vous y prenez bien, ma petite dame. Un bavard comme moi, il faut lui tenir la bride courte, sinon très vite il vous noie le poisson. Donc, les ministres… Le premier du genre, œil d’aigle, dès qu’il a eu remarqué un lit inoccupé, il nous a posé son alternative : ou bien on y fourrait un malade, ou bien on fermait le lit. Mais les malades, excusez-moi, il y a des périodes où ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. On a fermé le lit. Et puis c’est devenu un concours. Nouveau ministre, nouvelle visite. À qui ferait fermer le plus de lits ! Ils visaient le titre du plus économe, la médaille de cost killer comme on dit, parait-il, dans le Wall Street Journal.

JEANNE   Vous croyez qu’on en a encore pour longtemps à attendre pour le scanner ?

SCHWEYK   Ma petite dame, ce n’est pas pour rien qu’on appelle un malade un patient. Et moi, je suis là pour faire patienter. Et donc, pour en revenir aux fermetures…

JEANNE   (résignée) Revenez, revenez.

SCHWEYK   En aussi peu de temps que vous avez mis pour devenir la jolie femme que vous êtes, une douzaine de ministres, tous des cadors, se sont passé le relais : total, 100 000 lits de fermés. Et, pour aller plus vite, ils ont fermé des services, des secteurs, même des hôpitaux entiers, des maternités. Quant aux hôpitaux qu’ils projettent pour remplacer les vieux, les fatigués, les décatis, ils y ferment les lits par avance. Où il y en avait cent, trente de moins de prévus. Ça c’est de la planification. On sera de plus en plus nombreux, mais de moins en moins malades : si c’est pas une bonne nouvelle !    

JEANNE   Mais s’il arrivait, soudain, plus de malades qu’il n’existe de lits ?

SCHWEYK   L’enfance de l’art et l’embarras du choix. Deux solutions : un Doliprane et on les renvoie chez eux, circulez, ambulatoire ! Ou brancard-couloir, comme vous.

JEANNE   Vous au moins, vous n’êtes pas chirurgien mais vous savez remuer les couteaux dans les plaies.   

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