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À quelques dizaines de minutes du stade Vélodrome, au pied du parc national des Calanques, le centre pénitentiaire des Baumettes se dresse dans le quartier du même nom. Tout autour de la prison, des habitations, des écoles et des commerces, chacun y fait sa vie sans faire attention aux quelque 1 600 personnes qui y vivent détenus. Il faut dire que le centre fait partie du paysage depuis son ouverture en 1939. Entouré d’un mur orné de statues représentant les sept péchés capitaux seule en dépasse la construction des nouveaux quartiers d'hébergement les Baumettes III, dans le quartier historique fermé en 2018. Dans le cadre de la 18eme édition rencontres Films Femmes Méditerranée, 4 séances y sont programmés pour la première fois de l’histoire du festival en partenariat avec l'association Lieux fictifs et le salle de cinéma du Studio Image et Mouvement de la Structure d’Accompagnement à la Sortie (SAS). “C’était important pour nous de faire découvrir les rencontres et les questions que soulève sa programmation à un public souvent peu familier avec le cinéma” explique Marcelle Callier présidente du festival.

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Ce matin-là, un groupe d’une dizaine de personnes bravant le vent de novembre se forme devant l’imposant portail rouge de la SAS, situé à moins de 100 mètres de la maison d’arrêt. Dans cette partie de la prison se trouvent les personnes en fin de peine ou ayant écopé d’une condamnation de moins d’un an. Un des objectifs de la SAS est de créer un lieu avec l’extérieur. Dans cette optique, des autorisations de sortie sont accordées pour des faire des démarches administratives, professionnelles, ou tout simplement pour des visites familiales.
Après avoir franchi le portail, un premier point d'arrêt se présente, où il est impératif de déposer ses effets personnels dans des casiers et de remettre sa carte d'identité. Seuls les sacs transparents sont tolérés, conformément à la réglementation renforcée ces dernières années. À l'intérieur, dans un couloir de grillage entre la cour de promenade et les fenêtres des cellules, une dizaine de jeunes hommes, âgés de 20 à 30 ans, attendent patiemment l'ouverture du passage menant à la salle de cinéma. Baskets TN pour certains, un autre arbore un bonnet aux couleurs de l'OM. "Ça permet de sortir et de briser la routine", confie l'un d'entre eux.

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Le studio image et mouvement
Sur le mur noir de la salle “studio image et mouvement” y est écrit en lettre majuscule. Une cinquantaine de fauteuils rouges rétractables font face à un grand écran placé au centre. De l’autre côté un espace vide avec des équipements de tournage : caméras, fonds verts, lumières et matériel pour le son. Il y a même une salle de montage vidéo et sonore. “On peut faire plus de choses avec ces publics en prison qu’à l’extérieur” ironise Pierre Poncelet, réalisateur à l'association Lieux Fictifs en charge du lieu.
Lieux Fictifs est un espace collaboratif et d’éducation à l’image fondée en 1994 par les réalisateurs Caroline Caccavale et Joseph Césarini. À la fin des années 1980, après avoir tourné pendant deux ans un documentaire aux Baumettes est né une volonté “de renverser les regards, de voir comment les détenus peuvent se penser, construire un regard au sein de la prison, et regarder la société” explique la fondatrice dans un interview pour le CNC.

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D’abord situé dans les anciens cours de promenade des quartiers haute sécurité (QHS), le nouveau studio au SAS est inauguré en 2019. Il permet un lien plus important avec l'extérieur en proposant des projections ouvertes à la société extérieure dans le cadre de festivals. Les séances ainsi que les échanges sont filmés et retranscrits à l’ensemble de centre pénitentiaire des Baumettes. Pour les personnes détenues, l’association propose des ateliers rémunérés de préformation et de création audiovisuelle en plus des séances de projections. Au total, six séances sont programmées par mois ainsi qu’une séance avec un réalisateur pour créer un documentaire projeté en festival.
Découvrir la programmation du festival Films Femmes Méditerranée
Pour ce deuxième jour, deux films sont projetés en présence des réalisatrices. Machtat de Sonia Bel Salma tourné en Algérie et sélectionné pour l’acid cannes 2023. Ainsi que Bye Bye Tibériade de Lina Soualem, filmée entre la France et la Palestine. Il a été nommé pour représenter la Palestine aux Oscars 2024. Après un court discours de présentation du festival, le silence se fait, les lumières s’éteignent et les projections peuvent commencer.
Dans un quartier de Mahdia à 200 km de Tunis Fatma et ses filles, Najeh et Waffeh dénotent des autres femmes de la ville. L’hiver elles travaillent dans les champs et l’été elles sont des musiciennes traditionnelles de mariage bien spécifiques à cet endroit : des Machat. Nécessaires, respectées mais méprisées, elles ont une place particulière au sein de la population. “Elles sont complètement essentielles et pas très bien perçu car elles jouent en public et manipulent de l’argent” explique Sonia Bel Salma. D’un côté des mariages traditionnels à l’ambiance lourde. “Elles n’ont pas forcément envie de se marier” ajoute-elle. De l'autre, les violences que les hommes font subir à la famille. Waffeh est victime de violence conjugale et Najeh est manipulé par un homme. On ne les voit quasiment jamais à l’image. “Les hommes sont souvent présents de manière satellite” précise la réalisatrice.
Pendant les échanges du matin, les questions tournent autour de la production d’un documentaire, de ses financements ou encore du temps de tournage. “Quelles caméras avez-vous utilisé” demande Paul, la vingtaine. En tout 200 000 euros ont pu être réuni pour la réalisation de Machtat. Le tournage s’est écoulé sur 6 ans de 2016 à 2022, dont 15 semaines de montages. Présent sur l’affiche officielle du festival, ce documentaire est une production 100% FFM. Sonia Bel Salma et Tania El Khoury sa productrice se sont rencontrées pendant la première journée professionnelle du festival en 2015. L’équipe de tournage est d’ailleurs composée uniquement de femmes. “Les films de fiction sont majoritairement produits par des hommes mais ce n’est pas forcément le cas du documentaire” explique Tania El Khoury.
Après la pause du midi, pendant laquelle certains ont pu profiter du restaurant les Beaux Mets qui emploi des personnes détenus, la deuxième projection peut commencer. Bye Bye Tibériade est un documentaire intimiste sur Hiam Abbass, la mère de la réalisatrice Lina Soualem. Elles reviennent sur ces pas 30 ans après qu’elle ait quitté Deir Hanna son village palestien pour devenir actrice en Europe. Laissant sa mère, sa grand-mère et ses 7 sœurs derrière elle. Ensemble, elles rejouent les scènes de son enfance et reviennent sur l’histoire de quatre générations de femmes palestiniennes. “ Si on parle de leur histoire on peut parler de l’histoire de pleins de personnes qui ont vécus la guerre et le déracinement” explique Lina Soualem.
Le film recompose des archives familiales et historiques afin de retracer leur fuite et celle de 800 000 autres Palestiniens, expulsés par l’armée israélienne en 1948. Débutée en 2010, la recomposition des images d’archives utilisées dans le film s’est avérée difficile. Elles ont été pour la majorité détruites ou volées par Israël. Les restantes sont notamment dispersées au Royaume-Uni et au Liban. Encore aujourd’hui, Tsahal bombardent des archives à Gaza. Les échanges autour du film sont l’occasion de revenir sur l’histoire de la Palestine, qui résonne tristement avec l’actualité. “Il faut prouver notre existence” conclut Lina Soualem.
Ce deuxième documentaire semble toucher particulièrement le public. “C’est comme si je te connaissais depuis des années” commente un spectateur. “Ça m'a beaucoup bouleversé” ajoute un autre. Les questions fusent toute la journée, et ce même après la fin des échanges. Finalement, assis sur les sièges rouges du studio, on oublie vite où l'on est. Là seule piqûre de rappel pourrait être les quatres surveillants pénitentiaire, mais eux aussi semblent intéressés par la programmation du festival.