"Ce sont eux, là-bas ?
- Tu crois qu'ils viennent pour nous ?"…
La bande annonce commence par cet échange inquiet. "Eux", ce sont les véhicules blindés de l'armée israélienne. "Nous", ce sont les Palestiniens d'un petit village de Cisjordanie occupée. "Eux" viennent chercher les villageois qui ont osé s'opposer (pacifiquement) à l'expulsion de leur village et de la destruction de maisons familiales qui touchent plus de mille Palestiniens. Leurs familles sont ici depuis des générations. La terre est la leur depuis des temps immémoriaux.
Mais cette terre est convoitée par les colons israéliens et les colons sont soutenus par l'État juif. Alors, on va prétexter l'installation d'un camp militaire d'entraînement des chars, pour exproprier violemment les villageois. Des bulldozers défoncent les maisons que leurs habitants n'ont pas eu plus de quelques instants pour vider des objets les plus indispensables à leur survie : ustensiles de cuisine, machine à laver, couvertures, quelques pauvres meubles… Ensuite ? Direction les grottes les plus proches pour tenter de trouver un abri pour continuer à survivre. Aucune protestation, aucun appel à la plus élémentaire humanité - ne parlons pas de justice - ne parviennent à infléchir les nervis militaires et civils chargés de l'opération. Des nombreuses opérations qui vont se succéder au fil du temps, impitoyablement. L'eau coupée, l'électricité coupée, même l'unique générateur à essence confisqué, tout est mis en œuvre pour atteindre un seul but : voler la terre, expulser ses habitants, coloniser.
Aux côtés de Basel (le jeune Palestinien qui filme depuis cinq ans les expulsions des villageois) se trouve Yuval, jeune journaliste freelance israélien qui a appris et parle couramment l'arabe. Tous deux sont amis, mais l'un et l'autre, bien que vivant sur la même terre, n'ont pas les mêmes droits. Le soir, quand Yuval rentre chez lui librement, Basel se terre pour échapper aux militaires venus l'arrêter, après avoir arrêté et emprisonné son père, tenancier de l'unique pompe à essence locale, pour "rébellion et entrave à la justice" (son tort ayant été de protester contre ces expulsions illégitimes).
Ce documentaire brut, sans aucun commentaire en voix "off", montre crûment les faits tels qu'ils se déroulent dans notre indifférence complice. Tels les magots de la métaphore, nous nous cachons soigneusement les yeux, les oreilles et même la bouche (risque d'accusation d'antisémitisme oblige) pour laisser s'accomplir la promesse messianique de re-création de l'"Eretz Israël", cher à l'extrême-droite au pouvoir en Israël.
Les expulsions, les protestations, les conditions de vie indignes dans les grottes, les visites de journalistes et même celle de Tony Blair affectant la commisération, tout est filmé par et avec Basel. Et, malgré tout, les conversations paisibles au coin du feu, le soir, entre Palestiniens du village et le jeune journaliste juif, imaginant un monde meilleur, entre deux bouffées de chicha et de cigarette.
Séquence terrible, l'assaut de colons protégés par l'armée et qui molestent des Palestiniens dans leur village, avant de tirer sur l'un deux, un jeune qui tente de s'interposer. La victime tombe, grièvement blessée. Il est brièvement soigné dans un hôpital israélien avant d'être rendu à sa famille, tétraplégique. Il va vivre les quelques temps qui lui restent à même le sol, sur un matelas de fortune posé dans la grotte où se sont réfugiés les siens, aux seuls soins de sa mère.
Rien de misérabiliste dans ce documentaire. Des faits, sans parti pris. Simplement des faits. Monté sans aucune fioriture, ce film est un cri de révolte d'une infinie dignité. Un film sans happy end. Il se termine sur un constat d'impuissance et sur la terrible incertitude de l'avenir.
Un grand film qui a valu le prix du meilleur documentaire et du public documentaire au 74è festival de Berlin. Mais qui a aussi valu les menaces de mort au réalisateur ainsi qu'au journaliste Yuval, tant en Allemagne que dans son propre pays, au motif classique d'antisémitisme qui condamne sans appel toute personne qui ne soutiendrait pas "le droit inconditionnel de se défendre pour Israël". Inconditionnel…
Bande annonce sur https://www.youtube.com/watch?v=KSn0rTurvvI