Il est très intéressant d'observer en ce moment ce qui se passe sous nos yeux aux États-Unis d'Amérique. Les politologues et les chercheurs ont l'opportunité assez unique d'étudier en temps réel comment un État majeur n'ayant jamais connu de pouvoir absolu et s'étant établi dès sa fondation en 1776 sous la forme de république, passe de l'état de démocratie à celui de dictature. Les moyens utilisés tout comme les différentes étapes que prend le processus sont fascinants, car ce sont des paramètres concrets et parfaitement analysables indispensables à une telle transformation.
Quels sont ces paramètres ? la puissance économique et diplomatique de la première puissance militaire mondiale ; la porosité aux thèses les plus simplistes d'un électorat populaire très influençable et peu au fait de la politique ; la puissance décisive des média et de la publicité dans la propagande politique faite auprès de cet électorat ; l'efficacité de cette publicité elle-même proportionnelle aux moyens financiers mis par les donateurs de chaque candidat aux élections-clés ; le soutien d'une caste d'évangélistes professant des thèses religieuses conservatrices (y compris suprémacistes, xénophobes et réactionnaires concernant toutes les questions liées au genre et à la sexualité) auxquelles l'électorat est également très sensible ; le niveau de l'instance judiciaire ultime (ici : Cour Suprême) acquise idéologiquement aux thèses du camp gagnant, en l'occurrence ultra-conservateur ; des pouvoirs constitutionnels déjà moyennement équilibrés entre législatif et exécutif, avec un exécutif concentré entre les mains de la plus haute fonction, occupée par un oligarque habile et très riche à la fois qui plus est, convaincu d'avoir à la fois une mission divine et d'être protégé de Dieu pour l'accomplir ; la capacité par ce dirigeant d'utiliser à la fois ses pouvoirs constitutionnels, le pouvoir de son réseau d'oligarques aux intérêts identiques aux siens sur le plan économique et le soutien de l'instance judiciaire ultime ; un entourage de ce dirigeant entièrement acquis à son idéologie et soucieux de le servir pour se maintenir dans le cercle des gagnants ou bien, s'agissant des élus qui lui doivent leur siège du fait de l'allégeance qu'ils lui ont prêtée, par la crainte de se voir opposer un adversaire lors de prochaines élections en cas de résistance ; la mise au pas de tous les corps constitués (universités, media, syndicats, administrations…) par des sanctions financières lourdes ou des représailles juridiques, ceci avec toute liberté d'agir, puisque est acquis le soutien de la plus haute instance juridique déjà citée ; enfin, la progression de la répression envers toute forme d'opposition, par étapes mais régulière, au fur et à mesure du constat de ce que tout le système fonctionne.
Ceci pour l'interne. Mais il faut aussi que cela fonctionne à l'externe, car l'électorat déjà évoqué est par définition également poreux aux thèses nationalistes. La promesse d'un avenir radieux, du retour de la puissance au profit de la nation, du bien-être pour tous notamment par la réduction très forte de la fiscalité et la promotion de la liberté d'entreprendre, tout ceci doit être permis grâce à une lutte économique sans merci contre le monde entier, avec un adversaire désigné en particulier (ici : la Chine). Et là aussi, cela fonctionne.
Bref, on croit voir un président des États-Unis d'Amérique se transformer - à une vitesse à laquelle personne ne s'attendait - en dictateur auquel rien ni personne ne peut plus résister. Chaque jour nous en apporte une manifestation de plus, dont la liste serait ici trop longue à énumérer. les abonnés à la presse américaine peuvent découvrir chaque soir avec à la fois intérêt et découragement les dernières frasques en date provenant de ce pays auto-proclamé "de la liberté". C'est réellement fascinant. À chaque fois, on se dit "Ce n'est pas possible, il n'a pas pu réussir à faire ça !", ou bien "Là, il a poussé le bouchon trop loin, les gens vont réagir, il ne vas pas pouvoir le faire !". Eh bien si, il peut le faire et il pourra même aller encore plus loin. Quo non ascendet, comme aurait dit Nicolas Fouquet. Sauf que Fouquet avait Louis XIV comme boss à qui rendre des comptes, gros souci que notre ami Donald Trump n'a pas, lui.
Il faut donc s'attendre à ce que rien ni personne ne puisse l'arrêter. Un troisième mandat ? Et pourquoi pas ! Un successeur familial pour reprendre les rênes du pouvoir, une fois empêché de règner par l'âge ou la maladie ? Désormais pas du tout impossible !
Ce qu'il y a de plus effrayant, c'est que ce qui se passe sous nos yeux en Amérique ne dissuadera en rien nos chers et braves électeurs français qui vont, la chose est fort probable, porter au pouvoir chez nous les mêmes qui se réclament de l'exemple états-unien, avec une idéologie et une vision du pouvoir qui vont lui ressembler fortement. Il faut hélas s'attendre au pire…