François VALLET

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Billet de blog 1 août 2025

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Petite chronique de la Françatomique : vers une falsification généralisée des DPE ?

Un projet d'arrêté, soumis en catimini à consultation publique, prévoit une falsification massive des résultats des diagnostics de performance énergétique (DPE) des logements. S'il est publié en l'état il conduira au maintien dans la précarité énergétique d'une partie importante des occupants des 850 000 logements, mal isolés et chauffés à l'électricité, visés par ce texte.

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Un projet d'arrêté, susceptible de modifier notablement les résultats des diagnostics de performance énergétique (DPE) des logements, est en consultation publique jusqu’au 5 août 2025[1]. Par ce texte, le gouvernement compte s’affranchir de tout effort pour réduire la précarité énergétique des occupants de logements mal isolés chauffés à l’électricité. Pour rendre leur étiquette énergie plus présentable en absence de travaux d’amélioration énergétique, une simple modification d’un facteur de conversion suffirait.

Mais ce n’est ni juste, ni souhaitable et encore moins conforme aux objectifs européens d’amélioration de l’efficacité énergétique, dans un contexte de tensions géopolitiques fortes.

Actuellement, la consommation d’électricité (énergie finale) calculée pour établir les DPE est multipliée par un facteur fixé à 2,3 pour la conversion en énergie primaire (celle consommée par le système de production d’électricité). La consommation d’énergie primaire obtenue, ramenée au m² de surface de logement, est utilisée pour établir l’étiquette énergie des logements. Ceux-ci sont classés sur une échelle qui va de A (les moins consommateurs en énergie primaire) à G (les plus consommateurs).

La modification prévue par le gouvernement consisterait à ramener le facteur de conversion de 2,3 à 1,9, pour « mieux tenir compte des spécificités du mix électrique français et focaliser les efforts de rénovation énergétique sur les logements les plus émetteurs de gaz à effet de serre ».

Mais en réalité ni la valeur de 2,3, ni la valeur de 1,9, ne tiennent compte des spécificités du mix électrique français[2]. Il est pourtant facile, en utilisant les statistiques énergétiques, de déterminer un facteur de conversion conforme à la réalité. En 2023 il était de l’ordre de 2,8 en prenant en compte les pertes de transport et de distribution des réseaux électriques publics. En effet, la quantité d’énergie primaire consommée cette année-là, pour la production d’électricité, était de 1 263 TWh (térawattheures). La quantité d’électricité utilisée pour la consommation finale et pour le solde exportateur était alors de 448 TWh[3]. La valeur moyenne du facteur de conversion, pour les années 2021, 2022 et 2023, est de 2,85. Les données provisoires disponibles pour l’année 2024 conduisent à une valeur de 2,93 en augmentation par rapport à la moyenne des 3 années précédentes. Ce facteur élevé est dû essentiellement à la forte proportion d’énergie nucléaire dans le mix de production électrique français (près de 65% en 2023 et 67% en 2024) et au faible rendement de conversion de la chaleur en électricité dans les réacteurs nucléaires (de l’ordre de 30%).

Le système électrique français est peu efficace comparativement à la moyenne de l’ensemble des 27 pays de l’Union Européenne, dont le facteur de conversion était proche de 1,8 en 2023. Le gouvernement français, en utilisant la valeur de 1,9 qui figure dans la directive européenne sur l’efficacité énergétique[4], se trompe de méthode. C’est un usage inapproprié de la directive qui indique : « Pour les économies d’électricité en kWh, les États membres appliquent un coefficient afin de calculer avec exactitude les économies d’énergie primaire qui en résultent. Les États membres appliquent un coefficient par défaut de 1,9, sauf  s’ils font usage de leur pouvoir discrétionnaire de définir un coefficient différent en fonction de circonstances nationales justifiées. ». L’utilisation d’un coefficient d’énergie primaire de 1,9, tel qu’il est inscrit dans le projet d'arrêté, ne permet pas d’évaluer avec exactitude les économies d’énergie primaire qui résulteraient de travaux d’amélioration énergétique des logements chauffés à l’électricité. En outre, elle ne permettrait pas de mesurer correctement l’effet de l’ensemble des dispositions de la directive européenne transposées en droit français.

En changeant les graduations du « thermomètre », qui met en évidence une faible efficacité énergétique du système français de production-transport-distribution d’électricité, le gouvernement ferait sortir des classes les plus mauvaises du DPE (F et G) les logements mal ou pas isolés et chauffés à l’électricité.

Selon les indications des ministères concernés[5], « le passage d’un coefficient d’énergie primaire de 2,3 à 1,9 aura pour conséquence la sortie d’environ 850 000 logements (sur la base des chiffres au 1er janvier 2023), principalement chauffés à l’électricité, du statut de passoire énergétique (classe F ou G du DPE) parmi les 4,8 millions de passoires que comptait le parc de résidences principales à cette date ».

La manœuvre est grossière et assumée. Il s’agit bien pour le gouvernement d’éviter d’avoir à aider les travaux de rénovation énergétique des logements classés F ou G chauffés à l’électricité. Pour les logements en location concernés cela éviterait aussi qu’ils soient exclus du marché locatif. Rien ne garantit par ailleurs que, dans le même temps, les aides publiques seront suffisantes pour « focaliser les efforts de rénovation énergétique sur les logements les plus émetteurs de gaz à effet de serre ».

S’il est adopté, ce projet d'arrêté conduira au maintien dans la précarité énergétique de la plupart des occupants des 850 000 logements concernés. C’est pourtant bien ceux dans lesquels il faudrait en priorité réaliser des travaux pour améliorer le confort thermique, pour permettre à leurs occupants de maîtriser leurs dépenses d’énergie et aussi pour améliorer l’efficacité énergétique globale du système énergétique français.

Ce n’est pas une bonne politique au moment où une Directive européenne impose aux États membres, de manière tout à fait justifiée, de donner la « primauté à l’efficacité énergétique ». Celle du système énergétique français est mauvaise du fait des politiques énergétiques qui ont fait et qui continuent de faire la promotion du « tout nucléaire, tout électrique ».

Cette politique nous enferme dans la dépendance à la Russie pour nos importations d’uranium[6]. Elle nous enferme aussi dans la dépendance aux États-Unis pour les technologies nucléaires[7]. Elle nous enferme enfin dans la dépendance aux marchés financiers pour le service de la dette provoquée par les divers fiascos de l’industrie nucléaire tricolore (EPR finlandais, chinois, de Flamanville, d’Hinkley Point, etc.). Elle est en outre mauvaise pour le climat puisque les centrales nucléaires réchauffent les portions de planète sur lesquelles elles sont installées par des rejets considérables de chaleur qui s’accumulent et augmentent inexorablement la température de l’air, de l’eau et des sols[8][9].

[1] https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/consultation-publique-portant-sur-le-projet-d-a3204.html

[2] Une de celle-ci est le rejet direct et massif de chaleur issue des réacteurs nucléaires qui aggrave le réchauffement climatique. La chaleur rejetée directement dans l’environnement par les centrales nucléaires françaises (un peu plus de 700 TWh en 2023) représente plus de 2,5 fois l’énergie nécessaire au chauffage de l’ensemble des logements en France. C’est aussi l’équivalent de la moitié de toutes les consommations d’énergie finale du pays (1 463 TWh en 2023).

[3] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie/19-bilan-de-lenergie-en-france

[4] Directive (UE) 2023/1791 du parlement européen et du conseil du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023L1791

[5] Évolutions du calcul du DPE : les réponses à vos questions - Foire aux questions (FAQ) sur le facteur de conversion en énergie primaire de l’électricité dans le DPE – Quel impact sur les passoires énergétiques et le parc de logement en France ?

https://www.ecologie.gouv.fr/actualites/evolutions-du-calcul-du-dpe-reponses-vos-questions

[6] Voir à ce sujet le documentaire d’Arte, « Rosatom, le piège de Poutine » :

https://www.arte.tv/fr/videos/115068-000-A/nucleaire-le-piege-de-poutine/

[7] Lire à ce sujet l’article du Canard Enchaîné du 23 juillet 2025, « L’accord secret imposé par Trump pour faire plier le nucléaire français ».

[8] https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/201223/petite-chronique-de-la-francatomique-energie-nucleaire-et-climat-le-grand-mensonge

[9] https://blogs.mediapart.fr/francois-vallet/blog/091121/l-energie-nucleaire-rechauffe-la-planete-et-le-climat

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