Françatomique et débat public
Un débat public est en cours sur le projet d’EDF de construire une paire de réacteurs nucléaires EPR2 sur le site du Bugey dans le département de l’Ain. Ceux-ci s’ajouteraient aux quatre réacteurs existants, en service depuis plus de 45 ans, au réacteur définitivement arrêté en 1994 et toujours pas démantelé, à l’installation de conditionnement et d’entreposage de déchets radioactifs (ICEDA), au magasin interrégional de combustibles neufs, etc.
Ce débat fait suite à deux autres débats publics sur le projet d’EDF de construire une paire de réacteurs EPR2 à Penly, dans le département de Seine Maritime, et une autre à Gravelines, dans le département du Nord.
Ces trois projets ont de nombreux points communs. Ils s’inscrivent dans le cadre de la « relance » du nucléaire en France. Ils ont des impacts environnementaux, économiques et sociaux potentiellement destructeurs. Ils sont tous prévus sur des sites déjà fortement nucléarisés et disposant soit de réserves foncières, soit de possibilités d’en constituer rapidement. Les élus des collectivités locales concernées sont très majoritairement favorables à ces projets du fait de la « manne » financière qui en résulterait sur leurs terres d’élection. Tous ces projets sont soumis à l’obligation de débat public. Mais aucun cadre légal ne permet actuellement de les réaliser tandis que leurs coûts et leurs modalités de financement ne sont pas arrêtés.
Ce qui n’a pas empêché EDF d’acheter des terrains pour y implanter son projet et d’occuper le terrain médiatique du débat public. Il faut dire que l’article L 121-8 du Code de l’environnement oblige les maîtres d’ouvrage à saisir la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), autorité administrative indépendante, pour tout projet d’aménagement ou d’équipement qui par sa nature, ses caractéristiques techniques ou son coût prévisionnel, répond à des critères ou excède des seuils fixés par décret.
Les projets d’EPR2 entrent dans ce cadre. EDF a donc demandé à la CNDP d’organiser trois débats publics, un pour chaque projet d’EPR2. Et contrairement à ce qu’elle avait fait fin 2022, en refusant d’organiser un débat public « relatif à la place du nucléaire dans le système énergétique de demain », demandé par un ensemble de députés, la CNDP a accepté toutes les demandes d’EDF. Elle a constitué, pour chaque projet, une commission particulière du débat public (CPDP) composée de garants chargés de l’animer. Pour le site du Bugey, le débat a commencé le 28 janvier et se terminera le 15 mai 2025. Mais les garants se heurtent au refus ou à l’incapacité d’EDF de répondre aux questions du public, notamment celles qui concernent les coûts et modalités de financement.
En 2022, alors que la conception de base de l’EPR2 n’était pas encore finalisée, le coût du programme de 6 réacteurs, aux conditions de 2020, était estimé à 51,7 milliards d'euros. Il est désormais évalué à 67,4 milliards et à 79,9 milliards d'euros aux conditions de 2023. Mais ce coût n’est toujours pas officiellement arrêté par la direction d’EDF et par l’État. Le coût du kWh produit par ces EPR2 dépassera de toute façon celui du mix électrique français actuel.
Pourtant EDF a déjà signé des contrats sans attendre une décision d’investissement de son conseil d’administration.
Celle-ci ne peut d’ailleurs être prise tant qu’il n’existe pas de cadre légal l’autorisant. Il aurait fallu pour cela que le gouvernement français respecte la loi et plus précisément l’article L100-1 A du Code de l’énergie, qui indique : « I. Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique.»
Les gouvernements successifs n’ont pas présenté de projet de loi, ni avant le 1er juillet 2023, ni après. Pour pallier cette défaillance de l’exécutif, des parlementaires ont préparé leurs propres propositions de loi : celle de l’ex-député Benjamin Saint-Huile (Liot), non inscrite à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe en juin 2024, celle du sénateur Gremillet (Les Républicains) adoptée au Sénat le 16 octobre 2024 et celle de la députée Julie Laernoes (Les Écologistes), adoptée en commission des affaires économiques le 27 mars 2025.
Mais l’exécutif n’en a pas tenu compte et a tenté de contourner le pouvoir législatif en préparant un simple décret, soumis à une consultation du public close le 5 avril. Il prévoit la validation d’une nouvelle version de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), l’ancienne étant arrivée à échéance. Cette liste d’actions qui seraient engagées lors des deux périodes successives de 2025-2030 et de 2031-2035, confirme le soutien de l’État au programme d’EDF de construction de 6 nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2 et s’inscrit dans la perspective d’une décision finale d’investissement par le conseil d’administration d’EDF en vue de son lancement au plus tard durant l'année 2026.
Mais face à l’indignation de parlementaires de tous bords, le premier ministre Bayrou annonçait le 2 avril au Figaro la tenue d’un débat au Parlement, sans vote et dont la date n’a pas été fixée. Il annonçait aussi que la proposition de loi du sénateur Gremillet (Les Républicains), devrait être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Celle-ci n’a rien d’original car elle propose de « tendre vers » 27 gigawatts (GW) de nouvelles capacités installées de production d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2050, ce qui correspondrait à la construction d’au moins 14 réacteurs nucléaires de type EPR2 et de 15 petits réacteurs modulaires (SMR). C’est peu ou prou ce qui est indiqué dans le projet de PPE annexé au décret gouvernemental.
C’est la politique du tout à l’envers : d’abord des engagements de dépenses d’EDF pour les EPR2 avant la décision de les construire puis un décret permettant cette décision avant la loi dont il dépend,. C’est la politique du fait accompli.
Projets d’installations nucléaires, politique du tout à l’envers et du fait accompli
Lors de sa nomination en 2014, le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy avait reçu pour mission de préparer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. En mars 2018 le gouvernement commandait un rapport qui devait éclairer l’exécutif sur les moyens d’entretenir les compétences de la filière nucléaire. La mission était alors confiée à un ancien administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et conseiller de Jean-Bernard Lévy, au moment de cette mission, et à un ancien délégué général à l’armement. Ils remettaient leur rapport quelques mois avant la démission du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot. Le point clé du rapport était la recommandation d’annoncer « au plus tard en 2021 » la construction de trois paires d’EPR.
Le 17 octobre 2019, le PDG d’EDF devançait l’exécutif en annonçant lors d’une interview par le journal Le Monde, « un projet de construction de six nouveaux réacteurs nucléaires en France dans les années à venir ».
Le président Macron annonçait ensuite à plusieurs reprises, le 8 décembre 2020 au Creusot, le 9 novembre 2021 lors d’une allocution télévisée, puis le 10 février 2022 à Belfort, que la France allait relancer un programme nucléaire et construire de nouveaux réacteurs sur son sol. Ces annonces étaient alors en contradiction flagrante avec le cadre légal existant. Ce qui n’empêchait pas EDF, forte de la bénédiction du chef de l’État, de lancer des appels d’offres dès 2019 puis de contractualiser avec plusieurs entreprises pour un programme de construction de 6 réacteurs de type EPR2 :
- en juillet 2023, contrat avec le groupement d’entreprises Eviden et Schneider Electric pour les systèmes de Contrôle-Commande Standard destinés aux 6 réacteurs nucléaires de type EPR2 en projet ;
- en novembre 2023, contrat avec Eiffage pour les travaux de génie civil des deux premiers réacteurs de type EPR2 à Penly, pour un montant supérieur à 4 milliards d’euros ;
- en avril 2024, commande à Framatome, filiale d’EDF, de la fabrication des principaux composants des réacteurs (cuves, générateurs de vapeur et pressuriseurs) pour un montant total de 8 milliards d’euros ;
- en juin 2024, contrat avec le groupement d’entreprises, Eiffage, SPIE Nucléaire et ABC, d’un montant de 900 millions d’euros, pour les groupes électrogènes de secours diesel principaux des projets de six réacteurs nucléaires de type EPR2.
Au bas mot ce sont plus de 13 milliards d’euros qui sont engagés alors que les projets ne sont pas décidés.
La politique nucléaire de l’État français est celle du tout à l’envers et du fait accompli. Elle s’affranchit de tout cadre légal et se moque des enseignements des débats publics. Elle ne s’appuie sur aucune évaluation économique solide et se finance par de la dette publique extra-budgétaire. Elle détruit la démocratie, nous conduit à la ruine et probablement à une future catastrophe.
Résistance à la politique du fait accompli et débat public
1 178 scientifiques ont signé un appel contre un nouveau programme nucléaire. Près de 220 élu-e-s ont signé une tribune contre l’implantation d’une paire de réacteurs EPR2 sur le site du Bugey. Une cyberaction, « Nucléaire, débats publics, dégats publics », est en cours pour s’opposer aux projets d’EPR2. Une pétition du Collectif contre les EPR2 au Bugey est en ligne. Des organisations opposées au projet participent au débat public pour faire connaître les raisons de leur opposition et poser des questions. Face au refus d’EDF d’y répondre, en particulier lorsqu’il s’agit du coût et des modalités de financement du projet, elles ont demandé aux garants du débat public de le suspendre. Ceux-ci ont refusé mais ont cependant décidé de réorienter le débat. Mais comme ce débat est un leurre puisqu’EDF et l’Etat ont déjà décidé, d’autres types de résistance sont nécessaires. C’est ainsi que des propriétaires de terrains, qu’EDF convoite pour implanter ses EPR2, refusent de les vendre. D’autres actions sont prévues prochainement.
Pour plus d’informations
Articles des 14 et 17 mars 2025 de Mediapart :
Articles des 2 et 4 avril 2025 de Reporterre :
https://reporterre.net/Cout-des-EPR2-Reporterre-publie-une-alerte-censuree
https://reporterre.net/Energie-les-parlementaires-se-fachent-Bayrou-recule