PETITE CHRONIQUE DE LA FRANCATOMIQUE : ORANO PRIS LES DOIGTS DANS LE POT DE PEINTURE VERTE !
Le 22 août 2024 Médiapart mettait en ligne, dans le « Fil d’actualités » alimenté de façon automatisée par des dépêches d’agences de presse, une brève de l’Agence France Presse (AFP) : Afrique du Sud: un régulateur épingle TotalEnergies pour du « greenwashing »
Cette dépêche concerne une décision du régulateur de publicité en Afrique du Sud qui a jugé, après une plainte déposée par l’association Fossil Free SA, que « la façon dont TotalEnergies fait la promotion du développement durable dans une campagne publicitaire dans ce pays est trompeuse ». L’AFP la qualifie de « première décision historique » sur un sujet de « greenwashing ».
L’écoblanchiment ou le "verdissage" est une pratique courante des multinationales de l’énergie. Mais en France, cette manière trompeuse de présenter les activités ou produits d’une entreprise est rarement sanctionnée pour deux raisons principales :
- l’autorité de régulation de la publicité, créée par le secteur de la publicité, n’a pas intérêt à fâcher ses clients,
- les personnes physiques ou morales susceptibles de présenter des recours n’ont aucun intérêt direct à le faire.
Cela prend du temps d’argumenter une plainte de manière à ce qu’elle soit recevable. Lorsqu’elle l’est cela prend à nouveau du temps et entraîne des frais pour préparer et participer à l’audition organisée par l’autorité de régulation.
Lorsqu’une publicité est sanctionnée il n’y a pas de conséquences économiques directes, ni pour l’entreprise à l’origine de celle-ci, ni pour ses diffuseurs. A contrario, les frais engagés par les « plaignants » restent entièrement à leur charge, même si la décision de l’autorité de régulation leur est favorable.
C’est ce que j’ai expérimenté, avec une autre personne physique et une association, lorsque nous avons saisi le Jury de Déontologie Publicitaire, instance associée à l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité[1].
La publicité d’Orano, contre laquelle nous avions déposé une plainte, avait alors été jugée non conforme aux règles de déontologie publicitaire. Mais la seule sanction possible, la diffusion de l’information sur la décision du jury, avait été très limitée. Le communiqué que j’avais transmis à la presse en mai 2020, en période de pandémie, avait été complètement ignoré. C’est pourquoi il me semble utile de rappeler ce qu’il s’est passé.
En novembre 2019, la société Orano (ex Areva) publiait dans le magazine Femina, diffusé par plusieurs titres de la presse quotidienne régionale, une publicité dont le message, l’objectif et le public visé posaient question. Sur cette publicité, au- dessus du dessin de deux aéroréfrigérants de centrale électrique, et dans le panache de vapeur d’eau qu’elles génèrent, on pouvait lire le texte suivant écrit en très gros et très gras : « nucléaire : eh non, on ne réchauffe pas la planète.».
Sous le dessin était écrit en plus petit : « La preuve: selon les chiffres du GIEC, le nucléaire émet 40 fois moins de CO2 que le gaz. »
Enfin tout en bas de la page publicitaire, en tout petit, apparaissait le message suivant : « Et si on voyait le nucléaire autrement ? » avec une invitation à consulter le site internet «orano.group/ideesrecues» suivi des signes cabalistiques caractéristiques de divers réseaux sociaux.
Cette publicité était signée Orano avec la mention « Donnons toute sa valeur au nucléaire ».
Orano est une multinationale, propriété de l’État français, ayant pris la succession d’Areva pour une partie de ses activités. Connaissant celles-ci et les « exploits » d’Areva, sauvée de la faillite par 4,5 milliards d'argent public (nos impôts !), j’avais alors décidé d’attaquer cette publicité d’Orano.
Comme il existe un Jury de déontologie publicitaire, que tout un chacun peut saisir lorsqu’une publicité semble « douteuse », j’avais alors adressé ma plainte à cette instance le 19 novembre 2019. Elle avait été jugée recevable et examinée par le Jury, après deux reports successifs, le vendredi 6 mars 2020.
Les motifs de ma plainte étaient simples : cette publicité était mensongère, biaisée et inacceptable.
Elle était mensongère car le nucléaire, avec les réactions de fission atomique, réchauffe bien la planète par des rejets massifs de chaleur dans l'environnement.
Deux tiers de l'énergie dégagée lors de la fission dans les réacteurs nucléaires est directement rejetée dans l'environnement (dans l'air et dans l'eau de refroidissement des réacteurs) et le tiers restant s'y retrouve irrémédiablement, selon le principe de conservation et de dégradation de l'énergie en chaleur. En France les rejets directs de chaleur dans l'environnement des réacteurs nucléaires correspondaient en 2017 à 3,5 fois la consommation d’énergie pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire de la totalité du parc de logements français, selon les données publiées par les ministères de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires.
Elle était biaisée car la prétendue preuve, selon laquelle le nucléaire émettrait 40 fois moins de CO2 que le gaz, n'en était absolument pas une.
D'une part les réacteurs nucléaires dégagent de la chaleur de manière directe et massive dans l’environnement. D’autre part Orano, en faisant une comparaison entre nucléaire et gaz, démontrait en fait que le nucléaire réchauffe bien la planète, du fait de ses émissions de CO2 fussent-elles moindres que celles du gaz. L’assertion de moindre émission n’était d’ailleurs pas démontrée dans la publicité et la valeur indiquée n’était pas une publication du GIEC mais un calcul fait par Orano à partir de valeurs publiées par l’organisation intergouvernementale. Les bases de la comparaison n’étant pas explicitement indiquées et celle-ci ne portant que sur les émissions de CO2, cette publicité était biaisée. C’était une violation manifeste des règles de déontologie pour une publicité comparative inscrite dans le champ du développement durable.
Cette publicité était inacceptable car l’allégation, mensongère, biaisée et à caractère écologique, de l’absence "de réchauffement de la planète", masquait les atteintes portées par Orano aux trois piliers du développement durable : l’environnement, le social/sociétal et l’économie.
C’était en fait une manipulation destinée à tromper le public sur la réalité des activités de l’entreprise Orano et plus généralement de l’industrie du nucléaire.
Celle-ci a fait la preuve à l’échelle planétaire de son incapacité à garantir un fonctionnement propre, sûr, sans danger[2] et à assurer une fourniture d’énergie significative[3] et à un coût compétitif[4].
Les processus de fabrication, les produits fabriqués par Orano et ses prédécesseurs, Cogema et Areva, et les produits connexes, ont déjà causé de graves dommages en France et dans de nombreuses régions du monde : pollutions par les mines d’uranium et leurs résidus radioactifs et chimiques, pollutions chroniques par l’usine de conversion d’uranium de Malvesi à Narbonne et par l’usine de « retraitement » de La Hague, prolifération nucléaire intrinsèquement liée à l’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte (Tricastin), contamination au plutonium présent dans les «combustibles MOX» des réacteurs de Fukushima et aussi retombées radioactives des essais atomiques atmosphériques et souterrains, contaminations par les armes à uranium appauvri, production de déchets radioactifs ingérables, etc.
Il était évident que les lectrices et les lecteurs de la presse quotidienne régionale, et du magazine Femina diffusé avec ses journaux, n'étaient pas « acheteurs » de nucléaire. C’était par contre des électeurs et contribuables potentiels susceptibles de s’opposer à de prochaines décisions favorables au nucléaire. Et il y en avait alors de nombreuses dans les tuyaux : poursuite de l’exploitation au-delà de 40 ans des réacteurs nucléaires existants, construction de l’installation Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires, construction de nouveaux réacteurs EPR, construction d’une méga piscine de stockage de « combustibles usés », développement du véhicule électrique à coup de subventions publiques massives et réglementation énergétique des bâtiments permettant de relancer les consommations d’électricité pour financer le nucléaire, recours aux financements « verts » et autres « obligations d’achat » pour atténuer les coûts intrinsèques élevés de la production d’électricité nucléaire, etc.
Dès lors il était facile de comprendre l’objectif de la publicité d’Orano, en réalité de la propagande d’une industrie aux abois qui n’arrivait plus à persuader grand monde de ses « bienfaits ». Il s’agissait de convaincre les françaises et les français d’accepter sans broncher tous les méfaits du nucléaire au prétexte que ce serait une énergie qui « ne réchauffe pas la planète ».
Mais le jury de déontologie publicitaire ne s’était pas laissé tromper par les arguments d’Orano. Suite aux trois plaintes reçues (par ordre chronologique : la mienne, celle d’un enseignant-chercheur observateur attentif des pratiques publicitaires et celle de l’association « Réseau Sortir du Nucléaire ») et suite aux auditions du 6 mars 2020, le Jury avait jugé que la campagne de publicité en cause méconnaissait plusieurs points de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP et de l’article D1 du Code de la Chambre de Commerce Internationale (ICC). Cet avis est consultable en ligne par le lien suivant : https://www.jdp-pub.org/avis/orano-presse-internet-plaintes-fondees/
Cette décision n’a pas été médiatisée par l’AFP, comme elle le fait à juste raison pour la condamnation de TotalEnergies en Afrique du Sud. Elle n’a pas non plus empêché la multinationale Orano, propriété de l’État français, de continuer de tromper les destinataires de ses campagnes publicitaires sur la réalité de ses activités.
[1] https://www.arpp.org/qui-sommes-nous/roles-et-missions/
[2] Des études indépendantes de l’industrie nucléaire estiment ses conséquences sanitaires, jusqu’en 1989, à une soixantaine de millions de morts prématurées et à plus de cent vingt millions de cancers radio-induits, sans parler des autres maladies. Lire à ce sujet l’article en ligne d’Actu Environnement : « Lacunes persistantes du régime de radioprotection mondial » du 25 avril 2012.
[3] En 2018, le nucléaire a fourni environ 2% de la consommation mondiale d’énergie finale. En France cette proportion est de l’ordre de 19%. Pour une technologie soutenue "à bout de bras" depuis 70 ans, par les États les plus puissants de la planète, c’est dérisoire. Et ce n’est pas à ce rythme que l’industrie nucléaire pourrait faire face à « l’urgence climatique » à laquelle elle prétend répondre.
https://www.worldnuclearreport.org/WNISR2019-Presentation-a-Paris.html
[4] Selon plusieurs études indépendantes menées au niveau international, hors coûts des accidents nucléaires, de la gestion à long terme des déchets radioactifs et du démantèlement des installations en fin de vie, le nucléaire est déjà la plus coûteuse de toutes les énergies pour la production d’électricité.
Etude de l’institut allemand DIW « High-priced and dangerous: nuclear power is not an option for the climate-friendly energy mix » https://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.670578.de/dwr-19-30.pdf
Etude de l’institut allemand DIW « Economics of Nuclear Power Plant Investment - Monte Carlo Simulations of Generation III/III+ Investment Projects » https://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.698579.de/dp1833.pdf
Etude de la banque Lazard « Levelized Cost of Energy and Levelized Cost of Storage 2019 »