POUR UN NOUVEAU FRONT POPULAIRE SANS NUCLÉAIRE
La victoire du RN aux élections européennes et la décision du Président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale, ont créé un vif émoi dans la partie de la population française qui refuse d’être gouvernée par l’extrême droite. C’est mon cas et c’est pourquoi je salue et soutiens le sursaut unitaire des partis de gauche et écologistes. Mais je refuse pour autant de ranger au placard mes exigences démocratiques notamment sur un choix très lourd de conséquences à tous points de vue : la poursuite ou l’arrêt de l’industrie nucléaire civile et militaire.
Je demande aux partis de gauche et écologistes une indispensable clarification.
Que serait en effet un Nouveau Front populaire qui déciderait de poursuivre la « relance » du nucléaire, à laquelle s’est engagé le Président Macron ? Où seraient la rupture, la bifurcation, la transformation ?
Les entorses à la démocratie, les déficits publics, les dégâts écologiques et sanitaires, la dépendance énergétique, les risques de conflits et de catastrophes, ne feraient que s’aggraver. Et la crise économique, sociale et écologique avec.
Je demande au Nouveau Front populaire qu’il mette à l’ordre du jour de son agenda politique l’arrêt de l’industrie nucléaire civile et militaire, pas uniquement de la production d’électricité nucléaire. Et qu’il prévoit toutes les mesures nécessaires pour le réaliser dans les plus brefs délais. Je demande aussi qu’il s’engage pour l’abolition des armes atomiques et mobilise tous les moyens diplomatiques français permettant d’y arriver.
Le nucléaire c’est la guerre !
Je n'oublie pas les leçons de l’histoire : après le Front populaire, et sa victoire électorale contre l’extrême droite en France, il y a eu la guerre. Malgré les résistances et les combats victorieux contre les nazis, une nouvelle forme de barbarie s’est emparée du monde. Elle a été rendue possible par le travail de milliers de scientifiques réunis par l’armée américaine au sein du programme Manhattan. Et par des milliards de dollars consacrés à ce programme dont le résultat a été la mort, en quelques jours d’août 1945, de plus d’une centaine de milliers de personnes et la destruction quasi-instantanée des villes d’Hiroshima et Nagasaki. Beaucoup de scientifiques se sont mordu les doigts d’avoir contribué à ce crime contre l’humanité. Mais ils n’ont pas réussi à stopper la barbarie. Depuis 1945 les États vainqueurs de la guerre n’ont jamais cessé de développer la production d’armes atomiques et de leurs vecteurs, aériens, marins et sous-marins. Ils ont soutenu, quoi qu’il en coûte, une industrie nucléaire extractiviste et mondialisée permettant de fabriquer les « briques » technologiques communes à la production d’armes et à la production d’électricité : enrichissement de l’uranium, fabrication des réacteurs, extraction du plutonium.
La production d’électricité est la justification de cette industrie auprès des opinions publiques[1], tenues dans l’ignorance des enjeux et des conséquences[2].
A l’inverse, pour des dirigeants politiques avides de puissance, la production d’électricité nucléaire n’a aucun intérêt si elle ne facilite pas la production d’armes nucléaires et de leurs vecteurs. C’est ainsi que le président Macron a commandé à EDF, via sa filiale Framatome, les « chaudières » nucléaires du nouveau porte-avions à propulsion nucléaire français. C’est ainsi que le ministère des armées a demandé à EDF de produire le tritium nécessaire aux armes atomiques en utilisant la centrale nucléaire de Civaux (dans la Vienne). C’est ainsi que nos impôts servent à subventionner l’étude de projets publics et privés de petits réacteurs nucléaires modulaires qui ne sont rien d’autre que des réacteurs de sous-marins.
L’industrie nucléaire est un instrument de domination géopolitique aux mains d’États impérialistes.
La moitié des réacteurs nucléaires construits dans le monde et la quasi-totalité de ceux en service actuellement en France, l’ont été sous licence américaine Westinghouse. Cette entreprise fournit les « combustibles » nécessaires à ces réacteurs, y compris en France où une partie de ceux d’EDF en dépend. Une autre partie des réacteurs, notamment ceux construits au Japon, l’a été sous licence américaine General Electric. Pour les pays de l’ex-Union Soviétique, ou dans sa sphère d’influence (Inde par exemple), ce sont des technologies soviétiques qui ont été utilisées. Disposant de celles-ci, Poutine a créé l’entreprise Rosatom, à sa main pour exercer sa domination partout où c’est possible, y compris dans des pays membres de l’OTAN[3]. Rosatom prévoit de fournir à des pays tiers (la Turquie notamment, où sont basés des missiles nucléaires états-uniens) de l’électricité nucléaire produite par des réacteurs qu’elle construit sur leur sol, qu’elle exploiterait et alimenterait en « combustible » depuis ses usines russes. Cette entreprise s’occuperait ensuite de la reprise des déchets nucléaires produits. En Ukraine, l’armée russe et Rosatom ont pris le contrôle de la centrale de Zaporijia que Westinghouse comptait bien fournir en « combustible » nucléaire. Cette centrale, comme toutes les autres, est une menace auprès de laquelle le nouveau front populaire souhaite l’envoi de Casques bleus. La seule manière sûre de stopper la menace est de mettre à l’arrêt définitif toutes ces centrales. En premier lieu il faut faire cesser les collaborations d’Orano et d’EDF avec Rosatom, concernant l’enrichissement d’uranium, les combustibles et le stockage de déchets nucléaires.
Dans son « Contrat de législature », le Nouveau Front populaire prévoit « d’interdire tous les polluants éternels (PFAS) pour toutes les utilisations … », « une loi énergie climat (qui) permettra de jeter les bases de la planification écologique », «(d’)atteindre durant le mandat le très bon état écologique et chimique de tous les cours d’eau (fleuves, rivières, ruisseaux) et réserves souterraines et faire contribuer les industriels à la dépollution des nappes et des sols » et enfin de « revenir sur la fusion entre l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de recherche sur la sûreté nucléaire (IRSN) ». C’est en effet nécessaire.
L’industrie nucléaire, qui produit des armes de destruction massive et génère des polluants éternels (les déchets radioactifs à «vie longue») sera-t-elle à nouveau exonérée du respect des règles de droit commun ? Les centrales nucléaires, qui ne peuvent exister sans rejets chroniques massifs, thermiques, chimiques et radioactifs, échapperont-elles à l’indispensable dépollution des cours d’eau et des nappes ?
Et comment sera prise en compte la position de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN pour qui « le choix de développer l’énergie nucléaire a des conséquences temporelles comparables à celles du changement climatique »[4]?
Le Nouveau Front populaire revendique « L’urgence pour la paix » et « Une diplomatie qui garantit la démilitarisation et la dépollution de l’espace ». La diplomatie a évidemment un rôle indispensable.
Mais comment fait-on pour démilitariser et dépolluer un espace contaminé par des explosions de bombes atomiques et des accidents nucléaires ?
On attend 100 000 ans que ça passe ! Ou on arrête de jouer avec le feu nucléaire qui est déjà aux mains de l’extrême centre et pourrait bien un jour se retrouver dans celles de l’extrême droite ?
[1] En France, l’indépendance énergétique a été le prétexte permettant de justifier la production d’électricité nucléaire. En 1973, année du lancement du programme de construction de la plupart des réacteurs nucléaires en service actuellement, le taux d’indépendance énergétique français était de 23,9 % (donnée officielle). En 2021 il était de 13 % (valeur indiquée en encadré sur le site du ministère de la transition énergétique). Belle réussite des gouvernements successifs de la France et de la nucléocratie !
En réalité, ils se moquaient bien de l’indépendance énergétique. Comme l’a fort bien dit le président Macron au Creusot le 8 décembre 2020, « Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil. ».
[2] Une des conséquences du choix de la production d’électricité nucléaire est la dette abyssale d’EDF et de l’Etat français. Le sauvetage du « soldat nucléaire » se chiffre en centaines de milliards d’euros, dont une part très conséquente d’argent public (budgets militaires et subventions). Ils n’iront pas là où ils sont indispensables, ou les plus efficaces, pour résoudre la crise sociale et écologique. Un nouveau prétexte, la préservation du climat, justifie désormais la « relance », en réalité le sauvetage, de cette industrie. Mais il y a un hic : l’énergie nucléaire réchauffe considérablement les portions de planète sur lesquelles elle est utilisée. C’est d’ailleurs EDF qui l’écrit, dans le résumé de l’étude thermique du Rhône, publiée en mai 2016. Les rejets de chaleur des réacteurs nucléaires situés entre Saint-Vulbas (centrale nucléaire du Bugey) et Aramon (à l’aval de la centrale de Tricastin) ont provoqué en moyenne annuelle une augmentation de la température des eaux du Rhône de 1,2°C sur une augmentation totale de 1,4°C (comparaison entre la période 1988-2010 où tous les réacteurs utilisés actuellement étaient en service et la période 1920-1977 où il n’y en avait pratiquement aucun). Une telle élévation de température, sur une durée aussi courte (1977 à 2010), devrait alerter tous les écologistes et climatologues de France. Et les questionner sur l’élévation de température de l’air que les rejets de chaleur des centrales nucléaires provoquent, en particulier lorsqu’ils sont évacués via des tours de refroidissement, comme celles prévues pour les nouveaux réacteurs nucléaires EPR destinés à remplacer les anciens licenciés de Westinghouse !
[3] Les missiles nucléaires américains implantés dans les pays de l’OTAN n’ont pas dissuadé le dirigeant russe d’attaquer l’Ukraine. Le conflit qui s’y déroule n’est qu’une énième réplique de la guerre d’influence géopolitique russo-américaine qui dure depuis près de 80 ans. Le combustible de cette guerre, allumé en 1945, ne s’est jamais éteint. Ceux qui l’entretiennent par leurs industries nucléaires civiles et militaires (Etats-Unis, Russie, Angleterre, France, Chine), sont responsables du chaos du monde. Ils ont contribué à l’armement atomique de l’Inde, du Pakistan, d’Israël, de la Corée du Nord, autres pays fauteurs de guerres. Tous ces pays agissent au mépris de nombreux traités internationaux. Ils ne pourront pas empêcher d’autres pays de s’équiper à leur tour (l’Iran notamment) sans renoncer eux-mêmes à l’arme atomique et à l’industrie nucléaire. Ils sont en outre responsables de plusieurs catastrophes connues d’ampleur mondiale, Tchernobyl et Fukushima, mais aussi d’autres catastrophes moins connues ou de portée plus limitée, Tcheliabinsk, Windscale, Three Mile Island, … et de dizaines de millions de décès par cancer.
[4] Communication de la commission d'éthique et de déontologie de l'IRSN pour la contribution au débat public relatif aux nouveaux réacteurs nucléaires.