François VALLET

Ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement

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Billet de blog 28 janvier 2025

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NUCLÉAIRE, DÉBATS PUBLICS, DÉGÂTS PUBLICS (4)

En France, pays de l'atome roi, tout débat public à propos de l'industrie nucléaire civile et militaire est oblitéré par le « fait du prince ». Pour y résister il faut dénoncer ses mensonges. Parmi ceux-ci, il y a « le faible impact sur l'environnement ».

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Françatomique et débats  publics

Le 27 juin 1974, le journal Le Monde publiait un texte de Monsieur Jacques Belle, ancien directeur du cabinet du ministre de l’environnement de l’époque, Robert Poujade. Pour présenter ce texte, « Les nouveaux projets de centrales nucléaires doivent être " bloqués " », le journal écrivait ceci : « On s'étonnait, et on s'étonne encore, de la discrétion qu'a toujours montré le ministère de l'environnement devant la multiplication des centrales nucléaires. Respect de la solidarité ministérielle ? Crainte d'affronter plus fort que soi, c'est-à-dire le ministère de l'industrie et son puissant vassal l'Électricité de France ? Il semblait, au début de cette année, qu'une certaine concertation s'ébauchait, néanmoins, entre les fonctionnaires de l'environnement et les autres parties prenantes en matière nucléaire. Mais l'accélération du programme de construction des centrales et le dynamisme propre de l'E.D.F., d'une part, la vacance du pouvoir politique pendant trois mois, d'autre part, ont changé les conditions du dialogue et le rapport des forces. Tout se passe à nouveau comme si l'environnement des centrales était le domaine réserve de l'E.D.F. et un sujet tabou. M. Jacques Belle, redevenu conseiller à la Cour des comptes, après avoir été pendant trois ans directeur de cabinet de M. Robert Poujade, rompt le silence. N'étant plus tenu à l' " obligation de réserve ", il exprime avec vivacité, dans le no 100 de Presse Environnement, ses craintes à l'égard de la politique de l'E.D.F. Dans le préambule de son texte, M. Belle ne remet nullement en cause l'objectif d'indépendance énergétique de la France et le choix nucléaire. Il ne conteste pas davantage que le problème de la sûreté des centrales ait été résolu - bien qu'il s'inquiète du contrôle de la puissance publique sur le transport et le stockage des déchets. Mais, selon lui, les problèmes d'environnement sont très loin d'avoir reçu une solution satisfaisante.»

Plus d’un demi-siècle plus tard, le président Macron décidait de « relancer » le nucléaire par la construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs EPR, alors que « les problèmes d’environnement sont très loin d’avoir reçu une solution satisfaisante ». La commission d’éthique et de déontologie de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) l’indiquait d’ailleurs en février 2023, dans sa contribution au débat public sur le projet d’EPR à Penly : «Le choix de développer l’énergie nucléaire a des conséquences temporelles comparables à celles du changement climatique sans que le fardeau des conséquences des décisions d’aujourd’hui ne soit porté par ses décideurs. Plus encore, ce choix énergétique va accélérer le développement des installations nucléaires et multiplier les risques qui leurs sont associés.». Quelques mois plus tard l’IRSN était dissout dans l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

Nucléaire et « problèmes d’environnement » dus aux mines d’uranium

En France l’exploitation de mines d’uranium a commencé en 1948 avec la Cogema, filiale industrielle du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Elle s’est terminée en 2001 année de création d’Areva. Celle-ci reprenait alors les activités  de la Cogema, de Framatome et de Technicatome (fabricants de réacteurs de production d’électricité et de propulsion de sous-marins nucléaires). En 2018 la société Areva était démantelée suite au fiasco de l’EPR construit en Finlande et au scandale Uramin. Une nouvelle entreprise, Orano, était alors constituée pour reprendre certaines des activités d’Areva, mines, enrichissement d’uranium et retraitement de « combustibles » usés. Le capital de la société est actuellement détenu à 90,33 % par l’État français et à 4,83 % chacune par les sociétés japonaises Japan Nuclear Fuel Limited et Mitsubishi Heavy Industries,

Orano est le principal pourvoyeur de matières fissiles pour les réacteurs nucléaires d’EDF. Ses activités minières actuelles consistent à extraire de l’uranium du sous-sol au Canada, au Kazakhstan et peut-être un jour en Mongolie (elle le faisait aussi au Niger mais vient de s’en faire expulser). Elle doit par ailleurs gérer 236 anciens sites miniers uranifères en France. En effet, 200 millions de tonnes de rebuts et de résidus radioactifs (qualifiés de « stériles »), répartis sur près de 250 sites, ont été produits entre 1948 et 2001. Au mieux certains d’entre eux ont été classés comme sites de stockage de déchets radioactifs identifiés par l’Andra et surveillés en tant que tels. Au pire ils ont été banalisés et rendus à des usages (agriculture, activités sportives, loisirs, habitation, etc.) pour lesquels il n’y a pas de surveillance de la radioactivité et de ses effets.

Mais il a fallu la pression de longue haleine de plusieurs associations regroupées en collectif et une émission « Pièces à conviction » en février 2009, pour qu’Areva finisse par dresser un inventaire des lieux de réutilisation des "stériles" radioactifs dans le domaine public.  Cela a nécessité des survols héliportés de nombreuses régions, des contrôles au sol, des contrôles de second niveau, des contre-expertises de l’IRSN et de très nombreuses réunions et déplacements...toutes activités génératrices de gaz à effet de serre à défaut de pouvoir supprimer la radioactivité.

Celle-ci est toujours présente, par exemple aux « Bois Noirs », à la limite des départements de la Loire et de l’Allier, un des anciens sites miniers les plus connus. 1,3 millions de tonnes de résidus miniers, sables et boues chargés d’éléments radioactifs et de produits chimiques toxiques, y ont été déversées jusqu’à ras-bord dans un bassin artificiel de 20 hectares aménagé dans l’ancien lit de la Besbre. Il en résulte une contamination chronique de cette rivière.

La Cogema, Areva et Orano ont aussi sévi en Afrique. Raphaël Grandvaud, dans un livre publié en 2012 aux éditions Agone, documente très précisément les activités d’Areva en Afrique. Il y décrit comment l’entreprise se procurait l’uranium au meilleur coût et au prix de nombreuses ingérences politiques. Au Niger, les activités d’Areva ont durablement contaminé l’air, l’eau et les sols au voisinage de la ville d’Arlit. Une mine de charbon y était en outre exploitée pour alimenter la centrale électrique nécessaire aux installations d’Areva. Dans un documentaire de 2016, «La colère dans le vent», la fille d’un ancien salarié de la mine d’uranium montre l’ampleur des dégâts sur la population locale, sur les travailleurs et anciens travailleurs du site d’Arlit. Le Niger, un des pays les plus pauvres du monde, n’a absolument pas bénéficié de cette activité et va devoir gérer l’héritage empoisonné de la mine.

D’autres régions du monde sont aussi affectées par les activités minières et les problèmes d’environnement qu’elles génèrent. Par exemple la destruction d’une forêt protégée de saxouls (arbres épineux) d’une superficie de 366 ha au Kazakhstan. Le 30 juillet 2019, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire s’y était rendu pour convaincre les dirigeants du pays d’autoriser par dérogation cette destruction. Il s’agissait de faciliter l’exploitation d’une mine d’uranium par la société Katco (co-entreprise détenue par Orano et Kazatomprom). Un décret gouvernemental était alors signé pour permettre de lancer les travaux en vue d’exploiter le gisement de «Kanjugan». Selon Orano, la société Katco utilise, dans l’ensemble de ses mines, « une technologie de récupération in situ qui permet d’extraire l’uranium avec un faible impact sur l’environnement par rapport aux méthodes traditionnelles et ne génère ni stérile minier ni résidu ». Ce qu’oublie de dire Orano c’est que cette méthode, qualifiée de « lixiviation in situ », présente de gros risques de pollution à long terme des eaux souterraines.

Le 17 janvier 2025 la société Orano signait un contrat avec l’État Mongol pour l’exploitation d’un «gisement de classe mondiale». Selon Orano ce contrat concerne plus précisément « l’exploitation industrielle des gisements majeurs de Zuuvch-Ovoo et Dulaan Uul / Umnut – dont les ressources en uranium sont estimées à près de 90 000 tonnes – par Badrakh Energy, co-entreprise détenue par Orano et le groupe public mongol MonAtom ».

La méthode d’extraction prévue est la même que pour les mines exploitées au Kazakhstan. Un article d’octobre 2023 du media en ligne Reporterre fournit plusieurs informations importantes à ce sujet. Une association locale s’oppose à l’exploitation de l’uranium en Mongolie. Son président veut «établir la vérité» sur les «énormes dégâts» que les riverains attribuent à Orano depuis que le groupe s’est implanté sur le territoire en 2012 : «Moutons, chèvres, chevaux qui naissent handicapés, eau souterraine polluée, femmes qui font des fausses couches». L’association accuse Orano d’avoir pollué l’eau de la province et a porté plainte en 2016 au tribunal administratif d’Oulan-Bator contre le gouvernement mongol, dans l’espoir que soient retirées les licences d’exploitation de Badrakh Energy. Selon le président de l’association, «Leur utilisation de l’eau potable souterraine est excessive. Ils injectent trop de produits chimiques et dangereux. L’eau du désert de Gobi est devenue polluée, imbuvable». Selon Reporterre, «Les documents de la procédure judiciaire, auxquels Euronews a eu accès, font état de puits proches de l’exploitation d’Orano contaminés au strontium et à l’arsenic». Reporterre indique qu’Orano a répondu aux plaignants, ainsi qu’à la chaîne de télévision, que les eaux souterraines de la région sont «impropres à la consommation humaine [...] en raison de leur composition chimique naturelle» et «la mauvaise qualité de l’eau a été enregistrée dans la zone du pilote bien avant le début des premières opérations de Badrakh Energy». Par ailleurs, Orano a écrit à Reporterre que «les inspections organisées par le gouvernement et l’étude de l’organisation internationale indépendante indiquent qu’il n’y a aucun impact sur l’environnement et la santé des personnes et du bétail lié au projet».

Quoiqu’il en soit, le 9 décembre 2024, Areva acceptait de payer une amende de 4,8 millions d’euros contre l'abandon de poursuites pour corruption en Mongolie. Une convention judiciaire d'intérêt public conclue avec le Parquet national financier français permettait alors à Areva d’éviter enquête judiciaire, jugement et condamnation. Le groupe Orano, par contre, n’a pas évité "un programme de mise en conformité", sous le contrôle de l'Agence française anticorruption.

Les activités minières indispensables au fonctionnement de l’industrie nucléaire créent de graves problèmes d’environnement et de santé pour les travailleurs ainsi que pour les riverains des mines. L’industrie nucléaire les nie systématiquement. Si elle était aussi respectueuse de l’environnement et de la santé qu’elle le prétend pourquoi aurait-elle besoin de corrompre des agents publics pour mener à bien ses projets ? Celui de Mongolie semble d’ailleurs très hypothétique selon des sources bien informées.

Pour plus d’informations sur la résistance à la Françatomique

 Coordination Stop Bugey : https://www.stop-bugey.org/

Collectif Arrêt du nucléaire : http://collectif-adn.fr/2024/canard-26-06.html  http://collectif-adn.fr/index.html#debats-publics

Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) : dossier extraction de l’uranium

https://www.criirad.org/categorie/extraction-de-luranium/

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