Il est des jours où la tristesse se mêle a la colère et l’où on touche du doigt combien la démocratie est un bien précieux qu’il convient de protéger, de cuidar(prendre soin) comme le rappelle, dans son émouvant discours de passation de pouvoir, Manuela Carmena, candidate de Más Madrid, maire de Madrid jusqu’à hier (15/6/19). En effet, trois semaines après les élections municipales et d’intenses négociations, José Luis Martinez-Almeida, du Parti populaire (PP) (15 sièges sur 57), va lui succéder. Il vient d’être élu maire de la capitale, avec les voix du centre-droit de Ciudadanos (11 sièges) et celles de l'extrême droite de Vox (4). Más Madrid qui compte 19 conseillers, reste la première formation du conseil, mais les 8 sièges de PSOE ne lui permettaient pas d’assurer son élection. Ciudadanos s’est rangé à droite aux côtés d’un nouvel allié Vox qui joue les arbitres et ne tardera pas à présenter la facture.
Le PP et Ciudadanos ont signé un accord en 80 points pour gouverner ensemble la capitale, ce qui fait de Begoña Villacis (Cs), la maire-adjointe, avec pour objectif commun prioritaire de détricoter au plus vite ce que la maire sortant a fait en cinq ans, le tout avec l’appui de l’extrême-droite. Une des premières cibles, au nom de la liberté de circulation, est la révision de Madrid Central, -un système de restriction de la circulation dans le centre-ville pour limiter de 40% les émissions à gaz à effet de serre mis en œuvre par Manuela Carmena.
Cet épisode consacre l’alliance des trois droites – même si Vox n’était jusqu’ici que l’aile ultra non déclarée du PP- qui a réussi à expulser du pouvoir municipal l’ancienne juge Manuela Carmena, 75 ans, une des grandes figures de la gauche espagnole élue en 2015 grâce au soutien de la gauche et de l'extrême gauche, un symbole aussi pour la démocratie espagnole, porte-parole des Indignés.
En écoutant le discours de Manuela Carmena, où elle rappelle le combat de l’Espagne pour la démocratie et appelle à prendre soin de la démocratie, comment ne pas penser à toutes ces femmes et ses hommes qui luttèrent contre le franquisme, aux espoirs soulevés par le mouvement des indignés, au mouvement des femmes qui, chaque 8 mars, témoignent de leur présence incontournable par d’immenses flots de mauve qui teintent toutes les rues d’Espagne, pacifiquement. Comment ne pas penser à cette Espagne que beaucoup d’entre nous connaissons, partageons et aimons, loin des caricatures ou raccourcis trop souvent présents ici. Carmena sait ce qu’est le fascisme : elle en connaît le prix. Née en 1944, militante du PCE, jeune avocate en 1977, elle a vu ses compagnons tomber sous les balles de l’extrême-droite (attentat d’Atocha, 1977), membre fondateur de l’association des Juges pour la démocratie. Elle est de toutes les luttes démocratiques, du franquisme à aujourd’hui : elle s’est battue contre l’amnésie, a changé les noms des bourreaux sur les rues, donné place à ceux des victimes, ouvert les portes du palais des Cybèle aux sans-abris, assaini les marchés et apuré les comptes d’une ville en déficit (elle laisse un budget avec un déficit réduit de 52% en 4 ans). Elle est cette image de l’Espagne debout, humaniste, ouverte, responsable, républicaine… Alors ce 15 juin 2019 restera une bien rude journée, un injuste salaire pour un tel engagement mais Manuela Carmena ne se rend pas, femme de conviction, elle porte en elle les plus de 500 000 voix des Madrilènes dont beaucoup étaient là pour l’accueillir à sa sortie, mais là encore peu de medias!