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Billet de blog 11 janvier 2009

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Je suis médecin du travail depuis 20 ans

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis médecin du travail depuis 20 ans. Mon métier est passionnant.

Certains pensent que nous sommes des médecins ratés qui n’avons pas réussi tous nos examens . Il faut dire qu’en France , les médecins de prévention n’ont pas la cote . Pensez-donc, ils ne soignent même pas .

Quand j’expliqueque non seulement j’ai tous mes diplômes mais qu’en plus,j’ai étudié deux annéessupplémentaires pour être médecin du travail , c’est l’étonnement voire la perplexité. Tout ça pour être un médecin qui ne soigne pas.

D’autres pensent que c’est un métier de femme . Parce qu’avec les enfants, n’est ce pas , elles sont plus tranquilles en étant médecin du travail. Evidemment, mesdames, ou avions-nous la tête ? Médecin du travail, c’est occupationnel, pour nous les femmes . Parce qu’il faut être un homme pour être un vrai médecin soignant, travailler 15 heures par jour, prendre des décisions importantes, sauver des vies .

J’ai été un médecin soignant en médecine générale pendant 5 ans. J’ai trouvé ce métier répétitif et peu satisfaisant. Le sentiment de tout faire vite sans jamais vraiment prendre le temps . Alors, j’ai choisi d’être un médecin prévenant . Eviter que la maladie ne survienne ! Ca ne fait pas de bruit, bien sur.Notre réussite à nous , c’est quand tout va bien. Pas facile à valoriser.

« éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » La mission du médecin du travail est claire . La santé priseau sens « OMS » c’est à dire physique, mentale et psychologique. Etre le conseiller de tous les acteurs d’une entreprise .A l’écoute de tout ceux qui participent à cette entreprise collective qu’est le travail. Un conseiller , pas un controleur.

C’est un exercice difficile . Car pour les salariés , nous sommes vendus aux patrons . Et pour les patrons, nous sommes toujours du côté des salariés . D’ailleurs, ces derniers me soupçonnent parfois d’être à l’origine des problèmes de santé . J’explique que je ne suis que le voyant rouge. Mais la tentation est grande de couper le voyant rouge .

Il m’est arrivée à quatre reprises qu’un chef d’entreprise demande à ma direction de me virer. Je me souviens encore de ce coup de téléphone un vendredi soir d’hiver.Un salarié me prévenait « que les patrons de sa boite voulait ma peau » . Mes crimes :avoir refusé de faire des inaptitudes médicales pour se débarasser de salariés, avoir déclaré des maladies professionnelles,avoir informé un jeune apprenti de moins de 18 ans des règles concernant le travail de nuit, avoir conseillé pendant 16 ans une étude ergonomique pour un poste manifestement destructeur. Demandes réfusées par ma direction. Mais quand même , ca secoue.

Je suis la pour comprendre et alerter. Mon role est de mettre toutes ces questions dans l’espace public de l’entreprise car c’est elle qui devra prendre les mesures adaptées . Dans cette affaire,les médecins du travail sontles très rares acteurs du monde du travail à porter une préoccupation « humaniste » . Je me sens souvent un peu seule .

Je dois comprendre pour chaque salarié la réalité de sasituation de travail : les horaires, les nuisances physiques, chimiques, les cadences, les questions d’organisation du travail, la charge de travail, la qualité du matériel, les marges de manœuvre. Il s’agit de comprendre les risques potentiels pour la santé.

Le colloque est toujours singulier mais il se conjugue différemment. La relation ne s’établit plus autour de la maladie mais autour de la relation entre santé et travail. C’est l’occasion de faire un arrêt sur image . Je suis toujours frappée par la méconnaissance profonde des salariés eux-mêmes sur l’importance de cette relation. . Comment se fait –il que la question du pourquoi ne soit jamais posée quand la maladie survient ?Fatalité quand tu nous tiens !

« Docteur , je n’en peux plus » est une phrase que j’entendssouvent. Alors , ensemble, nous essayons de décoder le travail et de comprendre pourquoi . Mon cabinet est le seul endroit ou les salariés osent parler de leur travail. Honte, Joie, pleur, doute, espoir, désespoir.

Si seulement , on voulait bien entendre ce que les salariés ont à dire . On serait étonné de leur conscience professionnelle, de leur éthique, de leur capacité d’analyse, de la qualité de leur propositions . Car ils y vont tout entier au travail.Des trésors souvent piétinés, méprisés, déniés. Dommage.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.