À Paris, dans le XIVe arrondissement, le centre Ridder accueille, pour quelques jours, quelques semaines voire quelques mois, des hommes et des femmes que la précarité sociale et psychique a précipités dans la rue. C’est dans ce centre d’hébergement d’urgence avec soins infirmiers du Samu social de Paris que, depuis dix ans, Babeth Fourest anime, deux fois par semaine, un atelier d’écriture, pénétrant ainsi « un univers où l’espoir ne surnage qu’à grand-peine ». Pourtant, c’est là qu’elle s’est « mise à croire en l’homme bien plus qu’il ne [lui] avait été possible de le faire jusque-là » parce qu’entendre de multiples voix du même « noyau tendre et invariant de l’homme » a désillé ses yeux, a changé son regard.
Aujourd’hui, elle raconte la vie de cet atelier dans J’ai besoin d’un toit mais j’ai envie du château de Chambord, titre emprunté à Daniel, qui, souvent, commence l’atelier en refusant d’écrire puis s’étonne, lorsqu’il se relit quelques semaines plus tard : « C’est moi qui ai écrit ça ? ». Babeth Fourest nous invite ici à découvrir le courage qu’il faut à Jenny, à Maurice, à Dominique, à Léonie, à Max… – les hommes plus nombreux que les femmes, semble-t-il – pour « se pencher au bord d’eux-mêmes » dans ce processus de création qui laisse découvrir à l’autre une intériorité étouffée, barricadée, presque oubliée. L’écriture permet de « partir ailleurs », affirme Georges Bataille, « l’encre change l’absence en intention ». L’écriture lutte pour la vie tout au bord de la mort, car inscrire ses propres mots exige un effacement vertigineux.
« Nous écrivons pour rendre possible l’impossible », écrit Théo. « C’est une victoire », laisse tomber Lounis, quand, pour la première fois, il accepte d’écrire : « Le soleil va se lever Enfin ! »Des mots, émergent l’enfance, « L’enfance, Terre d’Enfer » (Sacha), le rêve, «Je rêve, et mon âme me suit, pour un voyage inespéré », (Marco), le temps qui passe, « Je crains d’être obligé de suivre mon parcours avec une méfiance extrême de l’horizon » (Karim). La poésie dit la colère, « Les jours passent Et je n’oublie jamais Le tigre qui est en moi ! » (Martin), l’errance, « J’imagine qu’on frappe à ma porte. Le problème est que je n’ai pas de porte » (William), la révolte, « La machine à écrire dit : “J’en ai marre de me faire taper dessus ! » (Josie). La poésie dit aussi le voyage,« Un petit sac de voyage est le mensonge nécessaire pour avoir l’air de partir…Quel repos de croire que je vais partir “avec eux ” » (Jean), les jardins, « Mon jardin est immense Je le cultive. C’est mon jardin secret. Mais il n’a pas de murs » (Patrick), la liberté, « Après douze ans de pensionnat, douze ans d’armée et dix ans de mariage, Je retrouvai la liberté. Mais à quel prix ! » (Gilles).
Invisibles et muettes, les solitudes que nous croisons chaque jour dans la rue, dans le métro, dans les trains, ont chacune un nom. Ce livre nous le rappelle simplement. Aucun de ses auteurs, précise Babeth Fourest, n’a souhaité, pour la publication, changer le prénom qui signe ses textes. Je regrette de ne pouvoir ici les citer tous, un à un. Un jour peut-être, vous ou moi, croiserons-nous Daniel : « Si j’étais une plante, je voudrais être une ortie Pour piquer les gens qui se sentent à l’abri » ou bien Sacha : « Zeus Ouvrant Un immense drap Bleu Indiqua la Direction de l’Aube ».
Françoise Mona Besson
Babeth Fourest, J’ai besoin d’un toit mais j’ai envie du château de Chambord, Lethielleux-GroupeDDB, 17 euros.