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Billet de blog 24 janvier 2018

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Homi Bhabha, père du programme nucléaire indien : son corps hante le mont Blanc.

Les causes du crash qui en 1961 a coûté la vie à Dag Hammerskjöld, secrétaire général des Nations-Unies, ont été révisées en 2017 et penchent vers la thèse de l’attentat. Il serait opportun de reconsidérer celles du crash qui a coûté la vie au père du programme nucléaire indien le 24 janvier 1966 en France... Pièces d’avion et débris humains ne cessent de remonter à la surface des glaciers.

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 Autour d’une table où une place est restée vide, les « sages » de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique respectent une minute de silence, l’un des leurs est mort en chemin.  Nous sommes le 25 janvier 1966. Le professeur indien Homi Bhabha voyageait à bord du Boeing d’Air India qui s’est crashé la veille au sommet du mont Blanc.

Ce même jour en Inde, devant les centaines d’employés de l’Atomic Energy Etablishment, Vikram Sarabhai - bientôt à la tête du programme spatial indien - rend hommage à son ami Homi Bhabha, fondateur de l’institution en 1954,  rebaptisée depuis Bhabha Atomic Research Center. (BARC)

Formé à Cambridge aux côtés des plus grands de la physique nucléaire des années 30, Bhabha, dès les prémices de la décolonisation, avait su convaincre la famille Tata - à laquelle il est lié par sa mère - d’investir dans la recherche scientifique, antidote au sous-développement.  Le Tata Institute of Fondamental Research avait ainsi été créé en juin 1945. Bhabha avait eu aussi la vision de la maitrise de l’énergie nucléaire comme garantie de l’indépendance et l'Atomic Energy Commission avait été créée en 1948.  Bhabha est président, le board est limité à  trois personnes,  le pouvoir exécutif de l'Agence dépend directement du Premier ministre, sans aucun intermédiaire. Le secret doit être gardé sur ses activités.

Lorsque  Homi Bhabha meurt le 24 janvier 1966, le programme atomique indien est décapité. Car 13 jours jours avant lui,  le 11 janvier 1966, c'est  le Premier ministre Shastri - successeur de Nehru- qui a subitement disparu, victime d’une crise cardiaque juste après avoir signé les accords de paix avec le Pakistan, à Taschkent. URSS.

Indira Gandhi, fille de Nehru, succède à Shastri. Elle prêtait serment le jour même du crash et elle connaissait bien Bhabha qui était très proche de Nehru, son soutien à l’heure de la création des institutions de recherche et notamment celles sur le nucléaire.  En janvier 1950,  Bhabha avait  invité son ami le haut commissaire du CEA français Frédéric Joliot à venir présenter au premier Premier ministre les bienfaits de l’énergie atomique.  Un accord avait suivi  : la France fournissait à l’Inde toute l’information technique sur la purification de l’uranium et le retraitement du graphite, ainsi que les plans d’un réacteur de faible puissance ; en échange de quoi, l’Inde livrait à la France du thorium, du béryllium et de l’huile minérale pour la production de graphite, et éventuellement de l’uranium si l’Inde en trouvait un jour en quantité appréciable - (Compatriotes de l’atome ? La coopération nucléaire franco-indienne, 1950-1976, Jayita Sarkar)

 Ce premier contrat international tenu secret portait atteinte à la politique de contrôle de transfert des connaissances sur l’énergie atomique voulue par les Américains. Les Britanniques auraient également été sévèrement agacés de ces accords entre la France et leur ancienne colonie.  

L’éviction de Joliot à la tête du CEA en avril 1950 n’a pas entravé cette collaboration qui s’est poursuivie avec son successeur Francis Perrin. Au moment du crash de 1966, un autre accord est en cours de négociation pour l’installation d’une centrale près de Madras.  Avec des matériels exportés représentant une valeur d’environ 56 millions de dollars (…) un marché considérable qui nous permet d’acquérir une influence certaine dans un domaine qui jusqu’à présent et en dépit de nos efforts, est resté exclusivement sous l’influence des Etats-Unis et du Canada peut-on lire dans une note des « affaires atomiques » françaises en mars 1965. Dans cette même note, le rédacteur prend soin de préciser que l’Inde a déjà réuni, par ses propres moyens, les éléments indispensables à un programme nucléaire militaire et que la future centrale ne devant pas être achevée avant 1970, (avec extraction du plutonium possible en 1972), il y a de grandes chances que l’Inde ait d’ici-là décidé la fabrication d’un armement nucléaire qui ne saurait donc pas avoir été influencé par la construction de cette centrale avec l’aide de la France.  Pour les Français, il n’y a guère de doute, L’Inde entend passer au nucléaire militaire. Une autre note de janvier 1965 commence par des guillemets citant Bhabha  «  L’Inde peut si elle le veut fabriquer la bombe en 18 mois », message lancé après que la Chine a procédé à son premier test nucléaire en octobre 1964. 

Du côté américain, le 24 décembre 1964, un document du Département de la Défense détaillait les conséquences d’une telle décision : Perte d’influence : ce serait un réduction de (notre) pouvoir d’influencer les événements en Asie du Sud et au-delà ailleurs dans le monde ;  Prolifération : que des hommes jaunes et bruns fabriquent ces armes les plus modernes ne va certainement pas inciter les Blancs à s’abstenir de les fabriquer et en premier lieu, risque d’attaque : l’Inde pourrait un jour ou l’autre être capable d’attaquer les Etats-Unis avec des armes nucléaires… 

On comprend que le crash qui a coûté la vie, sur le territoire français, du grand patron du programme nucléaire indien a de quoi concerner la France autant qu’elle peut « soulager » les Américains… pourtant, pas une seule fois l’hypothèse d’un attentat n’est évoquée. Mieux, les investigations des enquêteurs français sur le terrain seront interrompues au bout de deux jours au prétexte de conditions trop dangereuses en montagne.  Officiellement un seul corps a été redescendu le premier jour, rapidement identifié : Giovanni Bertoli, directeur d’Air India en Europe. Un ex-gendarme du PGHM  qui fut héliporté sur les lieux ose raconter aujourd’hui que d’autres corps ont été trouvés mais  « remontés dans l’hélico comme on les avait descendus et balancés en bas avec les autres ! »  

Dans les semaines qui suivent le crash, le célèbre alpiniste René Desmaison qui s’étonne qu’on ait arrêté si rapidement les recherches - faisables selon lui - apprend que des manœuvres aériennes de l’OTAN auraient eu lieu dans le même secteur le même jour. Il persuade alors Philippe Réal - directeur de la station de l’ORTF de Grenoble - d’organiser une expédition pour voir si des débris d’un autre avion ne seraient pas mélangés à ceux du Boeing.  La direction des actualités télévisées les couvre, leur fournit l’hélico mais  « l’opération Chabert » doit rester secrète jusqu’à la dernière minute, d’autant plus qu’il va y avoir violation de frontière. Ainsi, les plus hauts représentants de l’Etat français découvrent-ils en même temps que le public qu’une expédition non autorisée se trouve sur le versant italien du mont Blanc au milieu d’innombrables débris, de corps attachés à leur siège... et de pièces qui ne peuvent appartenir au Boeing selon eux.

Evidemment, pas d'hélicoptère pour redescendre, c'était prévu... et c'est à ski, dans des conditions infernales, que les hommes atteignent l’entrée italienne du tunnel du Mont-Blanc où les carabinieri les attendent et les prient de remettre morceaux de carlingue et pellicules. Interrogés à Chamonix par le PGHM, ils sont ensuite convoqués à Paris où les autorités  françaises leur demandent de se taire et d’oublier cette histoire… Ce qu’ils feront pendant 24 ans, jusqu’à ce que Philippe Réal et Jean Pontanier acceptent de témoigner pour le livre Crash au mont Blanc, les fantômes du Malabar Princess en 1990. Desmaison attendra la sortie du livre pour confirmer devant le micro d’une radio locale chamoniarde qu’ il avait bien trouvé des débris d’un avion militaire mêlés à ceux du Boeing et qu’on lui a demandé le silence. Il n’y aura aucune suite à cette confession et l’on peut déjà s’en étonner.

Mais pour Desmaison comme pour ses compagnons, en 1966 comme à la fin des années 90 lorsqu’ils brisèrent le silence, il s’agissait d’une collision accidentelle , un  « simple » accident qu’on avait étouffé pour raisons diplomatiques dans un moment où la France tournait le dos à l’Otan et que l’affaire des bombes atomiques perdues d’Almeria n’était toujours pas terminée. De surcroît aucun des hommes,  ni Desmaison ni Philippe Réal le journaliste, ne mentionne Bhabha, en 1990 pas plus qu’en 1966. Bhabha était tout simplement un grand inconnu, et les liens franco-indiens sur le nucléaire, des secrets. 

Erreur de communication entre la tour de contrôle de Genève et le pilote, conclut l’enquête qui fut de toute évidence bâclée, pour ne pas dire entravée. Il semble que les Etats concernés (France, Italie où se trouve la moitié des débris, Grande-Bretagne, Inde et Etats-Unis qui déplorent des victimes) ait eu intérêt à ce que la glace avale toutes les traces de cette tragédie, susceptibles de faire émerger d’embarrassantes informations… Même Air India n’a pas cherché à défendre sa réputation alors que c’était son deuxième ratage au mont Blanc, après le crash du Malabar Princess en 1950. 

Lorsqu’à la fin des années 80, les glaciers ont commencé à recracher des parties de corps momifiés et mille autres souvenirs macabres,  près de quinze ans s’étaient écoulés depuis le crash du Boeing qui avait été comme effacé de la mémoire collective. On s’est alors simplement souvenu du Malabar Princess, et les populations locales se sont « habituées » à ramasser sur le glacier des Bossons des lettres (du Malabar), des débris d’avions (du Malabar) ; il ont touché et retourné des restes humains  (passagers du Malabar), se sont parfois vantés d’avoir trouvé une tête, un pied, une colonne vertébrale …  En 2015 sur un blog aujourd’hui « nettoyé »,  un homme racontait qu’il adorait aller chercher des cadavres et s’était amusé à faire cuire comme un pot au-feu un genou ramené dans sa besace …

Plus de 160 corps des deux tragédies Air India sont encore dans les glaces, des corps qui n’ont jamais été recherchés, auxquels on ne s’est jamais intéressé… qui ont été volontairement abandonnés.  Parmi eux, le corps d'Homi Bhabha.

Le livre Crash au mont Blanc a fait ressurgir l’affaire du deuxième crash en 1991 et a donné un nom aux victimes. Plus tard Internet a pu donner un visage à quelques-unes de ces victimes et on a alors compris qui était Bhabha. Des archives récemment déclassifiées montrent que cet accident-là, avec ce passager-là, à ce moment-là, soulève un certain nombre de questions importantes. Des chercheurs de trésors font régulièrement beaucoup parler du crash, mais la presse s’en tient chaque fois aux « objets trouvés » qui font le buzz :

En 2012 un sac de toile de jute estampillé Diplomatic mail, Ministry of external affairs»  est ramené par deux jeunes alpinistes au PGHM puis récupéré à Chamonix par l’Ambassade de l’Inde, devant la presse. Le nom de Bhabha n’est pas évoqué.

En 2013, l’information de la découverte à la surface du glacier d’une boîte de pierres précieuses d’une valeur estimée à près 300 000 euros fait le tour du monde. Toujours aucune mention de Bhabha. 

Enigme dans le mystère, en septembre 2016, le propriétaire d’une résidence secondaire de la vallée de Chamonix signale la découverte visiblement embarrassante de la mallette de Bhabha mais refuse de la montrer et de la décrire, avant de nier avoir trouvé quoi que ce soit. Cependant, la découverte par un autre chasseur d’épave, d’une pièce floquée H.J.B comme Homi Jehangir Bhabha (photo), prouve que le premier a bien dans les mains un bagage du savant, sans doute en bon état, et peut-être rempli de documents.

Car d’autres dossiers classés secret et top secret, parfaitement lisibles sont apparus à la surface du glacier, en vrac.   Il n’expliquent en rien le crash évidemment, mais  ils éclairent sur l’époque. L’un d’eux détaille l’armement nucléaire de la Chine en 1965 et donne la portée des missiles chinois prévue en1967. Documents d'une importance peut-être exceptionnelle écrit dans Taline Ter Minassian, spécialiste de l’URSS et de la guerre froide dans l’Histoire. Des documents officiels qui pourraient faire la lumière sur un moment clé de l'histoire moderne de l’Inde,  écrit Jayita Sarkar, spécialiste de la prolifération nucléaire - et des rapports franco-indiens sur le nucléaire - dans the Diplomat.   Quelques-uns de ces précieux documents ont rejoint les archives du Wilson Center’s Nuclear Proliferation History project.

Cet été, un chasseur d’épave  qui aime faire parler de lui, a signalé au PGHM  la découverte dans la glace d’une main intacte ainsi qu’un réacteur du Boeing  …  La main a été officiellement récupérée par les gendarmes. Dans les journaux indiens,  il a été question de prélèvement ADN et de recherche d’identification mais tout s’est arrêté… «  avec les victimes des deux crashs et tous les alpinistes disparus depuis la conquête du mont Blanc, il y a bien trop de cadavres dans ce coin  du massif…  On n’arrêterait pas ! Et qui va payer ?  explique le lieutenant-colonel Stéphane Bozon.  Né à Chamonix,  il sait combien les crashs Air India ont généré de secrets de famille et de ragots malsains et il sait aussi que jamais, à aucun moment, la gendarmerie n’a reçu de consignes particulières lorsque leur étaient signalés des vestiges de ces crashs.  En cas de découverte de débris humains le conseil était plutôt de tout jeter dans les crevasses… Aujourd’hui encore, malgré la multiplication des trouvailles annoncées dans la presse,  et dont la gendarmerie se fait  parfois elle-même l’écho devant les caméras (la boîte de pierres précieuses, le sac de courrier diplomatique) aucune procédure particulière n’est prévue. Malgré ce que l’on sait désormais de l’histoire, on laisse un réacteur entre les mains d’un particulier qui le conserve on ne sait où avec des tonnes d’autres débris du Boeing.  Et chacun sait que d’autres, depuis plus longtemps, collectionnent plus ou moins secrètement eux-aussi les pièces de l’ avion, sans parler du reste…

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Des pièces du Boeing ne cessent d'apparaître dans les glaces du mont Blanc. © David Cartoum

Le dossier d’instruction, lui,  a été malencontreusement détruit depuis 1991, date de la sortie du premier livre Crash au mont Blanc, les fantômes du Malabar Princess. Il n’existe aucun bordereau de destruction ou sinistre, juste une maladresse d’on ne sait qui, on ne sait quand. C’est la réponse des archives du tribunal de Bonneville en 2014 au moment de la rédaction du deuxième livre Crash au mont Blanc, la fin des secrets ? C’est ballot. 

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