La dernière désillusion : Lettre ouverte aux adhérents d’Anticor et aux citoyens qui la soutiennent
A force depuis quelques semaines de me voir sur les photos qui illustrent les articles consacrés à Anticor, de dos à l’université tenue à Nantes en 2019 ou de face lors de la « casserolade » organisée en 2017 au moment de l’affaire Fillon, j’ai fini par avoir envie de dire ma vérité : celle de l’administratrice et référente locale d’Anticor que j’ai été de 2017 à 2021. L’histoire d’une désillusion, la dernière de ma vie de militante.
Je ne le fais pas pour convaincre qui que ce soit, ni pour rajouter une pièce dans le bastringue qui n’en a pas besoin mais parce que toute ma vie j’ai haï le secret, l’hypocrisie, le travestissement des faits. Croira qui veut. Réfléchira qui veut.
Quelle est la situation actuelle aux yeux du grand public et de la majorité des adhérents ? D’un côté un gouvernement qui repousse le renouvellement de l’agrément d’Anticor qui le gêne, de fait, pour avoir porté un certain nombre d’affaires en justice, de l’autre une association qui crie au scandale depuis plusieurs mois, fédère ses soutiens, fait faire bloc à ses adhérents de bonne foi. Et qui habilement, mais injustement, prétend qu’une cabale interne vient mettre en péril l’association et son agrément. En un mot de « méchants » administrateurs, fomentant de noirs desseins, donneraient des armes au perfide gouvernement pour tuer l’archange de la vertu, ANTICOR.
Si je n’avais pas été au cœur de l’association, j’y croirais moi aussi sans doute. Mais ce n’est pas la vérité car les faits sont là et ils résistent à cette vision manichéenne.
Qu’ont donc fait les 10 « méchants » administrateurs désormais désignés comme coupables et voués à la vindicte ? Ils ont dès 2019 tiré la sonnette d’alarme : sur certaines faiblesses des statuts, sur leur non-respect par le bureau, et surtout sur la nécessité d’être irréprochable pour une association qui s’attaque localement et nationalement aux pouvoirs politiques et à leurs dérives. Après la démission surprise le 3 février de l’ancien Président, qui ne s’était pas appliqué à lui même les règles décidées pour les élections municipales prévoyant un retrait à partir de septembre 2019 de tous les candidats, démission surprise qui a mis le feu aux poudres, ils ont voulu d’abord une simple réunion, qui leur fut refusée, puis ils ont souhaité débattre avec les adhérents de la place de l’engagement politique pour les responsables de l’association. Ils ont posé des questions sur les dons importants, ils ont même osé s’étonner que des responsables de l’association ne soient pas à jour de leur cotisation mais continuent à voter...
Ce questionnement légitime est aujourd’hui caricaturé. Drapés dans l’histoire de l’association mais surtout dans une dose incroyable de mauvaise foi et de vrais mensonges, les dirigeants actuels n’ont eu de cesse de travestir les faits, de réduire au silence ceux qui ne sont pas d’accord, et maintenant de s’en débarrasser. En vérité, Anticor qui donne des leçons de vertu à tous, de la plus petite commune au sommet de l’État, ne s’applique à elle-même ni la transparence ni le fonctionnement démocratique qu’elle prône pour les autres.
« Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait ».
C’est semble-t-il un bon film, mais c’est un cauchemar en interne à Anticor, quand les faits sont à l’opposé des principes. Des preuves ? En voici :
Que dit Anticor ? Dans son plaidoyer et dans ses recommandations pour les dernières élections municipales, l’association porte officiellement de belles et importantes exigences:
« La reconnaissance du rôle des élus minoritaires qui doivent pouvoir exercer leur droit à la formation, à l’information et à l’expression. »
« La culture de la transparence, qui est une vertu démocratique et un moyen d’instaurer de l’éthique dans la vie publique. ».
« La réalisation de cet objectif passe aussi par [...] une protection plus ambitieuse des lanceurs d’alerte ». Le plaidoyer précise même ce qu’est une procédure bâillon, une poursuite « dont le but réel n'est pas de faire condamner un opposant ou détracteur, mais de le pousser à l'auto-censure ou le faire taire, en l'épuisant financièrement, moralement et nerveusement. De fait, les médias et les associations militantes constatent une recrudescence brutale du recours à ces mécanismes de découragement. »
Qu’a fait Anticor en interne depuis février 2019 ?
. Refuser aux administrateurs l’accès à l’identité des donateurs importants. Il ne s’agissait évidemment pas de rendre public leur nom, contrairement à ce que disent certains aujourd’hui dans une défense maladroite mais de le faire connaître au CA dont la responsabilité de chaque membre peut être engagée.
. Refuser aux dix administrateurs le droit d’informer les référents locaux ( et encore moins les adhérents) du différend qui s’aggravait depuis la démission de Jean-Christophe Picard. La lettre envoyée le 3 avril 2020 aux référents locaux par les 10 alors que la présidente nouvellement élue racontait à sa façon ce qui s’était passé nous a valu d’abord des reproches puis en juin un déferrement devant le comité éthique d’Anticor et enfin une sanction.
. Refuser de mettre à l’ordre du jour de l’AG 2020 un vrai débat sur la question du positionnement politique,
. Décider de proposer à une AG dématérialisée et sans débat ( merci le coronavirus!) la révocation sans motif du CA élu en principe jusqu’en 2021,
. Refuser toute campagne d’explication aux dix administrateurs contraints de déposer une liste,
. Inventer in extremis des règles de présentation du document de candidature, refuser le document envoyé pourtant parfaitement recevable car non modifié sur le fond mais uniquement sur la forme pour se conformer à cette exigence tardive.
. Refuser de répondre à la sommation interpellative déposée par les dix administrateurs avant l’AG pour arrêter la machine infernale.
. Et enfin cerise sur le gâteau : lancer des procédures disciplinaires contre ceux qui n’avaient fait qu’alerter en interne sur les dysfonctionnements. Et qui ont eu l’outrecuidance à l’automne ( car le référé fut impossible après l’AG de juin) de demander à la justice de dire si la tenue de l’AG 2020 était bien régulière.
J’ai écrit à la présidente en janvier dernier après avoir été suspendue de mes fonctions de référente locale, comme quatre autres personnes, au motif que nous étions engagés dans une procédure. Voici un extrait de mon courrier :
« L’assignation ne porte en rien sur l’existence même d’Anticor, son utilité ou son rôle. Bien au contraire et vous le savez, c’est parce que nous pensons l’association en danger que nous vous avons alertée en vain depuis février dernier sur des méthodes qui seraient jugée scandaleuses partout ailleurs.
Alerter, oui. J’utilise le mot volontairement. Nous sommes des lanceurs d’alerte en interne. Nous vous avons alertée, vous et ceux qui pensent comme vous, sur la mauvaise qualité des statuts, sur le danger de dons non transparents, sur la politisation et sur les risques que cela pouvait faire peser sur l’association. En retour, vous avez utilisé l’arme de la révocation, en profitant de la crise sanitaire qui vous a permis d’agir en « distanciel » comme on dit maintenant pour ne rien expliquer aux adhérents. Vous avez refusé nos tentatives de conciliation, vous n’avez pas répondu à la sommation interpellative délivrée, vous nous avez interdit de faire campagne en interne et vous avez même refusé notre document en prétextant des règles à votre main. Et vous pensiez que nous nous tairions définitivement ? Que nous partirions ou que vous nous élimineriez petit à petit ( ce qui a commencé il y a plusieurs mois déjà) ?
Je croyais avoir compris qu’Anticor militait pour une protection des lanceurs d’alerte, je croyais que dans le cadre de la MLA vous réfléchissiez à la meilleure retranscription possible en droit français de la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte dont vous savez qu’ils sont le plus souvent frappés immédiatement en interne de mise au placard, ou de renvoi. Eh bien, ne vous comportez vous pas exactement comme tous ceux qui éliminent ceux qui alertent pour ne pas avoir à répondre aux questions gênantes ?
Je me permets de vous rappeler pourquoi il y a quelques années Anticor m’a donné un prix éthique : c’était de mémoire pour avoir combattu un mauvais projet « avec les armes du droit ». Je pense donc que ni vous, ni le vice-président qui m’avait alors remis le prix, ne pouvez vous étonner de l’ action judiciaire engagée avec d’autres.
Enfin, je vous demande de me préciser sur quel article des statuts actuels le bureau fonde sa décision de « suspension à titre conservatoire », sur quel article le CA sera amené à valider cette décision. Je note en effet que l’article 8 précise : « Le Conseil d’administration peut décider de retirer la charge de l’animation d’un groupe local à un référent local si l’action de ce dernier est jugée non conforme aux statuts ou aux orientations de l’association ou à la mission qui lui a été confiée. » .
Il vous faudra donc prouver que mon action de référente locale n’a pas été conforme aux statuts, ou aux orientations de l’association ou aux missions confiées.
Compte tenu de mon positionnement politique passé bien connu, il vous sera aussi difficile de prétendre que j’ai cherché à enfoncer l’association face au gouvernement actuel. Inquiets d’un éventuel non renouvellement de notre agrément, ce que rien ne prouve encore, vous avez choisi comme stratégie la victimisation préventive. Mais il faut dans ce cas ne donner aucune arme contre soi. Être donc irréprochable sur la transparence et la démocratie, ce que vous n’êtes pas, hélas. Rajouter la suspension de référents (la mesure et son moment) à la somme de vos comportements critiquables au moment où Anticor attend le renouvellement de son agrément par le gouvernement, n'est-ce pas d’ailleurs lui donner un motif supplémentaire pour justifier une décision négative ? »
Pas plus de réponse à ce courriel qu’à ma lettre de démission du CA de juin dernier. Au contraire, une confirmation de la sanction, la suspension, puis une nouvelle charge portée contre les assignataires cette fois par le membre du bureau en charge du comité éthique...
Un drôle de comité éthique…
C’est le joli nom de l’instance chargée d’instruire des saisines contre des adhérents. Dans les nombreux dysfonctionnements repérés en 2019, nous avions pointé la faiblesse de la procédure : pas de grille des sanctions, pas de retour prévu vers ceux qui ont saisi le comité, pas de rapport annuel pourtant prévu par les statuts.
Au printemps nous avons découvert que l’une des membres du comité n’était pas à jour de cotisation, comme ne l’était d’ailleurs pas un administrateur, celui qui a assuré la courte majorité à ceux dont nous dénonçons les pratiques et qui a donc permis l’AG révocatoire, objet de notre assignation devant la justice...Deux des membres du comité éthique ont aussi démissionné, clairement pour des raisons de fonctionnement (ou plutôt de dysfonctionnement). Qu’importe, quand quelqu’un part, on nomme quelqu’un d’autre. Et on continue !
J’ai pour ma part déposé deux saisines au printemps l’une pour propos injurieux, ( nous avons été traités de « rongeurs », et de « gueux ») l’autre pour l’affaire plus sérieuse du non paiement des cotisations qui aurait dû entraîner statutairement la perte de l’appartenance à l’association. Lorsque les actuels dirigeants parlent d’une minorité d’opposants, ils oublient de dire que nous étions 10 et eux 11 dont un non cotisant...curieuse majorité qui explique probablement la décision de faire révoquer le CA. Je n’ai eu aucun retour de ces saisines. Étaient-elles justifiées ou non ? Quelle a été la décision du Conseil d’administration ? je n’en sais rien…
En revanche, je peux maintenant raconter l’autre versant, côté accusé, qui est tout aussi formidable. Me voici donc visée, comme les derniers autres «affreux», par un membre du bureau, en charge du comité éthique (et qui par ailleurs se répand sur les réseaux sociaux entre autres contre moi) dans une longue saisine bourrée de fautes d’orthographe et de malveillance (autre détail amusant, la « bienveillance » est inscrite dans la Charte de fonctionnement d’Anticor…). On me donne huit jours pour répondre, je sens qu’on veut vite se débarrasser de nous. Premier appel téléphonique d’un membre du comité qui veut s’assurer que j’ai bien reçu la saisine. Puis avant le délai requis, nouvel appel pour me demander si j’ai parlé au JDD, si je trouve loyal d’assigner Anticor et de demander des dommages et intérêts. Devant mon refus de répondre oralement puisque la procédure est écrite, je m’entends dire que le charmant monsieur qui m’appelle est en charge de l’avis qui me concerne et que mon attitude ne plaide pas en ma faveur...Cela devrait rappeler à de vieux militants et à ceux qui aiment l’histoire de jolis procès, non ?
Voilà où nous en sommes un an après la démission de J.C.Picard qui peut se vanter d’avoir mis l’association dans une belle panade. Son livre s’appelait « La colère et le courage ». Du courage, il n’en pas eu puisqu’il nous a prévenu par courriel de sa décision d’être candidat aux municipales au lendemain d’une longue journée passée ensemble où il s’est tu. Le vice-président de l’époque et toujours actuel, Eric Alt n’en a pas fait preuve non plus en refusant une simple réunion, qui aurait permis de faire retomber la colère légitime d’administrateurs qui se sont sentis bernés. La présidente actuelle n’a pas fait mieux en remerciant J.C.Picard pour son travail à Anticor et en se réjouissant qu’il reste administrateur. Il aurait suffi d’un brin de bon sens ou d’une toute petite pratique de la démocratie pour que l’on n’en soit pas là….
Comme je l’avais écrit en juin : « Je n’ai pas voulu mettre en danger l’association, bien au contraire. C’est parce qu’elle me paraît susceptible d’être attaquée qu’il faut la protéger et c’est ce que nous voulions. Si l’image d’Anticor souffre de ce conflit qui a fini par éclater sur la place publique, je le regretterai mais ne m’en sentirai pas coupable. »
Je n’ai pas renouvelé ma cotisation qui expirait en février. Si j’avais vingt ans de moins j’en pleurerais de déception, de rage, d’incompréhension. Mais j’ai mon âge et le cuir un peu tanné bien que toujours sensible. Je ne pleure pas. Il me reste juste un poids sur le cœur et l’estomac. Et de la colère aussi. Une association comme Anticor est indispensable mais si elle continue à fonctionner aussi mal, elle ne sera pas le repère de rectitude que mérite notre vie publique. Et ceux qui en connaîtront les coulisses partiront comme sont partis de nombreux partis politiques des militants sincères mais stupéfaits de découvrir que les choses qu’on fait n’ont pas grand chose à voir avec les choses qu’on dit…
Quelques pistes de réflexion et conseils pour les adhérents qui sont engagés activement dans les groupes locaux, dans un travail souvent plus démocratique et collectif que celui du niveau national : Ne faudrait-il pas amener la direction actuelle à se démettre ou à renouer avec un fonctionnement démocratique exemplaire, condition d’ailleurs de l’agrément ministériel ? Ne faudrait-il pas réfléchir sérieusement au positionnement de l’association par rapport aux procédures judiciaires qu’elle porte et aux autres actions possibles mais négligées à ce jour pour prévenir la corruption plutôt que de courir en permanence derrière ? Ne faudrait-il pas former et accompagner davantage les référents et consacrer plus de temps et d’énergie aux affaires locales, même si elles sont moins médiatiques ? Si l’association est aujourd’hui fragilisée, elle devrait chercher les responsabilités dans son fonctionnement plutôt que de se comporter comme une citadelle assiégée. Dans l’histoire les citadelles assiégées finissent souvent mal, surtout quand elles commencent par considérer tout questionnement légitime comme une trahison et liquident leurs propres forces internes.
Françoise Verchère
Maire honoraire et conseillère générale honoraire, élue pendant plus de trente ans et donc peu suspecte de détester les élus et de favoriser le « tous pourris »,
Engagée depuis toujours à gauche et donc peu suspecte de vouloir aider le gouvernement actuel,
N’aspirant qu’à cultiver son jardin et donc peu suspecte de vouloir « mettre la main sur l’association » comme un administrateur le prétend.