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Billet de blog 8 mai 2017

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L’arbre ou la forêt ?

Lettre ouverte à mes ami-e-s de gauche et du mouvement social, à ceux et celles qui pourraient croire qu’il suffit d’avoir évité le pire, comme aux autres…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’arbre ou la forêt ?

Lettre ouverte à mes ami-e-s de gauche et du mouvement social, à ceux et celles qui pourraient croire qu’il suffit d’avoir évité le pire, comme aux autres…

« Il faut que tout change pour que rien ne change » Il gattopardo. Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

Formé à bonne école, celle des élites et de l’argent, notre Tancrède-Macron a pris la place-forte évidée du pouvoir, qu’Hollande avait remplie de ses petites phrases, de ses renoncements, de ses trahisons… Flamberge au vent, notre petit mousquetaire gâté par les dieux du MEDEF, a su supplanter le « père », en profitant des largesses des caisses patronales, de l’armada médiatique au service des puissants.

Bref, rien de glorieux dans ce Pont d’Arcole moderne !

Comme le gouvernement libéral de Hollande a délicatement planté des banderilles dans le dos du peuple pendant les cinq ans où nous avons eu à souffrir Ayrault, Valls, El Khomri, Rebsamen (et j’en passe), la lèpre du FN s’est joliment étendue sur la France, malgré les luttes syndicales, en dépit de la louable campagne de la France Insoumise pour « remettre de l’Idée » dans la vie politique française.

Du coup, miracle, et non des moindres, pour tous les opportunistes solfériniens, et pseudo-centristes, et vrais ambidextres de tout acabit : voilà que notre jeune homme de bonne famille picarde, formé à l’Attali et à la novlangue libérale, s’est retrouvé face au fonds de commerce familial de la famille Le Pen… Tout en étant débarrassé d’une droite rancie incarnée par le dispendieux Fillon et d’une gauche sociétale qui a pris les traits du « frondeur » bien sage, j’ai nommé B. Hamon.

Intervention divine de la tychè (la Bonne Fortune), comme disaient les grecs ? Réflexe de survie du « système », qui mue pour mieux se perpétuer ?

« Et puis le Code de la peur à distribuer
À tous ceux qui habitent avec la peur ou que la peur habite
Article un : j'ai peur, article deux : j'ai peur
Article trois : j'ai peur, article quatre : où sont les toilettes ? » La violence et l’Ennui. Léo Ferré.

En dépit de sa profonde « nullité » politique, de son vide programmatique plein (sic) de mantras libéraux, le « gentil » Emmanuel ne pouvait que triompher de la « bête » immonde : épaulé par les traîtres mielleux et doubles du PS, secondé par la grande peur des citoyen-ne-s, il triomphe ainsi sans gloire, parce qu’il vainc sans peine…

Mais le roi, le tout petit roi, est nu et sans divertissements pour le peuple !

Un « roi » pour faire quoi, d’ailleurs ?

Eh bien, pour continuer et accentuer la politique de ses maîtres : faire éclater la protection des lois pour les salarié-e-s (mon dieu, que c’est bon de se venger d’un siècle de conquêtes sociales !), augmenter la « charge » fiscale pour les pauvres et les classes moyennes afin de baisser les cotisations sociales des employeurs, et ainsi de suite… La liste serait plus longue que les plaies de l’Egypte, si j’avais à la faire jusqu’à la lie…

Et pour faire quoi, encore ?  Eh bien, pour faire monter la fièvre fasciste et populiste, mon Dieu ! Pour que la société désagrégée se délite, et que la clique Le Pen soit de plus en plus aux portes du pouvoir.

Bref, rien de nouveau sous le soleil noir du Capital à visage découvert…

Mais au fond, de quoi Macron, épiphénomène politique, est-il le nom ? De beaucoup de choses, certes… Evidemment de la cinquième république agonisante et étrécie, de la constitution d’une classe politique qui a fait de la représentation nationale une « charge » qui prend les traits de privilèges et de prébendes, de la disparition des idées au profit d’une société de l’image et des images, d’un étiolement, seulement apparent, des marqueurs idéologiques (la gauche, la droite, le capital, les travailleurs) …

Surtout, je crois que c’est dans l’asphyxie sociale qu’il faut chercher l’explication du « triomphe » sans gloire du petit soldat Macron : l’absence de réactivité du corps social aux mutations délétères du capitalisme triomphants, aux sursauts dramatiques de l’histoire récente, manifeste l’atonie très répandue des individus, leur soumission à l’Histoire. Il faut dire que l’idéologie qui règne en maître sur les esprits, depuis une trentaine d’années, n’est pas celle de la Bonne Fortune, mais celle du triste Fatum : c’est là une vision tragique de l’histoire qui soumet l’homme au diktat du Marché, à sa loi impavide…

Une fin de l’histoire qui tombe bien…pour les puissants.

« And the rest is silence » Othello. Shakespeare.

Depuis des années, je suis surpris par le peu de discussions citoyennes, sociales, sur les lieux de travail, par exemple, comme si « débattre » était devenu un gros mot (My god !), comme si argumenter, faire valoir des points de vue, étaient choses surprenantes et incongrues. C’est encore plus saisissant parmi les classes dites intellectuelles (je le dis avec beaucoup de distanciation) : les salles de professeur-e-s que j’ai côtoyées sont bien souvent un désert des idées, où l’on devise des faits divers locaux, où l’on souffre parfois en silence de son travail… Mais la pensée, la petite fleur impertinente, en est bannie, ou pousse à couvert.

Pourtant, ne sont-ils pas les hussards noirs de la République (c’est une couleur qui me va très bien !) ?  Ils devraient être « exemplaires », n’est-ce pas ? Or, je rencontre quelquefois des ouvriers aristocrates de la pensée, qui me font rougir d’eux …

Pour qui, encore, a un peu, beaucoup, passionnément « tracté » sur les places publiques (et j’en suis), il est assez évident que le déficit d’intérêt pour la chose publique, que l’indifférence et le repli citoyens, sont répandus comme un manteau qui fait étouffoir…

De la « consommation » dans le champ social et politique 

Alors, certes, au moment des élections, on « consomme » de la chose politique devant les écrans « cathodiques », plasma, pour être à la page, on « converse » sur les réseaux numériques, on vote encore, d’ailleurs, même si le choix est malaisé, voire forcé : car y-a-t-il choix lorsque l’on doit préférer la continuation et l’accentuation de la voie ultralibérale au fascisme à peine larvé d’un parti créé par d’anciens « collaborateurs » -sic- et de charmants activistes de l’OAS ?

Toute cette agitation civique relève de l’acte de consommation, plus que d’une vraie vie démocratique : il n’est que de voir ce qui se passe dans la réalité sociale, pour commencer (la démocratie est autant sociale que citoyenne) : les syndicats sont exsangues (même la CFDT…qui n’est plus un syndicat, mais un think tank pro gouvernemental), les militant-e-s peu nombreux-ses et « chenu-e-s » (j’en fais partie !) ; les salarié-e-s viennent souvent voir les syndicats quand cela va mal, mais se syndiquent peu, et ont beaucoup de mal à agir au quotidien dans un sens altruiste.  

What’s else ?

Or, pour construire un mouvement social victorieux (enfin victorieux !), pour reconstruire une vie politique de progrès social, il ne faut pas un simple soubresaut de colère, comme cela a été le cas, ces dernières années, il faut une coulée d’engagements, de luttes en fusion.

Il faut des syndicats de lutte forts, aiguillonnés par la « base » … Il faut des syndicats qui « se mêlent » concrètement de ce qui les regarde : production, consommation, conditions de travail,… Coopératives de producteurs-travailleurs et éducation populaire sont des champs à investir, car ils participent d’un horizon de transformation sociale concret.

Il en de même de la vie politique : l’engagement ne saurait se réduire au dépôt d’un bulletin dans une urne (« Et puis, après ? »). Les partis sont évidés largement, et notamment à gauche. On me dira certes que le mouvement des « Insoumis-e-s » marque une renaissance de l’engagement : j’entends cela ; c’est évidemment un rayon de soleil naissant, mais dans un tableau encore bien sombre. Et pourtant, c’est bien par l’entrecroisement des paroles, par le choc parfois des avis, par la confrontation des mots que peut sourdre de nouveau une pensée du progrès social (je laisse le mot de « progressisme » aux tenants du libéralisme, qui usent de ce terme à toutes les sauces les plus indigestes…).

"Qu’attendez-vous pour vous syndiquer et de quel droit prétendez-vous recueillir vous-mêmes, non-syndiqués, les bénéfices de l’action que les syndiqués exercent au profit de tous ? Jean Jaurès.

 Engagez-vous, dis-je !

Bref, les citoyen-ne-s ne peuvent pas faire l’économie d’un « engagement » dans le réel pour que la France sorte de l’ornière où ils l’ont mise en se désengageant. On m’objectera que « la mariée n’est pas bien alléchante, voire que sa robe serait défraîchie (ouh ! la vilaine !) » : les syndicats et les mouvements politiques sont figés, apparaissent comme un repoussoir aux velléités d’engagement. J’entends bien (je plussoie même, si vous voulez) : mais, s’ils sont « figés », n’est-ce pas justement parce qu’ils ne sont pas irrigués par du sang neuf, « fouettés » par des citoyen-ne-s et des salarié-e-s insoumis-es, qui les obligeraient à se remettre en question ?

L’arbre et la forêt ou l’insurrection qui vient ?

Devant l’élection par défaut du petit Macron (« qui t’a fait roi ? »), il y a, en apparence, de quoi désespérer de la République Sociale à laquelle nous aspirons, celle de l’égalité, de la justice, de la fraternité. La quasi mise en lambeaux du code du travail qui s’annonce, les licences délétères qui vont être accordées au MEDEF, le bal triomphant des opportunistes et carriéristes en pleine reconversion qui point, et là encore, nos retraites comme passées à l’étamine, j’en passe et des meilleures, tout cela n’est pas de nature à nous réjouir…

« Il faut que rien ne change pour que tout change ! »

Et pourtant, pourtant…

Les résultats de la France Insoumise sont prometteurs, les luttes vives de l’année dernière, dans la rue, contre la loi « Travaille ! » ont marqué une vraie montée de fièvre sociale, le grondement sourd du mécontentement contre la loi du marché est perceptible :  l’embrasement est possible si le talion d’airain (c’est une formule…) des lois par ordonnances s’abat sur les travailleurs…

Notre adversaire ne doute de rien : peut-être a-t-il tort ?

Peut-être l’élection de Macron est-elle l’arbre qui cache la forêt des révoltes et de la subversion (au sens premier du terme) du pouvoir ?

Mais il faudra un mouvement social qui ne tremble pas, des grèves dures, des collectifs déterminés, des citoyen-ne-s qui reprennent vraiment la parole qu’ils ont tue en eux-mêmes.

Ne nous laissons confisquer par personne, fût-ce par nous-mêmes, nos révoltes, nos indignations, nos insurrections ! Le scrutin présidentiel n’est pas une fin, mais le début de la reconstruction indispensable d’une vraie gauche, debout sur les deux jambes : le politique et le social ! Engagez-vous, dis-je !

 François Poupet, syndicaliste et citoyen « enragé ».

« Nous, d'une autre trempée et d'une singulière extase
Nous, de l'épique et de la déraison
Nous, des fausses années, nous, des filles barrées
Nous, de l'autre côté de la terre et des phrases
Nous, des marges, nous, des routes, nous, des bordels intelligents
Ô ma sœur la violence, nous sommes tes enfants

Les pavés se retournent et poussent en dedans ». Ibid. Léo Ferré

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