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Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika

Docteur en Philosophie, Ecrivain, Intellectuel engagé pour l'Etat de droit en l'Afrique et la réforme équitable des relations internationales

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Billet de blog 24 avril 2023

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TOUT L'OR DU MONDE NE VAUT PAS UNE ÂME! LE POETE DEPESTRE L'A SI BIEN DIT

Le Dr Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika propose ici un commentaire actualisé du célèbre poème du haïtien René Depestre, "Minerai Noir". Une manière d'éclairer par l'interprétation de la poésie, la tragédie africaine actuelle.

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Ce poème du haïtien René Depestre est un texte pétri d'histoire. Il commence par l'adverbe de temps "quand", qu'il repète une fois, pour insister sur la rupture de l'unité du monde négro-africain par la Traite Négrière. Le basculement de l'Afrique dans la vie de dualité, dans le déchirement de soi, dans la souffrance qui émiette, qui aliène en tuant le corps, vidant l'âme et chassant l'esprit de l'Homme. Le poème de Depestre nous raconte, après l'extermination des autochtones d'Amérique par les barbares explorateurs des royaumes prétendument chrétiens d'Europe des 14ème au 15ème siècles, la prise en chasse des femmes et des hommes Noirs de la Terre à partir du 16ème siècle; hommes et femmes d'Afrique décrétés comme marchandises vivantes par la force des canons et l'arrogance de la méchanceté raciste des royaumes européens assoiffés de puissance terrestre, rompus au culte du veau d'or de l'accumulation abusive et absurde des richesses matérielles.

Ce poème de Depestre est aussi un texte logique. Sa structure est l'implication chronologique et logique entre le "quand" de la réduction du Noir au statut de chose, et le "alors" des terribles conséquences de la décision inhumaine des impérialistes occidentaux. Cette démonstration de la raison d'être de la souffrance négro-africaine actuelle est rendue percutante par ce syllogisme impitoyable. René Depestre veille ainsi à ce que le poème, tout en beauté par sa lancinante et profonde inspiration, soit avant tout au service de la Vérité, de la Justice et de la Solidarité humaines. Le poète antillais s'installe ici, consciemment ou non, dans l'immémoriale tradition de la Mâât africaine, où l'expression de la sensibilité se fait toujours sous le contrôle du dévoilement lucide de l'être réel et des obligations que la forme humaine nous impose d'assumer, en vue de bâtir sans cesse des cités humaines bienveillantes, garantissant ainsi l'harmonieux passage de l'humanité à l'angélicité, que le profane athée appelle pompeusement la mort.

Une fois comprise la double structure historique et logico-chronologique du poème, on peut enfin s'intéresser à l'emploi sublime de la langue française par le poète résistant pour dire la profondeur du tragique de la race noire. La première partie du poème est consacrée à l'Indien, ce frère de souffrance du Noir. De lui, ne reste que la sueur tarie par le soleil. Sa dernière goutte de sang a été versée, et les Indiens ont disparu autour des mines d'or. Par cette exagération légitime qui veut dépeindre l'ampleur de la dévastation, Depestre raconte ainsi l'extermination des populations originelles de l'Amérique par les puissances sauvages venues d'Europe occuper et piller les richesses de l'Amérique. "La frénésie de l'or", telle est la maladie métaphysique de l'Occident, angoissé par la pauvreté de ses terres, jaloux et envieux des peuples choyés de la terre, qu'il s'efforce de déposséder par la ruse, le mensonge et la brutalité, bien souvent déguisés en un prétendu droit de la communauté dite internationale. Le poète antillais nous dit pourtant que cette cupidité de l'Occident est mûe par sa passion de "la relève du désespoir", c'est à dire sa tendance à courir par monts et vaux derrière des illusions, des mirages. Much ado about nothing! Car comme le dit l'Ecriture biblique, à quoi sert-il à un homme de posséder tout l'or du monde s'il a perdu entretemps son bien le plus précieux, à savoir son âme?

La seconde partie du poème décrit le rabattage de l'impérialisme raciste de l'Occident contre le peuple noir mondial, suite à son échec à tirer davantage profit des Indiens exterminés par sa rapine. René Depestre désigne ici le peuple Noir par tant d'expressions métaphoriques, traduisant davantage la rapacité et la férocité occidentales. Retenons-en quelques jolies perles: "le fleuve musculaire de l'Afrique", c'est la main d'oeuvre puissante des Noirs capturés et esclavagisés, car réputés plus robustes que les Indiens et les Blancs. "Le rayonnant midi du corps noir", c'est ce soleil que les Noirs ont sous la peau, cette mélanine autrefois perdue par les leucodermes, qui ne cesse de fasciner leur curiosité et leurs fantasmes d'impuissance. "L'inépuisable Trésorerie de la chair noire", "L'épaisseur du Minerai noir", "le métal noir", "la sonorité du sang noir", "l'ébène minéral", "le gisement musculaire de l'homme noir", voilà autant d'expressions qui décrivent à merveille la réduction de l'humanité africaine au statut de simple matière terrestre, la chosification du Noir par le racisme Blanc, lui-même corrompu par un matérialisme grossier qui l'obsède au point que pour lui, "time is money", "le temps, c'est de l'argent". Et la dévastation actuelle du monde, qui se poursuit par la rivalité des grandes puissances, par la bataille pour ou contre la suprématie du dollar, par la volonté de contrôler pour soi les océans polaires et les planètes du système solaire, n'est que la conséquence de cette logique de brutes, de cette domination de la Bête sur la terre.

Fort heureusement, la troisième et dernière partie du poème de Depestre trace les sillons de l'émancipation noire, montre les chemins de l'Afrique des libertés. Face aux figures hideuses (le pirate, le flibustier, le dévaliseur, le foireur, l'extracteur, l'explorateur, le canonnier, le banquier négrier) de la haine de l'Autre homme , incarnées par le racisme négrier, colonial et néocolonial, mais aussi les despotismes sous toutes ses formes, René Depestre dresse la résistance de l'espérance. Rien n'est perdu pour l'Afrique et pour le peuple noir mondial, car le négro-africain ainsi en souffrance est une "rosée humaine", un don de Dieu à la Terre, bénédiction de la Rose qui est emblème d'amour et de sacrifice. Le négro-africain est un humain potentiellement riche des dons de Dieu et de la nature à sa terre et à sa constitution psycho-physique. Mieux encore, René Depestre nous dit que le négro-africain est riche du "secret de sa nuit corporelle". Mais quel est donc ce secret? C'est la conscience de la dignité de l'humain, de son irréductibilité au statut de simple matière. C'est la conscience du divin en l'humain et de l'humain dans le divin, qui fait de tout être authentiquement humain, une personne. Cette conscience est matérialisée chez René Depestre par la présence souterraine d'un "grisou" en tous les noirs de la terre, c'est-à-dire d'un souffle de vie puissant qui jaillira sous la forme d'une "colère en crue", transformant le Minerai Noir (le Nègre Chosifié et Aliéné), en un Cri de Justice, de Vérité et de Solidarité qui brisera toutes les chaînes du racisme, du colonialisme et du néocolonialisme, mais aussi de l'impérialisme imposées depuis six siècles aux peuples négro-africains. Et voici la promesse finale: "Nul n'osera plus couler des canons et des pièces d'or/ Dans le noir métal de ta colère en crue."

Ainsi compris, ce poème est finalement aussi alchimique. Il réalise la transmutation du noir marchandisé en noir rehumanisé, libre et déterminé à s'assumer comme être humain, dans le duel inévitable et même nécessaire des puissances de la Terre. Le Minerai Noir, au final, cesse d'être exploitable, car les Personnes ne sont pas des choses, mais des présences du divin et des signes qu'il y a des limités à l'orgueil des humains spirituellement involués, dévalués et régressifs qui courent inévitablement à leur perte. L'Or même, tout l'Or ne vaut pas une âme! Et le redressement de l'humanité commence par la sacralisation de la vie de l'âme. En ce sens, la poésie peut sauver l'humanité.

Par le Dr Franklin Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika

Rouen, Le 24 avril 2023

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