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Billet de blog 24 juin 2019

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La symbolique du Feu, méditations sur un tableau de Pierre Gillon

IL m’a été donné de penser ce tableau de Pierre Gillon, ou même plutôt de penser avec lui, un jour du début d’été 2019 dans la petite commune de Sainte-Barbe-sur-Gaillon, dans l’Eure . J'en tire une méditation sur la symbolique du Feu. A vous d'apprécier.

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Commentaire du Tableau de Pierre Gillon

Par le Professeur Franklin Nyamsi Wa Kamerun


IL m’a été donné de penser ce tableau de Pierre Gillon, ou même plutôt de penser avec lui, un jour du début d’été 2019 dans la petite commune de Sainte-Barbe-sur-Gaillon, dans l’Eure . 
Je dirai d’abord ce que je vois et je dirai ensuite ce que j’en pense. Même si voyant, je pense déjà en visionnaire et même si pensant, je vois déjà en penseur.

Je vois dans ce tableau une scène en quatre dimensions : à la base, il y a un cercle de terre, formé par des personnes rassemblées autour d’une scène centrale. Le peintre semble être lui-même l’un des spectateurs-participants, puisque ce cercle l’intègre lui-même. Il y a au sommet et autour du cercle des personnes, la nuit étoilée, ce ciel nocturne formant à nouveau un cercle englobant l’humanité rassemblée. IL y a au centre de la toile, un feu qui s’élève, manifestement fait de bois posés en forme de triangle vers le ciel, de telle sorte que nous avons une sorte de pyramide de bois en feu. Ce feu multicolore, comme celui du soleil, rappelant la belle diversité des êtres de la nature, illumine toute la toile et rayonne dans toutes les directions : il chauffe la terre, éclaire le ciel, réchauffe les hommes et surchauffe l’air de l’atmosphère. La pointe de ce triangle de feu, tout au sommet, perce le ciel comme le sommet des cathédrales. Le feu s’élève de la terre vers le ciel et les hommes le contemplent à respectueuse distance. Cette scène, qui croise la terre, l’air, et l’eau dans le feu, ouvre ainsi vers l’inconnu, vers l’invisible et peut-être l’indicible.

Tentons donc à présent de méditer sur les différents aspects de cette peinture. 
Les hommes sont rassemblés en cercle. Ils représentent donc un peu la totalité de la famille humaine, le cercle étant une figure géométrique symbolisant l’universalité. Manifestement, les hommes rassemblés autour de ce feu lui accordent une certaine importance. En effet, le feu est le signe universel de la civilisation. C’est avec lui que les hommes cuisent leurs aliments, chauffent leurs demeures, transforment les matières premières, éclairent leurs maisons et routes. Mais c’est aussi avec ce même feu que les hommes se font la guerre, incendient des biens, se brûlent accidentellement ou volontairement, comme autrefois dans les autodafés de l’Inquisition. Paradoxe du feu ! Il peut faire vivre comme tuer. IL est force de vie et force de mort. Feu du foyer et feu des armes à feu. N’est-ce pas pour cette raison que tout en étant fascinés par le feu, les hommes s’en tiennent à respectable distance ? N’est-ce pas de là que découle le caractère sacré du feu dans toutes les sociétés humaines ? Les mythes de l’humanité racontent tous cette ambiguïté du feu qui sauve dans certains cas et qui détruit dans d’autres. Les guérisseurs d’Afrique et les médecins modernes l’utilisent pour purifier ou soigner leurs malades : des rituels archaïques du feu aux rayons X modernes, les hommes savent que le feu vivifie et sauve. Mais les mêmes hommes racontent avec le mythe d’Icare ou les bals de sorcières autour du feu, les dangers du feu démoniaque dont l’Enfer de Satan est l’emblème négatif absolu. Est-ce ce paradoxe que le peintre, Pierre Gillon veut nous faire méditer ? Je suis porté à le croire.

Et alors, je m’interroge. Pourquoi ces hommes contemplent-ils ce feu qui brûle ? Manifestement, ce n’est pas un feu utilitaire. Ils ne sont pas là pour se réchauffer ou pour cuire des aliments. Pierre Gillon ne les aurait pas dessinés à si respectueuse distance de l’objet central. On aurait autrement vu traîner par-ci par-là des ustensiles ordinaires. On ne voit pas non plus un animal ou une personne en train de brûler, mais essentiellement du bois. Ce n’est donc pas un sacrifice animal ou humain qui est en cours. On peut donc en déduire que ces hommes contemplent le feu comme feu. Ils regardent le feu et tentent de méditer sur ce qu’il représente. Ce feu, au centre de ce tableau est dès lors un symbole. Et tel est le sacré de cette scène : une invite à l’intériorité. A la contemplation. A la méditation.

On voit, aux mille couleurs du feu, qu’il est la reproduction du soleil sur la terre. Le système solaire est fait de feu. Et au centre de la terre, comme en témoignent les volcans et les geysers, brûle un feu puissant. Mieux encore, l’homme lui-même, issu du système solitaire, fils de la terre et du ciel, est fait de la même matière que le soleil. En nos plus intimes cellules, nous sommes faits d’atomes, et les atomes sont composés exactement de la même matière que celle des explosions du feu solaire ; nous sommes composés des mêmes vibrations que celles du feu que contemplent ces hommes. Ainsi donc, le feu au centre de cette scène n’est pas seulement le feu qui est au centre de l’Univers, il est aussi le feu qui est au centre de toute chose et de l’Homme en particulier, dont le corps, à l’état normal, doit chauffer de 37,5 degrés Celsius. Or si tout est en dernière analyse composé de la même matière que ce feu, il est donc littéralement l’aspect physique que le principe créateur revêt aux yeux des hommes.

Etant en tant que vibration, la structure intime de tous les êtres, le feu solaire et terrestre renvoie in fine au Principe créateur présent en tous les êtres. De Dieu, on peut en effet dire qu’il est au-delà, au-dedans et en dehors de nous. Le sens de ce rassemblement étrange commence ainsi à nous apparaître en pleine lumière. On comprend pourquoi la pointe de ce feu perçait le Ciel, symbole de l’Invisible. IL s’agit d’une communauté de méditants rassemblés autour du feu pour se souvenir du Créateur qu’il représente. Mais ce Créateur est ambigu : il peut détruire comme construire. IL peut sauver comme faire périr. Qui décidera de l’usage du feu matériel et du feu intérieur à l’Homme ? Qui décidera de l’avenir de la Présence divine en chacun d’entre-nous ? A voir l’effort de cette assemblée à se tenir à respectable distance du feu, on se rend compte que l’Homme porte la liberté et la responsabilité de faire un usage maléfique ou bénéfique de la Création présente en lui-même et hors de lui-même. Nous devons prendre conscience que par sa capacité à produire du Feu, l’Homme porte une responsabilité suprême sur l’avenir de la Vie, mais aussi sur l’avenir de l’Humanité toute entière. Il apparaît ainsi une relation triangulaire entre l’Homme, l’Univers et Dieu, qui mérite d’être retrouvée dans la quête intérieure de l’Homme lui-même. L'Homme est le médiateur entre la Terre et le Ciel, le Visible et l'Invisible, à condition qu'il en prenne vraiment conscience.

Pierre Gillon nous amène à prendre conscience de la puissance créatrice dont nous sommes constitués, afin d’en faire dans toute la mesure du possible un usage bienveillant et constructeur qui réalise une humanité fraternelle, prospère, et digne héritière du mystère de la création. Une humanité mue par un amour désintéressé qui brûle sans consumer. Et j’aime à penser que cette scène picturale de Pierre Gillon rappelle la profondeur de ce mot latin : « Vocatus et non vocatus, deus adherit » ; « Invoqué ou non invoqué, Dieu est toujours présent ».

Sainte-Barbe-sur-Gaillon, le samedi 22 juin 2019

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